Texte intégral
Mesdames les Présidentes et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
J'ai tenu à participer à l'ouverture de vos deux journées de réflexion et débat à Versailles, pour trois raisons complémentaires :
En premier lieu, je souhaite souligner l'importance que le Gouvernement français attache aux discussions internationales concernant la gestion durable des forêts. Je serai moi-même présent à Lisbonne, pour la 3e Conférence ministérielle paneuropéenne sur la protection des forêts, et je suis persuadé que le travail réalisé ici, dans un cadre plus informel, trouvera alors un large écho et toute sa légitimité.
Ensuite, ministre chargé des Forêts, je veux apporter mon soutien aux actions qui se déroulent en France depuis quelques années visant à donner un contenu concret, et consensuel, au concept de gestion durable forestière. Il nous faut, en effet, au-delà de la définition de critères et indicateurs négociés au plan international, travailler à l'appropriation de cette démarche par les acteurs locaux.
Enfin, je souhaite encourager la démarche qui conduit à votre rassemblement aujourd'hui à Versailles, celle de la recherche d'une réponse européenne cohérente et coordonnée aux nouveaux enjeux qui se font jour pour les forestiers et la forêt.
Les questions internationales participent depuis quelques années de l'environnement incontournable de toute politique forestière.
Pour autant, le bois ne figure pas à l'annexe II du traité de Rome : il n'y a donc pas de politique forestière commune. C'est ainsi que nos politiques forestières demeurent conduites pour l'essentiel au plan national, voire à un niveau infra-national pour certains pays, et que le principe de subsidiarité doit présider l'application d'une stratégie forestière européenne.
Pour ce qui nous concerne, je ne peux résister au plaisir de rappeler l'ancienneté de la tradition forestière française en matière de gestion soutenable, ancêtre du concept actuel de gestion durable. Un texte en apporte la preuve : il s'agit de l'ordonnance de Philippe VI de Valois, plus connue sous le nom d'ordonnance de Brunoy (may 1346… il y a donc plus de six siècles !) qui stipule notamment :
.… « Article 4 : Les Maistres des forests, selon ce qu'ils sont ordonnez enquerront & visiteront tous les forests & bois qui y sont et feront les ventes qui y sont à faire, eu égard à ce que lesdictes forests & bois se puissent perpétuellement soustenir en bon estat »….
Plus récemment, la France a fait partie de l'avant-garde du combat pour la protection des forêts du monde. Chacun garde en mémoire que la Commission des Nations Unies pour l'environnement et le développement (CNUED), réunie en Juin 1992 à Rio et plus connue sous le nom de « Sommet de la Terre », avait été précédée et préparée par la Conférence Silva à Paris en 1986, 1re réunion internationale ayant traité du sujet des forêts, à l'initiative de l'ancien Président de la République, François Mitterrand.
Trois conventions ont été signées à Rio ou immédiatement après : diversité biologique, changements climatiques, lutte contre la désertification.
Mais l'accord n'a pas pu s'établir pour une convention spécifique dans le domaine des forêts. Celui-ci n'a fait l'objet que d'une déclaration de principes, non juridiquement contraignants sur « la gestion, la conservation et l'exploitation durables » de tous les types de forêts.
Depuis lors, le sujet des forêts étant considéré comme sensible mais bien circonscrit, la CNUED a fait fonctionner un panel intergouvernemental sur les forêts dont le relais a été pris à la suite de l'Assemblée générale de l'ONU de juin 1997 à New York par le nouveau forum intergouvernemental sur les forêts, avec l'espoir de parvenir bientôt à un accord.
La France, dans ce cadre, a toujours prôné la nécessité d'aller vers un instrument international juridiquement contraignant, c'est-à-dire une convention spécifique les forêts, position qui a d'ailleurs été défendue par l'Union Européenne à New York en 1997.
Parallèlement, la France a été, avec la Finlande, à l'origine des conférences ministérielles paneuropéennes pour la protection des forêts.
Ainsi, la Conférence de Strasbourg, en décembre 1990, au cours de laquelle 6 résolutions furent adoptées, prépara celle d'Helsinki, réunie en Juin 1993, qui donna son nom au processus paneuropéen spécifique en cours. Il est aujourd'hui connu sous le nom de « Processus d'Helsinki ».
La « gestion durable » des forêts a donc pour nous une définition précise. C'est celle de la résolution H 1 d'Helsinki, à laquelle nous nous référons désormais toujours :
…. « La gestion durable » signifie la gérance et l'utilisation des forêts et des terrains boisés d'une manière et à une intensité telles qu'elles maintiennent leur diversité biologique, leur productivité, leur capacité de régénération, leur vitalité et leur capacité à satisfaire, actuellement et pour le futur, les fonctions écologiques, économiques et sociales pertinentes, aux niveaux local, national et mondial ; et qu'elles ne causent pas de préjudice à d'autres écosystèmes »….
