Interviews de M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire de la ville et de l'intégration, à RMC le 16 juillet 1996 et à RTL le 18 juillet, sur la politique gouvernementale, les relations entre majorité et gouvernement, et sur la création d'une zone franche en Corse.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission L'Invité de RTL - RMC - RTL

Texte intégral

RMC - Mardi 16 juillet 1996

RMC : Face aux difficultés et à l’inquiétude des Français, le président de la République a décidé qu’il fallait continuer la même politique avec les mêmes responsables. Est-ce que c’est, à votre avis, le bon moyen de rétablir la confiance entre le pouvoir et les citoyens, cette fameuse confiance qui manque ?

J.-C. Gaudin : Que le président de la République renouvelle sa confiance au Premier ministre et à son gouvernement, ça me paraît une bonne chose, ça encourage à aller de l’avant, ça soude notre majorité. Il n’y a pas d’autre politique alternative. Nous menons, sous l’autorité, sous l’impulsion du président de la République, une politique courageuse de réduction de nos déficits publics, de réduction du budget de l’État afin de réparer les errements de quatorze années de socialisme où on est allé droit dans le mur, où on a ouvert absolument tout pour donner de l’argent, faire des promesses. Et aujourd’hui, il faut rattraper cela. Donc, c’est cette situation. Ce n’est pas que ça nous fait plaisir de limiter ici ou là, mais c’est indispensable si on veut que la France reste un grand pays.

RMC : C’est la seule politique possible ?

J.-C. Gaudin : Il me semble.

RMC : Il n’a pas d’aménagements possibles ?

J.-C. Gaudin : J’entends ici et là des remarques. C’est tellement facile, quand on n’exerce pas le pouvoir, de donner des leçons, de faire des encycliques sur la monnaie, sur une interprétation nouvelle de l’économie, sur la lutte contre le chômage. Si quelqu’un avait la baguette magique et si nous l’avions découverte, ça se saurait, et quel que soit le prix, nous l’aurions achetée.

RMC : Est-ce que le président a eu raison de secouer un peu les députés de la majorité en leur demandant de s’engager plus fermement aux côtés du gouvernement. Est-ce que ça vous paraissait une remarque nécessaire ?

J.-C. Gaudin : Oui, absolument. Nos amis, dans la majorité, subissent, bien entendu, en province, dans leur circonscription, un certain nombre de pressions, ils voient l’inquiétude des Français. Dès qu’ils sont dans une manifestation, trois ou quatre personnes leur demandent un emploi qu’ils ne peuvent pas donner. Évidemment, cela inquiète nos parlementaires. Nos parlementaires sont aussi inquiets par un aspect politique des choses. La plupart d’entre eux ont découvert depuis un certain nombre d’années le Front national et pensent que le maintien du candidat du FN au second tour, ce qui arrivera d’ailleurs, peut les faire chuter. Je leur dis : « retroussez les manches, ne vous plaignez pas, allons-y, expliquons notre politique ». Le FN, en ce moment, dans notre pays, ne progresse pas. Il y a trois semaines, il y a eu une élection cantonale à Marseille, dans un des plus grands cantons de Marseille, au cœur de la ville, c’est-à-dire à un endroit très difficile où l’héritage des socialistes nous a laissé un quartier paupérisé. On nous avait prédit que le candidat du FN arriverait nettement en tête et que nous allions voir ce succès incroyable. Le candidat du FN est arrivé à cinq points derrière notre candidate RPR-UDF qui a été élue conseiller général. Donc, il y a eu dimanche, à Saint-Martin-de-Crau, un grand rassemblement avec M. Le Pen, avec M. Mégret…

RMC : Demandant la démission du président de la République ?

J.-C. Gaudin : Oui, avec agressivité, comme ils savent le faire. Le Pen a tapé sur le président de la République. Il paraît que Mégret m’aurait agressé. Et sur quoi ? Il y a dix ans que je préside cette région, j’ai fait trente lycées, j’en ai rétabli, réhabilité 150, j’ai fait des routes, des autoroutes, des pôles technologiques, créé des emplois, ce n’est pas M. Mégret qui va me dire qu’il faut donner la préférence nationale. Qu’est-ce que ça veut dire ça ? C’est contraire à la loi. Alors, si les députés de la majorité, aujourd’hui, se retroussent les manches et tapent un peu plus fort et sont un peu plus dynamiques pour soutenir le gouvernement et ont un peu moins peur, à ce moment-là, vous verrez que nous gagnerons 1998 parce que je ne vois pas comment nous pourrions perdre 1998. Ce n’est pas M. Hollande qui nous fera perdre les élections.

