Interviews de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, à France 2 le 28 mai 1998, France-Inter le 3 juin et Europe 1 le 12 juin, notamment sur le bilan de la politique gouvernementale, le projet de réforme du mode de scrutin pour les élections européennes, la grève des pilotes à Air-France et sur le 150ème anniversaire du Manifeste du Parti communiste.

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Média : Europe 1 - France 2 - France Inter - Télévision

Texte intégral

France 2 le jeudi 28 mai 1998

France 2 : En cet anniversaire de l’arrivée de la gauche plurielle au pouvoir, vous tirez pour l’instant un bilan plutôt mitigé. On vous a entendu, ces derniers jours, être un peu critique quand même, dire qu’il fallait poursuivre, dire que cela n’allait pas assez vite ?

Robert Hue : Pas mitigé. Je suis satisfait, naturellement, de ce qui vient de se passer, au cours de cette année, avec le gouvernement pluriel, la majorité plurielle, des engagements importants comme les 35 heures, les emplois-jeunes où il y a d’ailleurs beaucoup d’apport des communistes. Mais je pense qu’il ne faut pas de quiétude, il ne faut pas d’autosatisfaction un an après. Il faut maintenant que l’on voit bien ce qu’il est nécessaire de faire pour répondre aux attentes sociales, et il y a d’importantes attentes sociales. Donc je pense qu’aujourd’hui, la gauche plurielle, pour réussir – parce que je veux qu’elle réussisse, les communistes participent au gouvernement pour qu’elle réussisse – doit prendre des mesures structurelles plus fortes, permettant réellement de répondre aux engagements pris dans la campagne de 1997.

France 2 : C’est quoi les mesures structurelles plus fortes ?

Robert Hue : Écoutez, je pense que vraiment, maintenant, il faut pour que l’emploi, la question numéro un en France, puisse commencer à être résolue, que le chômage recule. Certes, il y a naturellement les emplois-jeunes, mais il faut des mesures plus fortes. Je pense que la meilleure façon d’apporter des réponses aux questions de l’emploi, c’est une relance de la consommation, une relance du pouvoir d’achat. Et là, maintenant, il est temps puisqu’il y a des éléments de croissance. Il est temps de relancer le pouvoir d’achat. Je pense notamment à aller plus loin dans l’augmentation du SMIC, relever les minima sociaux. Autant d’éléments qui font que si les gens ont plus de moyens, ils consommeront davantage ; cela relancera la machine, cela va permettre aux entreprises de se développer et de créer des emplois. Je pourrais parler aussi de la fiscalité naturellement.

France 2 : On a quand même le sentiment que ce qui agace, disons, les partenaires des socialistes – hier on avait Dominique Voynet ici même et peut-être vous aujourd’hui –, c’est le scrutin aux européennes où le torchon brûle un peu entre le Parti socialiste et vous ?

Robert Hue : J’ai dit à plusieurs reprises – j’ai entendu Dominique Voynet et je partage son sentiment – qu’il fallait qu’il n’y ait pas d’attitude hégémonique dans la majorité plurielle et dans le gouvernement pluriel. Le Parti socialiste veut modifier le mode de scrutin aux européennes. J’avoue ne pas bien comprendre pourquoi il est nécessaire de le modifier.

France 2 : Sauf à penser que vous allez vous faire avoir ?

