Texte intégral
La Lettre de la Nation Magazine – N° 350 - 5 juillet 1996
La Lettre de la Nation Magazine : Vous êtes ministre de la Jeunesse et des Sports depuis un an. Comment se porte le Sport aujourd’hui en France ?
Guy Drut : Mieux que jamais. Le sport aujourd’hui en France affiche une santé solide puisqu’il demeure la première activité de loisir de concitoyens. Quelque vingt millions de Français pratiquent une ou plusieurs disciplines sportives. L’expansion des marchés économiques liés à la pratique sportive de masse en témoigne : le marché des articles de sport est plus que florissant dans notre pays. D’autres marchés professionnels sont également concernés à des titres divers par cette pratique sportive de masse. Je peux vous donner des exemples : les spectacles sportifs, vus sur les stades, diffusés par la télévision ou commentés par la presse écrite spécialisée ; le bâtiment et les travaux publics impliqués dans la construction des équipements sportifs ; les appareils électroniques de pointe – l’évaluation des performances et la sécurité des concurrents exigent désormais leur utilisation constante – ; les transports, l’immobilier, les assurances et les emplois saisonniers qui, tous, directement ou non, dépendent en partie de la pratique sportive régulière ou épisodique de près du tiers de la population française.
La Lettre de la Nation Magazine : Quel sens donne-t-on à la pratique d’un sport aujourd’hui ?
Guy Drut : Indépendamment des bienfaits désormais bien connus de la pratique sportive – équilibre psychique, amélioration des capacités physiques et intellectuelles de l’individu –, la pratique du sport est aujourd’hui investie d’une ambition nouvelle liée aux aspects de « sociabilité » contenus dans la notion même du sport. C’est pourquoi la politique que je mène dans le domaine sportif doit amener à ouvrir plus largement encore l’accès à la pratique sportive aux personnes isolées, aux femmes, aux personnes âgées ou handicapées. Le sport doit acquérir une dimension civique de formation de l’individu : les valeurs positives de respect de soi-même et de l’adversaire, la réhabilitation de la compétition doivent en faire un relais de l’enseignement reçu en famille et à l’école. Il doit devenir un moyen d’intégration des populations des quartiers défavorisés ou des populations d’immigrés. Un effort comparable est désormais accompli en faveur du monde rural où les besoins en matière d’équipement et surtout d’animation sont importants. La promotion de l’esprit sportif permet également de rassembler nos concitoyens autour de valeurs communes incarnées par le sport et de battre en brèche ce qui le dénature : la violence, le chauvinisme, la tricherie.
La Lettre de la Nation Magazine : Vous avez souhaité contribuer au développement de l’emploi par le sport. Quelle action menez-vous en ce sens ?
Guy Drut : Le plan sport-emploi part du constat que le sport est créateur d’emplois car la demande sportive augmente actuellement en France. Une analyse de celle-ci fait ressortir cette forte tendance à la fois chez les jeunes à travers l’aménagement des rythmes scolaires, mais aussi chez les adultes, avec la réduction du temps de travail et enfin chez les personnes plus âgées disposant d’un potentiel physique certain et d’un pouvoir d’achat augmenté. Le plan sport-emploi a donc pour objet de répondre à plusieurs questions issues de cette observation et de proposer des solutions. Premièrement en facilitant l’embauche de professionnels : les structures profession-sport ainsi que le « passe-sport-emploi » constituent les deux dispositifs destinés à répondre aux petites associations ne disposant pas encore d’un potentiel qui permette de déboucher sur une embauche pleine. Deuxièmement, en accompagnant le recrutement de professionnels par une aide financière sur trois ans : deux mesures vont dans ce sens. L’une concerne les emplois locaux – il s’agit d’emplois d’encadrement de l’activité elle-même, mais aussi de tout emploi lié à l’entretien, à l’accueil, à la direction d’un club ou d’un centre –, l’autre concerne les emplois nationaux, régionaux ou départementaux pour étoffer l’encadrement technique des fédérations et de leurs relais territoriaux. Troisièmement, en développant le lien entre le sport et l’économie : deux autres mesures ont pour objectif de favoriser les liens durables entre le sport et les entreprises. L’une, le projet GIP Olympole, touche au sport de haut niveau et tend à rapprocher les investisseurs publics et privés dans ce domaine. Elle en complète une seconde qui, au travers de l’utilisation ou de l’organisation de manifestations, a pour objectif de construire avec d’autres organismes compétents (DATAR, CFCE) des opérations de promotion territoriale et ainsi de favoriser l’implantation d’entreprises. Enfin, en construisant l’offre : le rapprochement des clubs, de structures municipales, de sociétés commerciales doit permettre à l’échelon d’un territoire (canton, pays…) de rassembler cette offre, d’atteindre le seuil nécessaire pour envisager certains emplois, voire investissements, mais aussi de mieux communiquer pour accueillir les différentes demandes locales et extérieures.
