Texte intégral
I. – La conviction du Gouvernement est que l’aménagement et la réduction du temps de travail menés de concert peuvent être une des voies pour enrichir la croissance en emploi.
Mais ce n’est possible que, si certaines conditions sont respectées.
Dans ce débat, il faut éviter deux écueils : la vision malthusienne d’un partage du travail ainsi que les solutions en kit.
L’expérience nous a appris qu’une réduction autoritaire du temps de travail serait peu efficace pour l’emploi.
Par contre les expériences de réduction et d’aménagement du temps de travail qui ont été menées dans les entreprises à leur initiative ont montré un réel potentiel de création d’emplois.
De même, les différentes études économiques, construites à partir de modèles, nous montrent un lien significatif entre le temps de travail et l’emploi, sans que pour autant ces données constituent des garanties et suffisent à convaincre tout un chacun de tenter ce pari.
C’est pourquoi l’expérience a une force de conviction très forte en matière de temps de travail.
La lutte contre le chômage repose sur un ensemble de mesures allant de la diminution du coût du travail à l’incitation à l’innovation. La réduction du temps de travail constitue un volet parmi d’autres de la politique de l’emploi. Il s’agit aujourd’hui de l’explorer à fond car on ne peut pas en négliger le potentiel de création ou de maintien de l’emploi.
Tout ne doit pas être attendu de l’aménagement-réduction du temps de travail. Celle-ci doit rester à l’initiative des entreprises, adaptée à leurs besoins. Les règlements relatifs à la durée du travail ne sont pas le gage d’une réelle réduction du temps de travail et surtout ne constituent pas en eux-mêmes une solution pour réorganiser le travail et créer de l’emploi.
Il ne s’agit pas de partager une quantité fixe d’heures de travail entre toutes les personnes susceptibles de travailler. La réduction du temps de travail a beaucoup souffert de cette présentation malthusienne qui n’est pas celle souhaitée par les entreprises ni celle retenue par le Gouvernement.
Contrairement à une autre présentation réductrice, la réduction du temps de travail n’induit pas non plus mécaniquement une réduction des heures travaillées dans l’entreprise ou une augmentation des coûts de production, si elle s’accompagne d’une modification de l’organisation de la production. Pour éviter les surcoûts et les pertes de revenus, il faut avoir la garantie d’une mise en œuvre d’une véritable organisation du temps de travail.
Aménagement et réduction du temps de travail vont de pair. Cette problématique de l’aménagement-réduction du temps de travail est fondée sur le pari du triple gagnant : l’entreprise gagne de la flexibilité donc la productivité, le salarié gagne du temps libre, et la collectivité gagne des emplois nouveaux.
Il peut s’agir de démarches collectives ou de démarches individuelles de temps choisi. Mais progresser sur cette voie difficile nécessite des efforts de tous et une grande volonté de négocier.
Première condition : des efforts sont nécessaires.
Effort de l’entreprise et de l’encadrement en particulier qui doivent aménager différemment les cycles de production ou les horaires de service aux clients.
Effort des salariés qui acceptent une plus grande variabilité des horaires et pour lesquels se pose un problème d’évolution des rémunérations.
Effort de l’État qui doit savoir intervenir pour pousser la négociation et non s’y substituer.
Deuxième condition : Le point d’équilibre entre les intérêts de l’entreprise et des salariés ne peut être trouvé que par la négociation.
C’est pour cette raison que l’accord interprofessionnel signé le 31 octobre dernier est important : il engage les partenaires sociaux sur la voie de la négociation de branches, puis d’entreprises.
Cet accord a également permis de dépasser les querelles théoriques. Les signataires ont reconnu que :
- l’objectif commun est l’accroissement de la compétitivité des entreprises ;
- cet accroissement passe notamment par une organisation plus souple de l’entreprise autorisant une réduction de la durée du travail.
Les négociations de branches prévues par l’accord interprofessionnel sont en cours, ce qui est déjà encourageant quand on sait la difficulté de décliner au niveau des branches les décisions interprofessionnelles et surtout connaissant la sensibilité du thème de la réduction du temps de travail.
Bien entendu, entamer une négociation ne signifie pas la conclure positivement et il faut être très attentif à la qualité des accords.
Troisième condition : Il est de la responsabilité des pouvoirs publics de favoriser la négociation et d’inciter les partenaires sociaux à déboucher sur la création de nouveaux emplois.
Sinon, les gains de productivité seront répartis exclusivement en hausses de salaires et en meilleurs profits pour l’entreprise.
Il. – La méthode choisie par le Gouvernement a pour objectif de permettre le respect de ces conditions
1) Mettre en garde contre les solutions en kit et contre les discours de ceux qui ont une vision malthusienne de partage du travail.
Il ne faut pas faire croire que l’on peut réduire le temps de travail sans faire des efforts et sans aménager le temps de travail : les coûts unitaires de production ne doivent pas augmenter.
La baisse de la durée du travail ne doit pas se traduire par une baisse proportionnelle de la durée d’utilisation des équipements. Au contraire, la capacité productive de l’économie doit augmenter.
2) Privilégier la négociation en laissant la négociation sociale se dérouler.
Début juillet, l’État a fait le point avec les partenaires sociaux pour soutenir la dynamique de négociation dans les entreprises.
Si une loi est nécessaire, ce sera pour soutenir le dialogue social dans l’entreprise, et non pour s’y substituer. Il n’y a pas concurrence entre les deux démarches mais complémentarité.
