Texte intégral
Monsieur le sénateur-maire,
Mesdames et Messieurs les élus et représentants d’associations,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi d’abord de vous remercier Monsieur le maire, Mesdames et Messieurs, de nous avoir invités, Dominique Voynet et moi-même, à votre forum des transports en Île-de-France.
Ce « croisement » entre la réflexion gouvernementale et celle des experts du terrain est tout à fait indispensable. Il ne s’agit pas là, à mes yeux, seulement d’une autre manière de faire de la politique – encore que cette discussion est essentielle si l’on veut réconcilier une grande partie de nos concitoyens avec elle –, mais il s’agit aussi de réussir à mettre en œuvre des décisions qui répondent dans la durée aux besoins fondamentaux et modernes avec au cœur la bataille de l’emploi et de la justice sociale, celle de la qualité de la vie !
J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt Monsieur Denis Baupin qui vient de faire la synthèse des débats de cette journée. Avant d’en venir à la formulation des réflexions et propositions que j’ai engagées depuis dix mois maintenant, je voudrais insister sur une idée qui me paraît importante.
Je veux dire, sans sous-estimer ce qui a été fait dans le passé, que nous sommes peut-être à un moment charnière, une sorte de croisée des chemins en quelque sorte. En d’autres termes, entre ce qui a été fait, y compris par nous en quelques mois, et ce qu’il faut faire pour répondre aux attentes dans ce domaine aussi, le chantier devant nous est considérable. Notre ambition gouvernementale est d’y travailler, d’y travailler dur, sans démagogie, sans timidité non plus, mais à la mesure des enjeux de civilisation humaine et moderne.
C’est dire que pour moi ce choix de civilisation, ce sens recouvre la question de la promotion du service public, que les chantiers du libéralisme et de la pensée unique en faveur de la seule régulation par l’exclusive loi des marchés financiers à l’échelle de la France, de l’Europe, et de la planète, ne cessent de combattre.
L’accord mutuellement avantageux que nous venons de conclure avec les États-Unis, qui voulaient pourtant nous imposer au départ un accord fondé sur l’ultralibéralisme : le « ciel ouvert » à l’hégémonie des compagnies américaines les plus puissantes, montre que l’on peut résister et gagner. C’est une leçon, quelque part, pour tous ceux qui pensaient et qui pensent qu’il n’y a rien d’autre à faire que de se rallier à ceux qui ne pensent qu’en terme de rentabilité immédiate.
Mais revenons sur terre, si je puis dire :
À la croisée des chemins, disais-je également, parce que les élections régionales ont eu lieu et que la nouvelle assemblée, présidée par Jean-Paul Huchon, a annoncé sa détermination à œuvrer en faveur des transports collectifs.
À la croisée des chemins, parce que nous discutons de la mise en place des plans d’aménagements urbains (PDU) et de leur contenu.
À la croisée des chemins aussi, parce que dans les mois qui viennent va s’enclencher la préparation du douzième plan et des contrats de plan État-région.
À la croisée des chemins encore, parce que cette année va s’élaborer une nouvelle loi concernant l’Organisation de l’aménagement du territoire (la LOADT) avec la mise en œuvre des schémas de service voyageurs et marchandises.
À la croisée des chemins enfin, et surtout, parce qu’à la croissance envisagée et légitime des transports, tous modes confondus, une conscience nouvelle, populaire et raisonnable est en train de franchir comme corollaire au laisser-faire, au laisser-aller. C’est particulièrement vrai pour les départements urbains.
Le constat, les réflexions et les propositions que vous avez formulés rejoignent largement nos préoccupations et l’action que je mène depuis dix mois. Je veux donc revenir sur les grandes lignes de la politique gouvernementale pour les déplacements urbains et plus particulièrement développer les orientations que nous avons commencées à mettre en œuvre pour Paris et l’Île-de-France.
D’abord rappeler, j’y insiste, la place essentielle des transports publics dans notre politique.
Parce qu’ils bénéficient aux yeux des Français d’une « image citoyenne » : en permettant à tous de se déplacer ; en fluidifiant les déplacements dans les zones urbaines ; en contribuant à la lutte contre la pollution et au maintien du lien entre les différents territoires, et notamment entre les villes-centre et les banlieues.
