Texte intégral
La France a besoin d’une réforme fiscale pour financer ses besoins collectifs, pour rendre plus juste la distribution des revenus et pour favoriser l’emploi. Le contenu de la réforme dépend, bien sûr, de l’idée que l’on se fait de l’évolution des dépenses collectives.
La droite, qui réclame toujours moins d’État, moins de services publics, moins de solidarité, n’a naturellement pas la même perspective que nous. Mais ne nous leurrons pas : les économies liées à une meilleure efficacité de la dépense publique – même si elles doivent être recherchées, comme le demandent à juste raison les contribuables – n’apporteront pas de miracle, d’autant que les besoins à satisfaire sont immenses dans les domaines, par exemple, du logement social, de l’éducation, de la santé ou du financement de la retraite. Ne pas y répondre accroîtra encore la fracture sociale.
L’enjeu de la politique fiscale est d’abord celui de la répartition de l’effort des contribuables. Nous savons qu’en France, comme le rappelle le rapport Ducamin, réalisé à la demande de MM. Balladur et Sarkozy, « l’augmentation des prélèvements sur les ménages a pris principalement la forme d’une taxation accrue du travail, tandis que la taxation des revenus du capital enregistrait une diminution notable » … Et ce déséquilibre s’est produit alors que la part des salaires dans le revenu national a baissé plus qu’ailleurs et plus bas qu’ailleurs.
C’est vrai que les socialistes, comme la droite, ont leur part de responsabilité dans cette évolution, mais est-ce une raison pour ne pas reprendre le sujet ?
C’est au regard de cette situation – répartition des richesses défavorable aux salariés accentuée par la politique fiscale – qu’il faut analyser les projets du gouvernement et faire des propositions.
Il faut d’abord, sans doute, prendre la mesure de la réforme annoncée : alors qu’en un an 120 milliards de francs ont été prélevés sur l’ensemble des Français par une hausse record des prélèvements obligatoires (augmentation de la TVA et taxes diverses, création du RDS), M. Juppé nous propose aujourd’hui d’en redistribuer le sixième à la moitié des Français les moins défavorisés, ceux qui paient l’impôt sur le revenu. Voilà qui est juste en effet !
Si on y regarde de plus près, on se rend compte que l’équité annoncée de cette réforme est un trompe-l’œil comme l’avait été sur ce point le RDS, qui taxait de 0,5 %, de la même façon, les 3 500 francs que peut recevoir mensuellement un chômeur, et les millions de francs de revenu d’assurance-vie exonérés de tout prélèvement.
Bien sûr, comme l’avait proposé Lionel Jospin, il faut simplifier l’impôt sur le revenu des personnes physiques et supprimer un certain nombre d’exonérations et d’avantages spécifiques. Dans ce domaine, attendons les propositions précises de M. Juppé pour en juger.
La substitution de la CSG à la cotisation assurance-maladie, envisagée par le gouvernement, serait une orientation positive si on préservait les revenus les plus faibles de l’augmentation de la CSG, et si la CSG n’était pas partiellement déductible de l’impôt, comme on vient de l’annoncer, car cela pénalise les Français les plus modestes.
Mais à qui fera-t-on croire que la réforme fiscale proposée par le Gouvernement est juste ? L’impôt sur le revenu est le seul impôt progressif. Sa part dans le total des prélèvements est beaucoup plus faible en France qu’ailleurs : de l’ordre de 13 % contre le quart en Allemagne, au Japon et dans l’UE, et environ le tiers aux États-Unis.
Baisser l’impôt sur le revenu, c’est encore atténuer cette progressivité, surtout après avoir augmenté la TVA, la cotisation maladie des retraités… qui touchent naturellement beaucoup plus fortement les catégories modestes que celles qui disposent de revenus élevés.
Ainsi, au bout de cinq ans, un couple marié avec deux enfants qui déclare 10 millions de francs par an peut gagner jusqu’à 700 000 francs de réduction d’impôt. Celui qui déclare 160 000 francs annuels va gagner 5 00 francs. De même, un célibataire qui gagne 5 800 francs mensuels ne verra son revenu disponible augmenter que de 2 % au bout de cinq ans, alors que celui qui gagne 80 000 francs le verra augmenter de 10 % et celui qui gagne 1 million par mois, de 20 %. Où est l’équité ?
Ce sont les 120 000 ménages qui déclarent un revenu net imposable de 200 milliards de francs qui bénéficieront de cette réforme et non les quelques centaines de milliers qui économiseront quelques centaines de francs en ne payant plus d’impôt.
À quel prix se fera ce cadeau fiscal ? Au prix d’un chômage croissant, les premières conséquences sur le budget 1997 étant une réduction des effectifs dans les hôpitaux, les écoles… et une baisse des crédits pour l’emploi.
Il faut aussi naturellement accroître la contribution des revenus financiers aux dépenses collectives. C’est possible sans bouleversement. Simplement en soumettant au droit commun de la fiscale de l’épargne tous les revenus financiers, à l’exception de l’épargne populaire.
En contrepartie, les charges sociales doivent être diminuées significativement, à la fois pour améliorer les salaires des ménages et la consommation, et pour diminuer le poids des coûts salariaux pour les industries de main-d’œuvre et ainsi améliorer l’emploi.
Enfin, on ne peut éluder une réalité : les patrimoines sont de plus en plus concentrés : 5 % des ménages en possèdent près de 40 %, 10 % plus de la moitié ; 40 % des Français en ont, au total moins de 4 %. Le phénomène s’amplifie, du fait de l’évolution démographique – les familles sont moins nombreuses – et du niveau élevé du taux d’intérêt réel. Peut-on accepter dans ce contexte de ne pas examiner la fiscalité du patrimoine et des successions, en particulier celle de l’assurance-vie, toujours exonérée quel que soit le niveau, et malgré les engagements pris ?
La fiscalité révèle bien les priorités d’une politique. Aujourd’hui, l’objectif du Gouvernement, c’est de satisfaire sa clientèle, alors qu’une réelle réforme permettrait d’accroître la justice sociale et l’emploi. Nous le proposons. Les Français jugeront.