Texte intégral
Monsieur le président, Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de remercier le président Jacques Delors, Jean Daniel, et tous les organisateurs de cette rencontre, et de les féliciter de l’avoir placée sous le signe de l’urgence. Ce beau titre, « l’urgence européenne », porte en lui un constat : il y a une demande d’Europe. Elle s’exprime chez les futurs adhérents d’Europe centrale et orientale. On la trouve sur le pourtour de la Méditerranée. On la trouve, je l’espère encore, dans les pays membres eux-mêmes. On attend l’Europe. On attend d’elle qu’elle conforte ces valeurs de liberté, de sécurité, de prospérité et de tolérance dont notre projet européen est porteur. Et oserai-je dire qu’on attend d’elle qu’elle le fasse vite.
Mais l’urgence et la force de ces attentes ne nous disent rien, hélas, de la capacité de l’Europe à y répondre.
À la veille de la guerre, l’Européen passionné qu’était Jules Romains écrivait de l’Europe ceci : « Beaucoup de forces, ou mauvaises ou simplement aveugles, travaillaient à la déchirer, à la retourner en dépit d’elle-même, contre sa nature. Pour vaincre ces forces, il eût fallu que du sol de l’Europe sortissent d’énormes jaillissements de bonne volonté, c’est-à-dire de la sorte de volonté qui est illuminée par l’esprit et qui témoigne envers la création un parti pris d’amour. Cette sorte de volonté ne manquait sans doute pas, mais il lui manquait la pression intérieure, le sentiment de l’urgence.
Les circonstances historiques ne sont certes pas comparables à celles des années 30. Mais aujourd’hui comme hier, si nous ne nous pénétrons pas de ce sentiment d’urgence, si nous n’agissons pas en conséquence, les forces mauvaises ou aveugles travailleront à diviser l’Europe, et à la retourner contre sa nature.
C’est ma conviction. Et c’est pourquoi la France a, pour la fin de siècle, un projet européen exigeant et ambitieux, à la mesure de la demande d’Europe qui se manifeste partout aujourd’hui.
Cette demande se manifeste d’abord, l’ai-je dit, en Europe centrale et orientale ; il est impérieux d’y répondre.
Au lendemain de la chute du mur de Berlin, toute l’Europe centrale s’est tournée vers l’Europe, vers nous. Dans cette fantastique accélération de l’histoire, qui a vu en quelques mois la moitié d’un continent renaître à la démocratie, les peuples ont identifié leur liberté retrouvée avec l’appartenance à l’Union européenne. Dans l’enthousiasme de cette révolution, ils pensaient que ce serait l’affaire de quelques mois.
Et que leur a-t-on dit ? Qu’il y faudrait des dizaines d’années. Réponse étonnante, car il y avait d’autres façons de dire que le chemin de l’Union serait long mais qui montre combien manquait alors à l’Ouest ce sentiment de l’urgence, et aussi ce parti pris de bonne volonté dont parle Jules Romains. Mais le plus étonnant n’est pas là : il est dans le fait qu’au lieu de se détourner de l’Europe, au lieu d’en faire un objet de ressentiment, les démocraties renaissantes de l’Est aient patiemment fait l’apprentissage de l’Union et de ses mécanismes, entrepris de se réformer comme on le leur demandait, au prix de sacrifices immenses comme la Pologne, bref, qu’elles aient maintenu le cap européen avec une volonté, et une ténacité admirable alors qu’à l’ouest dominait l’indifférence.
Mesdames et Messieurs, la conviction de la France est que cette constance et ces efforts, il faut désormais que l’Ouest de l’Europe y réponde. Si nous ne voulons pas que se développe à l’Est un sentiment de frustration dangereuse, que s’y réveillent les nationalismes, il faut engager résolument le processus d’élargissement.
Prenons garde aux immenses dangers qui pourraient naître de l’impatience de ces pays.
L’échéance que nous avons proposée, l’ouverture des négociations d’adhésion six mois au plus tard après la fin de la Conférence intergouvernementale, c’est-à-dire, dans notre esprit, avant la fin de l’année prochaine, doit être tenue.