Les seuls critères classiques de rentabilité financière à court terme sont évidemment inadaptés pour juger les investissements en infrastructures de transport. La justification des réseaux, la construction de nouvelles lignes ne peuvent s’appuyer que sur une démarche plus globale reposant d’abord sur l’efficacité économique et sociale et mettant en évidence les avantages pour l’ensemble de la collectivité.
Évidemment, les problèmes de cohérence et de financement sont considérables.
C’est de ce point de vue que je comprends, que nous comptons avec Dominique Strauss-Kahn, la réflexion du nouveau directeur général, Daniel Lebègue, de la Caisse des dépôts et consignations, lorsqu’il dit : « … nous nous concentrons sur quelques priorités, définies en accord avec l’État, en particulier la restructuration urbaine ». Il ajoute : « Il est indispensable de mettre en œuvre une approche globale intégrant, à l’échelle d’une ville, les problèmes du logement, des transports en commun, de zones commerciales et d’équipements sociaux et culturels ».
Les chiffres sont d’ailleurs éloquents. Dans Paris intra-muros, où il y a un bon réseau de transport, les 2/3 des déplacements motorisés sont effectués sur les réseaux de la RATP et la SNCF. En banlieue, où les transports en commun sont insuffisamment développés et mal adaptés, l’automobile assure de 70 à 80 % des déplacements.
Voilà pourquoi dans le douzième contrat de plan, l’État doit privilégier le développement de l’offre de transport en banlieue sur des lignes de rocades. Cela correspond à la réalité de l’agglomération parisienne qui est passée d’un hyper-centre à une organisation polycentrique. Il convient donc de corriger les déséquilibres et les retards accumulés dans la desserte des banlieues.
Disant cela, bien évidemment, je ne joue pas la banlieue contre Paris, comme cela a été dit par le maire de Paris, lors du dernier débat budgétaire en mars, applaudi par tous les élus RPR-UDF unanimes.
Le désengorgement de Paris passe par l’amélioration de la desserte de la banlieue par les transports collectifs et un certain nombre de Parisiens s’y rendent pour y travailler, pour leurs loisirs ou pour des motifs familiaux. Les prévisions de déplacement par kilomètre, pour l’horizon 2015, prévoit une stabilité des déplacements Paris-Paris et une augmentation de 28 % Paris-banlieue, et de 42 % de banlieue à banlieue. Il faut tenir compte de cette réalité.
Sur les moyens de transport, je veux souligner, pour desservir la banlieue, l’importance à accorder aux rocades de dessertes de surfaces en site propre par les modes de transports collectifs, même s’il convient de prolonger quelques lignes de métro.
Ces orientations correspondent à l’attente des Franciliens puisque 54 % d’entre eux y sont favorables et, chez ces derniers, 71 % préfèrent aussi le tramway ou le bus, c’est-à-dire des modes légers de déplacements.
Vous l’aurez compris, je veux, sans exclusivité, favoriser le tramway. Dans le passé, notamment en Île-de-France, les politiques publiques l’avaient oublié, parfois condamné. On enlevait les rails pour faire passer toujours plus de voitures. On adaptait la ville à la voiture !
Aujourd’hui, plus personne n’ose dire que le tramway est dépassé. Lorsqu’une ligne nouvelle est ouverte, toutes les prévisions de trafic explosent.
L’autre élément qui plaide en faveur du tramway est, qu’à budget identique, il est possible de construire quatre à cinq fois plus de kilomètres de tramway que de métro, c’est-à-dire desservir quatre à cinq fois plus d’usagers.
Enfin, l’implantation d’une ligne de tramway s’accompagne d’une requalification de l’espace urbain, qui revalorise l’image des lieux desservis.
Je propose, en partenariat avec la région Île-de-France et les départements qui la composent, la réalisation de 40 à 60 kilomètres de lignes de tramway supplémentaires pendant les deux prochains contrats de plan. Le changement de majorité à la tête de la région et les premières prises de position de son président, Jean-Paul Huchon, dans le domaine des transports, devraient permettre d’accélérer le dialogue et les décisions dans ce sens.