Robert Hue : Vous dites cela rapidement. C’est ce que moi je dis lorsque je parle d’hégémonie. Mais en tous les cas, il est bien clair que si c’est pour réduire le Front national, je suis pour mais je ne vois pas, dans les propositions qui sont faites, le moyen de réduire le Front national, malheureusement. Le Front national, il faut le réduire en le combattant politiquement par des réformes sociales qui permettront effectivement de réduire son influence et son populisme dans certains quartiers. Si c’est pour rapprocher le citoyen du député européen, ces immenses régions, en France, ne vont pas du tout rapprocher ! Donc, je ne vois pas du tout l’utilité. Or, vous me dites que je suis un peu amer, mais regardez dans la majorité plurielle : hier vous avez entendu Dominique Voynet et elle est sur la même position que moi, elle est contre cette modification du mode de scrutin ; les radicaux de gauche, je les ai rencontrés hier, j’ai rencontré Jean-Michel Baylet, il est contre ; le MDC émet les plus grandes réserves, le Parti communiste n’est pas favorable. Cela fait quatre formations sur cinq de la majorité plurielle. Je crois qu’il faut que l’on entende ce qu’on dit de ce point de vue. Voilà, c’est tout, mais cela me semble important.

France 2 : Est-ce que ce n’est pas, au fond, la leçon des régionales que vous tirez ? On s’est rendu compte que le Parti socialiste avait récupéré, j’allais dire, le plus fort, et que les partis qui ne sont pas complètement dans l’opposition, comme le vôtre, finalement on fait des moins bons scores qu’ils ne pouvaient espérer ?

Robert Hue : Non, les régionales ont été de bonnes élections pour la gauche plurielle, pour le Parti communiste qui a beaucoup gagné en élus. On ne voit pas non plus les cantonales où le Parti communiste a atteint 11 %, ce qui est une évolution importante où là, il y avait des candidats séparés. Ce qui est posé avec les modifications du mode de scrutin, c’est la question de la proportionnelle. Je suis pour qu’il y ait, par exemple, une modification du mode de scrutin pour les régionales. On voit bien qu’il faut que l’exécutif puisse fonctionner. Mais attention à ne pas amputer systématiquement la proportionnelle parce que qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi sommes-nous favorables à la proportionnelle ? Parce que c’est le scrutin le plus juste, qui permet à des petites formations de vivre et que ce ne soit pas l’hégémonie des grandes formations. Or là, le mode de scrutin qui nous est proposé vise, en fait, à une sorte de bloc autour du parti dominant d’une des coalitions. D’ailleurs, on n’a pas à s’étonner qu’à droite, il y ait la même réflexion de la part d’un certain nombre de partis de droite qui veulent aussi qu’il y ait cette attitude dominante. Je crois que c’est important.

France 2 : Revenons à la croissance. Vous dites qu’il faut partager les fruits de la croissance. Trente ans après les accords de Grenelle de mai 68, vous espérez quoi ?

Robert Hue : La croissance, nous voyons bien que ce n’est pas essentiellement lié – même si cela l’est quand même – à la politique que nous avons mené ces derniers mois. Elle y est pour quelque chose, mais c’est le rapport à un dollar qui est différent aujourd’hui qui nous permet d’exporter dans de meilleures conditions. Mais il reste que cette croissance, il faut la partager naturellement.

France 2 : En baissant les impôts, par exemple ?

Robert Hue : Il faut baisser les impôts et je pense notamment qu’il y a un impôt indirect totalement injuste qui est la TVA. Il faut baisser, et sensiblement la TVA, notamment sur des produits de première nécessité. D’ailleurs Lionel Jospin s’est engagé, et nous sommes d’accord avec lui, à baisser la TVA. Mais il ne faut pas attendre, il faut le faire ! Il faut le faire parce que cela permettra de relancer et il y aura du pouvoir d’achat supplémentaire. Il reste qu’au niveau de la croissance, la meilleure façon aujourd’hui de ne pas la voir s’étioler, mais de la voir se dynamiser, c’est l’augmentation du pouvoir d’achat. Il me semble que si on augmente le pouvoir d’achat, on relancera la machine.

