Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, dans "Le Monde" du 2 mai 1998, et réponse à une question sur le développement de l'audiovisuel extérieur français, à l'Assemblée nationale le 5 mai 1998.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Le Monde le 2 mai 1998

Q. - Après cinq rapports sur l’audiovisuel extérieur en deux ans, quelles sont les décisions retenues ?

R. - Ces rapports ont été demandes parce que le renforcement de notre audiovisuel extérieur est une nécessité absolue pour notre influence dans le monde, mais pose des problèmes délicats à résoudre. De surcroit, le nouveau gouvernement a voulu regarder cette question de près, dans un contexte d'évolution technologique rapide qui aiguise la concurrence (plus de 1000 chaines nouvelles l'an dernier) mais offre aussi de nouvelles opportunités.

La situation était satisfaisante sur le plan radiophonique (s'agissant de RFI). Mais, s'agissant de télévision, compte tenu de l'importance croissante de ce mode de diffusion (plus de 4 milliards de téléspectateurs dans le monde), il fallait rendre plus présentes les images françaises sur les écrans du monde, pour le public francophone, et pour les autres. C'est ce que le premier ministre a décidé. L'action du gouvernement suivra trois axes complémentaires et d'égale importance : une relance ambitieuse de la chaine francophone TV5 ; un soutien accru à l'exportation des programmes français ; et une aide financière renforcée pour que le plus grand nombre possible de chaînes françaises soient diffusées sur le plus grand nombre de bouquets satellitaires.

Q. - L'idée d'une « CNN à la française », préconisée par l'un des rapports, est donc définitivement enterrée ?

R. - L'hypothèse de la création d'une « CNN à la française », trop dispendieuse et trop problématique, n'a pas été retenue. Nous avons décidé de valoriser ce qui existe et donc de partir de TV5, dont la présence croissante (140 pays desservis aujourd'hui contre 25 en 1991, 80 millions de foyers raccordés) et la notoriété représentent un capital important. Je veux rendre hommage ici à l'action menée par son président, Patrick Imhaus. Notre ambition est d'en faire une chaine plus moderne, mieux adaptée, plus attractive.

Q. - Avec quels moyens ?

R. - Nous voulons impliquer toutes les chaînes publiques dans TV5, que cette réussite soft l'affaire de tous. La part française du capital va être restructurée en conséquence, à la faveur du retrait de la Sofirad, La Sept-Arte/La Cinquième entrant à hauteur de 25 % dans TV5, France Télévision augmentant sa part de 33 % à 35 % RFO arrivera à hauteur de 4 % l’INA dont nous voulons qu'il reste, conservera 2,7 %. L'ambition pour cette nouvelle TV5, c'est davantage de films, de sports et d'information, avec notamment des journaux télévisés adaptés au public international. TV5 devrait ainsi devenir, ou redevenir, une « vitrine » de la télévision française, publique ou privée, présenter ce qui se fait de mieux dans l'audiovisuel français. TV5 est « francophone », c'est une richesse, mais il ne faut pas oublier que 75 % de ses émissions sont d'origine française.

Q. - Que devient CFI dans ce schéma ?

R. - TV5 et CFI ne devront plus se concurrencer de façon désordonnée. CFI recentrera son dynamisme sur ses missions de banque de programmes et d'instrument de coopération technique, sauf en Afrique, où il conservera son rôle de diffuseur. Puis, la mise en place d'une présidence commune entre TV5 et CFI favorisera la synergie entre les deux entités. Ce président sera nommé avec l'accord de nos partenaires québécois, canadien, suisse et belge dans TV5.

Q. - Quelles mesures allez-vous prendre pour favoriser l'exportation des programmes français à l’étranger ?

R. - L'exportation de programmes est un enjeu économique autant que culturel. La vente des programmes français à l'étranger a représenté 1,3 milliard de francs en 1996, auxquels s'ajoutent 1,2 milliard d'exportations de films. Mais les Etats-Unis détiennent au moins 60 % des échanges mondiaux dans ces secteurs. Notre volonté est d'apporter un soutien aux producteurs et distributeurs, qui eux-mêmes se mobilisent et dont la plupart sont regroupés au sein de TFVI, et cela pour les programmes télévisés comme pour les films de cinéma. L'image forte du cinéma français à l'étranger bénéficie à l'ensemble des œuvres audiovisuelles françaises et à leur commercialisation internationale. J'ai, en outre, demandé à Bercy d'adapter les mécanismes d'aide à l'exportation aux spécificités du secteur de l'audiovisuel, comme le demandent tous les professionnels.

Enfin, troisième axe, nous souhaitons aider le maximum de chaînes françaises, qu'elles soient publiques ou privées, à monter sur les bouquets satellitaires des différents continents. Ainsi en Afrique, avec un bouquet de 8 chaînes, dont 7 françaises (TV5, Canal Plus Horizons, MCM Africa, La Cinquième, La Sept-Arte, Euro News, AB Cartoon, Planète), pour lequel nous avons financé en partie et de façon dégressive le transport. Des opérations similaires seront lancées en Europe, au Maghreb, au Proche et au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique latine. Une stratégie par continent va être élaborée avec les chaînes françaises publiques et privées.