La Lettre de la Nation Magazine : Quels sont vos partenaires dans ce programme ?
Guy Drut : Les partenaires sont multiples : clubs, structures municipales, partenaires privés sont à la base de l’offre sportive. Je compte m’appuyer sur les organismes fédérateurs. Le ministère de la Jeunesse et des Sports entretient des relations contractuelles avec les fédérations, notamment au travers des conventions d’objectifs. En juin, nous avons atteint près de 500 créations d’emplois de niveau départemental ou régional. Parmi ces emplois créés, certains ont un profil technique de type conseiller technique régional (CTR) ou conseiller technique départemental (CTD), mais un grand nombre se rapproche plus du profil d’agent de développement, d’où un engagement des fédérations à se rapprocher de plus en plus de leur base, les clubs, et à aider ceux-ci à construire leur propre plan de développement local, qui plus concrètement se traduira par la création d’emplois locaux.
La Lettre de la Nation Magazine : Vous êtes également ministre de la Jeunesse. Mais traiter les problèmes de la jeunesse, n’est-ce-pas typiquement du domaine de l’interministériel ?
Guy Drut : La tâche que je me suis assignée est de permettre aux générations nouvelles de réussir leur entrée dans le monde des adultes, de gagner leur autonomie. Chaque jeune, quels que soient son origine sociale, géographique, son niveau d’études, doit trouver sa place au sein de la communauté nationale. Ma volonté, pour réussir ce passage, est de l’aider à accéder à son premier stage de formation, à son premier logement, à son premier emploi, à créer son entreprise… Cette démarche, pour aboutir, ne peut en effet être que transversale : elle nécessite d’actionner des leviers dans des domaines aussi différents que le secteur social, associatif, éducatif, culturel, de l’animation, de l’intégration ou de la prévention. Elle doit d’ailleurs démarrer dès l’enfance pour permettre une meilleure éducation, un plus grand épanouissement.
La Lettre de la Nation Magazine : Pour permettre cette meilleure formation, le gouvernement a engagé une réforme des rythmes scolaires dont vous êtes l’un des artisans. Qu’en attendez-vous ?
Guy Drut : Cette réforme des rythmes scolaires vise d’abord à donner une plus grande place aux disciplines sportives, culturelles ou d’éveil. Mais elle se veut plus ambitieuse. Elle veut permettre à l’école de devenir outil d’éducation autant que d’instruction, capable de préparer les jeunes à leurs futures responsabilités de citoyens. Ses objectifs sont multiples : lutter contre l’échec scolaire en adaptant le rythme scolaire aux besoins des enfants, afin que les journées soient moins chargées et moins fatigantes et les apprentissages fondamentaux puissent être plus facilement assimilés par tous ; garantir l’égalité des chances et lutter contre la violence en donnant une plus large place aux disciplines de la sensibilité ; lutter contre le désœuvrement et la délinquance en offrant à tous les jeunes des activités gratuites et de qualité ; préparer les jeunes aux évolutions rapides de la société auxquelles ils seront inévitablement confrontés en éveillant très tôt leur curiosité et leur capacité d’adaptation par la pratique d’activités très variées.
La Lettre de la Nation Magazine : Où en est-on de la mise en œuvre de cette réforme ?
