Texte intégral
Mesdames,
Messieurs,
Je suis heureux de vous accueillir et d'ouvrir cette journée de travail consacrée aux droits des malades.
J'ai proposé au collectif inter associatif de santé, dès ma première rencontre avec eux, que nous organisions ensemble cette journée de travail. J'ai le plaisir de constater que vous êtes nombreux à donner du temps pour débattre d'un sujet majeur de l'organisation de notre société.
Je voudrais vous dire que vous êtes ici chez vous.
C'est votre ministère. Et, paradoxalement, les malades – ou les usagers – ont certainement été trop absents, trop discrets, trop oubliés, en tous cas pas assez considérés comme partenaires, acteurs à part entière.
Aussi, la préparation de cette journée s'est faite dans un délai court, mais avec enthousiasme. Je souhaite qu'elle soit l'occasion d'un échange de points de vue constructifs.
Au fil des années, en miroir des devoirs des médecins est apparue la notion des droits des malades ; François STASSE y reviendra plus longuement tout à l'heure à partir de l'excellent rapport du Conseil d'État consacré au droit à la santé. Cette notion est complexe. La notion de droit à la santé ne peut être entendu comme d'autres types de droit. Il est plus difficile à cerner, principalement parce que la relation entre le médecin et le malade n'est pas une relation contractuelle habituelle. Le médecin est en position de soignant. L'un est debout, en bonne santé, l'autre est couché, malade.
Ces droits, dont la construction est surtout jurisprudentielle, ne sont pas encore pleinement consacrés ; les textes réglementaires qui leur sont consacrés sont principalement contenus dans le code de déontologie des médecins. Pour le code de la santé au moins il s'agit encore de devoirs des médecins et non de droits des malades.
Comme vous le savez, Martine Aubry et moi-même entendons redonner un sens à notre système de santé dont les tentatives de réforme, menées brutalement, n'ont pas su réconcilier nos concitoyens avec leur assurance maladie, avec un monde qu'ils comprennent mal et qu'il leur semble obscure voire hostile dès lors pourtant qu'il les prend en charge. On leur a parlé de chiffres, de maîtrise, de contrainte. Ils y ont vu malice.
Il faut imposer le malade, l'être humain au cœur du système de santé : ce n'est pas simple.
C'est par exemple ce que j'ai souhaité accomplir en matière de lutte contre la douleur, d'organisation des soins palliatifs et de développement de réseaux de santé.
Pour lutter contre la douleur, il est nécessaire d'améliorer la formation des professionnels. Il faut aussi favoriser l'accès aux antalgiques majeurs, en supprimant le carnet à souches, en généralisant les protocoles déléguant aux infirmiers la prescription des antalgiques. Nous sommes en train de le faire.
Mais il faut aussi et surtout s'occuper du malade, du malade qui souffre, qui a peur de souffrir, qui a peur de dire qu'il souffre.
Le plan triennal de lutte contre la douleur fait une large place au malade : campagne d'information à destination du public, remise à chaque patient hospitalisé d'un livret sur la douleur, sa mesure et son traitement et d'une réglette lui permettant de mesurer sa douleur. Mesure de la satisfaction des usagers également.
Je suis en effet convaincu qu'il faut s'intéresser au malade, le faire participer, et le faire participer en particulier au traitement de sa douleur. Le mettre en position de faire valoir ses droits.
La représentante d'une des associations qui a préparé cette journée a utilisé à ce propos une expression très importante : faire du malade, un acteur bénévole de notre système de santé.
La même préoccupation permanente du malade me guide en matière de développement des soins palliatifs. À mes yeux, les soins palliatifs, leur nécessaire développement, ne correspondent pas à une préoccupation marginale, encore moins à un luxe, mais au cœur des enjeux et des défis de la santé.
Un système de santé plus proche de nos concitoyens doit savoir traiter la mort.
Car, tout le montre, nos concitoyens demandent une médecine plus humaine. C'est bien cela qui ressort de cette préoccupation constante de la proximité, de son attachement au médecin de famille, aux petites structures de soins.
Là encore, j'ai souhaité que le public soit informé des soins palliatifs existants, afin que chaque malade puisse être en position de demander, que chacun sache où s'adresser.
J'ai également souhaité que soient développés des garde-malades, ou des accompagnants de fin de vie, qui puissent venir soulager la famille et les proches dans les derniers jours, et surtout dans les dernières nuits. J'ai enfin suggéré que les partenaires sociaux réfléchissent à un congé d'accompagnement qui me paraît plus important que bien des petits congés de maladie. Il nous faut sur cette question une grande ambition, car nous avons besoin d'une large mobilisation des professionnels de santé et des associations que vous représentez autour de cet enjeu.
