Interview de M. Jack Lang,membre du PS, dans "Le Figaro" le 5 mars 1998, sur le bilan des neuf premiers mois d'action du gouvernement de Lionel Jospin et sur la campagne des élections régionales.

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Circonstance : Elections régionales le 15 mars 1998

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

LE FIGARO. : Le gouvernement table sur un taux de croissance de l’économie française de plus de 3 % en 1998. Partagez-vous son optimisme ?

JACK LANG : L’optimisme du gouvernement est confirmé par les prévisions concordantes des experts. Le chiffre de 3 % est solide et sérieux.

LE FIGARO : Le gouvernement ne recueille-t-il pas les fruits des efforts entrepris par le gouvernement Juppé ?

JACK LANG : N’engageons pas de bataille en paternité. Le gouvernement Jospin a réussi, par la qualité de son organisation, la solidité de ses engagements, la pugnacité de ses ministres, à créer une sorte d’électrochoc dans le pays. Ce coup de fouet a redonné la pêche aux investisseurs et aux consommateurs. Le gouvernement est parvenu à la foi à maîtriser avec rigueur les comptes publics et à introduire progressivement une part croissante de justice fiscale et sociale.

LE FIGARO : Comment doit-on répartir les fruits de la croissance ?

JACK LANG : Il faut à la fois être prudent et ambitieux. La prudence s’impose à l’évidence pour les comptes publics. Nos finances sont loin d’être assainies. La dette publique est encore trop importante. Loin de nos laisser griser par la reprise, redoublons au contraire nos efforts de lutte contre les gaspillages et les déficits.

LE FIGARO : Vous n’êtes donc pas favorable à la politique de facilité conduite sous le gouvernement Rocard à la fin des années 80 ?

JACK LANG : Les légendes se construisent facilement et ensuite elles ont la vie dure. Certains économistes, en désaccord avec cette analyse caricaturale, estiment que la gestion de Michel Rocard a été plus rigoureuse qu’on ne veut bien le retenir. Tournons-vous plutôt vers l’avenir. La sagesse de notre gestion financière doit être au service d’une ambition exaltante : bâtir une France prospère et créatrice de richesses et d’emplois. Des pans entiers de notre système de production méritent d’être profondément modernisés, vivifiés, tonifiés. Priorité doit donc être donnée à l’innovation technologique, la créativité industrielle, la mise en valeur de gisements encore inexplorés, dans des domaines comme l’agriculture, les biens immatériels, les industriels de la création. Il faut tout faire pour faciliter, comme aux États-Unis et en Angleterre, la création rapide des petites entreprises. Le rôle de l’État est d’être l’animateur de ce grand mouvement de créativité économique.

LE FIGARO : De quelle manière ?

JACK LANG : Puisque trop de banques devenues pépères ont perdu l’esprit d’entreprise, le goût du risque, de l’audace, la puissance publique doit prendre le relais et faciliter des systèmes de capital-risque pour des entreprises décidées à inventer, à innover, à défricher. Ce qui me frappe le plus, c’est le divorce entre l’audace américaine et un certain déclin européen. Nous devons profiter du retour de la croissance pour accélérer le mouvement d’invention, de recherche, de découverte. Ensemencer partout dans le pays, irriguer par toute une série de micro-initiatives.

LE FIGARO : Ce n’est pas une approche socialiste. C’est même plutôt libéral…

JACK LANG : Je crois beaucoup aux capacités d’initiatives des jeunes chefs d’entreprise ou des chercheurs. Il faut les encourager. Pas les dégoûter. La puissance publique, qu’elle soit nationale ou locale, doit être constamment en éveil, pour soutenir tout ce qui dans un pays veut bouger, inventer, transformer. La gauche c’est le parti du mouvement : le mouvement des idées, le mouvement des travailleurs, mais aussi le mouvement des investisseurs et des entrepreneurs, producteurs de richesses.

LE FIGARO : Le coût de la future loi sur l’exclusion, le coût des 35 heures, celui des emplois-jeunes ne risquent-ils pas de casser la reprise ?

JACK LANG. : Dynamique économique et justice sociale doivent avancer d’un même pas et se nourrir l’une l’autre. Le moment est sans doute venu de procéder à vraie radiographie de l’efficacité des diverses mesures d’exonération fiscale en faveur des créations d’emplois. Les arbitrages et les redéploiements devront permettre de financier les mesures sur l’exclusion ainsi que celles sur les jeunes, sans augmenter les impôts. Il faut s’en tenir, sinon à une diminution des prélèvements, que je crois souhaitable, au moins à une stabilisation.

