Interviews de M. Guy Drut, ministre de la jeunesse et des sports, à France 2 et dans "Le Figaro" le 28 août et à RTL le 2 septembre 1996, sur les expériences d'aménagement des rythmes scolaires.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission L'Invité de RTL - Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Le Figaro - RTL - Télévision

Texte intégral

France 2 - 28 août 1996

G. Leclerc : La rentrée scolaire pour la majorité des élèves, c’est la semaine prochaine mais il y en a certains et notamment ceux qui expérimentent les nouveaux rythmes scolaires qui sont rentrés dès hier. Nouveaux rythmes scolaires avec les disciplines fondamentales le matin et puis l’après-midi les activités culturelles, sportives et d’éveil. Vous êtes l’initiateur de cette initiative. Quels sont les avantages de ces nouveaux rythmes scolaires ?

G. Drut : C’est simplement la possibilité qui est offerte aux enfants d’avoir suffisamment de temps pour satisfaire leurs besoins et leur curiosité à la fois physique et culturelle. Cette formation, cette éducation complémentaire a pour but de compléter leur épanouissement et la formation de la personnalité.

G. Leclerc : À l’inverse, on va vous dire que cela fait moins d’heures consacrées aux disciplines fondamentales. Elles sont toutes regroupées le matin avec un risque de saturation, non ?

G. Drut : Il y a une obligation, c’est le respect des 936 heures légales par an. D’autre part, tout n’est pas toujours fait que le matin et l’après-midi. C’est une facilité de langage pour bien expliquer les choses. Mais chaque conseiller d’école peut faire comme il l’entend. Et très souvent, on peut voir qu’il y a des activités fondamentales, intellectuelles dans la première partie de la matinée. Dans la première partie de l’après-midi, on trouve les activités d’éveil qu’elles soient sportives ou culturelles. Et enfin, l’après-midi, un retour à des disciplines plus intellectuelles parce que l’enfant a un pic d’attention qui revient. C’est ce que l’on va appeler des moments sans cartable et avec cartable. Je crois que l’enfant, l’individu, n’a pas d’un côté le corps et de l’autre l’esprit. C’est un individu entier et je crois que le rôle de l’école – et je ne suis pas le seul à le penser, loin s’en faut –, c’est aussi autant d’éduquer que d’instruire et donc de participer à la formation sportive et culturelle de l’enfant.

G. Leclerc : Tout cela est bien beau mais il y a un problème, c’est que cela coûte de l’argent. Il faut des équipements, des gens. Où va-t-on trouver cet argent car on dit que cela représente 2 500 francs par enfants et par an ? Qui va payer ?

G. Drut : C’est l’évaluation. Maintenant, il y a, en réalité, 113 000 enfants qui sont dans cette situation, donc c’est une expérimentation crédible. Il y a un comité d’évaluation qui a été mis en place, qui est présidé par le président de l’association des maires de France et qui trouve en son sein des scientifiques, des enseignants, des directeurs des écoles parce que nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère de l’éducation nationale et F. Bayrou sur ce point. L’évaluation va donc nous permettre d’affiner sur le plan financier pour nous permettre d’envisager une possible généralisation ou tout au moins, une augmentation du nombre d’élèves.

G. Leclerc : Mais à l’arrivée qui paiera ? Ce sera les collectivités locales ?

G. Drut : L’État donnera une grande partie des besoins financiers. Nous en financerons environ un tiers. Il y a les collectivités locales, en grande partie les communes un peu les départements, un peu les régions – encore trop peu à mon sens mais cela viendra. Il y a aussi les caisses d’allocations familiales. Il y a d’autres partenaires. Par exemple, à Strasbourg, il y a une banque qui participe également. Je crois que, si vous voulez, ce à quoi il faut que nous arrivions, c’est que l’État ne doit absolument pas se désengager. C’est hors de question car c’est la meilleure façon de garantir la gratuite d’accès pour tous les élèves quels qu’ils soient à toutes ces disciplines. D’autre part, il faut que nous arrivions à avoir un minimum de garanti pour permettre de faire les choses correctement.

