Texte intégral
RTL le 17 avril 1998
J.-P. Defrain : Estimez-vous que le Président de la République a eu hier les bons arguments afin de convaincre les eurosceptiques ?
P. Moscovici : Le fait que l’Europe soit une force pour la France, une force supplémentaire est une argumentation qui me va. Je pense aussi qu'on aurait pu insister sur ce qui s'est passé depuis qu'il y a un nouveau Gouvernement en France, c'est-à-dire sur une réorientation de la construction européenne qui est désormais plus favorable à la croissance et à l'emploi. Le Conseil de l'euro, c'est le Gouvernement qui l’a proposé et qui l’a obtenu ; le Sommet sur l'emploi de Luxembourg, c'est le gouvernement qui l’a proposé ; le plan national d'action pour l'emploi que nous venons de présenter avec M. Aubry, c'est le gouvernement qui l’a proposé et obtenu. Tout cela fait aujourd'hui qu'effectivement l'euro pourra se réaliser dans quelques semaines sur une autre base que celle qui aurait été la sienne il y a un an. Mais bon, nous sommes pour l’Europe.
J.-P. Defrain : Cela veut-il dire que pour vous J. Chirac a voulu réaffirmer sa prééminence sur les dossiers de l'Europe ?
P. Moscovici : C'est assez naturel, d'une certaine façon. J. Chirac est le chef de l'État ; c'est lui qui représente la France dans le Conseil européen ; comme il l'a dit, nous travaillons sur ce plan là dans une cohabitation qui se passe plutôt bien, bien qu’en même temps, c'est le Gouvernement qui avance les dossiers, c'est lui qui fait des propositions. Je crois que nous avons apporté en tant que gouvernement de gauche une inflexion très notable à la construction européenne qui fait que la majorité plurielle, même avec des différences de sensibilité, peut se reconnaître, en tout cas lorsque nous l’avons fait bouger.
J.-P. Defrain : Précisément, faut-il s'attendre, mardi, lors du débat à l'Assemblée nationale, à un discours différent sur le fond de la part de L. Jospin ?
P. Moscovici : L. Jospin marquera, je crois, ce en quoi il est un Européen. Il dira avec clarté pourquoi il faut faire l'euro. Je pense aussi qu'il indiquera que cela se fait dans des conditions qui sont conformes à ce que la gauche a toujours dit, notamment avec les quatre conditions que nous avons placées devant, durant la campagne électorale : un euro large, ce qui est une bonne chose ; ce sera un euro qui ne sera pas surévalué, c'est une bonne chose ; ce sera un euro qui sera dirigé différemment avec un pôle politique ; ce sera un euro pour la croissance et l'emploi. Je crois qu'honnêtement nous n'avons pas à rougir de ce que nous avons fait : nous ne sommes pas des maastrichtiens fondamentalistes ; nous avons infléchi le cours de la construction européenne. Je crois que là-dessus, L. Jospin n'a pas de leçons à recevoir.
J.-P. Defrain : Mais ce matin, Robert Hue affirmait qu'il existait quand même une contradiction entre les engagements pris à gauche et la politique du gouvernement.
P. Moscovici : Je ne crois pas, très sincèrement. Je pense qu'il y a une parfaite convergence entre les engagements que nous avions pris, notamment nous, socialistes, pendant la campagne électorale, et ce que nous avons fait. Nous avions dit que nous n'aurions pas une conception disciplinaire de l'euro, que nous chercherions à élargir la marge de manœuvre, que nous chercherions à réorienter la construction européenne. Ce qui est vrai, et ce que chacun sait, c'est que les différents partis de la majorité n'ont pas sur cette question exactement la même position. Dont acte. Nous assumons les uns et les autres, et ça ne remet pas en cause la participation au Gouvernement, ni la direction générale donnée par le Premier ministre.
J.-P. Defrain : Comment analysez-vous les propos du Président de la République par rapport à L. Jospin ? En gros, il dit : « on a tous les deux le même engagement européen » ; mais sur les moyens d'y parvenir, il y avait quand même quelques coups de griffes à travers les critiques sur « trop de bureaucrates, trop de dépenses publiques et les 35 heures » ?
P. Moscovici : C'est un peu ce que je disais. Le Président de la République est le chef de l’État ; donc, nous travaillons avec lui en bonne intelligence pour parvenir à des positions européennes cohérente ; en même temps, le Gouvernement a son orientation qui est une orientation de gauche.
