Déclaration de Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué à l'emploi chargé du droit des femmes, sur la vie associative et le Service des droits des femmes, les femmes dans la politique et dans la prise de décision, et la bataille pour la parité, Paris le 30 janvier 1996.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion du premier Comité des présidentes d'association, Conseil national des femmes françaises (CNFF), au Palais des congrès, Paris le 30 janvier 1996

Texte intégral

Madame la Présidente, 
Mesdames les Présidentes, 
Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour votre invitation à ce premier Comité des présidentes d'association.

Rassurez-vous, comme vous, Madame la Présidente, je serai brève. Je crois certes à la sagesse des mots mais encore plus à l'efficacité des actes.

Je suis très heureux de venir aujourd'hui partager ce déjeuner avec vous ; si vous y voyez une sorte de tradition, j'y vois pour ma part un élément vital de ma façon de faire de la politique il s'agit du contact et du travail avec les associations, toutes les associations...

Aucune politique en faveur des femmes - ni aucune politique en soi - ne peut se construire et se réaliser sans le monde associatif, sans toutes ces associations qui sont le cœur de notre vie sociale, qui sont le sang et la chair de nombreuses batailles, qui sont les représentants, dans la mesure du possible, de tous nos concitoyens.

Je n'imagine pas, je ne m'imagine pas, une responsabilité comme la mienne sans votre appui, vos conseils, vos réflexions et votre force de conviction.

Rien de positif, de concret et d'efficace ne peut se faire sans un va-et-vient continuel entre le monde politique et le monde associatif. Les deux mondes sont tellement liés l’un à l'autre qu'ils peuvent se confondre, dans la mesure où la vie politique c'est bien la vie quotidienne de tous nos concitoyens. Ne l'oublions jamais.

Croyez-moi, malgré les bruits et les rumeurs qui animent si habituellement et si délicieusement les milieux féminins, et féministes, je serais et demeurerais perpétuellement au contact du terrain quotidien, au contact de la réalité quotidienne des femmes, au contact des associations, de toutes les associations.

C'est une conviction profonde, ma philosophie politique depuis toujours, mon engagement le plus clair et mon mode de vie politique le plus fort.

Dans ce combat pour les femmes, nul ne pourra me « coller » une étiquette particulière, nul ne se sentira habilité à parler en mon nom ; pour vaincre dans ce combat que nous menons, nous ne pouvons nous satisfaire bien évidemment des « on-dit », des désinformations et des petites cabales.

Si nous voulons que notre combat, nos combats aboutissent, nous devons avancer ensemble ; les petites batailles archaïques n'ont plus lieu d'être dans le monde actuel.

Je crois au concret, à l'efficace, au terrain de la vie quotidienne.

Je crois, pour les femmes, au travail de tous les instants, à la solidarité, à la simplicité et à l'écoute des autres.

Je crois, entre nous, à la franchise, au pragmatisme, à la force mais aussi à la sensibilité, à l'ouverture d'esprit et à la tolérance.

C'est pourquoi aujourd'hui je salue toutes les associations pour leur combat ; toutes celles qui sont présentes ici, mais aussi toutes celles qui n'ont pas pu ou pas su venir.

Puis-je vous l'avouer, je n'arrive toujours pas à comprendre comment, dans cette bataille si importante pour les femmes, nous avons tant de mal à travailler et agir ensemble.

Je mettrais donc toute ma volonté mais aussi toute ma sérénité à votre service afin que nous agissions ensemble pour les femmes. Ceci me paraît primordial. Je suis persuadé que nous pensons la même chose.

Vous avez rappelé, Madame la Présidente, l'action des associations au côté du service des droits des femmes. Vous avez souligné combien leurs propositions et leur travail avaient fait avancer les dossiers de l'emploi et des inégalités.

Comme vous, je pense que les associations doivent s'appuyer sur une administration qui les aide, leur assure une certaine pérennité et qui, eu retour, bénéficie de leur dynamique et de la force de leurs idées.

C'est pourquoi je m'engage à donner plus de poids au service du droit des femmes au sein de notre administration ; sa spécificité et son domaine de compétence doit être encore plus et mieux perçu par tous les autres départements ministériels.

C'est pourquoi je veux donner encore plus de responsabilités, de lisibilité et de représentativité aux déléguées régionales aux Droits des Femmes afin d'imposer à tous, au niveau local et régional, la réflexion sur la place des femmes dans notre société.

Ainsi au niveau national, régional et local, les associations auront encore plus de contacts privilégiés avec l'administration qui est sous ma tutelle.

Je souhaite aussi, en même temps, travailler avec vos associations sur des thèmes particuliers afin que vous éclairiez de vos avis et de vos réflexions les décisions de l'État. Il ne s'agirait pas de consultation diverses et informelles mais bien de demandes précises sur vos domaines de prédilection.

Je ne crois pas à l'omniscience de l'État.

Pourquoi ne pas faire profiter à tout le monde des réflexions multiples et souvent longues et profondes des associations qui sont les véritables acteurs du terrain.

Je souhaite donc confier, dans les mois qui viennent, aux associations, si elles le désirent des projets d'études, d'analyses et de réflexions.

