Texte intégral
(...)
Q. - Une autre commémoration, qui a été plus discrète, c'est celle, la semaine dernière, du génocide arménien. Vous avez été interrogé à ce sujet à l'Assemblée nationale et vous avez soigneusement évité d'employer officiellement le terme "génocide" à propos des Arméniens, alors que l'ONU a reconnu officiellement ce génocide parmi les trois génocides du siècle Pourquoi, alors que François Mitterrand lui-même avait utilisé ce terme, il y a quelques années ?
R. - François Mitterrand en avait parlé, et moi-même, je l'ai utilisé à titre personnel. Je crois qu'il y a deux définitions. Il y a une définition morale, politique ; le fait de savoir si c'était un génocide ? Oui, je crois qu'on peut le dire. Mais après, il y a le problème juridique. C'est un peu comme le débat sur le crime contre l'humanité.
Q. - Et c'est une frilosité du Quai d'Orsay, à cause de la Turquie ?
R. - Non, c'est parce qu'effectivement, il y a des conséquences diplomatiques, des conséquences juridiques. En général, quand on déclare un génocide ou un crime contre l'humanité, c'est parce qu'on entend faire des poursuites, ou donner des réparations à certains. Cela ne me gêne pas de dire que ces massacres, ces exterminations abominables, qui ont été commises en 1915 en Arménie, sont un génocide. De même qu'on peut estimer aussi, d'un point de vue, encore une fois politique, philosophique, que l'esclavage peut avoir un caractère de crime contre l'humanité. En même temps, cela ne répond pas aux définitions juridiques, et du génocide, et du crime contre l'humanité.
Q. - Sauf, encore une fois, que dans le cas des Arméniens, l'ONU, en tant que telle, a reconnu ce terme.
R. - C'est vrai, c'est un élément fort. C'est ce que j'ai dit à l'Assemblée nationale.
Q. - Est-ce qu'il y aurait donc à votre réserve officielle, une raison politique liée, encore une fois, à la problématique compliquée de la Turquie dans l'Union européenne ?
R. - Il est vrai qu'il y a aussi des impératifs diplomatiques qui existent, et encore une fois, le fait qu'il y a très peu de survivants, donc peu de réparations....
Mais c'est une querelle juridique que nous ne voulons pas engager. Toutefois, politiquement, encore une fois, on peut reconnaître les faits.
Q. - Venons-en au débat sur l'euro, qui a agité l'Assemblée nationale la semaine dernière. La France, dans cette histoire, ne s'est-elle pas beaucoup moins bien comportée que l'Allemagne, où l'on a vu, vendredi dernier, les deux Chambres du Parlement allemand, voter massivement l'adhésion à l'euro, alors que leur différend politique, leur calendrier politique, sont autrement plus agités que le nôtre ?
R. - Je pense qu'effectivement, en Allemagne, les sociaux-démocrates, qui sont l'opposition là-bas, les socialistes, ont montré qu'on pouvait, à la fois, être contre la politique du gouvernement et pour l'euro. Et donc, ils ont eu une attitude un peu plus digne, un peu plus conséquente, un peu plus intelligente que celle de l'opposition ici, qui s'appelle le RPR, si c'est le sens de votre question.
Oui, je pense que sur cette grande cause, il fallait être capable de dépasser les intérêts un peu partisans et dire que nous étions engagés ensemble dans l'Europe.
Q. - C'était vrai, pardonnez-moi, pas seulement du RPR, mais aussi de la Gauche plurielle, puisqu'on a vu les Communistes et les Chevènementistes, donc le parti du ministre de l'Intérieur, voter contre.
R. - Je vais comparer ce qui est comparable, puisqu'en Allemagne, il y a aussi un parti ex-communiste, le PDS, qui a voté contre l'euro. Ne faisons pas, non plus, comme si cela avait été un vote totalement unanime.
Q. - Mais ils n'ont pas de Chevènementistes ?
R. - Non, ils n'ont pas cette chance. Mais en France, nous avons le Parti communiste, dont nous connaissions les positions. Il a voté contre. Le parti de Jean-Pierre Chevènement, qui s'est fondé, au fond, sur la division avec le Parti socialiste sur l'euro ; sur le Traité de Maastricht, sur la guerre du Golfe aussi, qui a voté contre, tout cela était tout à fait attendu. Par contre, ce qui était inattendu, ce qui a pu choquer, c'est quand même que le parti du président de la République, ait changé trois fois d'avis en deux jours. D'abord, il a semblé suivre Jacques Chirac, ce qui paraît quand même logique pour le RPR, puis ils sont passés au "non". Puis Alain Juppé aidant, ils ont refusé de voter et déposé une motion de censure. Et voilà maintenant, que Philippe Séguin change, une quatrième fois, d'avis et considère qu'il aurait quand même dû voter "non" parce que c'était une humiliation de suivre Alain Juppé. On ne s'y retrouve plus beaucoup.