Guy Drut : J’ai proposé, dès octobre 1995, aux municipalités volontaires de se porter candidates pour devenir sites pilotes pour l’aménagement des rythmes scolaires. En janvier 1996, 200 sites ont été retenus pour travailler localement sur ce dossier dans la concertation la plus grande possible. Courant mai, 177 sites ont confirmé leur démarrage ou l’extension des projets déjà engagés pour certains d’entre eux à la rentrée prochaine. Plus de 100 000 enfants seront donc concernés par de nouveaux aménagements de leurs rythmes scolaires pour l’année 1996-1997. Les zones franches désireuses de s’associer à ce dossier se trouvent, elles, dans un calendrier un peu différé.
La Lettre de la Nation Magazine : Peut-on imaginer que la réforme, malgré son coût, soit généralisée à l’ensemble des écoliers ?
Guy Drut : Durant la prochaine année scolaire, il est prévu de suivre de très près le déroulement des projets retenus, notamment en ce qui concerne les coûts et les conditions nécessaires à leur généralisation. L’Education nationale, dans cette logique, propose de mettre en place de nouveaux rythmes scolaires sur la totalité de deux départements. Les modalités et les calendriers d’une éventuelle extension ne seront envisagés qu’après une période significative d’expérimentation. Pour 1997, je veux passer de 100 000 à 300 000 enfants.
La Lettre de la Nation Magazine : Revenons-en au sport. Un des grands évènements à venir pour la France, c’est la Coupe du monde de football en 1998. Où en est-on de la construction du Stade de France ?
Guy Drut : Les travaux de construction du Stade de France avancent en conformité avec le calendrier prévu. Près des trois quarts de l’ossature en béton est coulée et plus de la moitié des murs intérieurs sont réalisés. Les corps d’état techniques (électricité, plomberie, ventilation, etc.) et les aménagements architecturaux démarrent actuellement. La prochaine grande étape de la construction du Stade de France débutera en août. Il s’agit de la pose du toit. Opération délicate, réalisée au moyen de deux grues de taille exceptionnelle. Le toit en lui-même, dont le montage s’étalera sur plus d’un an, pèsera 13 000 tonnes (le poids d’une tour Eiffel et demie) et aura une surface de 6 hectares (l’avenue des Champs-Elysées !) Il flottera au-dessus du stade, soutenu par 18 aiguilles et sera capoté pour lui donner un profil d’aile d’avion. Sa forme en ellipse conférera à l’ensemble du Stade de France son image d’universalité. C’est une première mondiale : on n’a jamais posé un toit de cette dimension à 50 mètres de haut.
La Lettre de la Nation Magazine : Les jeux Olympiques débutent dans quelques jours. Vous avez-vous-même fêté cette année le vingtième anniversaire de votre médaille d’or. Cette médaille reste-elle le meilleur souvenir de votre carrière sportive ?
Guy Drut : La médaille d’or des jeux Olympiques de Montréal est le fruit d’un parcours qui fut long et difficile. Remporter une finale olympique représente aux yeux de tous les athlètes l’objectif ultime. C’est un moment intense, inoubliable, comme il en existe très peu dans la vie d’un homme. J’ai ainsi conservé les images et sensations de chaque instant de cette finale. Cette médaille demeure bien évidemment le meilleur souvenir de ma carrière sportive qui fut riche en joies et émotions.
La Lettre de la Nation Magazine : Vous risquerez-vous à faire un pronostic quant au nombre de médailles que la France peut remporter à Atlanta ?
Guy Drut : Faire un pronostic est un exercice toujours périlleux. La France possède des valeurs sûres dans des sports comme l’aviron, le canoë-kayak, le judo, l’équitation, le cyclisme, le handball et le football mais, aux jeux Olympiques, la performance de l’athlète reste la seule vraie référence. Pour Atlanta, souhaitons que la France s’approche du résultat de Barcelone.
France Inter - mardi 16 juillet 1996
France Inter : Pensez-vous que les propos du chef de l’Etat le 14 juillet dernier aient été de nature à mobiliser les Français ?