France Inter le mercredi 3 juin 1998

France Inter : Le premier enjeu de la Coupe du monde de football sera-t-il la paix sociale ? Le conflit continue : il sera long et dur, disait, hier soir, le président du syndicat majoritaire des pilotes d’Air France, cependant que la CGT appelle à une journée de grève demain dans les transports urbains, et notamment à la RATP. La vitrine planétaire de la Coupe du monde de football servira-t-elle d’abord l’exception française qui fait que, là où d’autres nations se pareraient de leurs plus beaux atours, ce sont les transports français, premiers liens avec le monde, qui vont peut-être paralyser la machine. Une grève en allégorie du refus des enjeux de la mondialisation ?
Jean-Claude Gayssot, ministre des transports, Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sport, Michèle Demessine, le tourisme, il y en a que pour vous ?

Robert Hue : Pas vraiment. En tous les cas, les ministres communistes sont effectivement engagés pour la réussite de la gauche plurielle, et en l’occurrence, là, avec le Mondial, avec la Coupe du monde. La ministre de la jeunesse et des sports met tout en œuvre pour que ce soit une réussite. Je crois que c’est en bonne voie. Le ministre des transports, dans sa fonction, contribue à ce qu’il n’y ait pas un débouché négatif à la négociation actuelle, pour que, précisément, on puisse avoir des transports de qualité à l’image de ce que doit être effectivement un service comme celui-ci dans un moment aussi important. Tout cela participe d’un travail important. Comme on dit : les ministres communistes mouillent la chemise.

France Inter : C’est une question intéressante du point de vue social : le droit de grève – il n’est pas question de revenir dessus – mais est-ce qu’on peut se poser la question du moment ?

Robert Hue : Nous ne sommes pas encore dans le moment.

France Inter : Attendez, on est à huit jours du Mondial, quand même.

Robert Hue : Mais vous savez ce qu’est une lutte syndicale. Il est bien clair qu’avant que le moment s’engage, il y a un mouvement de pression qui s’exerce. Nous sentons bien là qu’il y a des salariés qui, selon leurs catégories, souhaitent être entendus. Que, par exemple, dans tel ou tel secteur des transporteurs terrestres, il faille prendre en compte des effectifs supplémentaires, compte tenu de l’effort qui sera à conduire et à entreprendre, je trouve cela normal. Il y a une demande qui s’exprime. En même temps, j’ai noté que les principaux dirigeants des forces syndicales du pays, des grandes confédérations, ont tous dit qu’il convenait, effectivement, qu’au moment même du Mondial, il y ait la prise en compte de l’intérêt général, de l’intérêt de la France et de ce moment important pour le pays. Donc un appel, non pas à la raison, mais un appel au réalisme.

France Inter : Les routiers sont plus raisonnables que les pilotes ?

Robert Hue : Les pilotes, nous allons voir. Actuellement, il y a une négociation. Je vois bien qu’elle apparaît comme se durcissant. En même temps, le débat continue aujourd’hui. Je souhaite absolument que les choses aboutissent.

France Inter : Y a-t-il le discours du ministre communiste Monsieur Gayssot qui envoie des signaux qui vont plutôt dans le sens de l’apaisement : OK, on abandonne sur la double grille des salaires, on fait un certain nombre de… et puis le discours du patron d’Air France. Est-ce que ce sont deux discours différents ?

Robert Hue : En tous les cas, ce qui est important pour moi, et j’ai entendu effectivement ce qu’a dit le ministre des transports. Le ministre a dit : je ne serai pas certes le ministre de la privatisation, mais je ne serai pas non plus le ministre de la baisse des salaires. C’est une des questions clés aujourd’hui de la négociation. Donc attendons de voir comment va évoluer cette négociation. Je souhaite vraiment qu’elle aboutisse.

France Inter : Vous ne m’avez pas répondu sur le double discours.

Robert Hue : Je ne pense pas qu’il y ait un double discours. Chacun est dans sa fonction. Il y a une direction qui assure ses responsabilités, qui doit y faire face et puis de l’autre côté, il y a le ministre qui, je crois d’ailleurs, tient un discours tout à fait cohérent depuis le début dans cette affaire, visant absolument à prendre en compte la réalité sociale à laquelle il est confronté avec Air France, qui ne se limite pas d’ailleurs à la question du conflit aujourd’hui avec les pilotes, il y a l’avenir d’Air France et puis il y a la direction d’Air France qui doit faire face à ses responsabilités.