Mais, revenons au fond, l'Assemblée nationale et le Sénat ont voté très massivement la résolution sur l'euro. Le RPR l'a voté au Sénat.
Q. - Et Michel Barnier a défendu l'euro contre Charles Pasqua.
R. - Absolument, et une majorité de RPR a voté pour cette résolution. Ce qui prouve que le Sénat a beau être une anomalie, c'est une anomalie dans laquelle on réfléchit parfois un peu.
Q. - Vous citiez Philippe Séguin, l'autre jour, il disait à propos de ce débat sur l'euro, que ce n'en était pas un et qu'il n'y avait là, je cite que "mensonges, manipulations et mascarades".
R. - Il a un peu perdu son sang-froid. Mais je vais être assez sévère. Je crois que ce que l'Histoire retiendra, c'est que Philippe Séguin était contre cette aventure au départ, et qu'il était contre à l'arrivée. Il n'arrive décidément pas à faire ce qu'il avait annoncé dans son discours d'Aix-la-Chapelle, c'est-à-dire s'engager dans une forme d'acceptation de l'euro. Vous parliez tout à l'heure de Jean-Pierre Chevènement ou du Parti communiste. Ils sont contre l'euro, mais ils savent bien qu'on va le faire. Ils sont avec nous dans un gouvernement qui va faire l'euro, et cela ne pose pas de problème majeur. Philippe Séguin, lui, s'empêtre dans des positions un peu politiciennes, il refuse d'accepter la réalité. La réalité, c'est que la semaine prochaine, nous ferons l'euro.
Et c'est une décision, il faut y revenir quand même, qui est très positive, car cela permet de lutter contre la spéculation, et surtout, cela donnera à l'Europe cette force, cette puissance, qu'elle n'a pas. Aujourd'hui, nous avons une collection d'actions juxtaposées. Demain, nous serons la toute première puissance économique et j'espère, un jour, politique, du monde.
Q. - Vous avez l'air très satisfait, mais n'est-il pas difficile, le week-end prochain, d'aller faire l'euro, avec une grande partie de sa majorité - je parle de Lionel Jospin - qui refuse l'euro. Vous dites que c'était attendu, certes, mais à terme, cela ne va-t-il pas vous poser un problème ?
R. - Je reviens sur les élections de l'an dernier. Je pense que ce n'est pas mal que cette majorité soit comme cela, plurielle aussi sur l'euro, parce que nous savons bien que dans la Gauche, il y a des sensibilités différentes. Et j'ai envie de dire, au fond, dans chacun de nous. Je suis pour l'euro, mais pas sans me poser des questions, pas sans interrogation. Je ne me dis pas que c'est tout bon. Je sais qu'il y a quelques difficultés ici ou là, que cela peut poser des problèmes, notamment sur des politiques un peu trop désinflationnistes ou déflationnistes. Et donc, ce que nous avons voulu faire ensemble, c'est rééquilibrer la construction européenne, c'est mettre plus d'emploi, plus de croissance dans le moteur européen, faire en sorte - c'étaient nos quatre conditions pour l'euro - que ce soit un euro large, équilibré, démocratiquement et économiquement.
Q. - Sauf que le poids de l'Europe avec l'euro va être plus fort et plus lourd pour une politique économique. Cela va peser encore plus. Cela ne va-t-il pas se tendre un peu avec le Parti communiste ?
R. - Je ne pense pas, parce que ce que j'observe, ce n'est pas une satisfaction particulière, c'est que la croissance est repartie, c'est que nous avons réussi à faire à la fois une politique budgétaire qui soit à la fois maîtrisée - nous aurons 2,3 % de déficit l'an prochain, donc nettement moins que les 3 % - et en même temps relancer la croissance et maintenir, on nous critique parfois pour cela, un haut niveau de dépenses publiques favorable à l'emploi.