J.-P. Defrain : Arrivez-vous à concilier les deux ?
P. Moscovici : Sans problème, puisque d'une certaine façon, le Président de la République est avec nous dans cette politique. Je m'en réjouis.
J.-P. Defrain : Il vous a quand même donné hier le programme pour rendre la France tonique. Prenez-vous ça pour des conseils ou une leçon ?
P. Moscovici : Des conseils. Mais je crois aussi que le Gouvernement fait ce qu'il a à faire. Je pense par exemple à cette critique un peu voilée sur les dépenses publiques. Nous n'avons pas honte de la dépense publique. Nous sommes en train de faire la politique budgétaire qui est exactement l'inverse de celle que menait A. Juppé il y a un an. Il ne réussissait pas à baisser les déficits, et il augmentait les impôts. Nous, nous stabilisons les prélèvements obligatoires, nous baissons les déficits et en même temps nous maintenons un haut niveau de croissance avec une dépense publique qui permet de financer des priorités pour l'emploi et le social - je pense aux emplois-jeunes, aux 35 heures. Voilà des choses qui sont des réussites. Alors, bon, c'est une différence que j'assume sans aucun problème. Je ne pense pas que l’Europe doit être le synonyme en tout de la baisse des dépenses publiques ou de la protection sociale. Certains sont plus libéraux que d'autres. Nous ne sommes pas dans le même parti que J. Chirac, c'est clair.
J.-P. Defrain : Sur l'évolution souhaitée par le chef de l'État du scrutin pour les européennes, vous êtes plutôt d'accord ? Je crois que vous aviez des idées à peu près identiques.
P. Moscovici : J’avais même fait des propositions au Premier ministre, à L. Jospin, en janvier, avant que l'on ait l'occasion de vérifier aux régionales la nocivité d'un certain mode de scrutin. Je le lui ai réécrit après. Je pense qu'un bon mode de scrutin pour les européennes doit combiner deux éléments : d'une part, la proportionnelle - c’est ce que veulent les Européens, on ne peut pas l'écarter complètement. Je pense que c'est très important et que certains partis comme le Parti communiste soit convenablement représentés au Parlement européen. C'est fondamental. On doit pouvoir trouver des moyens de le faire. Il faut aussi de grandes régions. Sur cette base-là, il faut réfléchir, notamment sur la taille des circonscriptions. On verra comment on avance. Je suis favorable à cela. Il y a des arguments qui sont contre. Il ne faut pas les négliger. Il n'est pas évident qu'un élu d'une circonscription qui serait l'Ile-de-France soit tellement plus proche du terrain qu'un élu à la proportionnelle nationale. Il faut prendre tout cela en compte. Il faut chercher un consensus. Il faut aussi faire en sorte que tout en faisant que les députés européens soient des gens identifiables par les électeurs, donc plus proches - c'est mon souci en tant que ministre des Affaires européennes - qu’il y ait une représentation proportionnelle qui ne défavorise pas certains partis.
J.-P. Defrain : C. Proust en Franche-Comté vous accuse d’avoir fait perdre la région à la gauche. Il a d'ailleurs demandé des comptes à L. Jospin. Il estime que l’UDF J.-F. Humbert a été élu président grâce à un accord que vous auriez passé avec lui.
P. Moscovici : Tout ça est parfaitement public. J'aurais souhaité que la gauche gagne les élections régionales en Franche-Comté. Elle ne l'a pas fait. Nous sommes arrivés à égalité. La droite avait en son sein le doyen d’âge J.-F. Humbert qui a été le seul président qui, dans le vendredi noir du 20 mars où le Front national a fait élire cinq présidents de droite, a démissionné. C'est un geste que C. Proust est hélas le seul à ignorer. Il faut aussi en politique avoir une certaine élégance, surtout quand cette élégance rejoint un principe de réalité : de toute façon, nous ne pouvions pas avoir la présidence. Alors, tant qu'à faire, autant à la foi permettre à la morale de triompher, et aussi l'efficacité, parce que nous avons mis en place en Franche-Comté quelque chose de totalement original : une commission paritaire droite-gauche qui permet d'éviter que le Front national pèse sur les affaires de la région. Si M. Millon avait fait cela en Rhône-Alpes, on n’en serait pas là.
