Interview de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, à RTL le 21 août 1996, sur la situation des agriculteurs, les aides à l'agriculture et l'affaire des sans-papiers de l'église Saint-Bernard.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Arzt : Dans quel état se trouve le monde paysan en ce moment ? La Tribune parle ce matin « d'une situation de détresse sans précédent ».

P. Vasseur : Il faut toujours éviter de globaliser un peu hâtivement Il y a, aujourd'hui, dans le monde paysan des situations qui sont des situations convenables, mais il y a, effectivement, des secteurs qui connaissent des crises très graves. Nous sommes actuellement dans la période de la moisson ; elle se termine, c'est une bonne année. Nous avons une bonne année dans Lin certain nombre de secteurs. La Tribune, à laquelle vous faite allusion, relève que les investissements dans le domaine de l'agriculture sont en hausse.

R. Arzt : Vous confirmez ?

P. Vasseur : Oui, je confirme. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps et un indice ne fait pas, évidemment, une situation ; et nous avons des crises qui sont des crises extrêmement délicates, qui sont des crises très graves, pour certaines d'entre elles ce sont des crises sans précédent dans le domaine de la viande bovine et dans le domaine de la production des fruits.

R. Arzt : Il y a risque d'agitation ?

P. Vasseur : L'agitation n'a pas cessé. Nous avons eu, au cours de ces derniers mois et de ces dernières semaines, un certain nombre de manifestations. Je ne serai malheureusement pas surpris, je le redoute, que nous ayons à nouveau à la fin de ce mois – ou plutôt dans le courant du mois de septembre – de nouvelles manifestations de mauvaise humeur parce que la situation des éleveurs de viande bovine est aujourd'hui une situation de détresse – et de détresse profonde – qui va nous amener à prendre de nouvelles mesures.

R. Arzt : Les deux milliards de francs d'aides venant de la France et de l'Europe ont été encaissés par eux, déjà ?

P. Vasseur : Je peux vous dire qu'il n'y a pas eu de retard et qu'au contraire nous avons plutôt anticipé, à la surprise, d'ailleurs, d'un certain nombre de personnes. Nous sommes allés très, très vite de manière à ce que ces aides soient très rapidement opérationnelles ; pour certaines d'entre elles, elles ont déjà été versées, pour d'autres elles le seront avant la fin de ce mois. Et toutes les mesures d'allégement de charges, de report d'échéances financières, ont déjà été mises en place. Nous n'avons pas traîné.

R. Arzt : C'est un dossier suivi de très près par J. Chirac ?

P. Vasseur : C'est un dossier qui m'empêche de dormir, qui est suivi de très, très près par le président de la République et qui est suivi également de très près par le Premier ministre, personnellement et directement.

R. Arzt : Des éleveurs du Poitou se dirigent actuellement vers Paris avec un troupeau de vingt-six vaches. Ils ont l'intention de rencontrer J. Chirac. Vous pensez qu'ils y arriveront ?

P. Vasseur : Je n'en sais rien ; je ne suis pas chargé de gérer l'agenda du président de la République, je n'en sais strictement rien. Mais, de toute façon, il ne faut pas s'imaginer que nous avons attendu une manifestation de ce type pour nous entretenir sur le terrain, à Paris, avec les représentants des éleveurs. Nous connaissons parfaitement les difficultés et je sais qu'il y a des difficultés qui existent et qui vont encore se préciser dans les jours et les semaines qui viennent, notamment pour les gens qui élèvent des animaux jeunes, ceux qu'on appelle les "broutards" ; ce sont des animaux qui sont destinés à être vendus à d'autres producteurs qui, eux, vont les engraisser. Là, nous avons une crise qui me donne du souci et sur laquelle, d'ailleurs, j'ai saisi la Commission européenne.

R. Arzt : Il y aura des subventions ?

P. Vasseur : Il y aura, bien entendu, une prise en compte des pouvoirs publics sur une situation qui est complètement anormale.

R. Arzt : Les céréaliers s'inquiètent de voir perdre les subventions dont ils bénéficient, au profit de ceux qu'il faut indemniser chez les éleveurs.