Tous ces peuples sont membres de la grande Famille européenne. Nous sommes une famille, une seule et même famille.
Dire cela, comme l’a précisé le président de la République à Varsovie, ce n’est pas ignorer les difficultés réelles du processus d’élargissement ni la tâche d’adaptation qui attend encore ces pays, ni la nécessité de mettre au préalable les institutions de l’Union en état de fonctionner dans ce cercle élargi, comme s’y emploie la Conférence intergouvernementale. C’est simplement porter sur les futurs membres le regard du cœur, et dire à ceux-ci, que vaille que vaille, il faut bien le dire, malgré eux, et tenus à l’écart pendant cinquante ans, leur aspiration à la rejoindre est naturelle et sera satisfaite.
Au-delà de nos futurs membres, le monde attend l’Europe.
Le besoin d’Europe ne s’exprime pas seulement à l’Est. Au Sud, en Méditerranée, au Proche-Orient, l’Europe suscite de formidables attentes. Une politique étrangère ne se déploie pas dans l’abstrait : elle s’adresse à des hommes et des femmes, avec leurs espoirs, leurs souffrances, leurs désirs. Quand je dis que le monde attend l’Europe, ce n’est pas un propos de séance, c’est une réalité concrète : dans les camps de réfugiés palestiniens, on attend que l’Europe intercède pour obtenir la levée du bouclage des territoires ; au Maghreb, le désir d’Europe, ce sont des projets d’investissement, des débouchés commerciaux, des échanges culturels et humains, un partenariat entre égaux que l’on attend, avec ce que cela comporte de respect mutuel et de compréhension ; en Turquie, c’est la mise en œuvre de l’Union douanière, et, au-delà, des signes tangibles de notre part que nous reconnaissons et soutenons l’ancrage européen de ce grand pays.
Dans mes déplacements au Proche-Orient, j’ai pris la mesure de ces attentes. Je sais que quand la France réclame pour l’Europe d’être co-parrain à part entière du processus de paix, elle dérange et, parfois, agace. Mais l’on voit, en Egypte, en Syrie, au Liban, et en Israël même, ce que l’Europe peut apporter : un sens de l’équilibre, une continuité dans l’engagement, des convictions, les mêmes à l’égard de toutes les parties. Permettez-moi de vous dire que c’est parce que la France incarnait cet esprit européen qu’elle a, en avril dernier, réussi à convaincre dans l’établissement d’un cessez-le-feu au Liban. Seule, elle n’aurait pas pu y parvenir.
Dans l’ex-Yougoslavie, aussi, ces attentes existent : que l’Europe y ait, au départ, suscité trop d’espoirs, qu’elle ait souvent failli à y répondre, ne change pas le fait que les chances à long terme, de voir s’y reconstruire des États démocratiques et des sociétés réconciliées, pour difficile que ce soit, réside en grande partie dans la continuité et l’efficacité de l’engagement européen.
De ces espoirs mis, partout autour d’elle, dans l’Europe, que faut-il conclure ? Que doter l’Union européenne des moyens d’une action extérieure cohérente et efficace n’est pas un objectif né du caprice des chancelleries ; il correspond à un besoin réel, urgent, de dizaines de millions d’hommes et de femmes qui se tournent vers elle, et que l’Europe ne peut pas décevoir sans risques majeurs pour ces peuples amis, et proches, et donc, pour elle-même.
Au-delà de son environnement régional immédiat, l’Europe est, pour de nombreux pays, un partenaire nécessaire. Je pourrais vous en citer beaucoup. Je pourrais vous parler de la Chine et de l’Asie, qui nous réclament ; de l’Amérique Latine qui nous attend ! Partout où je vais, on me parle de l’Europe, avec des accents émouvants et en définitive, il m’arrive de penser qu’on attend souvent plus l’Europe en dehors de ses frontières qu’à l’intérieur.
