Interview de M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche, dans "L'Express" du 1er août 1996, sur les mesures prises au sujet de l'amiante sur le campus de Jussieu (universités Pierre-et-Marie-Curie et Denis-Diderot).

Prononcé le 1er août 1996

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC L'Express - L'Express

Texte intégral

L’Express : Que représente exactement le danger de l’amiante pour les universités de Jussieu (Paris VI et Paris VII) ?

François Bayrou : Sur les 400 000 mètres carrés du campus de Jussieu – fréquenté par 40 000 étudiants et 10 000 chercheurs et enseignants – 230 000 sont floqués à l’amiante. C’est le plus grand bâtiment flaqué d’Europe. Mais, par exemple, les amphis ne sont pas amiantés. En outre, comme vous le savez, l’amiante n’est dangereuse que lorsqu’elle se trouve dans l’air, c’est-à-dire lorsqu’elle se dégrade. À Jussieu, la première étape est celle de l’urgence : nous appliquons tout de suite un dispositif proposé par les universités pour mettre en sécurité tous les locaux amiantés.

L’Express : Quel dispositif de sécurité ? Et qu’entendez-vous par « tout de suite » ?

François Bayrou : L’amiante se trouve dans les plafonds. Nous allons donc isoler ceux de Jussieu par des films étanches, de manière qu’il ne puisse plus y avoir de dispersion d’amiante dans l’air, c’est-à-dire, plus de danger à court terme. Le procédé, appliqué par des entreprises françaises est en cours d’homologation. Je suis allé moi-même assister à la mise en place de ce film isolant : c’est une première sur le plan technique. Si cela marche – et j’ai demandé aux scientifiques de Jussieu de s’impliquer dans cette affaire – l’opération sera terminée à la fin de l’année ou au premier trimestre de 1997. C’est-à-dire à très court terme.

L’Express : Combien cela coûtera-t-il ?

François Bayrou : Quelques dizaines de millions de francs. Malheureusement, cette solution n’est pas suffisante pour le long terme.

L’Express : Vous avez été surpris, le 14 juillet, par la déclaration du président de la République, selon laquelle, il n’y aurait plus un étudiant à Jussieu en 1997…

François Bayrou : Le président a donné un formidable coup de main : grâce à son impulsion, je peux dire aujourd’hui qu’il n’y aura pas de problème budgétaire. Même si des sommes considérables sont en jeu. Ensuite, j’ai aussitôt réagi en créant une cellule de crise au ministère, ainsi que la « mission Jussieu », qui comprend les présidents de Paris VI, Paris VII et de l’institut de physique du globe, le recteur de l’académie de Paris, des représentants des personnels de Jussieu, des fonctionnaires. Car je souhaite associer le plus étroitement possible les acteurs à la décision qui sera prise.

L’Express : Sur votre bureau, depuis novembre 1995, vous aviez pourtant un rapport commandé par les présidents des deux universités. Un rapport très alarmiste sur l’amiante à Jussieu…

François Bayrou : Le rapport de la Setec sur les solutions éventuelles pour désamianter Jussieu et sur leur coût, c’est moi qui l’avais demandé. Dès ce moment-là, nous avons lancé le chantier expérimental sur les plafonds de Jussieu. Mais le rapport de l’Inserm, aux conclusions alarmistes, je ne l’ai eu que début juillet.

L’Express : Le comité anti-amiante de Jussieu alerte le gouvernement depuis des années ! Votre prédécesseur, François Fillon, n’a pas bougé.

François Bayrou : Cela fait vingt ans qu’on parle de l’amiante. Le premier décret d’alerte pris par Jacques Barrot date de 1978. Depuis, il ne s’est rien passé. Le gouvernement a décidé d’agir : cela aurait dû être fait depuis très longtemps. Cependant, il faut préciser les choses : selon le rapport, il y a des risques de dissémination, mais il n’y a pas de pollution amiantée dans l’air de façon constante à Jussieu. Sauf lors des vibrations provoquées par des marteaux piqueurs ou par des travaux.

L’Express : Il y a eu des cas de maladies professionnelles constatées sur le campus. L’ignorait-on ?

François Bayrou : On ne possède que des informations fragmentaires. En outre, ce sont des maladies de latence très longue…

L’Express : Venons-en à la seconde étape de cette affaire : le désamiantage total de Jussieu. Où en est-on ?

François Bayrou : C’est une opération très lourde et très compliquée, pour deux raisons. D’abord, les procédés de désamiantage sont l’objet de discussions. Prenez l’immeuble du Berlaymont, qui était le siège des institutions européennes à Bruxelles : on en a défloqué les 100 000 mètres carrés, soit beaucoup moins que la moitié de Jussieu. Puis, on a découvert qu’il y avait plus d’amiante dans l’air après défloquage qu’avant, parce que les entreprises ne possédaient pas la bonne technique. Pour Jussieu, il faut donc être certain qu’on fera un travail efficace. Seconde difficulté : pour désamianter des barres entières, il faut déménager les surfaces d’enseignement et de recherche. Or, Jussieu est le premier campus scientifique de France.

Selon les chercheurs, un déménagement risquerait de les empêcher de travailler pendant près d’une année. Il faut tenir compte de ce problème.

L’Express : Combien coûtera ce désamiantage total ?

François Bayrou : Plus d’un milliard de francs, en comptant le désamiantage, puis la remise en état des bâtiments, de l’électricité à la protection incendie, ainsi que la construction des locaux provisoires pendant ces opérations. On trouvera cet argent. C’est un impératif de santé publique. Le chantier pourra commencer au printemps de 1997.

L’Express : On parle du déménagement éventuel de Paris VII (Denis Diderot). Quel serait votre propre choix ? Quand prendrez-vous une décision ?

François Bayrou : Faut-il profiter de ces travaux pour permettre à Paris VII de prendre son autonomie en s’installant ailleurs ? Les opinions à ce sujet sont partagées. Et toutes les hypothèses sont examinées. J’annoncerai une décision avant la rentrée de 1996.

L’Express : Quelles sont les pressions politiques et financières pour que Denis-Diderot s’implante à Paris dans la ZAC Paris Rive gauche (XIIIe arrondissement) ?

François Bayrou : Je suis totalement imperméable à ce genre de pressions. J’ai toujours pensé qu’être un élu pyrénéen était une chance ! Je trouve cependant légitime que les élus parisiens se soucient du rayonnement scientifique et universitaire de la capitale.

L’Express : De nombreux établissements scolaires comportent de l’amiante. Que comptez-vous faire ?

François Bayrou : La commission Schléret sur la sécurité des établissements scolaires, que j’ai moi-même mise on place a recensé la liste des bâtiments amiantés parmi les lycées et les collèges. La question doit maintenant être traitée par les responsables des collectivités locales – conseils régionaux et généraux, municipalités. Car ce sont eux les propriétaires des établissements scolaires et non l’État.