France Inter : Et sur la question que je posais dans ce petit préambule : au fond, cette grève, à ce moment-là, qui est peut-être un signal envoyé par notre pays à ce que sont les enjeux de la mondialisation, des nouvelles règles de l’économie. Vous le percevez comme tel ou pas ?

Robert Hue : Oui, mais en même temps, je crois que nous sommes dans une situation où, naturellement, il faut prendre en compte la dimension nouvelle, planétaire des questions qui sont posées dans le domaine des rapports. On pourrait avoir dans le domaine de la communication des débats identiques. Il me semble qu’effectivement nous devons prendre en compte cette évolution, cette modernité aujourd’hui, mais bien tenir compte qu’il y a toujours, en toutes circonstances, des hommes, des femmes et qu’il faut prendre en compte leur situation.

France Inter : Qu’est-ce que cela veut dire : être communiste aujourd’hui ? Dans cet espace médiatisé ? Vous vous apprêtez à fêter, dans les 48 heures qui viennent, le 150e anniversaire du « Manifeste du Parti communiste ». C’est quoi être communiste aujourd’hui ?

Robert Hue : Être communiste aujourd’hui, c’est plus que jamais vouloir faire reculer les inégalités, vouloir une société de libération humaine, sur une planète qui peut permettre cette libération humaine, mais qui, en même temps, incontestablement, est écrasée par un ultra libéralisme qui, aujourd’hui, exerce le pouvoir de l’argent des marchés financiers. Dans toute une série de domaines, il faut faire reculer cette puissance et ouvrir des perspectives où l’homme ne sera plus objet de marchandisations, mais au cœur du processus d’épanouissement humain. C’est cela aujourd’hui le communisme c’est une volonté, c’est un mouvement fort vers la libération humaine. Alors, il y en a d’autres qui ont ce même objectif, sans se réclamer de la visée communiste. Mais en tous les cas, ce que je mets derrière la visée communiste plus actuelle que jamais, à mon avis, c’est cette force, cette puissance, ce souffle de libération humaine.

France Inter : C’est un communisme nouveau. Il y aura pas mal de communistes européens qui vont venir à ce rendez-vous que vous organisez. C’est la rupture avec le passé, on ferme le ban et on repart sur de nouvelles bases avec les communistes européens ?

Robert Hue : Le 6 juin au Palais des sports, nous allons réunir des milliers de personnes pour parler avec eux de l’actualité de l’idée communiste. Est-ce que 150 ans après « Le Manifeste », il y a encore une perspective, hors de la dogmatisation qu’a connue le communisme pendant des décennies et qui a mutilé, en fait, l’idée communiste elle-même ? Aujourd’hui, voyons ce qu’est l’idée communiste. J’ai essayé d’exprimer tout à l’heure ce que cela pouvait être, à savoir un mouvement fort de libération humaine. Il y a dans le monde des hommes et des femmes qui se réclament de cette démarche en prenant en compte l’expérience que nous avons connue, et il me semble qu’il y a, là, la possibilité, non pas de structurer à nouveau dans une structure lourde et pesante, dirigiste, du type international, les volontés communes, mais il y a la volonté d’exprimer ensemble des grands choix. Il y a de la place pour un communisme nouveau, et je crois que, de ce point de vue, nous allons apporter des réponses, je le répète au Palais des sports samedi prochain. Ce sera important. Il y aura d’ailleurs des gens qui ne sont pas de la sensibilité communiste. François Hollande est invité.

France Inter : C’est intéressant parce que vous avez envoyé des petits messages à Lionel Jospin ces jours-ci, parce que, lui, il fait son bilan au bout d’un an de fonctionnement. Tout le monde vous a entendu parler de l’hégémonisme.