Mais laissez-moi n’en mentionner qu’un, en apparence le plus inattendu, les États-Unis. Choix inattendu parce que l’Amérique, aujourd’hui seule puissance globale et seule superpuissance, pourrait, en apparence, se passer de l’Europe ; et l’on serait tenté de dire que le désir d’Europe ne paraît, chez nos amis américains, ni très ardent, ni très urgent.
Mais ce n’est pas tout à fait vrai : d’abord parce que si le rêve américain a historiquement commencé par le rejet de l’Europe, par ce projet unique dans l’histoire humaine de construire un monde nouveau, il s’est, en même temps, bâti sur des valeurs essentiellement européennes : le respect de l’individu, le sens des responsabilités et de l’engagement personnel, la démocratie. Ainsi, une Amérique privée du meilleur de son héritage parce qu’elle serait coupée de l’Europe serait, du même coup, privée de ses racines.
Ensuite, parce que l’Amérique, en apparence toute puissante, voit sa politique étrangère soumise aux aléas d’une vie politique intérieure dominée par le court-terme, polarisée idéologiquement, dont les coalitions et les repères traditionnels s’effacent sans que d’autres les remplacent. Cette Amérique, plus incertaine, soumise à la tentation de l’intermittence et de l’unilatéralisme dans son action extérieure, a besoin de partenaires pour stabiliser son engagement, pour lui donner la perspective et la continuité dont la fin de la guerre froide l’a privée.
Pour les États-Unis, ce partenaire global ne peut être que l’Europe, mais une Europe qui se présente avec ses choix, unie et claire.
Mais, s’il y a urgence à faire l’Europe vu de l’extérieur, il y a hélas, incertitude au-dedans.
Ministre des Affaires étrangères, j’ai le privilège de mesurer les attentes et les espoirs qu’on a de l’Europe en dehors d’elle : ils sont formidables. À l’extérieur, s’il y a incrédulité, ce n’est pas sur le projet européen ; c’est sur les raisons qui lui font obstacle. Vu de l’extérieur, tout semble nous dire : « vous avez raison ; mais pourquoi n’allez-vous pas plus vite ? » Et l’on se demande si les Européens ne sont pas ralentis surtout par l’état d’esprit qu’on nomme en anglais « self defeating », quelque chose qui se situe entre l’abattement et l’instinct d’autodestruction.
Deux grandes échéances internes se présentent aujourd’hui à l’Europe : la première est la Conférence intergouvernementale ; la seconde est l’Union monétaire. En termes généraux, l’une et l’autre provoquent l’adhésion, au moins en France.
Mais, derrière des sondages très favorables, dont nous pouvons nous féliciter car ils font de l’opinion française l’une des plus favorables des Quinze à la construction européenne, se profile cependant une inquiétude diffuse : la crainte d’une perte de contrôle, la peur d’une situation où les dirigeants démocratiquement élus de nos pays n’auraient plus de marge de manœuvre, de capacité d’influencer le destin des peuples ; où les États-nations d’Europe auraient été dépossédés de leur capacité de décision, sous le double effet de la fatalité économique – c’est-à-dire la mondialisation – et de la fatalité européenne – c’est-à-dire la bureaucratie bruxelloise.
Ces perceptions ne sont pas propres à la France : en Allemagne, l’attachement au Deutsche Mark, les résistances des Länder devant l’intrusion de l’Europe dans leur champ de compétence, les reflètent tout aussi bien. Ces sentiments ne doivent pas être pris à la légère ; de notre aptitude à les dominer, dépendra finalement le succès de notre démarche européenne. Pour cela, il faut expliquer, sans relâche, il faut convaincre.
Avant de m’y employer devant vous, et de vous dire pourquoi le passage à la phase III de l’Union économique et monétaire, et la conclusion, dans les délais prévus, et avec succès, de la CIG sont des échéances également urgentes, permettez-moi de vous dire un mot de ceux qui, dans notre vie politique, jouent des inquiétudes que j’ai évoquées ; qui en appellent avec nostalgie à l’époque où la France définissait librement ses choix monétaires et de politique économique, comme ses options de politique étrangère ; à ceux qui font miroiter à une opinion désorientée les marges de manœuvre économiques et politiques que recouvrerait notre France qui mènerait alors, par rapport à l’Europe, une voie solitaire.