Guy Drut : Je crois qu’il y a le ton, la forme et le fond. Moi j’ai trouvé que J. Chirac, puisque ça va être l’ouverture de Jeux Olympiques, se comportait comme un véritable champion. Il est calme, serein, déterminé. Je crois qu’il a confirmé les grands axes de sa politique, sans toutefois éviter les écueils, les obstacles, les difficultés qui sont multiples. On a vu un Président réaffirmer sa volonté de travailler dans le long terme. Et puis, il y a déjà des réformes qui ont quand même été sérieusement mise en place. Je pense au service national, à la réforme de la Sécu, au processus de modification de toute l’Education nationale aussi qui n’est pas facile, vous le savez, à la réforme des finances publiques, de la gestion de la dette. Depuis trop longtemps, on dit : il faut. Et bien là, avec J. Chirac et A. Juppé, nous le faisons. Il a aussi insisté sur le rôle des parlementaires, sur le rôle des ministres et pour mon secteur particulier, je vais entamer ou plutôt poursuivre un tour de France pour aller vers les jeunes, pour aller discuter avec eux, les écouter parce qu’ils sont plein d’idées, plein de créativité.
France Inter : Que pensez-vous de la décision de fermer l’université de Jussieu ?
Guy Drut : Ca provoque des réactions parce qu’on ferme mais ça a provoqué des réactions parce qu’on ne fermait pas Jussieu. Alors, il faut savoir ce qu’on veut. Le président de la République a pris une décision tout à fait sage. Je peux en parler en connaissance de cause puisque le siège du ministère de la Jeunesse et des Sports est amianté. Nous avons pris les décisions, les dispositions pour effectuer un déménagement qui est normal. Mettez-vous à la place de ces gens qui, depuis des années et des années, travaillent dans une atmosphère amiantée. C’est inadmissible. Avant la décision, on râle parce qu’elle n’est pas prise. Une fois qu’elle est prise, on râle parce qu’elle est prise. Je crois qu’il faudrait qu’on mette un peu de cohérence dans toutes nos actions et nos réactions.
France Inter : On a appris que les cadres sportifs français ne seront plus rémunérés par le ministère. Le président du Comité national olympique français a vivement réagi en disant que cela mettrait le mouvement sportif en danger.
Guy Drut : Ils seront toujours rémunérés. Cette mesure fait suite aux réductions budgétaires de chaque ministère, ce qui est quand même normal. Mais elle pose encore beaucoup de problèmes, notamment techniques et pratiques. Je comprends un peu l’inquiétude des athlètes qui ont pris cette information brute de décoffrage, mais surtout de leurs entraineurs.
France Inter : Est-ce que c’était judicieux de l’annoncer trois jours avant l’ouverture des Jeux ?
Guy Drut : c’est un épiphénomène. Ils ont pris ça en pleine tête. Mais je ne vais laisser le sport français entrer dans un processus de mort lente. Je crois que depuis suffisamment longtemps, je prouve être réellement l’avocat du sport. C’est mon rôle, mon travail de faire comprendre aux uns et aux autres que le sport, c’est aussi une éducation. Il y a les rythmes scolaires qui sont en route. C’est aussi une économie. Le sport est l’un des rares secteurs où il y a eu des créations d’emplois. Il y a eu 3 000 créations nettes d’emploi dans les six premiers mois de l’année. C’est quand même une chose importante. C’est aussi une intégration. Le sport est aussi social et moral. C’est une haie à la fois, un obstacle après l’autre. J’ai entrepris une grande réforme pour donner au sport français les moyens de son développement, ça ne se fait pas du jour au lendemain, il faut encore une implication publique assez forte. Je m’attache à la défendre et je le répète, comme le dit souvent le président de la République : une haie après l’autre. On ne peut pas à la fois réformer et rationner. Il y a un temps pour tout. C’est ce que je m’efforce de faire.
France Inter : Aux derniers JO de Barcelone, la France avait obtenu 29 médailles, combien en espérer à Atlanta ?
Guy Drut : La même chose plus une. C’est ce que j’espère. Maintenant, on va voir ce qui va se passer. A Barcelone, il y avait 175 pays, là il y en aura 197 avec l’explosion de toutes ces républiques du bloc de l’Est qui sont en plus des nations de culture sportive, ce que n’est pas tout à fait encore la France. C’est aussi ce que je m’efforce de faire. Je crois que nous aurons quelques difficultés malheureusement en athlétisme mais il y a d’autres disciplines qui se portent mieux.