LE FIGARO : Quel bilan tirez-vous des neuf premiers mois de Lionel Jospin ?

JACK LANG : Le gouvernement a abattu un travail considérable. Il a ouvert avec talent de nombreux chantiers. Mais je souhaite qu’il aille encore plus loin. Notamment dans quatre domaines. Tout d’abord, il faut réviser en profondeur la politique du logement. Les phénomènes liés à l’hyper concentration dans les ghettos ne seront jamais résolus, même par un nouveau ministère de la ville, si on ne se décide pas à faire habiter dans d’autres communs une partie de ceux qui souffrent dans les grands ensembles. Pourquoi ne pas lancer un plan massif de construction de logements sociaux dans des communes qui en sont dépourvues ? Des communes urbaines mais aussi rurales qui en ont besoin pour se revitaliser. Autre exigence : si les ministres concernés ont ouvert de bonnes pistes, il y a une urgence absolue à s’attaquer à l’échec scolaire à l’école et aux collèges où il faut être plus révolutionnaire. Même constat pour les premier et deuxième cycles universitaires qui sont dans l’impasse. Troisième sujet : la sécurité. Le discours du Premier ministre à Villepinte était remarquable. Les premières mesures vont dans le bon sens. Mais je vous le dis franchement, le maire que je suis estime que ce n’est absolument pas à la hauteur des besoins. Quatrième souhait : j’aimerais que notre présence scientifique et culturelle dans le monde, aujourd’hui en grave recul, soit revitalisée par un plan d’envergure. Ce serait un formidable atout économique politique et diplomatique.

LE FIGARO : Vous étiez assez réservé sur le projet du gouvernement de non-cumul des mandats ?

JACK LANG : Je suis favorable à ce projet, à la condition qu’il s’articule avec d’autres changements ; Pour reprendre l’image de Montesquieu, la démocratie parlementaire s’apparente à un système d’horlogerie. Si vous enlevez une pièce, tout se détraque. On ne peut pas se contenter de supprimer le cumul des mandats sans corrélativement modifier la logique même du système. Ce projet n’est concevable que si la France se dote enfin d’un vrai Parlement, avec des moyens de contrôle de l’exécutif et de pleine maîtrise de l’élaboration des lois. Cette réforme devrait s’accompagner aussi de la réduction à cinq ans de tous les mandats électifs et de l’adaptation des modes de scrutin.

LE FIGARO : Quel est votre pronostic pour les régionales ?

JACK LANG : Les Français émettront un vote de confirmation et de ratification de notre action. Il s’apparentera à un troisième tour des élections législatives. Il aura en même temps valeur d’encouragement pour le gouvernement qui, ainsi conforté pourra rebondir plus loin et plus fort. Les nouvelles équipes régionales amplifieront l’action de l’État. Derrière la locomotive du gouvernement, les Français doivent accrocher le plus de wagons possible.

LE FIGARO : Souhaitez-vous que les alliés du PS gèrent des exécutifs régionaux ?

JACK LANG : La démocratie c’est le pouvoir du peuple. Au sens étymologique. Au sens commun aussi. Ce n’est pas dans les officines des partis politiques, à Paris, qu’on peut choisir les présidents de région. Ce sont les électeurs qui se détermineront par leur vote.

LE FIGARO : Que pensez-vous de l’attitude de la droite dans cette campagne ?

JACK LANG : La droite n’a pas encore été en mesure de se refaire une santé. Certains de ses leaders, par leur silence, anticipent peut-être même une défaite.

LE FIGARO : Craignez-vous des alliances entre la droite et le FN pour la présidence des régions ?

JACK LANG : Là où nous obtiendrons une majorité relative, nous revendiquerons naturellement la présidence de la région. Là où la droite sera en tête, nous lui reconnaîtrons évidemment le droit de diriger la région. C’est d’une simplicité biblique. Si la droite, nationalement et localement, est loyale à l’égard des citoyens, il n’y aura pas de « président-honteux », élus avec les voix de l’extrême droite. La droite doit faire preuve de sens civique et des responsables ne doivent pas se laisser souiller, salir, déshonorer par des alliances secrètes. Qui au demeurant seraient aussitôt éventées.