Mesdames et Messieurs, ce sont des miroirs aux alouettes ; et laissez-moi vous dire, en pesant mes mots, et sans passion, que ceux qui les agitent sont des irresponsables.
Il est certes plus facile de s’en prendre à l’Europe, et à la Commission, que de s’attaquer aux rigidités dont souffrent notre société et notre système économique, que d’assainir nos dépenses publiques et notre système fiscal ; il est plus tentant de dénoncer l’Union économique et monétaire et la Bundesbank que d’admettre que notre politique monétaire a péché par présomption au moment de l’unification allemande ; il est plus commode de critiquer le déficit démocratique des institutions européennes, que de réfléchir aux carences de notre propre débat public.
Les marges de manœuvre qu’on nous fait ainsi miroiter, où sont-elles pour la France ? La France seule va-t-elle, promouvoir la stabilité monétaire nécessaire ? Aurait-elle pu, sans l’Europe, défendre ses intérêts dans les négociations du GATT ? Pourra-t-elle, sans ses partenaires, définir une stratégie méditerranéenne dont tout démontre la nécessité ?
Allons donc !
Entretenir ces visions chimériques, c’est prendre le risque de réveiller les forces mauvaises et aveugles dont parle Jules Romains, qui dit encore de l’Europe que « son péril ne peut naître que d’elle-même, de sa division ». Contre ces ferments de division, il faut parler clairement : les marges de manœuvre dont la France a besoin, c’est dans l’achèvement, au terme prévu, des deux grands projets européens en cours, la monnaie unique et la Conférence intergouvernementale qu’elle les trouvera.
Pour cela, les enjeux de la Conférence intergouvernementale doivent être clarifiés.
Ces enjeux, quels sont-ils ?
Ils sont d’abord, et pour l’essentiel, de préparer les institutions de l’Union à l’élargissement. J’ai dit l’urgence qu’il y a à répondre positivement, et avec chaleur aux aspirations de nos futurs membres. Encore faut-il qu’au préalable, l’Union ait mis en ordre ses institutions, et ses modes de fonctionnement ; conçus pour une Communauté à Six, ils sont déjà inadaptés à l’Union à Quinze d’aujourd’hui ; ils ne résisteront pas au grand élargissement qui nous portera, assez vite, plus vite qu’on ne le croit, à plus de 25 membres. Voici pourquoi les objectifs de la France sont simples :
– permettre à la Commission de jouer pleinement son rôle, en réduisant le nombre de ses membres et en rompant le lien que leur mode de désignation établit aujourd’hui avec leur pays d’origine ;
– modifier la pondération des voix au Conseil pour tenir compte des réalités démographiques ;
– faciliter la prise de décision, en étendant là où c’est possible, le vote majoritaire ;
– instaurer un haut-représentant qui assurera, sous le contrôle du Conseil, une représentation progressivement unifiée de l’Union pour sa politique étrangère ;
– créer un mécanisme de coopération renforcé permettant à quelques-uns d’aller de l’avant, lorsque tous ne peuvent les suivre, dans le respect de l’acquis communautaire et de l’unité institutionnelle de l’Europe ;
– renforcer, enfin, le contrôle démocratique sur ses décisions, en particulier celui des parlements nationaux, afin que la subsidiarité passe enfin de l’invocation pieuse à la réalité quotidienne.
Ces réformes institutionnelles sont nécessaires. Elles forment un tout, j’espère, cohérent. Les modes de représentation extérieure de l’Union lui ôtent, aujourd’hui, une grande part de sa crédibilité aux yeux de ses partenaires : pêle-mêle pas moins de quatre commissaires, la présidence, la Troïka, quand ce ne sont pas les quinze États membres, ensemble ou séparément, représentent l’Union à l’extérieur. Resserrer la Commission, créer un haut-représentant, c’est agir dans le même sens, afin de rationaliser et d’unifier progressivement ces modes de représentation.