Q. - Vous récupérez un peu la qualification de la France pour l'euro : ce n'est pas quand même pas vous tout seuls ?
R. - J'ai lu cela ici ou là. Non, il faut reconnaître que les efforts qui ont été faits...
Q. - C'est une idée qui vient de loin, comme l'a dit, à juste titre, M. Giscard d'Estaing.
R. - Absolument, il a fait un discours, qui, au moins celui-là, avait le mérite de la cohérence, puisqu'il rappelait que c'était un chemin qui durait depuis vingt ans. C'est en 1978, au Sommet de Brême, qu'effectivement cette idée a été lancée. A l'époque, c'était M. Giscard d'Estaing qui était président de la République et Helmut Schmidt, social-démocrate, qui était chancelier allemand. Donc, c'est une histoire qui vient de loin. Les gouvernements ont tous fait une partie du chemin, notamment la Gauche dès les années 1980, qui avait amorcé cet effort de lutte contre l'inflation. Et puis surtout, ce sont les Français qui l'ont fait. Quand même, c'est à eux qu'il faut rendre cet hommage, parce que l'euro, ce sont des disciplines. Je pense aussi que ce sont de très grands bénéfices pour le futur.
Q. - Aussi bien le Président de la République que le Premier ministre vont aller à Bruxelles le week-end prochain, avec toujours des rapports de force qui ne sont pas très bons au moment où la France continue d'exiger la présidence de la Banque centrale européenne. La France est très isolée dans cette histoire et encore une fois l'étalage de ses divisions au Parlement ne sont pas excellentes.
R. - Je crois encore une fois qu'il ne faut pas les exagérer. On parle toujours de ce vote. J'ai rappelé qu'au Bundestag, il y avait 33 voix contre, à l'Assemblée nationale, il y en a eu une quarantaine. Non, on sait que l'immense majorité des Français est pour l'euro. On sait aussi que la très grande majorité des hommes politiques sont pour l'euro. La seule difficulté, et j'y reviens, vient de la Droite, parce que le parti du président, le RPR, n'a pas assumé, ni son soutien au président, ni son choix européen. Alors, c'est une difficulté, sans aucun doute, mais sur le fond, les choses sont sûrement plus compliquées que cela. Cela me paraît très tactique.
Q. - Et sur la désignation du président de la Banque centrale, qui doit être faite d'ici le 2 mai ?
R. - En principe. Cela peut ne pas se faire le 2 mai.
Q. - C'est fait, il y a un compromis ?
R. - Non, à l'heure qu'il est, nous avons notre candidat. D'autres Etats ont le leur. On connaît les formules de compromis possibles. Elles passent, d'une façon ou d'une autre, que ce soit officiel ou non, que ce soit dit ou non, que ce soit parce que M. Duisenberg abandonnerait son mandat en cours de route, il faut bien partager, sinon on va vers un double veto.
Q. - Cela veut dire qu'on pourrait peut-être ne pas connaître le nom du président de la Banque centrale européenne le 2 mai ?
R. - Il se peut. Prenons les choses par ordre. Cela peut être l'un, le candidat néerlandais. Cela paraît compliqué, puisque nous sommes très fermement pour notre candidat.
Q. - Donc, c'est un veto français à M. Duisenberg ?
R. - C'est possible, s'il n'y a pas de compromis, par définition. Cela peut être Jean-Claude Trichet, il a toutes les qualités pour cela. Mais veto hollandais. Donc, ce peut être un troisième. Est-ce qu'on va improviser quelque chose dans la journée du 2 mai ? Ce n'est pas sûr. On peut aussi, et je crois que c'est le plus raisonnable, trouver une formule de compromis. On sait qu'elle est recherchée...
Q. - Mais un compromis qui porterait sur plusieurs postes à la fois et pas seulement sur la Banque centrale, puisqu'il y aussi la BERD ?
R. - Ce serait un compromis sur la Banque centrale. Je crois que la lecture qui est faite des choses est un peu trop complexe. L'idée que nous pourrions dire : "nous n'avons plus de candidat mais nous vous donnons ceci ou cela à la place...". Non. Nous parlons de la Banque centrale européenne. Je pense qu'il est important qu'on sache qu'un Français sera vite président de la Banque centrale européenne.
Q. - Quels seront les rapports entre la Banque centrale européenne et le Conseil de l'euro, et aussi, avec les instances parlementaires, avec les élus ?