Concernant Paris intra-muros, l’achèvement des premières phases des lignes ÉOLE et MÉTÉOR va accroître l’offre de transport. Les coûts sont tels (nous avons un dépassement de 2 milliards), que dans l’immédiat, l’objectif prioritaire est l’achèvement, pour fin 1999, de la première phase d’ÉOLE, qui a pris un an de retard.
Pour la ligne MÉTÉOR, l’achèvement dans les délais, en 1998, de la première tranche, doit être prolongé par la desserte de Tolbiac-Nationale pour désenclaver un quartier mal desservi par les lignes de métro et de RER. Ce projet d’une utilité indéniable, se situant dans Paris, doit aussi faire l’objet d’une participation significative de la ville de Paris. Elle doit en prendre l’engagement, c’est un préalable au lancement de cette opération.
La desserte en rocade des portes de Paris par la ligne PC, élément original du réseau parisien qui transporte 120 000 voyageurs par jour, est parallèlement en cours d’amélioration. La réflexion doit se poursuivre sur les équipements futurs.
L’effort d’investissements en faveur des transports collectifs s’accompagne d’une prise en compte nouvelle des questions de sécurité comprises globalement ; présence renforcée d’agents spécialisés et de forces de l’ordre, réforme de la justice et du traitement des mineurs délinquants.
La violence, les agressions et les incivilités touchent les voyageurs, mais surtout le personnel. J’ai entendu l’ensemble des partenaires du transport public sur ce sujet. Je les ai réunis en décembre dernier. Ensemble, nous avons défini les mesures essentielles. Le Gouvernement a décidé douze priorités à mettre en œuvre rapidement. Un comité de suivi réunit périodiquement les responsables des ministères de la justice, des transports, de l’intérieur et les représentants des entreprises et des autorités organisatrices de transport.
D’une part, le développement de la prévention a été réaffirmé. Le Gouvernement a dégagé de nouveaux moyens financiers – 100 MF en 1998, moitié pour la province et moitié pour l’Île-de-France – pour aider l’investissement dans des équipements de sécurité, comme la radiolocalisation des bus ou la vidéosurveillance. Parallèlement, les effectifs de la police nationale dans les transports sont renforcés et les coordinations organisées avec les entreprises de transport et notamment avec la SNCF.
D’autre part, la définition d’un volet plus dissuasif est apparu indispensable. L’aggravation des sanctions pénales en cas d’atteinte aux personnels des entreprises de transport, au même titre que cela existe déjà pour certaines catégories d’agents publics, comme la police ou les magistrats, a été retenue.
La question de la qualité des transports en commun suppose de poursuivre et d’intensifier les efforts en matière d’information des usagers également.
Le troisième volet de mon action en faveur des transports en commun réside dans ma volonté de créer une politique tarifaire attractive.
À deux occasions : circulation alternée, comme l’a souligné ce matin Dominique Voynet, et inauguration du Stade de France, on a pu mesurer l’impact du coût sur l’utilisation des transports collectifs, même si dans les deux cas le civisme des Franciliens est aussi à mettre en évidence.
La politique tarifaire attractive n’est pas seulement affaire d’événements exceptionnels. Vous le savez, le 2 janvier, j’ai annoncé la mise en place d’un chèque mobilité pour les demandeurs d’emploi à faibles ressources. C’est ainsi que, depuis février, 240 000 d’entre eux ont reçu, chez eux, ces chèques dont le montant annuel total peut aller jusqu’à 1 400 F par personne.
Nous travaillons actuellement, sous l’égide du Syndicat des transports parisiens, à une tarification « Jeunes » avec Marie-George Buffet et Claude Allègre. Jean-Paul Huchon vient d’annoncer que la région Île-de-France allait inscrire des montants significatifs dans le budget régional pour ce type d’action. Les départements y seraient associés pour les scolaires.
Je voudrais également aborder brièvement la question des transports et de la pollution qui m’intéresse aussi fortement.