RMC : Il y a longtemps qu’on ne vous avait pas entendu aussi électrique ?

J.-C. Gaudin : Je suis en forme.

RMC : N’êtes-vous pas inquiet du fait que les Français sont un peu désabusés, perplexes ? N’ont-ils pas de bonnes raisons de l’être et comment ne pas en tenir compte quand on est au pouvoir, comme vous ?

J.-C. Gaudin : Justement, nous en tenons compte. Vous pensez bien que nous voudrions annoncer aux Français de meilleurs chiffres dans l’économie, dans la croissance, c’est notre objectif. Et toutes les décisions que nous prenons, pour dures qu’elles soient, doivent à un moment ou à un autre porter leurs fruits. Alors, nous espérions une reprise de la croissance maintenant. Visiblement, il nous faut attendre encore quelques mois. Le mérite d’A. Juppé – parce que personne ne peut contester les qualités intellectuelles et les qualités d’intelligence du Premier ministre ; le Premier ministre est un homme intelligent, il est en même temps un homme courageux, il est en même temps un homme qui a fixé le cap sous l’impulsion du président Chirac… ».

RMC : Mais il a de mauvais sondages ?

J.-C. Gaudin : Qu’est-ce que vous voulez faire, ça va, ça vient. Il est sûr que les hommes politiques préfèrent tous avoir de bons sondages. Rappelez-vous que M. Mitterrand, pendant des années, n’a eu que des mauvais sondages, ça ne l’a pas empêché de rester quatorze ans.

RMC : Vous avez tenu une réunion du conseil de l’union – c’est le nom que vous avez choisi pour le RPR et l’UDF pour montrer votre unité. Hier, tout le monde s’aimait autour de cette table qui réunissait les partenaires de la majorité alors que vous savez mieux que personne qu’on entend, qu’on lit, qu’on écoute tous les jours des gens de la majorité dire qu’il faudrait faire, peut-être, un petit peu autrement pour que ça marche ?

J.-C. Gaudin : Vous êtes marrants, les journalistes. Imaginez que nous ne nous soyons pas mis d’accord pour nous rencontrer avant les vacances pour penser à notre schéma d’organisation, qu’est-ce que vous n’auriez pas dit ! Voilà que nous déjeunons en toute amitié, en toute simplicité… Oui, il y a compétition, bien entendu qu’il y a compétition dans une majorité où il y a de grandes familles. L’UDF n’a pas envie de se faire absorber par le RPR et le RPR veut tenir sa place. Pour autant, il est un certain nombre de personnalités, dans cette majorité, qui sont des hommes d’expérience, d’équilibre, de sagesse et qui ont en charge de veiller à la bonne organisation des choses. Côté UDF, pour préparer les élections – je commence à avoir un peu l’habitude, je le fais depuis 1981 et je le fais, les députés pourraient le dire mieux que moi, avec quelque succès.

RMC : Doigté ?

J.-C. Gaudin : Si on veut.

RMC : Demain, vous allez en Corse avec M. Juppé. Tout le monde dit qu’on doit appliquer la loi républicaine en Corse. C’est possible aujourd’hui d’appliquer la loi républicaine en Corse ?

J.-C. Gaudin : Il faut que ça le soit. Le président de la République a été clair, net et précis. La volonté du Premier ministre est la même, l’ordre républicain s’applique dans tous les départements de notre pays…

RMC : Doit s’appliquer ?

J.-C. Gaudin : Doit s’appliquer. Corse comprise. Il ne faut pas non plus dramatiser par une médiatisation excessive. C’est une infime minorité qui est passionnée d’indépendantisme, de séparatisme. Jusqu’à présent, ils réglaient des comptes entre eux, maintenant, cela prend une autre allure, le gouvernement de la République ne doit pas tolérer cela et nous n’avons pas l’intention de le tolérer, et M. Debré prend toute une série de mesures nécessaires.

