Texte intégral
Date : mercredi 18 septembre 1996
Source : RTL / Édition du matin
M. Cotta : Après la mort d'un collégien tué par balle par son camarade à Montereau, F. Bayrou a appelé hier l'ensemble des participants, enseignants, parents d'élèves, jeunes, à résister à la violence à l'école. « Construire dès maintenant une campagne de refus de la violence » dit-il. Oui, mais comment ?
L. Fabius : Le ministre a surtout prévu que vendredi, il y aurait une période dans les écoles qui serait consacrée à débattre de ce sujet C'est une bonne chose. Mais il faut surtout agir. On sait bien comment il faut agir. Il y a d'abord la taille des établissements qui est en cause. Quand ils sont trop gros, c'est bien la violence. Il y a le fait qu'il faut une présence de personnels très nombreux, il y a tous les problèmes de la société qui pèsent sur l'école. C'est là-dessus, aussi, qu'il faut agir.
M. Cotta : Et une prise de conscience générale ?
L. Fabius : C'est évident car partout ça pose un très gros problème. À quoi il faut ajouter le problème de la drogue qui est très préoccupant, partout, et notamment aux abords des écoles.
M. Cotta : Ce climat de violence, on a l'impression qu'il est en ce moment un peu plus fort que jamais, d'autant qu'il est doublé par une polémique violente sur le Front national. Regrettez-vous qu'on en parle tellement ? Faites-vous partie de ceux qui souhaiteraient ne pas relever les propos de J.-M Le Pen, surtout s'ils sont provocateurs ?
L. Fabius : On est coincé car si vous les relevez-vous faites son jeu et si vous ne les relevez pas, vous donnez le sentiment de les approuver. À propos de cette querelle qui a eu lieu sur la phrase de Le Pen, sur l'inégalité des races, il faut être clair : ce n'est pas un sujet de discussion, le racisme. Le racisme, c'est une imbécillité et c'est un délit. Quand on dit « les races sont inégales » ce n'est pas du racisme, on se demande ce que c'est. Je crois donc qu'on aurait très bien pu poursuivre l'auteur de ces phrases.
M. Cotta : H. Emmanuelli avait proposé l'interdiction du Front national et L. Jospin trouve, lui, que « c'est une erreur politique », et vous ?
L. Fabius : Je pense qu'on aurait pu et dû poursuivre Le Pen pour les phrases qu'il a dites et qui sont incontestablement racistes. En revanche, l'interdiction ne me paraît pas la mesure qui permettrait de régler le problème. Et en même temps, probablement, renforcer la loi si elle a des lacunes.
M. Cotta : Vous êtes donc favorable à une nouvelle loi sur les connotations, les arrière-pensées racistes.
L. Fabius : Défendre la liberté, ce n'est pas défendre le racisme.
M. Cotta : Faut-il accepter de changer la loi électorale pour les prochaines législatives et d'ajouter une dose de proportionnelle au scrutin majoritaire existant, ce qui contribuerait à faire entrer Le Pen au Parlement ?
L. Fabius : Ce qui est gênant ce n'est pas ça, mais c'est le contexte électoral dans lequel ça intervient. C'est vrai que parler de modifier la loi électorale un an avant les élections, ce n'est pas glorieux. Ça s'est fait Sur l'idée d'ajouter une dose de proportionnelle, je ne suis pas contre. Mais alors, il faudrait aussi aborder la question non moins importante qui est celle du Sénat, de la façon injuste dont est désigné le Sénat.
M. Cotta : La gauche communiste et socialiste, à tour de rôle, passe son temps à dire en ce moment qu'elle est dans l'impossibilité de conclure un accord de gouvernement. Pourquoi, selon vous, cette volonté de le souligner ?
L. Fabius : La question surtout à laquelle il faut répondre est celle des propositions. Le Gouvernement mène une politique qui est un insuccès, qui conduit à une aggravation du chômage, à la difficulté du pouvoir d'achat, tout le monde le sait Il faut que la gauche là-dessus soit ferme. Mais ce qu'on attendait en plus, et le travail qui reste à parfaire, c'est le développement des propositions, ce que nous allons faire dans le trimestre qui vient La discussion sur faudra-t-il ou pas une plate-forme ou autre, ça viendra en son temps.