France 3 le 22 avril 1998
France 3 - L'euro bouleverse les clivages traditionnels gauche-droite. Le monde politique ne va-t-il pas se recomposer du fait autour de nouvelles alliances ?
Pierre Moscovici - Cela fait longtemps qu'il y a des divisions sur l'Europe et c'est vrai qu'elles traversent un peu les différents camps. À gauche, on savait depuis longtemps que les communistes ou le Mouvement des citoyens n'étaient pas emballés par l'euro. Cela ne les empêche pas d'être des membres parfaitement actifs et solidaires de la majorité. Mais ce qui est plus particulier, c'est ce qui s'est passé au RPR, parce qu'ils viennent quand même de changer trois fois de position en deux jours. C'est le parti du Président et Jacques Chirac leur a dressé la feuille de route : c’est l’euro. Hier, ils voulaient voter « non ». Ils se sont rendus compte que cela donnait l'impression d'être contre le Président, et voilà qu'ils quittent l'Assemblée en s'abstenant, après avoir dit qu'ils refusaient, tout en faisant une motion de censure au nom de l'opposition, mais sans que l’UDF soit au courant.
France 3 - Ils vous ont aidé finalement, car on a parlé moins du « non » des communistes que du changement de stratégie du RPR ?
Pierre Moscovici - Mais, ce n'est pas choquant, ce qui se passe à gauche. On le savait. Nous avions passé un contrat avec les Français. Nous, les socialistes, nous avions dit que nous mettions quatre conditions à l’euro. Nous voulons rééquilibrer la construction européenne. Nous savions que le Parti communiste n'était pas, encore une fois, très favorable à l'euro. Nous savions que le Mouvement des citoyens n'était pas pour. Donc, tout cela ne surprend pas, c'était attendu. En revanche, le déchirement de l'opposition, notamment l'attitude du RPR, est plus inattendu, et je ne crois pas que ce soit du meilleur effet.
France 3 - Les communistes souhaitent toujours un référendum sur la monnaie unique. Pourquoi l'exclure, alors que depuis le Traité de Maastricht, il y a eu le Traité d'Amsterdam, et le fameux Pacte de stabilité ?
Pierre Moscovici - Pour une raison simple, c'est que les Français ont déjà voté. En 1992, ils ont déjà voté par référendum pour le Traité de Maastricht. Ils ont voté oui. Il y a eu le Pacte de stabilité mais ce n'est guère qu'une des modalités du Traité de Maastricht. En fait, tout était déjà dans le référendum sur le Traité de Maastricht. Le Traité d'Amsterdam vient devant nous. Nous verrons comment cela sera ratifié. Je suis plutôt pour la voie parlementaire parce que je pense qu'un référendum sur la question européenne, justement dans ce climat d'instabilité politique, dans ce climat de déstabilisation des différentes forces et notamment de la droite, qui, là-dessus, est également en train d'exploser avec la montée du Front national, n'est pas très sain. Je crois que cela risquerait de ressusciter toutes les peurs françaises. On ferait payer à l'Europe tous les malaises de la société française. Non, le Traité d'Amsterdam est un traité technique ; ratifions-le par la voie parlementaire.
France 3 - Les élections européennes auront lieu l'an prochain. Le mode de scrutin va être modifié. Le Figaro parlait hier de treize grandes régions. Vous confirmez ?
Pierre Moscovici - J'ai proposé cette modification, parce que je pense qu'il faut que les députés européens soient plus identifiables par les gens. J'ai été parlementaire européen : on ne savait pas comment on était élu. En fait, on est élu sur une liste nationale. Ce n'est pas bon. Il faut rapprocher les députés européens des gens. Et donc, il vaut mieux effectivement avoir des grandes régions. J’ai fait une suggestion qui est, pour ne pas compliquer les choses, de regrouper des régions actuelles, de mettre par exemple la Bretagne et les Pays de Loire, de mettre les deux Normandie ensemble, de mettre le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie, de mettre la Bourgogne et la Franche-Comté, qui est ma région, ensemble. Cela pourrait faire dix, faire onze, faire treize. Je crois que ce qui est important, c’est effectivement qu’on puisse savoir pour qui on vote. C’est la seule façon d’ailleurs de réconcilier les Français avec l’Europe. Les élections européennes sont quand même les élections où l’on vote le moins. Et je tiens à ce qu’on aime l’Europe, à ce que l’Europe soit populaire. Pour cela, il faut aussi que les députés européens soient un peu plus connus.