Réformer la pondération des voix, réduire le nombre des commissaires, ce n’est pas chercher à renforcer le poids des grands États au détriment des petits, nullement, c’est permettre de franchir une étape nouvelle et nécessaire dans l’approfondissement de l’intégration communautaire : c’est, en effet, à ce prix que la commission pourra exercer la plénitude de ses attributions, et que sera étendu le champ du vote majoritaire. La France est prête à l’un et à l’autre.
Enfin, créer la possibilité de coopérations renforcées, ce n’est pas chercher par avance à marginaliser tel ou tel, et encore moins, anticiper sur la dilution de l’Union élargie : cette union devra rester forte et homogène ; les coopérations renforcées seront, par définition, conçues de façon à ce que tous les États membres puissent y participer le moment venu, et s’appuieront sur les institutions de celle-ci. Elles seront, pour quelques-uns, le moyen d’anticiper dans la réalisation d’objectifs communs, non de se séparer des autres.
C’est, à mon sens, au vu de ses résultats dans le domaine institutionnel, de son aptitude à préparer effectivement les institutions de l’Union à l’élargissement, que l’on pourra dire si la négociation a réussi ou échoué. Il faut désormais la ramener à l’essentiel et aller de l’avant. Elle n’est pas un obstacle mis artificiellement sur le chemin de l’élargissement, la CIG est, au contraire, le moyen de le rendre compatible avec le bon fonctionnement des institutions de l’Union.
Mesdames et Messieurs, l’Union monétaire doit, elle aussi, être menée à son terme, et elle doit l’être selon les échéances qui ont été décidées.
Les décisions du sommet de Madrid ont confirmé la détermination de l’Europe à assurer le passage à la phase III de l’Union économique et monétaire, dans le respect du calendrier et des critères définis à Maastricht. Tout, sur le plan économique et politique, concourt à maintenir la France dans cette voie : aujourd’hui, toute incertitude sur ses intentions se paierait pour la France, et pour le fonctionnement du marché unique, d’un prix disproportionné. L’Union économique et monétaire reste le principal projet fédérateur européen ; il établira, entre les pays de la phase III, une solidarité qualitativement nouvelle : notre engagement, rappelé à la fin du mois d’août par le président de la République, est donc total.
C’est l’intérêt la France.
La transition vers l’Union monétaire a permis à la France, en dix ans, de restaurer la crédibilité de sa monnaie et d’éradiquer l’inflation qui n’est désormais plus une menace. En même temps, cette phase de transition a naturellement comporté son lot de difficultés, la marche vers la monnaie unique cumulant mécaniquement les rigidités d’un système de changes fixes, et les incertitudes d’un système de changes flexibles. Seule la poursuite, à son terme, selon les échéances prévues, de l’Union monétaire mettra fin à cette situation. Il ne faut donc pas tarder.
Or, l’Union monétaire, c’est demain : choix, dans moins de dix-huit mois, des pays qui participeront à la monnaie unique, introduction effective de celle-ci dans un peu plus de deux ans.
Alors que nous sommes à la veille de ce succès historique, voilà que deux personnalités politiques françaises de premier plan, de gauche et de droite, proposent de remettre en cause les dispositions du traité de Maastricht relatives à l’Union monétaire ; parlent d’assouplir les critères, voire de réexaminer, dans le cadre de la CIG, les objectifs de l’UEM.
Ces propositions sont, en réalité, sans objet : la France satisfait aujourd’hui quatre des cinq critères de Maastricht. Le dernier, relatif aux déficits publics, le Gouvernement s’est mis en mesure de le remplir en approuvant mercredi dernier, en conseil des ministres, le projet de loi de finances pour 1997, qui aura pour effet de ramener ces déficits dans les limites prévues par le traité. J’ajoute que cet effort de maîtrise des dépenses publiques était en tout état de cause nécessaire, avec ou sans l’Union économique et monétaire, en raison de la dérive des dépenses publiques qui ont atteint un niveau insupportable, de près de 55 % du PIB.