Robert Hue : Je crois qu’il faut bien voir ce qui a permis que la gauche aujourd’hui soit créditée d’un certain nombre de succès – les 35 heures, l’emploi-jeune, un type de démarche. Je ne crois pas que cela participe d’une démarche uniforme, de type « ancienne union de la gauche » dominée par un seul parti, en l’occurrence le Parti socialiste. La gauche plurielle réussit, Lionel Jospin réussit parce que précisément il est au cœur d’une démarche plurielle où il y a de nombreuses composantes dans le gouvernement. Je dis simplement qu’il faut entendre ces composantes, il faut entendre leurs points de vue. Il n’est pas forcément celui du parti le plus important de la majorité et, de temps en temps, il y a la nécessité de prendre en compte ce point de vue.

France Inter : Quand vous voyez certains demander une gauche rouge, que chacun radicalise ses positions, qu’en face de l’Alliance, il faut que la gauche soit à gauche et la droite à droite.

Robert Hue : Je pense que la présence des communistes dans le Gouvernement de la France est précisément pour que, dans ce gouvernement, la gauche de la gauche soit bien présente. Vous savez : la participation du Parti communiste au gouvernement a pour objectif de ne pas seulement s’inscrire dans l’action gouvernementale en soi, mais d’être le relais du mouvement social, de ce qui se passe dans la société. Il y a des gens qui ne se retrouvent pas, dans la société, forcément aujourd’hui dans la gauche plurielle. Ils ont beaucoup de revendications, ils ont des idées sur la nature des réformes à mettre en œuvre. Il faut qu’ils puissent être relayés dans ce gouvernement. Et le Parti communiste a cet objectif d’être le trait d’union entre cette gauche-là et la gauche gouvernementale.

France Inter : Et sur le plan des idées, ne craignez-vous pas d’être débordé, comme par exemple Pierre Bourdieu qui veut créer une liste d’extrême gauche aux européennes ?

Robert Hue : J’en discuterai certainement avec lui, mais qu’il y ait la volonté de cette gauche qui n’est pas dans le gouvernement d’exprimer son choix, de se faire entendre, mais pour beaucoup de ces hommes et de ces femmes, il n’y a pas la volonté de se structurer politiquement. Ce n’est pas un objectif. Il y a des forces politiques pour cela. Par contre, qu’ils soient entendus, relayés par ces forces politiques, cela est nécessaire. C’est le rôle du Parti communiste. En tous les cas, on veut s’efforcer d’y être fidèles.

Europe 1 le mercredi 12 juin 1998

Europe 1 : Lionel Jospin, en ce moment, brille dans le ciel des derniers sondages. Malgré vous, on a l’impression que ce n’est pas grâce à vous ?

Robert Hue : Je pense que c’est un résultat de toute la gauche plurielle. Je lui ai dit d’ailleurs. Lionel Jospin a de très bons résultats.

Europe 1 : Vous êtes heureux pour lui ?

Robert Hue : Je suis heureux pour la gauche, la gauche plurielle. Nous participons au gouvernement, à la majorité. Qui, un seul instant, peut penser que cela tient à un seul homme, un résultat comme celui-là ?

Europe 1 : Vous ne croyez pas que vous placez des cailloux et des embûches sur son chemin ?

Robert Hue : Non, non, ce ne sont pas des cailloux, ni des embûches, ni des obstacles. Nous sommes dans la diversité, nous exprimons une identité. Cette identité, c’est elle qui fait aussi le succès de la gauche plurielle, de Lionel Jospin qui la dirige dans son gouvernement aujourd’hui. Je crois que c’est notre contribution. Il faut qu’il y ait comme cela, de temps en temps, des gens qui disent les choses. Sinon, on est sur un petit nuage et c’est dangereux.

Europe 1 : Il plane, lui ?