RMC : En même temps que le rétablissement espéré de l’ordre républicain en Corse, est-ce qu’il y aura à la clé ce que les Corses attendent, c’est-à-dire l’aide économique et la zone franche ?

J.-C. Gaudin : Oui, le Premier ministre annoncera demain une zone franche. J’ai moi-même, en son nom, négocié, à Bruxelles, toutes les dispositions nécessaires pour apporter aux Corses, qui veulent rester, dans leur immense majorité, unis à la république française, une série d’avantages supplémentaires. Les Corses nous demandaient un POSEI, c’est un plan d’aide que, généralement, la Communauté économique européenne accorde pour les îles très lointaines. La communauté n’a pas voulu un POSEI parce que ça déséquilibrait par rapport à la Sardaigne et par rapport aux îles grecques. Par contre, j’ai négocié pied à pied toute une série d’avantages qui, sans s’appeler POSEI – c’est une canada dry, un peu…

RMC : Avec le même argent à la clé ?

J.-C. Gaudin : Avec quand même de l’argent mais attention, c’est l’argent français. Il y aura un peu d’argent européen mais c’est surtout l’aide de la France. Que redoute la communauté ? Les déséquilibres sur la concurrence. Si on aide la filière porcine pour faire de la charcuterie corse en Corse, ça ne met pas en péril la concurrence dans les pays européens et ça aide ceux qui, en Corse, ont des petites industries qui font travailler les Corses et qui donnent une charcuterie, en plus, d’une grande qualité.

RMC : Merci d’avoir été avec nous ce matin.

J.-C. Gaudin : J’aurais voulu vous parler de l’OM. C’est une nouvelle page de tournée et dans le bon sens, et nous n’avons mis que douze mois pour arriver à rétablir l’OM dans la cour des grands. Ce n’est pas si mal que ça, à partir de l’endroit d’où nous venions.

 

RTL - Jeudi 18 juillet 1996

M. Cotta : Nous sommes en Corse et vous venez d’apprendre la catastrophe du New York-Paris de la TWA. Votre première réaction ?

J.-C. Gaudin : Stupeur, indignation. Je pense immédiatement à toutes ces personnes, à leurs familles qui doivent être totalement dans l’angoisse. Vous voyez, des bombes, il n’y en a pas qu’en Corse. Et là, c’est même pire.

M. Cotta : Pour le moment nous n’en savons rien, mais…

J.-C. Gaudin : J’ai entendu les réactions de G. Drut qui se trouve à New York, puisqu’il partait pour les Jeux d’Atlanta. C’est un mauvais signal qu’il va falloir effacer pour les Jeux d’Atlanta.

M. Cotta : Dans cette Corse compliquée, vous arrivez avec une zone franche. Est-ce la solution miracle ?

J.-C. Gaudin : En tout cas, c’est une solution qui avait été annoncée par le Premier ministre. Le Premier ministre avait dit au mois de mars qu’il voulait une zone franche pour la Corse, je suis allé, en son nom et au nom du gouvernement, négocier cela à Bruxelles, Bruxelles nous a donné son accord.

M. Cotta : Sans vider le texte de son contenu ?

J.-C. Gaudin : Sans vider le texte de son contenu. C’est un accord officieux, ce sera un accord officiel quand le Premier ministre aura fait toutes ses annonces. Il a commencé hier, il en fera aujourd’hui à Corte sur l’agriculture, sur la pêche, et sur un certain nombre de sujets qui intéressent nos compatriotes corses.

M. Cotta : Certains disent ici « autant donner des vitamines à un malade en phase terminale ». C’est trop pessimiste ?

J.-C. Gaudin : Oui, tout à fait. Au contraire. Moi, je suis optimiste, pour la bonne raison que nos compatriotes corses connaissent de nombreuses difficultés. En plus des difficultés économiques, ils sont confrontés à la violence. Le gouvernement veut redresser cette situation. Nous voulons soutenir absolument la quasi-totalité des Corses qui veulent rester unis au sein de la République française. Ils ont une mauvaise passe et le gouvernement vient les aider tout comme le gouvernement fait acte de solidarité sur le continent avec d’autres secteurs de notre économie qui se trouvent confrontés aussi à des problèmes.