Au sein de ce processus paneuropéen, les Etats se sont mis d'accord sur une liste de critères, au nombre de 6, et d'indicateurs au nombre de 20, permettant de vérifier les divers paramètres pouvant caractériser cette gestion durable. Souhaitons que la conférence de Lisbonne nous permette comme prévu de progresser de façon significative dans ce domaine. Il convient de souligner à cette occasion le rôle pionnier joué au travers de cette démarche par l'ensemble des Européens au sens large.
La France a pour sa part, publié un premier fascicule regroupant l'ensemble des données existantes. Elle a manifesté ainsi un souci de transparence, en ne masquant ni les lacunes dans la disponibilité de certaines données ni les progrès imaginables en matière de gestion.
Les acquis du processus d'Helsinki, et plus généralement des négociations internationales sont donc bien réels et tangibles.
Toutefois, les approches « critères et indicateurs » d'une part, et « certification et labellisation » d'autre part, sont encore loin de faire l'unanimité : Ces approches sont en quelque sorte nécessaire mais insuffisante, notamment pour la mise en œuvre d'une réelle gestion durable reconnue comme telle par les acteurs, de toute la filière.
Quittons donc un moment l'international pour nous pencher de façon plus approfondie sur les modalités de concertation sur le terrain.
Je souhaite, à cet instant, remercier les organisateurs de ce symposium, et tout particulièrement la Commission permanente du Conseil supérieur de la forêt et des produits forestiers, en la personne de son président, Monsieur Philippe Leroy et de son secrétaire Monsieur Jean-Louis Duclusaud.
Ils ont su saisir l'opportunité de la période préparatoire à la Conférence de Lisbonne pour organiser cet atelier, plus restreint quant à son objet mais d'une composition élargie par rapport à celles des réunions de négociations intergouvernementales, dans une configuration informelle qui doit permettre à chacun des partenaires de s'exprimer dans la plus grande liberté et d'aller au fond des réponses à apporter à la question qui me paraît clairement posée : Comment concilier la diversité des formes de propriété des forêts européennes et intérêt croissant que la société leur témoigne ?
J'ai lu avec intérêt le texte diffusé en préalable à vos travaux, intitulé « La Démarche de Versailles », et qui pose bien la problématique indispensable d'une approche contractuelle, très en amont de la filière.
Cette démarche contractuelle doit prendre en compte deux réalités fortes :
- l'importance et le rôle des propriétaires forestiers en Europe en insistant sur la taille réduite de leurs unités de gestion et sur leur lien patrimonial fort aux forêts. Sans leur pleine participation, il ne peut pas y avoir de gestion durable ;
- l'essor nouveau et général des attentes sur les forêts, en insistant sur leur diversité.
C'est donc par une concertation très large entre tous les acteurs, responsabilités que pourra être mis en place un contenu concret, au cas par cas dans chaque pays ou région le cas échéant, au concept de gestion durable des forêts. Cette concertation doit déboucher sur un véritable nouveau contrat de société sur le rôle de la forêt.
Nous avons déjà chez nous des procédures qui correspondent à une amorce de démarche contractuelle. Tant au plan national avec la Commission permanente du Conseil supérieur de la forêt et des produits forestiers. Il faut sans doute les développer les conforter et revoir leurs modalités d'action. Sans doute aussi mieux les faire connaître.
Et très certainement, saisir l'opportunité du projet de loi forestière dont j'ai lancé la préparation, pour intégrer le nouveau concept de gestion durable à notre corpus législatif, de façon à la fois claire et simple.
A ce sujet, je vous rappelle que peu après ma prise de fonction j'ai proposé, en liaison avec Mme Voynet ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, au Premier ministre de nommer un parlementaire en mission de la personne de M. Jean-Louis Bianco, afin de préparer dans les meilleures conditions ce projet de loi, grâce à une consultation préalable la plus large possible.
Je ne dispose pas pour l'instant d'informations particulières concernant le rapport de M. Bianco ; la règle du jeu est en effet, en la matière, celle de la plus grande indépendance, jusqu'à la remise du rapport.
Mais vous aurez demain soir le privilège de la présence de M. Bianco, dont vous connaissez la grande expérience personnelle et la capacité d'écoute. Il doit venir tirer les conclusions de votre table ronde. Je suis certain que vous saurez appeler son attention à partir de vos débats.
Nos initiatives respectives, la vôtre en tant que participants à ce symposium sur la gestion durable, et celle du Premier ministre, sur ma proposition, se rejoignent donc bien de façon heureuse dans le calendrier, et c'est aussi pour cela que j'ai tenu à vous apporter tout mon soutien.
Les spécificités des forêts européennes existent bien, par rapport aux autres grandes régions éco-géographiques : pays développés pionniers, Amérique du Nord, Australie et Nouvelle-Zélande, pays tropicaux et autres pays en développement, Russie.