Je ne sais si c’est l’effet de notre caractère national qui fait que trop souvent, lorsque la France est près du but, qu’elle a partie gagnée, des voix s’élèvent ainsi pour abandonner le jeu ou en changer les règles. Mais je tiens à le dire avec netteté : la France appliquera les dispositions du traité relatives à l’Union monétaire ; la CIG n’en est pas, et n’en sera pas saisie ! C’est l’intérêt de l’Europe. C’est l’intérêt de la France et de son économie.
Mesdames et Messieurs,
La force des attentes qui s’adressent à l’Europe, l’importance des échéances internes qui sont les siennes, font que jamais, sans doute, l’Europe n’a eu à faire face à de tels enjeux que dans la courte période qui nous sépare de la fin du siècle. Le sentiment d’urgence qui en résulte est pleinement partagé par la France. Mais ce sentiment, plutôt fécond, et qui pousse à l’action, doit s’accompagner d’une vigilance particulière sur l’organisation du calendrier européen au cours des trois années à venir.
La rigueur dans l’organisation de ses échéances est, pour l’Europe un impératif absolu.
Nous nous sommes fixé pour objectif de conclure la CIG au Conseil européen d’Amsterdam, au milieu de l’année prochaine. Les négociations d’adhésion devraient, dans ces conditions, s’engager d’ici la fin de 1997.
Au début de 1998, sera arrêtée la liste des États qui participeront à la phase III de l’Union économique et monétaire, et le passage effectif à la phase III aura lieu le 1er janvier 1999.
On peut espérer que l’achèvement des négociations d’adhésion avec les premiers de nos futurs membres mettra ceux-ci en mesure de rejoindre l’Union vers l’an 2000.
L’accumulation, dans une si brève période de temps, de telles échéances, conduit inévitablement à spéculer sur ce qui se passerait si telle d’entre elles n’était pas conclue à temps : que fera-t-on de l’élargissement, si la CIG manque à produire les résultats escomptés à la mi-1997 ? Les résultats politiques que l’on en attendait seront-ils reportés sur l’UEM qui formerait l’embryon d’un noyau dur politique, voire d’une union étroite refondée ?
Je refuse, pour l’heure, à entrer dans ces réflexions. La France a la conviction que le calendrier actuellement retenu est le seul à même de permettre à l’Europe de franchir avec succès les étapes décisives qui l’attendent : ce calendrier est bon ; il doit être tenu. Le sentiment de l’urgence nous domine, que je préfère, si vous me le permettez, à la tentation de l’improvisation.
Permettez-moi, pour conclure, de citer Stefan Zweig, proche de Jules Romains, et autre grand Européen qui décrivait ainsi l’état d’esprit qui dominait l’Autriche-Hongrie à la veille de la guerre de 1914 : « Personne ne croyait à des guerres, à des révolutions et à des bouleversements. Tout événement extrême, toute violence paraissaient presque impossibles dans une ère de raison. Ce sentiment de sécurité était le trésor de millions d’êtres, leur idéal de vie commun, le plus digne d’efforts. Dans cette touchante confiance où l’on était sûr de pouvoir entourer sa vie de palissades sans la moindre brèche par où le destin eût pu faire irruption, il y avait, malgré toute la sagesse rangée et toute la modestie des conceptions de vie qu’elle supposait, une grande et dangereuse illusion ».
Mesdames et Messieurs, je souhaite ardemment que cette description de l’Autriche-Hongrie des années 1900 ne soit pas celle de l’Europe d’aujourd’hui ; que les Européens de la fin de ce siècle ne se laissent pas gagner par un sentiment de sécurité étroit, par l’illusion que l’on peut entourer sa vie de palissades ; mais qu’ils s’imprègnent, au contraire, de ce sentiment d’urgence auquel notre rencontre est consacrée : urgence pour l’Europe de s’adapter face à un monde nouveau ; de ne pas s’en protéger, mais d’aller au-devant de ce monde, un monde risqué, peut-être, mais plein pour elle d’opportunités et de promesses, un monde qui attend l’Europe.