Q. - Y a-t-il eu des points d'achoppement avec Catherine Trautmann ?

R. - Des nuances, quelques différences initiales comme par exemple sur la nouvelle répartition du capital de TV5. Mais pas de points d'« achoppement ». Nous avons travaillé ensemble. Catherine Trautmann a coprésidé avec moi les réunions de travail, organisées au Quai d'Orsay avec les opérateurs audiovisuels, et nos collaborateurs ont travaillé en bonne intelligence. Nous étions très proches, et le premier ministre, a arbitré.

Q. - Est-il utile et nécessaire de s'adresser au monde avec des programmes télévisés en français ?

R. - Il existe un peu plus de 120 millions de francophones dans le monde, y compris les Français. C'est d'abord à eux que s'adresse directement TV5. Le deuxième public également visé par TV5 et les chaînes en français est constitué par les, 350 à 400 millions de personnes qui, tout en maîtrisant insuffisamment le français, peuvent accepter de suivre des programmes sous-titrés en français. Au-delà, la France doit aussi se préoccuper d'atteindre, avec des programmes traduits dans leur langue, la plus grande part possible des autres téléspectateurs.

La question de savoir s'il vaut mieux diffuser en français ou s'il est préférable de choisir d'autres langues est en effet un faux débat dépassé : il faut faire les deux.

Q. - Que pensez-vous du Journal télévisé actuellement diffusé par TV5, réalisé par France Télévision ?

R. - Il s'agit d'un premier essai. Il faudra sans doute plus d'informations de nature internationale ou culturelle, et adapter son rythme et son ton en fonction des réactions du public.

Q. - Comment la France peut-elle avoir les moyens, y compris financiers, de ses ambitions à côté des efforts beaucoup plus importants consentis par la Grande-Bretagne avec la BBC, l'Allemagne avec la Deutsche Welle ou les Etats-Unis ?

R. - Ce n'est pas, directement comparable. En tout cas en ce qui nous concerne, nous y mettrons des moyens financiers supplémentaires (environ 130 millions de francs) et nous nous efforcerons de les employer au mieux.

Le rattachement de la coopération aux affaires étrangères est déjà un facteur de synergie et d'efficacité. Avec le ministère de la culture et de la communication, nous avons établi un mode de concertation efficace et constant. »

REPONSE A UNE QUESTION D'ACTUALITE A L'ASSEMBLEE NATIONALE (Paris, 5 mai 1998)

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Monsieur le Député,

En effet aujourd'hui, si on veut défendre les intérêts de la France dans le monde, son influence, sa vision des choses, on ne peut pas le faire sans avoir un audiovisuel extérieur dynamique...

J'ai donc présenté une communication qui était la suite logique de celle que Mme Trautmann avait présentée pour l'audiovisuel intérieur. Nous sommes arrivés à la conclusion suivante : la structure du public potentiellement francophone dans le monde rend plus raisonnable et plus à la mesure des moyens dont nous disposons, compte tenu des coûts absolument considérables des chaînes nouvelles, de partir de ce qui existe, c'est-à-dire TV5 - à condition de la restructurer, de la dynamiser en profondeur, parce que TV5 est présente partout -, pour toucher le public francophone au sens le plus large du terme. Nous n'avons pas l'équivalent des publics anglophones et on ne peut donc pas, dans des conditions économiques rentables, faire l'équivalent de CNN ou de BBC World. Il faut procéder autrement.

C'est pour cela qu'il y a les deux autres volets qui, ceux-là, concernent tout le public mondial potentiel, c'est-à-dire les quatre milliards de téléspectateurs : d'une part, tout ce qui concerne l'aide à l'exportation des programmes, ce qui suppose des crédits supplémentaires pour le doublage et pour le sous-titrage ; d'autre part, l'aide que nous allons développer pour qu'un maximum de chaînes françaises puissent monter sur un maximum de bouquets satellitaires.

Voilà les axes. Comment le ferons-nous financièrement ? Par une combinaison de mesures de redéploiement que nous obtiendrons par une meilleure gestion des moyens actuels de l'action culturelle scientifique et technique, mais également par des mesures nouvelles puisque le Premier ministre a arbitré à peu près à hauteur d'un tiers de ce programme pour que ce soient des mesures nouvelles.

Par ailleurs, comment allons-nous impliquer l'audiovisuel public ? Par la modification du capital de TV5, dans lequel nous faisons entrer l'ensemble des opérateurs publics et je ne dis pas qu'un jour d'ailleurs on ne pourra pas associer l'audiovisuel privé, qui a également des éléments d'une extraordinaire compétitivité dans ce domaine. Nous voulons que chacun, de France 2 à Arte, en passant par RFO, puisse jouer pleinement son rôle dans cette TV5 profondément modifiée. Ce n'est qu'un début mais il est tout à fait clair, et là-dessus je crois qu'il y a consensus, que la France doit avoir une politique très ambitieuse sur ce terrain, qui est une des composantes majeures de la lutte d'influence aujourd'hui.