R. - Je crois que cela était un grand apport du débat de cette semaine. Et d'ailleurs de ce que nous avons fait depuis un an. C'est nous qui l'avons fait. La Banque centrale européenne sera indépendante. C'est normal, dans toutes les grandes économies, il y a des banques centrales indépendantes : c'est le cas en Allemagne, c'est le cas aux Etats-Unis, c'est le cas en France, et nous ne faisons que transposer ce qui existe aujourd'hui. Mais toute Banque centrale indépendante a, face à elle, un pouvoir politique. Et donc, ce Conseil de l'euro doit pouvoir se concerter, sur des politiques budgétaires, sur des politiques fiscales, sans doute aussi discuter des politiques de change. Il est l'amorce de ce que nous appelions le gouvernement européen, ou le gouvernement économique.
Et puis, la discussion parlementaire a permis d'introduire justement l'argument contrôle démocratique, donc contrôle parlementaire.
L'Assemblée nationale a voté - c'était une proposition de M. Giscard d'Estaing, de M. Bayrou, de M. Barrot et de M. Méhaignerie - un amendement qui propose de créer une sorte de comité parlementaire de l'euro, c'est-à-dire un comité mixte, 100 à 120 parlementaires, moitié issus des parlements nationaux, moitié issus du Parlement européen, qui pourrait très régulièrement auditionner le président de la Banque centrale européenne et donner le point de vue des peuples. Cela compte et c'est une idée que nous reprenons volontiers, et qui sera discutée à la fois par les gouvernements et les parlements.
Ses chances d'aboutir ? C'est difficile, car nous savons que les gouvernements ne sont pas chauds devant cette instance, mais il faut le tenter.
Q. - A propos du dossier du Crédit lyonnais : on est à huit jours, dix jours de la réunion de la Commission européenne qui doit statuer sur le montant des aides publiques que l'Etat français pourrait donner au Crédit lyonnais. Quelle pourrait être l'issue dans ce qu'il faut bien appeler aujourd'hui un blocage complet, en tout cas un bras de fer, entre Paris et Bruxelles ?
R. - Quelques éléments là-dessus. D'abord, on sait que ce qui s'est passé au Crédit lyonnais n'a pas grandi différents responsables de cette Banque et aussi les Etats. C'est sûr.
Deuxième chose, on sait que la Commission européenne est très critique vis-à-vis de nous, qu'elle nous demande de nouvelles concessions.
Q. - N'a-t-elle pas des raisons d'être critique ?
R. - Non, je ne pense pas. Elle avait des raisons d'être critique. C'est pour cela que j'ai commencé par dire qu'il y avait assurément eu des malversations, ou, en tout cas, des erreurs de gestion extrêmement graves. Mais le Crédit lyonnais a entamé son redressement et le gouvernement français a fait des concessions très fortes. Il accepte de céder des actifs, il accepte aussi la privatisation du Crédit lyonnais en 1999, ce qui n'est quand même pas rien.
Alors maintenant, la Commission nous demande d'aller plus loin, c'est-à-dire non seulement d'accepter la privatisation, de choisir la façon dont on la fera, c'est-à-dire de gré à gré, mais encore de faire d'autres cessions.
Q. - Si Bruxelles dit non, aucune aide possible ?
R. - Nous disons "non" à cette dernière demande de Bruxelles. Elle nous paraît tout à fait excessive. Il est normal que la France conserve son pouvoir de décision. Si Bruxelles nous refusait les aides, cela amènerait le Crédit lyonnais à la faillite, tout de même.
Q. - Cela, vous ne l'excluez pas ?
R- Nous souhaitons franchement qu'une autre solution soit trouvée. Mais cela ne passe pas, cela ne peut être par le fait que nous passions sous les fourches caudines de Bruxelles, qui est une logique totalement libérale. Ce serait un précédent absolument catastrophique. A ce moment-là, nous irions, nous, devant la Cour de justice de Communautés européennes, à Luxembourg.
Espérons qu'on n'en arrivera pas là.
La raison voudrait qu'on donnât acte des efforts que nous faisons, des efforts que fait d'abord le Crédit lyonnais, que cette banque qui doit survivre, qui est redevenue tout à fait profitable, se développe à nouveau, et qu'on arrive à un compromis utile.
Q. - Un recours devant la Cour de justice, cela veut dire un calendrier très étalé, par définition ?
R. - J'espère très sincèrement qu'on n'en arrivera pas là. La raison voudrait quand même que la Commission n'insiste pas au-delà de ce qui est raisonnable. Honnêtement, céder des actifs d'une part, accepter la privatisation d'autre part, poursuivre l'assainissement enfin. Voilà des efforts tout à fait considérables qui d'ailleurs commencent à porter leurs fruits, il faut l'accepter et ne pas pousser son avantage trop loin. Il faut que l'aval au nouveau plan d'aide au Crédit lyonnais soit donné par la Commission européenne, c'est important.