G. Leclerc : On dit que les enseignants s’inquiètent du fait que tous ces gens qui s’occuperont du sport, des activités d’éveil, ne seront plus des enseignants. Est-ce que cela ne pose pas un brai problème ? Certains disent même que c’est une façon de faire des économies et d’employer moins d’enseignants.

G. Drut : C’est du langage syndical et ce n’est pas vrai ! Je peux vous dire, hier, que j’étais à Strasbourg, j’ai fait pas mal de sites et j’en fais encore beaucoup. Cela se passe très bien. Tous les partenaires sont assis autour de la table et au premier rang des quels les enseignants, les parents d’élèves, les élus des associations et tous les problèmes sont abordés et nous essayons de trouver une solution. Il y a la qualité des intervenants extérieurs. Et c’est surtout pour les parents d’élèves et les familles que je m’exprime, toutes les garanties de formation sont là. Et il y a un double sas : il y a d’abord le directeur départemental de la jeunesse et des sports qui vérifie ; le directeur régional des activités culturelles pour les activités culturelles et ensuite l’inspecteur d’académie. Donc ce ne sont pas des guignols qui s’occupent de nos enfants. Ce sont des gens qui sont sérieux et tout à fait formés pour la question.

G. Leclerc : Tout ça pour l’instant, ce sont des expériences. Y a-t-il une vraie chance que ce soit généralisé et qu’un jour tous les enfants de France connaissent ces rythmes ?

G. Drut : Il ne vous a pas échappé que lorsque je commence une course, en général, c’est pour la finir et surtout en tête. Là, je réponds sans aucun problème par l’affirmative à votre question et je crois pouvoir me faire l’interprète à la fois du président de la République et du premier ministre pour dire que si nous faisons ces expériences c’est que nous souhaitons à terme généraliser ce genre de rythme.

G. Leclerc : Ce séminaire gouvernemental après le conseil des ministres, que faut-il en attendre ? Comment redonner la confiance à un pays qui semble en manquer si on prend les sondages ?

G. Drut : Deux choses : d’abord, je crois – et les athlètes français l’ont prouvé cet été –, la France peut gagner et sait gagner à partir du moment où elle retrouve confiance en elle. C’est vrai que l’on ressent qu’il y a un problème. Hier, j’étais à côté du Premier ministre quand il a accueilli la délégation para-olympique. Et il a insisté sur l’exemplarité qu’ils donnent et qu’ils devraient donner à tout le peuple français parce que si à un moment de leur vie ils avaient été moroses, ils n’auraient pas eu tous les succès qu’ils ont eus à Atlanta. Deuxièmement, il ne vous a pas échappé non plus que le Gouvernement auquel j’appartiens n’est pas là ni pour faire le beau ni pour gouverner en fonction des sondages mais pour prendre les dispositions qui s’imposent sur le plan budgétaire et sur toutes les grandes questions. Trop souvent jusqu’à présent, on a dit : il faudrait faire ceci, faire cela. Nous le faisons ! Alors bien évidemment de temps en temps, ça coince mais ne vous inquiétez pas car à terme le Gouvernement, en fonction des objectifs qui nous ont été donnés par le président de la République et par le Premier ministre, récoltera ces fruits. J’en suis convaincu.

 

Le Figaro - 28 août 1996

Le Figaro : Votre expérimentation de l’aménagement du temps scolaire va toucher cette année 170 sites. Comment les choses se présentent-elles ?

Guy Drut : Les nouveaux rythmes scolaires concernent dès cette rentrée plus de 100 000 enfants.

C’est pour moi une très grande satisfaction de voir cette réforme que j’appelle de mes vœux depuis plusieurs années devenir réalité. Au fur et à mesure que les sites pilotes démarrent, les activités se mettent en place dans de bonnes conditions.

Je peux vous dire, par exemple, que j’étais hier pour la rentrée des classes à Strasbourg, ville où 10 % des écoles publiques maternelles et élémentaires ont adopté les nouveaux rythmes : les enfants étaient ravis, les parents et les enseignants enthousiastes.

Toutefois, seule une évaluation précise permettra de tirer des conclusions détaillées dans les prochains mois : c’est pourquoi j’ai créé un comité d’évaluation composé d’élus, de fonctionnaires et de scientifiques. Je souhaite avant tout qu’on évalue les bénéfices pour l’enfant : capacité d’attention, résultats scolaires, équilibre et épanouissement.

