Interview de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, à RTL le 30 septembre 1996, sur l'avant-projet de "loi de cohésion sociale" devant notamment permettre l'insertion de 300 000 RMIstes dans les cinq ans.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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J.-M. Lefèbvre : Avec X. Emmanuelli, vous avez présenté ce matin l'avant-projet de loi sur la lutte contre l'exclusion qui avait été un des grands thèmes de la campagne du candidat à l'époque J. Chirac. Pourquoi a-t-il fallu tant de temps ?

J. Barrot : D'abord, cet avant-projet s'appelle « Loi de cohésion sociale », pour bien montrer qu'il ne s'agit pas de cataloguer un certain nombre de Français comme des exclus ou comme des exclus en puissance, mais de faire en sorte que nous soignions les déchirures sociales. Et il fallait une approche globale, il fallait qu'elle soit nourrie de tout ce que nous apportent les militants associatifs du terrain. C'est pour ça que c'est un projet ambitieux qui veut être global et qui veut fonder l'accès de tous aux droits de tous. Il faut que chaque citoyen puisse exercer à un moment donné les droits fondamentaux, qu'aucun ne soit privé de l'un de ces droits fondamentaux.

J.-M. Lefèbvre : Du droit de vote au logement, du travail ?

J. Barrot : Oui, du travail, de la santé, du logement, de la culture aussi, en tout cas de la capacité de lire et de pratiquer les opérations essentielles de lecture, d'arithmétique, etc. C'est cette approche globale qui a mobilisé beaucoup de temps, beaucoup d'énergies, et je ne remercierai jamais assez tous les mouvements associatifs qui nous y ont aidés, avec X. Emmanuelli.

J.-M. Lefèbvre : Dans les cinq ans, en principe, les collectivités locales devraient créer - c'est un des aspects de ce projet de loi de cohésion sociale - 300 000 emplois pour les RMIstes.

J. Barrot : C'est ça. Côté emploi, j'insisterai sur ces nouveaux contrats d'initiative locale, qui auront l'avantage sur les formules qui existent actuellement, d'offrir une insertion durable sur cinq ans qui permette vraiment à quelqu'un, à une famille de se réinsérer socialement Et puis aussi une mesure à laquelle j'attache beaucoup d'importance : offrir à chaque jeune en très grande difficulté, qui sort avec toutes les difficultés, tous les handicaps possibles de l'école, un parcours personnalisé d'insertion, avec des fonds disponibles qui seront mis à la disposition d'associations qui suivront ces jeunes jusqu'à leur insertion, en évitant qu'il y ait des périodes pour ces jeunes où ils ne savent plus sur qui s'appuyer.

J.-M. Lefèbvre : Donc on insiste, cette fois sur le « i » d'insertion.

J. Barrot : C'est toute une dynamique nouvelle marquée par le souci d'insertion. On me dit souvent : mais il n'y a pas encore assez de moyens ! Il y a des moyens importants. Ils ne sont pas seulement dans cette loi, ils sont dans le budget - qui progresse cette année -, et ils seront dans la loi de financement de la sécurité sociale. Mais ce qui importe, c'est le qualitatif. C'est qu'il ne s'agit pas uniquement de donner de l'argent, il s'agit de tendre la main, de faire en sorte que l'insertion - par exemple sur le plan de l'accueil de tous ceux qui sont en difficulté - se fasse mieux ; que sur la santé, dans chaque département, il y ait un schéma départemental qui permette d'assurer la surveillance sanitaire des plus fragiles. Et j'insiste parce qu'il y a beaucoup de choses dans cette loi, beaucoup de pistes nouvelles.

J.-M. Lefèbvre : Si un RMIste refusait cette nouvelle forme de travail qui lui serait proposée, est-ce qu'à ce moment-là on lui supprimerait l'allocation ?

J. Barrot : Déjà aujourd'hui le RMI est attribué par une commission locale qui regarde si, vraiment, le candidat au RMI a besoin de ce RMI, et lui propose très souvent, aussi, des modalités d'insertion. Ce sera le cas. Je vois mal comment un RMIste pourrait refuser la chance que constituera pour lui un contrat d'initiative locale pour cinq ans qui lui donnera enfin, dans sa vie, un peu de stabilité pour construire un projet de vie. Et s'il le refuse, à ce moment-là, la commission locale peut toujours, comme elle le fait aujourd'hui, dans certains cas, suspendre le RMI. Mais je suis convaincu qu'il y aura plus de demandeurs que de gens qui refusent, car il y a quand même un profond désir d’insertion.

J.-M. Lefèbvre : C'est un projet qui recouvre de nombreux secteurs, mais la critique formulée par certains - c'est en effet un projet généreux - est relative aux moyens financiers ?

J. Barrot : D'abord, franchement, nous transformons des revenus d'assistance en des revenus d'insertion. C'est-à-dire qu'au lieu de donner un SMIC - c'est-à-dire de l'argent comme ça - on offre un salaire, un contrat de travail. C'est quand même beaucoup mieux. Ça veut dire qu'il y a des transferts importants. Et puis, ça veut dire aussi que tout le travail que je fais pour remettre de l'ordre à la sécurité sociale, toutes les économies que nous avons fait sur un certain nombre de dispositifs d'aide à l'emploi, tout cela est recyclé en quelque sorte dans un budget d'action sociale qui progresse. Alors on a tout focalisé sur le problème des quelques modifications que nous imposons à l'allocation de fin de droit Nous voulons en effet des règles de cumul de l'allocation de fin de droit qui soient plus proches de ce que sont les règles de cumul pour le RMI - je ne veux pas entrer dans les détails techniques. Tout cela ne concerne que les futurs ressortissants de l'allocation de fin de droit. Ça ne touche pas aux droits existants. Mais ce sont des mesures de justice. Et, effectivement, ce que j'ai absolument tenu à obtenir - et le Premier ministre en a été d'accord - c'est que tout cet argent, qui est le fruit d'un redéploiement juste, serve bien à aller encore sous d'autres formes à cette politique, au profit des plus vulnérables, des plus fragiles.