Elles tiennent, pour l'essentiel, en trois points :
1°) à un rôle reconnu de l'Etat, et plus généralement de la puissance publique ayant introduit de longue date un certain nombre de contraintes dans la gestion forestière, et ce, dans l'intérêt général. Il s'agit là clairement d'un acquis vis-à-vis des préoccupations de gestion durable.
2°) à l'importance relative de la propriété privée, et aussi à celle des collectivités locales, avec comme corollaire le morcellement foncier qui, s'il ne saurait constituer à lui seul une garantie de biodiversité, est toutefois un élément favorable en ce sens et un stabilisateur vis-à-vis de l'intensification de la gestion.
3°) au concept de « multifonctionnalité » des forêts et à l'inadéquation, dans notre contexte, d'un modèle visant à la spécialisation des forêts, sylviculture intensive d'un côté, forêts naturelles de l'autre.
Ces spécificités font qu'en comparaison des grands problèmes forestiers mondiaux (déforestation dans les pays tropicaux, incendies…) la situation de nos forêts européennes peut apparaître privilégiée.
En France par exemple, sa surface continue à augmenter régulièrement. Elle a pratiquement doublé depuis le début du 19e siècle… même si la concentration des populations dans les villes, fait que nos concitoyens perçoivent mal cette réalité.
Mais il serait illusoire de penser que cette situation globalement satisfaisante au plan européen, nous met à l'abri des grands débats internationaux sur les forêts nous voilà revenu au point de départ de mon propos !
Je ne peux donc pas conclure sans évoquer le chantier de la certification forestière, même s'il est clair que cette question n'est pas au centre de vos préoccupations aujourd'hui.
Je me limiterai donc à apporter une précision qui mérite à mon sens d'être clairement faite, et qui tient aux rôles respectifs de l'intervention publique, notamment de l'Etat, et du marché.
Il faut bien distinguer deux problématiques : celle de l'authentification de la gestion durable, au niveau de la gestion forestière elle-même, et celle des certifications labellisations, au niveau des produits.
S'agissant d'authentification de la gestion, l'Etat est totalement dans son rôle qu'il aide à la mise en place de procédures contractuelles entre tous les acteurs concernés.
De même, s'agissant de la certification, lorsqu'il aide à la prise en compte des caractéristiques particulières des forêts de son territoire national, dans le cadre des procédures de normalisation de type ISO, afin que les normes internationales soient mieux adaptées.
Mais, sur ce point, il ne faudrait pas en conclure que la « France a choisi ISO ». Ce serait abusif.
La France n'a pas choisi, et ne choisira pas en ces termes. S'agissant là de procédures de certification, ce sont les acteurs du marché qui choisiront. Rappelons en effet qu'il s'agit là d'une décision de leur ressort exclusif, et d'une procédure qui doit dans tous les cas demeurer volontaire et libre.
Les acteurs et opérateurs ont d'ailleurs un choix de plus en plus vaste entre diverses procédures de certification, avec ou sans labellisation : FSC, ISO, EMAS, écolabels, certifications d'origine. Mais la véritable question demeure toujours la pertinence de cette certification sur le marché, les consommateurs n'ayant d'ailleurs pas exprimé à ce jour, me semble-t-il, une demande réellement claire et solvable.
Ils sont donc un peu déboussolés face à cette prolifération des sigles, et souhaiteraient, à juste titre, qu'une harmonisation soit effectuée.
J'ai cru comprendre que la Commission de Bruxelles travaillait dans ce sens : peut-être M. Anz pourra-t-il en dire davantage sur ce point. Qu'il soit en tout cas persuadé que la France appuiera toute démarche de mise en cohérence dont l'initiative serait prise au plan européen pour permettre au moins une reconnaissance mutuelle des différents processus de certification, et une harmonisation minimum.
Avant de terminer, je souhaite revenir sur la notion de contrat qui me paraît fondamentale à un triple point de vue :
- celui de la nécessité d'associer tous les acteurs exprimant des besoins vis-à-vis des forêts : propriétaires, gestionnaires, usagers et utilisateurs divers y compris ceux représentatifs des nouvelles attentes.
- celui de la cohérence d'ensemble de la gestion des territoires : la gestion des territoires forestiers ne doit pas se faire indépendamment de celle des espaces agricoles. Ils doivent ensemble participer aux mêmes objectifs de développement durable définis au niveau territorial, avec sans doute demain les mêmes logiques de contrats négociés.
- et enfin celui de la renégociation et sans doute d'une nouvelle légitimation, pour l'ensemble des acteurs forestiers, de leur place au sein de la société.
Je sais que cette initiative de Versailles a mobilisé fortement pour sa préparation autant les ONG que l'ensemble des partenaires de la filière « forêt-bois-papier », bien au-delà de l'administration qui n'a fait que le mettre en forme… et ceci au plan national comme européen.
Que tous soient ici remerciés, et bon travail à vous tous.