Comme vous, Madame la Présidente, je crois fondamentalement à l'importance de la vie associative.

Comme vous, j'estime prioritaire notre mission sur le travail et l'emploi des femmes.

Cette mission, elle commence par une réflexion sur l'éducation et la formation des jeunes filles, car c'est là que nous trouvons un certain nombre des racines de l'inégalité.

Les données sont connues : les jeunes filles accèdent aujourd'hui plus souvent au bac et à l'enseignement supérieur que les garçons ; elles sont sur-représentées dans les bacs généraux et sous-représentées dans les filières scientifiques ; elles sont plus nombreuses dans les premiers et deuxièmes cycles, mais minoritaires en troisième cycle. L'apprentissage ne voit passer que 30 % des jeunes filles, la formation demeure très marquée par la « classification » métiers « manuels », métiers « féminin ».

Nous devons donc agir pour faire évoluer ces données.

En ce qui concerne l'emploi, malgré les difficultés du marché du travail, la participation des femmes à la vie professionnelle progresse toujours, en 1995; quatre femmes sur cinq en âge de pleine activité travaillent ou cherchent un emploi ; le temps partiel permet la conciliation vie professionnelle-vie familiale-vie personnelle mais fragilise leur position dans l'emploi, dans l'entreprise, dans la promotion professionnelle et dans la prise de décision ; seulement 30 % sont créatrices d'entreprises ; le chômage des femmes est supérieur à celui des hommes et les jeunes demeurent les plus touchés.

Nous le savons bien, il s'agit d'un constat aussi succinct que dramatique.

Nous sommes toutes conscientes que l'emploi est et demeure la priorité des priorités.

Dans les semaines qui viennent, je présenterais les premiers axes des mesures à prendre dans ce domaine. Je sais pouvoir compter totalement sur vous pour soutenir mon action, notre action.

Madame la Présidente vous avez aussi parlé des femmes dans la politique, leur absence de fait, stérilise totalement le débat politique mais aussi l'évolution même de notre société.

Comme je l'ai dit récemment, à l'UNESCO, je crois en l'investissement des femmes dans la vie locale, socle de compétence, d'ancrage, où le pragmatisme, le sens du terrain et de l'humain permettent aux femmes de s'exprimer pleinement et sans doute mieux que d'autres.

Je crois en l'investissement des femmes dans les partis politiques car ils sont le passage obligatoire vers les investitures car tel est notre système français.

Je crois aussi à un regain de la solidarité des femmes en politique ; trop souvent elles sont leurs propres fossoyeurs d'espérance ; je parle de solidarité entre les femmes dans la prise de décision mais aussi des femmes en général face à celles qui sont dans la prise de décision.

La solidarité masculine existe, pourquoi ne pas chercher à parler ainsi d'égalité dans ce domaine.

La bataille pour la parité passera ainsi par la renaissance d'une vraie solidarité des femmes.

Je veux croire en cette solidarité vitale.

Car lorsqu'une femme accède à la prise de décision, mille femmes la suivent partout dans tous les domaines !

Mais lorsqu'une femme perd cet accès à la prise de décision, ce sont dix mille femmes qui voient les portes se fermer sur leur avenir !

Comme tout guide de Haute-Montagne, nous n'avons pas le droit à l'erreur !

Ni pour nous, ni pour les milliers de femmes qui nous suivent !

Puissions-nous jamais oublier cela au-delà des querelles sémantiques et des faux plaisirs conceptuels.

Vous avez parlé, Madame la Présidente, de l'Observatoire de la Parité.

J'ai cru entendre le mot « éléments de curiosité ».

Certes l’Observatoire est très récent et son positionnement dans l’architecture de l’État est très particulier.

Je ne parlerais pas de « curiosité », je parlerais plutôt de chance.

L'Observatoire a été voulu par les associations ; je me fais un plaisir de rappeler que Jacques Chirac, il y a dix mois, devant votre Conseil national, s'était engagé à le créer. Le 19 octobre dernier l'Observatoire a été officiellement installé. Ce qui a été voulu a été obtenu.

À nous désormais d'en faire ce que nous désirons.

Je rappelle que l'Observatoire a été voulu indépendant, il est indépendant.

Là aussi c'est une chance à saisir.

Je fais entièrement confiance au rapporteur général, Madame Roselyne Bachelot - que je salue tout particulièrement - pour mener, avec tous les membres de l'Observatoire, celui-ci sur le bon chemin pour les femmes.

La création de l'Observatoire est une expérience rare, sachons en profiter. Il deviendra ce que chaque membre et ce que nous tous en ferons.

À vous, à nous de démontrer que nous pouvons avancer ensemble sur des chemins difficiles.

Madame la Présidente, Mesdames les Présidentes, Mesdames, Messieurs, en réponse à votre mot d'accueil, je voulais très rapidement et très succinctement tracer ces trois axes de ma politique : la vie associative, l’emploi des femmes, la prise de décision.

Je compte sur vous et sur vos propositions pour m'appuyer dans les mois qui viennent.

Je vous remercie.