M. Cotta : Personne n'est pressé ?
L. Fabius : Ce sont des choses qui se font souvent juste avant les élections. Ce qui me paraît fondamental c'est une critique argumentée, ferme, en même temps le développement de propositions crédibles.
M. Cotta : Le Gouvernement présente aujourd'hui le projet de loi de Finances pour 97. Le déficit de l'État est supérieur aux prévisions, mais à 283 milliards. La volonté de maintenir le déficit à moins de 3 % est donc maintenue. Est-ce une bonne chose ?
L. Fabius : On le commentera dans les détails une fois qu'il aura été publié, car il peut y avoir des surprises de dernière minute. Mais de ce qu'on connaît, de ce qui a été dit dans la presse, et les médias, ce budget pour le moment a trois caractéristiques : d'abord il n'apparaît pas très sincère, en particulier parce que le taux de croissance qui est prévu ne sera pas celui qui va être réalisé et les dépenses sont sous-évaluées. Ensuite, je pense qu'il ne sera pas bien efficace car il a un caractère excessif dans la mesure où on a voulu diminuer un certain nombre de dépenses. Et enfin, c'est la question des impôts, parce qu'il ne sera pas bien juste et en particulier parce que, parallèlement, on va réduire l'encadrement des professeurs, réduire les soutiens au logement, entre autres. Donc, selon mes informations, il ne sera ni sincère ni juste et ni vraiment efficace.
M. Cotta : Dans un article du 13 septembre dernier, vous demandiez « la mise en place d'une politique monétaire plus souple, une politique économique plus dynamique, une politique salariale plus ouverte ». Ce matin, dans Le Figaro, E. Balladur réclame, dans les mêmes termes exactement, « une politique monétaire plus souple ». Votre avis ?
L. Fabius : L'Europe est au cœur de tous ces choix. J'ai déploré qu'on soit dans un brouillard total et demandé qu'on lève ce brouillard. À la fois au plan institutionnel, car actuellement personne ne sait comment va marcher l'Europe quand elle devra s'élargir. Et alors on va arriver à ce paradoxe extraordinaire qu'on va faire de l'Europe avec des anti-européens. Et au plan économique, car moi qui ai voté pour Maastricht, qui crois que la monnaie unique peut être utile, la monnaie n'est pas une fin en soi. Et de ce point de vue, on ne sait ni à quoi va servir la monnaie ni si la future monnaie unique pourra avoir un rôle vraiment utile contre le dollar et par rapport à ce dernier et au yen, si on pourra développer l'économie. Je demande, sur tous ces points, que le président de la République française s'exprime et que des contacts soient pris avec les Allemands. Sinon, on va dans le mur.
M. Cotta : Vous dites : « L'euro sera-t-il demain un outil de relance ou une unité de mesure réduite à sa plus étroite dimension » ?
L. Fabius : C'est évident C'est un des doutes. Je suis pour la monnaie unique dans la mesure où ça permet d'équilibrer les puissances que sont le yen et le dollar, mais si c'est le Gouverneur de la Banque centrale future qui décide, et non pas les gouvernements. Si d'autre part, les pays qui ne sont pas dans la zone européenne monétaire peuvent continuer à faire des dévaluations compétitives, si on subit la loi du dollar, tout ça ne servira à rien. Je demande donc que l'on sorte de cela. Je crois à l'Europe. Mais à condition que ce soit une Europe pour un développement économique et social. Et non pas une sorte de vaste zone de libre-échange, battue par les vents.
Date : mardi 24 septembre 1996
Source : France 2 / Édition du soir
B. Masure : N'est-il pas plutôt sain et démocratique qu'un Premier ministre demande la confiance des élus du peuple ?
L. Fabius : Je pense que la réponse est oui. C'est très rare qu'un Premier ministre demande la confiance de sa majorité un an et demi avant les élections. Ça prouve évidemment que la situation n'est pas bonne, elle est même mauvaise – on a discuté de cela toute la journée – sur le plan de l'emploi, sur le plan social, sur le plan des finances. Sur toute une série de domaines ça ne va pas du tout. Et du coup, ça criaille dans la majorité, et Monsieur Juppé espère – vous l'avez dit ! – faire taire ces criailleries en demandant la confiance. Nous, nous voyons cela d'un œil serein. Nous n'avons pas confiance dans ce Gouvernement, donc nous voterons contre. Mais à l'issue de ce débat, les choses seront finalement plus claires : d'un côté, il y a la politique du Gouvernement avec la majorité de droite, et de l'autre, si on veut changer de politique, il y a ce que représente la gauche et singulièrement le PS. Donc, nous avancerons nos propositions, et ce sera clair.