Robert Hue : Il pourrait lui arriver de planer avec des sondages comme il a en ce moment. Ce serait mauvais, très mauvais.

Europe 1 : Vous l’avez trouvé comment ? Tranquille, serein ?

Robert Hue : Il est très serein, très tranquille. Peut-être un peu trop tranquille. Je pense qu’il faut, effectivement, voir que les Français sont satisfaits de cette première année de gouvernement. Mais il y a aussi – j’en entends d’autres : dans le monde du travail, dans le monde de l’exclusion – qui sont très inquiets. II y a de grandes attentes sociales. Et je crois qu’il faut faire attention, que ce n’est pas parce qu’il y a la droite qui explose, que parce que cela va bien dans les sondages, eh bien la gauche peut s’exonérer de réformes fortes qu’il faut engager rapidement.

Europe 1 : Alors ce matin, le Premier ministre confirme le retour aux allocations familiales pour tous, à la faveur d’une baisse du plafond du quotient familial. Est-ce que le PC soutient cette politique familiale, et est-ce qu’elle est suffisamment à gauche pour Robert Hue ?

Robert Hue : Le Parti communiste soutient cette politique aujourd’hui préconisée par Lionel Jospin.

Europe 1 : Attendez : vous avez du mal à le dire que vous le soutenez ?

Robert Hue : Non. Nous soutenons d’autant plus que nous n’étions pas d’accord avec l’abandon précisément, l’an dernier, du type d’allocations familiales tel qu’il était. Nous l’avons dit à l’époque, avec force, on nous a convaincus qu’on s’écartait de la justice sociale. Aujourd’hui, il y a un retour avec cet abandon de la mise sous condition de ressources des allocs, qui me semble aller dans le bon sens.

Europe 1 : Il y a un bon titre de « L’Humanité » ce matin : « Familles, je vous aide. » Est-ce qu’il faut aller plus loin ?

Robert Hue : Je pense qu’il faut aller un peu plus loin encore. Il y a, par exemple, dans les mesures proposées, l’absence de préconisation d’une allocation pour le premier enfant. Sur les moyens, je pense qu’il faudrait faire contribuer les revenus financiers un peu plus. Aujourd’hui, on le fait seulement vers le revenu des salariés.

Europe 1 : Ce qui frappe, c’est que la gauche retrouve ou récupère la famille : c’est un revirement, une évolution légitime, normale, poussée par quoi ?

Robert Hue : La gauche ne récupère pas la famille. Il est dans la tradition – et depuis la Libération – que les grandes valeurs tournant autour de la famille, de la prise en compte de la solidarité nécessaire avec les allocations familiales, sont des valeurs de gauche. Non, ce n’est pas un retour, mais c’est, je crois, la mise en œuvre, aujourd’hui, plus justement qu’il y a un an, d’une politique familiale.

Europe 1 : Dominique Strauss-Kahn prépare le budget de 1999 : déjà, il vous a répondu, hier, qu’il n’était pas favorable à durcir la fiscalité des revenus du capital. Il vous enlève un argument qui est quand même un leitmotiv chez vous, non ?

Robert Hue : Il va falloir qu’il argumente encore beaucoup, parce qu’il est bien évident que pour le Parti communiste – et je l’ai dit souvent – qu’il fallait s’attaquer davantage à cette injustice folle, qui fait qu’aujourd’hui on touche beaucoup les faibles, on prélève énormément d’impôts sur les faibles et que les grandes fortunes, les milliardaires échappent à l’impôt. Ce n’est pas juste, les millions de gens qui peuvent nous écouter aujourd’hui savent bien que c’est absolument inacceptable. La gauche ne peut pas continuer avec les prélèvements qu’on connaît concernant les plus faibles – d’ailleurs il faut une baisse de l’impôt –, et ne pas toucher aux grandes fortunes.

Europe 1 : En venant à Europe 1, vous avez vu, sur tous les kiosques à journaux, la couverture et les affichettes sur la « une » du « Point » d’aujourd’hui, « Dominique Strauss-Kahn, la droite de la gauche. » Ce n’est pas exagéré ?

