Texte intégral
Le ressac des élections régionales - Le mode de scrutin des européennes de 1999 annonce un désastre.
Nous sommes aujourd'hui dans le ressac des élections régionales. Au-delà des polémiques intenses ou vaines que leur tenue a provoqué, chacun s'accorde pour constater que le mode de scrutin employé figure au premier rang des causes du choc régional.
Nous sommes tous deux élus de collectivités bien différentes, que sont la région et le département. Nous représentons au Sénat deux réalités humaines et géographiques presque inverses : la montagne pour l'un, le littoral pour l'autre. Nous appartenons An fin à deux familles politiques certes amies, mais nettement distinctes. Pour autant, ancien ministre des Affaires européennes, ou ancien parlementaire européen, l'appel solennel du président de la République à moderniser la vie publique nous réunit autour d'une même proposition : il faut changer, et vite, le mode de scrutin en vigueur dans notre pays pour les élections européennes.
Certes, la démocratie est toujours captive d'un mode de scrutin. Reste que certains modes sont mieux adaptés que d'autres aux enjeux du suffrage. Le scrutin régional, combinant les poisons de la proportionnelle aux délices de listes « départementalisées », était en l'occurrence le pire de tous, en supposant que l'objectif ait été de permettre l'émergence de régions avec une forte identité, dotées de majorités solides. Ce mode de scrutin a d'ailleurs fonctionné, une fois encore, comme une redoutable machine à fragiliser l'institution régionale.
Une élection sans visage
Nous ne demandons pas à qui a profité le crime. Nous demandons simplement à ce qu'il ne se reproduise pas en 1999, lors de la tenue des élections européennes, pour ne pas jeter l'idée européenne dans semblable désarroi, au moment même de la transition vers l'euro.
Le mode de scrutin actuel des « européennes » - proportionnelle et liste nationale - ne laisse, hélas, aucun doute sur l'ampleur du désastre à venir, tant son bilan, déjà, est éloquent.
En effet, la proportionnelle, comme à l'accoutumée, accentue l'éclatement de notre représentation à Strasbourg, alors que les questions européennes sont par elles-mêmes porteuses de clivages spécifiques. Mais, surtout, la nécessité de présenter une liste nationale place l'élection entre les mains des appareils partisans : hors d'eux, point de salut, puisqu'il est impossible de se présenter seul. Seule solution des candidats isolés : trouver quatre-vingt-six colistiers.
C'est absurde et néfaste. Les listes sont composées, chacun le sait bien, dans le secret des antichambres partisanes. Une fois élus dans une élection sans visage, car perdus sur une liste de quatre-vingt-sept noms, nos représentants au Parlement européen n'ont aucune circonscription, aucune population précise à laquelle rendre des comptes.
Dès lors certains, disons-le franchement, restent inconnus aux Français : d'autres vont chercher dans un mandat local, voire national, l'attache territoriale et la reconnaissance populaire qui leur fait ainsi défaut. Dans l'un et l'autre cas, c'est l'absentéisme qui se développe. Comble de l'ironie, quand le siège du Parlement européen est à Strasbourg !
« Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage », dit la fable. En effet, ce sombre tableau ne contribue pas, bien évidemment, à donner aux Français l'envie de s'intéresser à la démocratie parlementaire européenne. Mais veut-on que cela change ? C'est en tout cas le sens de la proposition de loi, déposée récemment par une cinquantaine de sénateurs, qui vise à modifier le mode d'élection en France des parlementaires européens. Tout en maintenant le scrutin proportionnel, elle en limiterait les effets indésirables, en découpant le territoire en huit grandes circonscriptions de vote, qui regrouperaient chacune plusieurs de nos régions actuelles, constituant ainsi des réseaux de dimension européenne comparables aux espaces régionaux existant en Espagne, en Allemagne ou en Italie.
Proposition de réforme
Chacune de ces grandes circonscriptions élirait de quatre à quinze parlementaires européens. Se retrouveraient enfin unies sur la carte électorale des régions qui ont d'ores et déjà décidé de lier leur destin, comme la région Rhône-Alpes et la PACA, ou encore comme les régions formant l'arc Atlantique (Poitou-Charentes, Pays de la Loire, Bretagne).
Ainsi, les parlementaires européens élus par les Français auraient-ils une chance de su faire connaître de leurs électeurs, avec en retour le risque légitime d'être sanctionnés sur un bilan.
Qu'on ne s'y trompe pas : il ne s'agit nullement de faire du Parlement européen la chambre d'écho de préoccupations régionalistes, mais tout simplement de permettre aux parlementaires européens de s'enraciner dans certaines parties de notre territoire, voire de représenter nos compatriotes résidant à l'étranger - dont beaucoup, on le sait, en Europe.
Il s'agit, aussi et surtout, de tirer les leçons de l'amère crise des élections régionales. Le premier ministre, a-t-on affirmé, aurait bien voulu en changer l'inepte mode de scrutin, pour permettre une issue plus sereine : mais pris par le temps... On sait maintenant quelles furent les conséquences, et par qui les gains électoraux furent enregistrés.
Avec les élections européennes, la démocratie offre une deuxième chance aux démocrates. Lionel Jospin, cette fois-ci, a d'autant moins d'intérêt à « jouer la montre » que la proportionnelle ne serait pas remise en cause dans ce projet de mode de scrutin, évitant un déchirement supplémentaire de son camp entre les appétits de la « gauche plurielle »,
Toutefois, au-delà des combinaisons politiques, c'est véritablement l'intérêt national qui est en jeu, au travers de la représentation des Français au sein d'un Parlement européen dont les attributions sont appelées à croître avec le traité d'Amsterdam. C'est aussi l'aptitude des républicains sincères à se rassembler autour d'une même conception de la démocratie qui est en question.
Il faudra y répondre - mais vite.