C'est dans la même logique de préoccupation constante du malade que nous souhaitons, Martine Aubry et moi-même, que se développent les réseaux de soins. Il est essentiel de sortir de la conception éclatée de notre médecine : le malade ne doit pas se déplacer d'un médecin à l'autre de la ville à l'hôpital et de l'hôpital à la ville en courant d'\ln généraliste à un spécialiste. Il faut repenser l'organisation de la médecine autour du malade, et que les professionnels ; organisés en réseau lui offrent conjointement et de façon coordonnée les services dont il a besoin. C'est ce que nous avons lancé en matière de cancérologie. Il nous faudra poursuivre cet effort pour modifier durablement les pratiques médicales.
La sécurité sanitaire est également un enjeu essentiel du droit des malades : faire en sorte que les produits de santé soient aussi sûrs que possible est une préoccupation majeure du Gouvernement. C'est pourquoi, dès le mois de juin 97, je me suis fixé comme priorité de faire adopter la proposition de loi sur la sécurité sanitaire qui avait été déposée au Sénat. Il faut à tout prix éviter que les consommateurs ne deviennent malades. Les risques auxquels nous sommes confrontés évoluent, les drames de ces dernières années sont encore là pour nous le rappeler.
Votre journée de travail est animée par la même préoccupation constante du malade. Il existe également une forte attente de notre société sur ces sujets ; s'il est de la nature de la médecine de progresser à la fois en chances et en risques, les victimes et le public ne peuvent plus admettre qu'un acte médical destiné à guérir engendre infirmités et mort.
La jurisprudence de la responsabilité médicale a considérablement évolué ces dernières années. Cette évolution participe d'un mouvement plus général de notre société ; elle révèle l'importance prise par les problèmes de santé et le désarroi de la société devant l'efficacité croissante des thérapeutiques qu'accompagne une augmentation des risques.
À mon arrivée en 1992 au ministère de la santé, préoccupé de cette question, j'avais demandé à François Ewald une étude qui permette d'appréhender ce sujet complexe. Je lui avais en particulier demandé de préciser les données et les enjeux du problème de l'indemnisation des conséquences des actes médicaux.
Dans ce rapport François Ewald a estimé que l'enjeu du problème de la responsabilité des médecins, qu'il établit comme la définition des obligations réciproques entre médecin et malade, est de recréer entre médecin et malade un langage de soins qui soit un langage commun.
Je partage complètement ce point de vue. Le fil qui doit nous guider est celui de redéfinir la relation entre le médecin et le patient.
Pour cela, il est nécessaire de fixer quelques principes permettant de mieux organiser les droits de la personne malade et d'organiser une relation renouvelée, entre celui qui souffre et celui qui tâche de le guérir, vers plus de transparence et de confiance.
Certes des progrès ont été accomplis, mais les droits fondamentaux des malades méritent d'être approfondis et mis en perspective. Les directions que vous avez choisies, et qui sont les thèmes de vos ateliers me semblent les bonnes. Elles tentent clairement de cerner les différentes questions qui se posent en matière de droit des malades.
En ce qui concerne l'information, j'imagine que vous allez souhaiter une information claire, objective et pertinente de l'usager du système de santé. C'est par exemple l'esprit dans lequel nous avons mis en œuvre l’information a priori des patients qui reçoivent des produits sanguins, en suivant l'avis du comité d'éthique. Mais il y a encore trop de situations dans lesquelles l'information du patient pourrait être améliorée.
Il est indispensable de lutter contre l'inégalité entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. L'égalité d'accès à des soins de qualité passe par une information complète des usagers sur l'organisation de notre système de santé. C'est un des enjeux majeurs de l'accréditation des établissements de santé, qui a été confiée à l'ANAES.
J'attends beaucoup de vos échanges, et d'abord des propositions constructives, réalistes et innovantes que nous diffuserons largement sous forme d'un compte-rendu de cette journée pour alimenter la réflexion générale.
Je crois en effet profondément qu'il faut donner la parole aux patients, et pas seulement lorsqu'ils sont en position de victimes, mais aussi en les considérant comme des acteurs à part entière du système de santé.
L'émergence d'associations de patients est un phénomène récent, que l'on a trop tendance à sous-estimer. Vos associations jouent un rôle de plus en plus important. Vous devez être des interlocuteurs réguliers.
Je souhaite contribuer à faire du patient un partenaire actif, averti. Cette démarche est efficace, nous l'avons vu pour le SIDA. Nous le voyons aujourd'hui dans d'autres pathologies.
Au-delà de cette journée nous poursuivrons ces travaux par d'autres échanges avec les uns et les autres.
Les réflexions que nous devons ; mener doivent conduire, dans ce domaine à conjuguer responsabilité et solidarité, pour reprendre une expression contenue dans le rapport annuel du Conseil d'État. À cet égard, vos réflexions d'aujourd'hui nous sont très précieuses.
Nous avons besoin de vous pour construire la démocratie sanitaire. Je souhaite à toutes et à tous un bon travail.