Mais il faut également évaluer les coûts, les emplois créés, les enjeux en matière d’intégration, l’efficacité des activités proposées.

Le Figaro : Comment les heures de cours des après-midi libérés pour les activités sont-elles récupérées ?

Guy Drut : Chaque école a trouvé sa propre formule. Je n’ai rien imposé. Souvent, les vacances ont été un peu raccourcies, celles d’été en particulier ; parfois, on a un peu allongé les matinées. Tous les aménagements sont possibles.

Le Figaro : Qui anime les activités, et quel est le coût de l’opération ?

Les activités sont encadrées par des intervenants qualifiés, titulaires de diplômes d’État dans le domaine sportif et choisis par les ministères de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports et de la culture pour leurs compétences pédagogiques et techniques. Le coût par enfant et par an varie beaucoup d’un site à l’autre (NDLR : il peut aller de 500 F à plus de 4 000 F). Mais, sur les 200 sites candidats, très peu ont renoncé en raison de difficultés financières.

Le Figaro : Quels sont les deux départements retenus pour une expérimentation généralisée à la rentrée 1997 ?

G. Drut : Rien n’est encore décidé. François Bayrou a consulté récemment les présidents de conseils généraux. Tout ce que je peux vous dire, c’est que de nouvelles écoles rejoindront les 772 établissements bénéficiant actuellement des nouveaux rythmes scolaires à la rentrée 1997.

Le Figaro : Quels sont les étapes suivantes du processus ?

G. Drut : L’année 1996-1997 sera consacrée en priorité à l’évaluation des expérimentations. Mon objectif est que tous les enfants français puissent bénéficier des nouveaux rythmes à l’échéance de la fin du septennat.

Le Figaro : L’éducation nationale est-elle, dans cette affaire, sur la même longueur d’onde que votre ministère ?

G. Drut : Totalement. Nous travaillons en étroite collaboration avec François Bayrou. Le ministère de l’éducation nationale est d’ailleurs représenté au comité de suivi et d’évaluation.

 

RTL - 2 septembre 1996

J.-M. Lefèbvre : L’expérimentation des rythmes scolaires sur une plus grande échelle – 772 établissements, 300 communes, 113 339 enfants –, c’est un projet que vous souhaitiez depuis longtemps, pourquoi ?

G. Drut : La sérénité du ministre de l’éducation nationale est totalement partagée par son collègue de la jeunesse et des sports. Nous avons la même volonté de promouvoir l’école française en général, et pour ce qui concerne les rythmes scolaires en particulier. C’est une idée que j’ai depuis longtemps, depuis que je me suis rendu compte qu’on ne faisait peut-être pas suffisamment de sport, que l’on ne faisait pas suffisamment d’activités culturelles en France, parce que mon activité sportive m’a donné l’occasion de voyager assez rapidement, et j’ai pu voir qu’on considérait l’enfant un peu trop en France comme, d’un côté il y aurait une tête, un esprit, et de l’autre côté des jambes et rien d’autre. Notre volonté est simple, c’est de faire en sorte qu’il y ait autant d’éducation que d’instruction et qu’à l’école on puisse faire davantage de sport, davantage de culture, davantage de musique, des mots croisés, tout ce qui peut concourir à la formation de l’individu qui est en devenir.

J.-M. Lefèbvre : Pour vous ce qu’il faut rechercher, c’est l’épanouissement de l’individu, suivre le rythme biologique de l’enfant, essayer d’avoir de meilleurs résultats. Quelle est la finalité ?

G. Drut : La finalité c’est de faire des enfants dont la personnalité soit complètement épanouie. Notre devoir est de satisfaire à la fois leur curiosité et leurs besoins, aussi bien physiques que culturels, et ça, ça peut se faire au sein de l’école.

J.-M. Lefèbvre : Avec le risque de dire que le matin c’est ennuyeux et l’après-midi c’est formidable ?