Robert Hue : Il arrive qu’il y ait des attractions nocives, et je sens parfois une forte attraction du libéralisme, des marchés financiers sur un certain nombre de dirigeants dans la majorité. Et je le dis amicalement à Dominique Strauss-Kahn : cette tentation qui peut exister d’un libéralisme de gauche ne correspond pas aux valeurs qui sont les nôtres. Il faut donc ne pas céder à cette tentation.

Europe 1 : Il est tenté ?

Robert Hue : En tous les cas, s’il était tenté, il y a dans le Gouvernement, dans la majorité, un contrepoids qui est là pour faire valoir que la gauche soit bien à gauche, c’est le Parti communiste. Cela, c’est notre vocation.

Europe 1 : Est-ce que ce n’est pas Arlette Laguiller – elle est peut-être un peu trop à la mode – qui vous empêche de dormir ? Parce que vous donnez l’impression d’avoir la crainte obsessionnelle de l’extrême gauche qui vous pousse à la surenchère ?

Robert Hue : Pas du tout, je pense que l’extrême gauche exprime des idées qui sont protestataires, parce qu’il y a des attentes, il y a la base pour une protestation. Moi, je ne m’inscris pas dans cette démarche de la protestation systématique et totale en tout domaine. Je suis pour protester, contester, être porteur de cette contestation, mais en même temps constructif. C’est pour cela que nous sommes dans le Gouvernement. Et donc je veux prendre en compte, je veux être le relais de la protestation dans le Gouvernement.

Europe 1 : Mais, par exemple, sur Air France, en donnant raison aux pilotes qui étaient en grève – et c’était une grève impopulaire – vous avez compliqué la tâche de Jean-Claude Gayssot, qui était peut-être jugé un peu trop conciliant et vous avez renforcé ou encouragé Lionel Jospin à être ferme et dur. Un mot là-dessus.

Robert Hue : Un mot. Je crois, d’abord, que c’est bien qu’on ait réussi par la négociation et non par la contrainte. Je n’ai pas, contrairement à ce que l’on dit beaucoup, ces dernières heures, soutenu les pilotes en soi, j’ai soutenu un mouvement social. Tout le monde n’a pas le salaire des pilotes, c’est sûr. Mais ceux qui ont des bas salaires disent : si aujourd’hui, on fait baisser les salaires importants, nous allons être aussi touchés et pulvérisés à terme.

Europe 1 : D’abord les gros, et après les maigres !

Robert Hue : Voilà, il y avait ce danger majeur.

Europe 1 : La compagnie Air France n’est-elle pas sacrifiée sur l’autel, vous le lisez souvent, de l’accord entre vous et Lionel Jospin ?

Robert Hue : Non, la compagnie Air France a de bons résultats. Sur la base des négociations positives qui viennent de se terminer, elle va continuer dans ce sens. Et c’est l’intérêt de la compagnie, comme l’intérêt de la France.

Europe 1 : On entend quelquefois, je ne sais pas si vous l’entendez, dire que le PC est en train de cafouiller, qu’il tangue, et que le patron du PC – je ne veux pas vous choquer – semble aveugle socialement, rétro économiquement, trop dirigiste, etc., vous avez entendu la chanson : impuissant politiquement et minoritaire dans son parti ?

Robert Hue : Vous avez encore cinq minutes pour en rajouter, non ?!

Europe 1 : Non, je pourrais, mais comme je dois aller vite… C’est un peu dur cela, non ?

Robert Hue : Oui, c’est dur, mais comme ce n’est pas la réalité, cela ne me pose pas trop de problèmes.

Europe 1 : Mais est-ce que là où on est, on voit encore la réalité ?

Robert Hue : On me reproche de l’avoir trop vue dans le conflit des pilotes, voyez-vous.