M. Cotta : Qui ces mesures vont-elles toucher, les hôteliers, les agriculteurs ?

J.-C. Gaudin : Beaucoup de monde. Exonération de charges fiscales et sociales pour les entreprises, de toutes tailles. Ce sont, bien entendu, des décisions qui représentent des sommes très fortes, c’est de l’ordre de 600 millions par an pendant cinq ans, vous voyez que là, le gouvernement fait acte de solidarité. Je ne vais pas vous développer, faute de temps, toutes les exonérations et tous les avantages que nous donnons. Je dis aux Corses, qui étaient attachés à avoir un POSEI, que Bruxelles ne voulait pas entendre parler d’un POSEI – c’est un plan d’aide pour les villes lointaines – mais que ce que A. Juppé a obtenu et annoncé est bien supérieur au POSEI.

M. Cotta : Peut-on pacifier grâce au développement économique ?

J.-C. Gaudin : Il y a deux choses. Il y a, d’une part – le Premier ministre est formel – le fait que nous voulons que l’ordre républicain règne dans les deux départements de la Corse, comme sur tout le pays. Vous savez que le Premier ministre a dit hier, de la manière la plus nette : « ceux qui pratiquent le culte de la violence et qui sèment la mort n’ont rien à espérer ». D’un côté, il faut la netteté, la fermeté, il faut que la justice se passe ; de l’autre côté, il faut que nous aidions nos compatriotes corses à sortir des difficultés. Le tourisme, par exemple. Vous y êtes, vous le voyez : il y a quelque chose cette année…

M. Cotta : … oui, il n’y a pas grand monde cette année !

J.-C. Gaudin : Par conséquent, pour l’hôtellerie du tourisme cela va être terrible ! Et pourquoi ? Parce que les gens ont peur ! Il faut donc, d’une part, avoir une politique de fermeté et, d’autre part, nous apportons les aides nécessaires à nos compatriotes.

M. Cotta : J. Chirac a affirmé le 14 juillet sa volonté de détruire les armes illégales. Est-ce possible dans un pays où le port d’arme fait partie des droits acquis ?

J.-C. Gaudin : Justement. Beaucoup de gens en Corse commencent à être lassés par la violence. Beaucoup maintenant le disent. Vous savez bien que les chrétiens, par exemple, autour de l’évêque d’Ajaccio, ont dit très clairement qu’ils étaient opposés au port d’arme. Par conséquent, le président de la République a bien raison de le rappeler. D’ailleurs, si nous sommes ici avec le Premier ministre, c’est aussi sur la volonté du président de la République.

M. Cotta : Les forces de police sont suffisantes ici ?

J.-C. Gaudin : Elles sont suffisantes. M. Debré qui accompagne aussi le Premier ministre, comme moi, l’a expliqué hier : il y a les forces de police nécessaires. Nous avons la volonté que cette violence cesse. Elle ne cessera pas du jour au lendemain. Personne – pas plus pour le chômage que pour la violence – n’a de baguette magique. S’il y avait une baguette magique, nous l’aurions achetée, quel que soit le prix.

M. Cotta : A. Juppé souhaite que « ceux qui franchissent la barrière de la légalité ne puissent pas compter sur la complicité et la duplicité de quiconque ». À qui fait-il allusion, aux hommes politiques qui, de temps en temps, ont un double langage, ou aux Corses eux-mêmes ?

J.-C. Gaudin : Dans deux départements, avec un si petit nombre d’habitants, tout le monde se connaît et tout le monde peut être tenté, à un moment ou à un autre, de faciliter telle ou telle chose. Mais, aujourd’hui, je crois que l’état d’esprit change en Corse, qu’il y a un autre climat. En tout cas, il y a des hommes courageux qui disent que la situation doit changer. Ce sont ces gens-là que le gouvernement doit soutenir, doit aider. C’est ce que nous sommes venus dire, c’est ce que le Premier ministre, courageusement, a dit hier devant l’Assemblée corse.