P. Vasseur : Pour le moment, il ne s'agit que d'une proposition de la Commission qui travaille sur un projet de budget constant, en disant qu'à partir du moment où on donne plus aux uns il faudra, peut-être, donner un peu moins à ceux qui vont bien. Je crois qu'il faut discuter avec les céréaliers bien entendu. Mais il ne faut pas profiter d'une situation comme celle-là pour remettre en cause, de façon peut-être incidente, tout un édifice. Il y a des décisions qui peuvent être prises, qui peuvent être conjoncturelles, en tenant compte de la bonne situation du marché des céréales cette année, mais si c'est pour complètement bouleverser la Politique agricole commune dans les années qui viennent, là je serai quand même beaucoup plus réservé.

R. Arzt : Les équarrisseurs, qui, d'habitude, ramassent gratuitement les animaux dans les fermes, veulent, là, faire payer, car le commerce des farines animales n'est plus rentable. L'État a pris le relais. Cela peut durer longtemps ?

P. Vasseur : L'État a pris le relais. Nous sommes en train, actuellement, de discuter avec les représentants des collectivités territoriales. La question a été provisoirement réglée. Ce que je peux vous dire, c'est que nous ne ferons pas l'économie d'une nouvelle loi sur l'équarrissage, à mon avis, avant la fin de l'année.

R. Arzt : Au niveau des fruits et légumes où est le maillon qui casse les cours ?

P. Vasseur : En un mot, j'ai demandé à un organisme indépendant de nous faire une photographie, pour savoir exactement là où le bât blesse. Ce qui est certain, c'est que les producteurs de fruits ont vécu une très, très mauvaise année, ce qui va nous amener, là encore, à prendre des mesures de soutien.

R. Arzt : Un prix minimum garanti ?

R. « Nous n'en sommes pas encore là. Je crois que la législation ne nous permet pas aujourd'hui d'aller vers le prix minimum garanti. Mais il est tout à fait certain qu'il faudra que nous mettions fin à un désordre qui se reproduit d'année en année.

R. Arzt : Vous appartenez à l'UDF. G. de Robien a accompli une démarche de dialogue avec les sans papiers de l'église Saint-Bernard. Il a eu raison de le faire ?

P. Vasseur : Je pense que dans ce domaine moins on en rajoutera, mieux cela vaudra. Je crois qu'il faut essayer de traiter ce problème en le dépolitisant au maximum. Personne ne peut accuser le Gouvernement de manquer d'humanité ou d'humanisme. Simplement, nous sommes dans une situation difficile où il s'agit de faire respecter la loi. Je remarque d'ailleurs que lorsque cerf lins parlementaires avaient sorti un rapport disant qu'il fallait accentuer les lois Pasqua ; qu'elles n'allaient pas assez loin...
R. Arzt : ... le rapport Philibert ?

P. Vasseur : C'est exact, oui. À ce moment-là, je n'avais pas entendu exactement tout à fait les mêmes commentaires. Aujourd’hui, si j'ai bien compris, on dit qu'il ne faut pas appliquer la loi Pasqua. Je crois qu'il faut un peu de cohérence en la matière.

R. Arzt : Ou en tout cas adapter la loi à certains cas qu'elle ne prévoyait pas ?

P. Vasseur : Je crois que la démarche de mon ami G. de Robien – qui est mon ami et qui le reste – est intempestive et qu'à mon avis elle n'a d'ailleurs pas été suffisamment concertée et pas suffisamment réfléchie. Je ne suis pas certain – je suis même certain du contraire – que le groupe UDF ait été réuni pour donner mandat à son Président à l'Assemblée nationale d'entreprendre cette démarche. Je pense sincèrement que dans cette affaire-là il faut qu'on évite de faire de la politisation et de la médiatisation ; cela ira beaucoup mieux pour tout le monde. Ce qui est en cause – ne l'oublions pas -c'est quand même la politique de lutte contre l'immigration clandestine.

R. Arzt : Les remous que tout cela a provoqué, à votre avis c'est un mauvais signe pour l'unité de la majorité à la rentrée ?

P. Vasseur : Non, je ne le pense absolument pas. Je pense que la majorité ne sera absolument pas divisée sur cette affaire et je pense que vous verrez à la rentrée, qu'en dépit de quelques sentiments apparents de mauvaise humeur, la majorité restera tout à fait soudée.