Q. - Dans "Le Point", le constitutionnaliste Didier Carcassonne, que vous connaissez bien, qui était un collaborateur de Michel Rocard, est très critique sur l'idée de changer le mode de scrutin pour les élections européennes en disant que cela ne servira à rien, que cela ne rapprochera pas du tout les électeurs de leurs élus et que, faire plusieurs circonscriptions cela veut dire qu'en fait les jeux seraient faits à l'avance.
Que répondez-vous ? Continuez-vous à penser qu'il faut quand même changer le mode de scrutin pour les élections européennes ?
R. - Je continue à penser qu'il faut changer le mode de scrutin pour les élections européennes. Je sais que cela n'est pas facile et cela n'est pas évident. Il y a des arguments pour, il y a des arguments contre.
D'abord le mode de scrutin actuel, il faut le rappeler, c'est des listes nationales sur lesquelles on vote. Il y a tous les inconvénients. C'est une très grande dispersion. C'est un très grand désintérêt. Ce sont des députés que l'on ne connaît pas. J'ai été parlementaire européen un peu par hasard justement, c'était fait à l'avance parce que j'étais bien placé sur la liste et c'était à peu près ma seule vertu. Enfin, j'en avais d'autres mais elles se sont révélées, enfin en tout cas, je l'espère.
Q. - Ce sont les bienfaits de la proportionnelle ?
R. - Ce sont ses bienfaits mais aussi ses défauts parce que cela ne permet pas, et cela aussi, j'en ai souffert comme parlementaire, d'être ancré dans un territoire, d'avoir des relations avec des électeurs, d'avoir quelqu'un à qui on rend compte au-delà du peuple tout entier.
Q. - Cela veut dire que vous pensez que l'on devrait supprimer la proportionnelle ?
R. - Non, pas du tout. Mon sentiment, c'est qu'il y a un dernier inconvénient : le Front national, dans cette affaire-là, peut capter tous les votes négatifs et là, on retrouve ce qui s'est passé avec la proportionnelle aux régionales. Mais je crois que ce n'est pas l'argument principal. L'argument principal, c'est que pour l'Europe et pour les députés européens, si on veut avoir une démocratie européenne - on en parlait tout à l'heure - il est très important que les députés aient des comptes à rendre à quelqu'un. L'idée, à partir de ce moment-là est de faire des circonscriptions : 87 députés européens en France. On pourrait faire 87 - circonscriptions. C'est beaucoup trop compliqué, ce serait un charcutage de la France. On peut faire un mode de scrutin en faisant élire les députés dans les régions actuelles et là, on tombe sur les obstacles que décrit Didier Carcassonne, c'est-à-dire qu'on en élit très peu et donc c'est un peu fait à l'avance. C'est pour cela que mon idée qui n'est pas que la mienne, est de faire des grandes régions. On pourrait regrouper les ensembles pertinents.
Q. - Comme le projet de Michel Barnier ?
R. - A peu près, je suis favorable à treize régions parce que je crois qu'en même temps, ces régions ne doivent pas être trop grandes, et aussi qu'elles doivent regrouper des régions existantes. Je prends des exemples : mettons ensemble les deux Normandie, mettons ensemble le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie, mettons ensemble l'Aquitaine et Midi-Pyrénées, mettons ensemble la Bourgogne et la Franche-Comté. Des ensembles qui soient à la fois politiquement pertinents, qui signifient quelque chose et qui permettent quand même d'élire un certain nombre de députés européens.
Q. - Ne serait-il pas logique de faire cette réforme pour les élections européennes avec les autres réformes électorales envisagées, c'est-à-dire législative, sénatoriale etc. ?
R. - Le Premier ministre l'a dit, il a dit que l'on allait réformer le mode de scrutin aux régionales et donc, je crois qu'il faut effectivement tenter de faire ces réformes ensemble, les régionales, c'est sûr. C'est un peu compliqué, car chacune d'elle peut poser des problèmes spécifiques et il ne faudrait pas que l'on en fasse échouer une.