B. Masure : Vous avez appelé aujourd'hui les députés socialistes à être résolument offensifs. Est-ce que vous trouvez l'actuelle direction du PS suffisamment pugnace dans le combat politique ?
L. Fabius : Je pense qu'elle est pugnace. Mais pourquoi est-ce que j'ai appelé mes amis et collègues à être résolument offensifs ? D'abord parce que la situation sur le terrain est mauvaise. 3,2 millions de chômeurs, 1 million de personnes titulaires du RMI, un trou de la Sécurité sociale que le Gouvernement avait dit vouloir réduire et qui finalement est béant, et puis toute une série de difficultés, une précarité générale qui touche à la fois les couches les plus populaires, les couches moyennes, enfin tout le monde. Par rapport à cela, le rôle de l'opposition, que nous sommes aujourd'hui, est d'appeler un chat un chat, de dire que nous ne sommes pas d'accord lorsque nous ne sommes pas d'accord, et donc d'être offensifs. Mais l'élément nouveau qui va intervenir dans les jours qui viennent, c'est toute une série de propositions que nous commençons à formuler – sur le terrain fiscal, sur le terrain social, sur le terrain de l'emploi, sur le terrain du logement – pour montrer quelle est l'alternative possible. Donc, à la fois dans la critique et dans la proposition, nous serons résolument offensifs.
B. Masure : Jeudi, les responsables de la gauche vont se retrouver à Paris pour évoquer la lutte contre le Front national. Il est question d'une révision de la législation antiraciste et, tout à l'heure, F. Léotard a dit qu'il était contre, en disant : « on ne légifère pas contre la bêtise ». Est-ce qu'à vos yeux, il faut une nouvelle loi antiraciste ?
L. Fabius : Je suis un petit peu partagé. Mais enfin il faut bien trancher. Je crois déjà que si la législation actuelle était appliquée, on pourrait condamner un certain nombre de propos qui ont été tenus, notamment les propos de Monsieur Le Pen. Mais certains juristes disent : la jurisprudence fait une interprétation particulière de ces textes et donc il faut les modifier. Bon, si on veut les modifier, modifions-les ! Mais je voudrais dire que le racisme, ce n'est pas un sujet de débat en France, c'est un délit et donc – nous sommes sous un régime républicain – il faut que le racisme soit condamné comme tel, c'est clair et net.
Date : mardi 24 septembre 1996
Source : RTL / Édition du soir
L. Fabius : On comprend que les Français soient moroses, ce n'est pas une invention de journaliste. Quand même, on ne ressent pas une certaine désespérance devant un Gouvernement dont on a le sentiment que la devise est : qu'importe les résultats économiques et sociaux, l'orchestre du Titanic gouvernemental continuera de jouer ?
Date : mardi 24 septembre 1996
Source : Europe 1 / Édition du soir
L. Fabius : Il y a deux logiques qui sont à l'œuvre, il y a la logique du Gouvernement, celle que j'appellerais une logique du toujours moins : moins de salaire, moins de retraites, moins de logements sociaux, moins de professeurs, moins d'infirmières. Et comme conséquence de tout cela : plus d'emplois ! Cela ne fonctionne pas. Et il y a une autre logique qui est la nôtre, qui est une logique de croissance, d'emploi et de justice sociale, qui se fonde sur un soutien raisonnable de la demande, sur un certain nombre de réformes de structures, sur une redistribution, sur la prise en compte d'une autre façon des problèmes du travail, en particulier la réduction de la durée du travail, bref, une approche qui met en son centre la question de l'emploi et non pas en la considérant comme un solde. Nous disons : quelle réforme de fond faut-il adopter pour que le chômage recule en France ? Et ces deux logiques ne sont pas les mêmes.