France Inter : Nous avons 317 athlètes à Atlanta contre 354 à Barcelone, pourquoi cette diminution ? Jusqu’à présent, on envoyait des espoirs ?
Guy Drut : Il y a le critère des jeunes qui a été pris en compte mais quand je regarde les dates de naissance de certains, je me demande à quel moment commence ou se termine aussi la jeunesse. Ce n’est pas le critère essentiel. Maintenant, étant donnée la valeur inestimable de l’argent public, quand on voit ce qui se passe dans la rue, quand on voit la difficulté des uns et des autres, j’estime qu’on ne peut plus prendre la participation aux JO comme une simple récompense. C’est un mérite, ça se mérite. Quand on fait du sport de compétition, il faut accepter le cahier des charges.
France Inter : Le dopage est un peu à la une en ce moment, c’est un problème grave ?
Guy Drut : C’est très grave. C’est l’un des excès qui menace le plus. Je parlais tout à l’heure de l’aspect moral du sport de compétition. Il faut garder au champion sa valeur d’exemplarité. Donc, il y a des dangers dont il faut se protéger comme les excès d’argent, le dopage, la tricherie. Nous avons mis les moyens. C’est un peu la politique du gendarme et du voleur.
France Inter : Mais n’est-on pas en retard d’une guerre ?
Guy Drut : On est toujours en retard d’une guerre. On fait ce qu’on peut avec les moyens que l’on a. Je travaille de façon très précise avec le professeur Galien, qui est un biologiste bien connu et apprécié du monde sportif. Je vais avoir des rendez-vous au niveau du CIO pour parler du dopage. Je crois qu’il ne faut pas systématiquement crier haro sur le baudet. C’est un peu manquer de respect par rapport à tous ces athlètes qui sont très nombreux et qui ne se dopent pas, qui sont des athlètes sains.
France Inter : Mais qui risquent comme dit le professeur Escande, de ne pas dépasser les quarts de finale.
Guy Drut : Mais ça fait six ans que le professeur Escande est président de la Commission de dopage et puis d’un seul coup, il se rend compte qu’il y a des problèmes. Il démissionne il y a deux mois et il se réveille avant les JO. Je ne souhaiterais pas que certains fassent du dopage également un fonds de commerce systématique. Je ne mets pas le professeur Escande dans ce cas-là, j’ai travaillé avec lui.
France Inter : Etes-vous d’accord avec le président Samaranche qui demande que les athlètes ne soient plus les seuls à être sanctionnés ?
Guy Drut : Ca fait deux ou trois ans que je le demande et je n’ai pas attendu d’être ministre pour le demander. Le mouvement sportif, c’est aussi un monde qui a son inertie particulière. Et à partir du moment où on décide quelque chose et où on le met en place, il y a aussi un laps de temps. C’est comme un décret d’application de loi.
France Inter : La Grande-Bretagne se voit exclue du tournoi des Cinq nations. Peut-on sérieusement imaginer un tournoi des Quatre nations ?
Guy Drut : Non, moi je ne peux pas l’imaginer mais rappelez-vous que j’avais quand même mis en garde le rugby français devant cette mondialisation du rugby. Donc, il ne faut pas éviter les problèmes mais au contraire les accepter pour mieux les maitriser et trouver des solutions.
France 2 - vendredi 19 juillet 1996
Daniel Bilalian : Guy Drut, c’est le ministre des Sports, mais aussi l’ancien médaillé olympique que je reçois. Tout de suite une image : Guy Drut, c’est votre victoire, c’était à Montréal. Pouvez-vous nous raconter ce que vous avez fait de cette médaille ? Est-ce que vous la regardez de temps en temps, est-ce que vous rêvez de cette course ?
Guy Drut : Je la sors, elle est au coffre. J’ai offert la médaille d’or à ma fille aînée, Elodie, et puis ma médaille d’argent à ma fille cadette, Lucie, et comme elle était en argent, j’ai ajouté celle de championnat d’Europe.