3) L’État doit aussi créer et calibrer les incitations financières à la réduction du temps de travail dans des conditions créatrices d’emplois.
a) Pour le temps partiel existe l’abattement de 30 % des charges patronales.
Le mécanisme de ristourne sur les bas salaires sera également simplifié au 1er octobre prochain dans un sens très favorable au temps partiel : en effet la ristourne ne dépendra plus du nombre d’heures travaillées dans le mois, mais du simple salaire.
Cumulés, ces deux avantages peuvent représenter jusqu’à 19 % de baisse du coût du travail.
Cette nouvelle impulsion doit donner un nouvel élan au temps partiel dont la croissance semblait s’essouffler.
b) Aider à la réduction collective du temps de travail.
C’est l’objectif recherché par la loi du 11 juin 1996.
Cette loi va donc dans le bon sens et il faut l’utiliser au maximum.
J’espère que de nombreuses entreprises se lanceront, fortes du soutien financier apporté par l’État.
Mais le calibrage de l’aide n’a pas été aisé à déterminer car les conditions économiques, les besoins de flexibilité sont tellement différents selon les entreprises, qu’une intervention uniforme de l’État risque d’être insuffisante dans certaines entreprises, et trop forte dans d’autres.
C’est pourquoi les aides de l’État n’ont pas vocation à assurer sur le long terme une compensation des pertes de rémunération liées à la réduction du temps de travail mais à aider l’entreprise à réaliser son projet dans le respect des intérêts de chacun.
Je tiens à rappeler aussi qu’il ne faut pas juger de la pertinence d’une démarche à ses résultats à très court terme. En matière de temps de travail le contexte économique pèse d’un grand poids :
La démarche d’aménagement et de réduction du temps de travail est beaucoup plus facile en période de croissance et peut contribuer à insuffler cette croissance.
Si l’on raisonne à production constante en attendant d’une politique d’aménagement – réduction de la durée du travail qu’elle fasse jouer seulement ses effets purs de partage du travail, il y aurait des réductions importantes de salaires.
Or ces réductions de salaires ne peuvent être envisagées.
En revanche, dans le cadre d’une stratégie de croissance économique, une politique d’aménagement-réduction du temps de travail prend tout son intérêt et trouve sa justification.
Elle peut en effet devenir – par l’enrichissement de la croissance en emplois qu’elle permet – un facteur de réduction du chômage.
III. – Après la réunion de Matignon tenue le 8 juillet : le plan d’action
Lors de cette rencontre, le bilan des négociations de branche a été dressé. Tous les participants ont admis qu’il fallait laisser continuer les négociations. Par ailleurs, la répartition des rôles entre l’État et les partenaires sociaux a fait l’objet d’un accord ; les actions des uns et des autres s’articulent autour de quatre thèmes :
1. Dynamiser la négociation.
2. Arrêter les excès.
3. Éviter les licenciements par l’aménagement-réduction du temps de travail.
4. Répartir équitablement les gains de l’aménagement-réduction du temps de travail.
1. – Dynamiser la négociation
Tous les partenaires sociaux signataires de l’accord du 31 octobre ont demandé au Gouvernement de ne pas entreprendre une législation d’ensemble sur le temps de travail afin de ne pas paralyser les négociations engagées.
Cependant le Gouvernement et les partenaires sociaux ont décidé d’une nouvelle rencontre avant la fin de l’année pour faire un nouveau point d’étape sur l’avancement des négociations.
De plus, nous avons pris contact avec les branches professionnelles qui n’avaient pas tenu de première réunion de négociation.
Le Gouvernement s’est par ailleurs engagé à instituer un dispositif d’appui aux PME souhaitant s’engager dans une démarche d’aménagement-réduction du temps de travail. Ce dispositif sera mis en place dès l’automne 1996 : les PME qui feront appel à des consultants ou engageront des démarches de formation, bénéficieront d’une aide financière auprès des DDTE pour une analyse rapide ou pour un accompagnement plus long, en s’inspirant de la démarche menée avec succès en Rhône-Alpes, à l’initiative du conseil régional.
2. – Arrêter les excès immédiatement
Les excès dans les conditions de travail imposées à certains salariés à temps partiel ne peuvent être admis : coupures multiples dans une journée, amplitudes journalières trop fortes…
Je souhaite que des solutions soient trouvées au sein des branches dans lesquelles ces problèmes sont concentrés.
Un point sera fait au 30 septembre pour examiner les résultats de cette concertation. S’il y a lieu, je proposerai alors des mesures législatives appropriées.
Concernant les heures supplémentaires, les partenaires sociaux ont décidé de discuter, au niveau national interprofessionnel, les conditions d’un recours mieux maîtrisé aux heures supplémentaires, notamment en prévoyant plus systématiquement leur compensation sous forme de repos compensateur.
Sur ces deux thèmes (heures supplémentaires et temps partiel), j’ai donc souhaité que les partenaires sociaux reprennent la négociation interprofessionnelle.
3. – Éviter les licenciements par l’aménagement-réduction du temps de travail
Le Gouvernement a rappelé que les entreprises devaient explorer tous les chemins autres que celui du licenciement. La nouvelle loi du 11 juin 1996 permet d’ailleurs d’accompagner des réorganisations du travail qui maintiennent l’emploi grâce à l’aménagement-réduction du temps de travail.
Le Premier ministre m’a demandé de veiller à ce que cette voie soit explorée systématiquement et que l’État n’accompagne financièrement les plans sociaux qu’à cette condition. Toutes les dispositions nécessaires ont été prises en ce sens.