Q. - Vous êtes pour une réforme de chaque mode de scrutin à la fois ?
R. - Cela se discute, mais je crois que chacune doit être discutée avec ses mérites propres parce que vous savez qu'une réforme de mode de scrutin est une autre exigence et cela vaut pour les européennes. C'est qu'il faut un consensus relatif et notamment, il faut trouver un mode de scrutin qui maintienne les vertus de la proportionnelle, et donc, qui ne pénalise pas tel ou tel parti notamment, je pense aux partis de la Gauche.
Q. - D'une façon générale, vous n'êtes pas hostile à la proportionnelle qui précisément favorise l'extrême droite. Est-ce que ce n'est pas quand même un bon moyen d'empêcher l'extrême droite d'accéder aux tribunes parlementaires que de supprimer la proportionnelle ?
R. - Il se trouve que nous sommes dans un mode de scrutin pour les élections européennes, et qu'à ces élections, il y a une préconisation du Parlement européen qui est de garder la proportionnelle. Par exemple, nos amis britanniques ont à l'heure actuelle le scrutin uninominal, vont passer à la proportionnelle. Donc nous n'allons pas, nous, aller dans l'autre sens et aller contre l'Europe. L'objectif de cette réforme est clair : ce n'est pas de pénaliser le Front national.
Nous ne pouvons pas, parce que nous avons le Front national, faire un mode de scrutin à la carte. En revanche, je crois qu'il faut combiner deux avantages, garder les bienfaits de la proportionnelle et donc, permettre effectivement, cette représentation de la diversité française, notamment sur ce sujet qu'est l'Europe, y compris au sein de la gauche, et aussi permettre quand même de rapprocher les députés européens des citoyens, en faisant des grandes régions.
Donc, régionalisation et proportionnelle, proportionnelle dans les grandes régions, mais encore une fois, il faut qu'il y ait autour de cela un consensus minimum. Nous allons maintenant affiner les projets parce que l'on peut dire huit, neuf, dix, onze, douze, treize circonscriptions. On peut même le faire dans les régions actuelles. Cela ferait vingt-deux et donc, il faut avoir une proposition à faire, il faut ensuite entamer des concertations avec les autre partis politiques que ce soit ceux de la majorité ou de l'opposition.
Q. - Selon quel calendrier ? Le Premier ministre n'a pas précisé cela. Les européennes, vous voyez cela quand ? A la rentrée, au mois de septembre prochain ?
R. - J'ai été personnellement le premier à relancer ce dossier, c'est un peu la fonction du ministre délégué chargé des Affaires européennes dans un gouvernement. Mon sentiment c'est qu'il y a une espèce d'adage, un double adage qui dit d'abord que pour une réforme du mode de scrutin il faut un consensus je le répète. Ensuite, il faut le faire à peu près un an avant l'élection. Cela veut dire, à mon avis, d'ici l'été. Il faut que nous ayons un pré-projet et que nous ayons commencé à discuter pour savoir où nous allons sur le principe. Nous le faisons ou pas ?
Mais encore une fois, nous, Socialistes par exemple, au gouvernement, nous devons prendre nos responsabilités, et dire : voilà ce que nous souhaitons. A mon avis, les discussions doivent avoir lieu dans les prochaines semaines et les prochains mois pour un projet qui pourrait très bien être voté à l'automne.
Q. - Consensus sur une réforme électorale c'est impossible...
R. - Consensus relatif, en tout cas consentement, si vous préférez ce mot-là.
(...)
Q. - Pierre Moscovici, selon notre règle, vous avez le dernier mot...
R. - Je pense que cette semaine a été une semaine importante pour la vie politique française. D'abord importante parce que le Parlement français a pris une résolution qui va dans le sens de l'euro. Alors, compte tenu des réserves d'usage, - mais tout de même on va vers cela, c'est fondamental -, le choix européen est confirmé. C'est important parce qu'on voit que la Gauche, avec ses diversités, reste tout de même un pôle de stabilité. Cela a donné lieu ici ou là à des commentaires sur la trop grande satisfaction que nous éprouvions. Non, nous sommes inquiets aussi de ce qui se produit avec la percée du Front national. Il y a, je crois un véritable bouleversement du paysage politique. Lionel Jospin a dit l'autre jour qu'il souhaitait que la vie politique française s'articule toujours entre une Gauche plurielle forte et d'une Droite républicaine. Il y a péril en la demeure et croyez que nous ne l'observons pas avec un grand plaisir. Nous travaillons pour nous-mêmes, nous voulons aussi travailler pour l'emploi, mais en même temps il est très important que la Droite se reconstitue.