Daniel Bilalian : Cette course où à la fin, on ne sait pas si vous avez gagné, vous avez l’air d’hésiter, est-ce que vous la revivez parfois la nuit ? Est-ce un rêve, ou un cauchemar ?
Guy Drut : C’est un rêve, mais le fait que j’y pense la nuit, c’est quand même de plus en plus rare. Avec le temps, ça reste un merveilleux souvenir.
Daniel Bilalian : Je voudrais qu’on en vienne aux équipes de France qui sont présentes ici. Il y a plus de 300 athlètes qui représentent la France. Pensez-vous que les athlètes sont bien préparés, et vous nous voyez combien de chances de médailles par rapport à Barcelone ?
Guy Drut : J’espère qu’ils sont très bien préparés. Je vous entendais tout à l’heure parler de la chaleur. Ca va être un facteur très important. Mais les conditions sont les mêmes pour tout le monde, que ce soient les conditions climatiques, météorologiques, la qualité de l’eau, les pistes, etc… C’est ça qu’il faut dire aussi. Je crois que les athlètes qui sont là ont vraiment la volonté de bien faire. Moi, tout ce que leur demande, c’est de se faire plaisir un maximum, et d’avoir un comportement d’excellence, c’est-à-dire d’être, à ce moment-là, c’est-à-dire pendant la compétition, au mieux de leurs dispositions physiques.
Daniel Bilalian : Il y a un sujet de conversation important, ici, c’est le dopage. Certains vont très loin en disant que grosso modo les deux tiers des athlètes qui seront ici auront été dopés avant les Jeux pour ne pas être détectés pendant. Pensez-vous que c’est très grave ?
Guy Drut : Le dopage est très grave. Et c’est bien qu’on en parle, comme ça, ça permet de ne pas oublier la virulence du problème. Entre ceux qui exagèrent et ceux qui sous-estiment très largement, je crois qu’il faut savoir raison garder et observer un juste milieu. Il faut aussi avoir le plus grand respect pour ceux qui ne se dopent pas. Il y a des tricheurs, c’est vrai. Il y en aura toujours de toutes façons. Il y a aussi énormément d’athlètes qui sont sains. Pour ceux-là, au moins, il faut avoir un minimum de respect parce que c’est bien. C’est la fête du sport, il ne faut pas que cette fête soit entachée par ce genre de tricherie. Il y a des progrès qui ont été faits. Il faut en faire encore énormément. Nous aurons le temps d’y travailler, en France, avec les instances internationales, olympiques, les fédérations internationales. Et il faut vraiment out faire pour limiter au maximum la possibilité de tricherie.
Daniel Bilalian : Est-ce que c’est encore possible, parce qu’on se rend compte ici à Atlanta qu’il y a face à face disons, l’argent d’un côté, et puis l’idéal olympique de l’autre ?
Guy Drut : Tout est possible, mais l’idéal olympique, vous savez.
Daniel Bilalian : Est-ce que l’essentiel est encore de participer ?
Guy Drut : Moi, je vous ai dit : participer, c’est bien, mais participer à la victoire, c’est mieux quand même. Quand on fait du sport de haut niveau, c’est ce qu’il faut faire. Mais je crois que vous avez dit que c’était les Jeux du centenaire. Eh bien, ce sont les Jeux du centenaire, donc il va falloir maintenant rentrer dans le XXIème siècle, et s’y préparer, et, je crois, savoir évoluer en essayant de garder aux champions l’exemplarité, et puis d’essayer de faire en sorte de le protéger contre tout ces dangers que sont le dopage, l’argent, la violence aussi.
RTL - lundi 22 juillet 1996
Jacques Esnous : Bonjour, puisqu’il est midi à Atlanta.
Guy Drut : Oui il est midi et on fait vraiment du direct puisqu’il y a le 200 mètres, la quatrième série du 200 papillon qui vient de partir avec F. Esposito. Alors, vous voyez.
Jacques Esnous : Vous allez nous donner le résultat ?