La pollution de proximité est d’abord un problème urbain : deux tiers des émissions d’oxyde de carbone, un tiers des oxydes d’azote et un peu plus de 40 % du gaz carbonique, émis par les transports, le sont en zone urbaine, et d’abord du fait de la circulation des voitures particulières.
Bien entendu, chacun le comprend, il ne s’agit pas pour nous de désigner quelque bouc-émissaire que ce soit, d’autant que les automobilistes eux-mêmes sont les premiers concernés par les phénomènes de pollution, et beaucoup de ceux qui prennent leur voiture pour se rendre à leur travail – je pense à nombre de banlieusards – n’ont pas vraiment le choix.
Mais il faut aussi rappeler que, rapportée au passager transporté, la pollution engendrée par les transports publics routiers est très nettement inférieure à celle engendrée par la voiture particulière, ce qui n’implique évidemment pas qu’il n’y ait pas un effort à faire du côté des transports publics.
Pour l’avenir, il apparaît possible de ramener à un niveau acceptable pour la santé humaine, les émissions de polluants d’origine automobile, notamment grâce aux avancées technologiques.
Par exemple, le parc de la RATP de 4 000 bus va connaître une évolution profonde. La moitié du parc, d’ici deux ans, devrait utiliser un gazole à basse teneur en soufre, fonctionnant avec un pot catalytique et un filtre à particules.
En même temps, 200 véhicules, faisant appel à des technologies propres (GNV – GPL) vont être commandés. J’ajoute que, prolongeant l’expérimentation des deux bus électriques du Montmartrobus, la RATP va lancer un appel d’offres pour la fourniture de vingt minibus de ce type.
Je voudrais enfin aborder dans les orientations gouvernementales, un axe d’action qui procède de la prévention et repose sur le développement volontariste des transports publics et une meilleure complémentarité entre les modes des transports. Il s’agit du partage de la voirie dans un sens plus favorable aux transports urbains.
Les déplacements urbains relèvent, en effet, d’une multitude de compétences et de territoires. En visant à développer tous les modes à la fois, de manière juxtaposée et sans véritable priorité, les approches cloisonnées ont montré leurs limites. L’absence de concertation entre politiques de transport et politiques d’aménagement a favorisé la prépondérance des déplacements en automobile.
Les plans de déplacements urbains (PDU), initiés par la LOTI, vont dans ce sens et sont désormais une obligation pour toutes les agglomérations de plus de 100 000 habitants.
Je suis favorable à une réflexion sur la place des deux roues motorisées ou non, dans la ville, aussi bien pour faciliter le rabattement sur les axes lourds de transport que comme transport à part entière. Ces modes de transport qui sont moins consommateurs d’espace et d’énergie doivent pouvoir être utilisés dans des conditions de sécurité satisfaisante.
Cependant, la question des déplacements de personnes ne doit en effet pas faire oublier que la dynamique urbaine est fondée sur l’échange et donc aussi les déplacements de marchandises.
Si la circulation des poids lourds à l’intérieur des agglomérations reste généralement inférieure à 20 %, par contre les déplacements, dont la finalité est au moins en partie le transport des marchandises, sont beaucoup plus nombreux. Là encore, la question de la place des plates-formes multimodales en Île-de-France doit être abordée, y compris sur des investissements de capacités par le fret.
Je n’ai évidemment pas le temps matériel de développer ici cette question, mais il est clair qu’elle a trop longtemps été sous-estimée. Les règles d’urbanisme, en particulier d’urbanisme commercial, n’ont pas pris en compte les spécificités du fonctionnement des magasins, des marchés, des entreprises. Il faut donc là aussi changer progressivement cet état de chose, avec le double souci de valoriser les activités commerciales, et les fonctions économiques, et de les intégrer dans des plans d’ensemble de gestion des déplacements.
Comme vous le voyez, de nombreux chantiers sont ouverts. Nous avons du bel ouvrage à faire ensemble.
Je vous remercie, Monsieur le sénateur-maire, d’avoir organisé ce colloque et, vous tous, Mesdames et Messieurs, d’y avoir apporté votre contribution. Tout cet excellent travail contribuera à la réalisation de ce projet d’une ville plus humaine.