G. Drut : On va pendre plutôt le terme les après-midi, les matinées avec cartable ou sans cartable. Là, j’ai des idées précises, mais je laisse la possibilité à tous les acteurs, à tous les partenaires de l’école, de discuter. C’est ce qui se passe actuellement ; c’est ce qu’il s’est passé depuis un an maintenant. Que ce soit les enseignants en premier chef, mais également les parents d’élèves, les associatifs, les élus. Il y a certains conseillers d’école qui ont préféré faire uniquement le matin des disciplines fondamentales et l’après-midi des disciplines sportives et culturelles. Et puis il y en a d’autres où l’on voit la première partie de la matinée qui est utilisée pour les maths ou l’histoire-géo, et puis la fin de la matinée pour le sport ou la culture. Le début d’après-midi également, mais la fin de l’après-midi, elle, est consacrée aussi davantage aux activités fondamentales. Donc le dossier n’est pas fini, elle ne fait que s’ouvrir en quelque sorte.

J.-M. Lefèbvre : Est-ce que ce dossier n’est pas en opposition avec d’autres réformes : la semaine de quatre jours ? Vous, vous êtes partisan des cinq jours ?

G. Drut : Moi, je suis partisan de la semaine des cinq jours pour deux raisons essentielles. C’est qu’on a déjà – tout le monde est d’accord – l’année scolaire française qui est trop dense, beaucoup trop ramassée. Il n’y a pas suffisamment de jours d’école donc, automatiquement, les journées sont trop chargées. Et en plus, là, on enlève en plus une journée. Il y a quatre jours destinés à aller à l’école. Donc il ne reste que trois jours. C’est trop peu. D’autre part, les familles les plus fortunées, les plus aisées, auront tout à fait la possibilité d’offrir à leurs enfants des inscriptions sportives ou des inscriptions dans des clubs culturels, mais pas les moins favorisées. Donc c’est un peu aussi, sur un plan social, une différenciation que je n’accepte pas pour ma part.

J.-M. Lefèbvre : Est-ce que le risque social ne risque pas également de se retrouver en milieu rural ? Comment est-ce qu’on va faire pour organiser ?

G. Drut : Ça c’est tout une organisation. Il n’y a pas, au sein des 170 sites avec lesquels nous travaillons maintenant, que des sites urbains. Bien entendu, il y a Strasbourg, il y aura Paris à Noël, il y a Nice, il y a Lille, il y a Marseille, mais il y aussi énormément de petites communes, des communes rurales, des groupements de communes. Vous savez que le Gouvernement fait beaucoup d’efforts sur l’intercommunalité, et en milieu rural c’est ce qui marche le plus. Et il faut aussi trouver un tissu qui permette qu’il y ait davantage d’échange parce que l’école doit aussi servir à cela, entre tous ces enfants qui sont des ruraux.

J.-M. Lefèbvre : Vous disiez tout à l’heure que vous étiez solidaire de F. Bayrou, mais est-ce que lui est vraiment solidaire ? Il est très favorable à cette réforme ou est-ce qu’il ne souhaite pas ce petit côté « laboratoire » ?

G. Drut : Non, non. Il faut que cela ce soit bien clair. Cela a un peu surpris au départ, il y a un an, je me rappelle, en octobre, c’est le 5 octobre de l’année dernière, où j’ai lancé cette volonté de réforme, cette volonté d’expérimentation. Cela a un peu surpris, c’est vrai, mais, depuis ce temps-là, aussi bien F. Bayrou et moi-même, ou sous la responsabilité du Premier ministre avec lequel nous avons eu plusieurs réunions sur le plan particulier, nous sommes complètement d’accord sur la finalité. F. Bayrou le dit lui-même : il a beaucoup de priorités. L’éducation nationale, la réforme de l’école, c’est quelque chose d’énorme. Il y a la violence à l’école, il y a l’illettrisme, les universités, les collèges… Je crois qu’il n’est pas nécessaire d’être à deux en pointe systématiquement et toujours au même moment. Il est très attentif à ce qui se fait, nous travaillons ensemble vraiment la main dans la main sur ce sujet.

J.-M. Lefèbvre : Si l’expérience réussit, l’extension sera possible ?

G. Drut : Bien Sûr ! De toute façon, nous allons réfléchir avec F. Bayrou, parce que c’est lui qui a souhaité que cette expérience soit étendue à deux départements complètement, et puis ensuite extension possible mais progressivement. Chaque chose en son temps.