Guy Drut : Je vous donnerai le résultat tout à l’heure, il faut attendre un peu moins de deux minutes.
Jacques Esnous : Justement, à votre manière, vous participez aussi aux J.O.
Guy Drut : Complètement.
Jacques Esnous : Parce qu’on vous voit partout là où il y a des médailles. Alors c’est quoi ? Vous avez des pressentiments ou vous leur portez chance ?
Guy Drut : Oh, je ne sais pas. C’est peut-être un peu tout. Non, il faut dire aussi que les athlètes français, enfin, les sportifs, les Françaises et le Français se comportent de façon admirable. Ils se battent, ils sont bien, ils sont dans le coup, ils sont heureux d’être là. Et puis bon, comme en général, ils sont bien préparés, on a quelques résultats qui sont de bon augure. C’est à eux essentiellement que revient le mérite.
Jacques Esnous : Oui ça, je m’en doute. Mais c’est vrai que les champions français sont au rendez-vous et ça, ça va faire taire quand même les râleurs que nous sommes quand même un peu tous devant nos postes de télévision, ici, en France, non ?
Guy Drut : Oui, oh, c’est un peu vrai, le Français est râleur de nature, mais finalement, il aime bien. Moi, ça ne me gêne pas quand on dit que nous sommes un peu cocardiers, bien au contraire. Et vous savez, il faut avoir voyagé comme j’ai pu le faire sur un peu tous les stades du monde pour savoir que nous sommes loin d’être les plus chauvins. Donc, j’estime que c’est normal que les Français soient satisfaits, soient contents quand leurs couleurs gagnent.
Jacques Esnous : Et pour l’avoir vécue en tant que champion, est-ce que vous croyez à la dynamique de la victoire au sein de l’équipe de France, mais toutes disciplines confondues parce qu’elles sont très différentes, quand même ?
Guy Drut : Non, non il n’y a aucun problème parce que c’est un état d’esprit général. C’est toute une délégation. Et puis, bon, si vous voulez je me souviens comment c’était à Montréal. On a attendu un bon moment les premières médailles. Le climat n’était pas extraordinaire. Alors que là, d’entrée de jeu D. Douillet a montré la voie, ensuite C. Cicot et puis, hier, il y a eu plusieurs médailles, ce qui est quand même assez exceptionnel. Et donc, — là, je crois que F. Esposito est pas mal on va voir ça.
Jacques Esnous : Alors donnez-nous le résultat.
Guy Drut : Ca, je ne peux pas vous dire. Je ne suis quand même pas un grand spécialiste de la chose. Ah, il est troisième en 1’58’’69. Je crois que ça va être juste.
Jacques Esnous : Là, c’était la qualification pour la finale ?
Guy Drut : Voilà, tout à fait.
Jacques Esnous : On va voir ça dans un instant avec le résultat final. On vous a vu mettre hier en relation téléphonique le président de la République avec J. Longo qui venait d’être sacrée championne olympique. C’était un coup de communication ou c’était vraiment la marque de l’intérêt du chef de l’Etat pour le sport ?
Guy Drut : Ah non, ça a été tout à fait spontané de ma part, parce que j’ai regardé ma montre, il était 20h en France. Donc, je me suis dit qu’il y avait de grandes chances que le président de la République soit à l’Elysée et comme vous vous souvenez quand même que J. Longo était présidente de son comité de soutien des sportifs pour l’élection de 88, ils ont des liens d’affection qui les unissent depuis longtemps. Et puis, je sais que ça faisait plaisir à la fois au Président et à J. Longo d’avoir ce contact direct. Mais ça a été tout à fait spontané. Rien n’était monté. Bon, s’il n’avait pas été là, bon, il aurait pu l’avoir un peu plus tard.
Jacques Esnous : C’est vrai qu’il a un petit faible pour la championne ?
Guy Drut : Il a un faible pour tous les sportifs. C’est comme ça, il aime — c’est ce qu’il dit lui-même — il aime leur spontanéité, leur générosité, leur naturel. Depuis toujours il aime les sportifs.
Jacques Esnous : Quand vous voyez les résultats des Français, est-ce que le champion qui est en vous ne conseille pas au ministre que vous êtes de donner plus de budget, plus de moyen au sport français ?
Guy Drut : Vous savez, la France est dans une situation un tout petit peu délicate sur le plan budgétaire. Et puis, les sportifs sont aussi des gens raisonnables, donc ils savent qu’on ne peut pas faire n’importe quoi n’importe quand. Et il y a des choses à faire, il y a des évolutions à obtenir. Bien entendu, s’ils pouvaient avoir un budget supplémentaire, tout le monde serait ravi. Mais je crois qu’ils ont aussi à cœur de participer à l’effort général de rigueur en France.
Jacques Esnous : F. Esposito a terminé quatrième, je crois, de cette course.
Guy Drut : Ah, oui, donc je crois que là, ça va être difficile.
Jacques Esnous : Ca va être difficile pour la finale. Après la piscine, où allez-vous ?
Guy Drut : Alors cet après-midi, je vais au fleuret féminin, parce que F. Modène est passée en demi-finale. Et puis, je vais voir aussi les hommes qui doivent être en train de tirer maintenant.
Jacques Esnous : Et puis vous revenez à Paris et vous repartez ?
Guy Drut : Je reviens ce soir et je repars jeudi.
Jacques Esnous : Et pour suivre quelles épreuves ? Dites-le-nous tout de suite, comme ça, on saura où on a des médailles.
Guy Drut : Je vais faire le canoë-kayak, l’aviron. Je vais faire le tennis, la voile, un petit peu d’athlétisme, quand même. Et puis je vais essayer d’aller un peu partout et voir les uns et les autres.
Le Monde - 22 juillet 1996
Le Monde : Un nombre croissant de spécialistes émettent des doutes sur l’efficacité des contrôles antidopage, dont le professeur Escande qui vient de polémiquer avec vous à ce propos…
Guy Drut : Le dopage est un problème réel auquel il faut faire très attention et contre lequel il faut lutter. Cela nécessite des moyens, de la volonté et une grande concertation entre, à la fois tous les partenaires, les pays, les différentes fédérations et le mouvement olympique. On aura franchi un pas important vers le succès le jour où l’on aura des règlements qui s’adapteront de la même façon à tous les sports et dans tous les pays quelles que soient les compétitions. Ce problème regarde à la fois les responsables politiques et les responsables sportifs. Sur le plan scientifique, beaucoup de réussites ont été obtenues depuis quelques années.
Le Monde : Vous voulez dire que les contrôles négatifs suffiront à laver les vainqueurs d’Atlanta de la moindre suspicion ?
Guy Drut : Il y a ceux qui voient le verre à moitié vide, et qui disent que l’on peut toujours mieux faire. Pour moi le verre est à moitié plein. Et quand certains disent « tous les athlètes sont dopés », je pense que c’est inadmissible. Tous ces grands écrivains ont-ils apporté la preuve de leurs dires ? Ils affirment que les trois quarts des athlètes sont dopés ? Eh bien, qu’ils le prouvent !
Le Monde : Mais le CIO reconnaît lui-même que la lutte contre le dopage reste imparfaite.
Guy Drut : Il n’empêche qu’il est grave de fonder des écrits et des émissions sur des présomptions. C’est vrai qu’il y a un danger, c’est vrai qu’il y a des sportifs dont on sait qu’ils se dopent. D’autres, quand ils savent qu’ils vont être contrôlés, se blessent ou ne vienne pas aux compétitions. Mais il est vrai aussi qu’il y en a qui sont pris. Je vous rappelle que Ben Johnson a quand même été disqualifié. Je voudrais aussi que, de temps en temps, on attire l’attention sur les milliers et les milliers de sportifs de haut niveau qui sont sains et qui pratiquent leur discipline de façon correcte.
Le Monde : Ne faudrait-il pas sortir d’une approche uniquement répressive ?
Guy Drut : Quand le sportif entre dans un système de compétition, il lui faut en respecter le cahier des charges. Il faut que les règles soient les mêmes pour tout le monde. Maintenant si vous pensez, vous, qu’il faut autoriser le dopage, c’est votre responsabilité. Personnellement, je m’y refuse.