Texte intégral
Intervention à l'Union des industries (Vienne, 2 juillet 1996)
Mesdames et Messieurs, je vais en venir aux orientations françaises au moment, très grave, que nous vivons avec cette conférence intergouvernementale.
Nous avons devant nous plusieurs échéances importantes, cette conférence est la première.
Elle ouvrira la possibilité d'un second rendez-vous, celui de l'élargissement. C'est le grand horizon, passionnant et difficile, de la réunification politique et économique de l'Europe. Nous en avons longuement parlé hier : j'étais en Slovaquie pour une visite originale puisque, avec le ministre allemand des affaires étrangères, nous avons réussi, je crois, une expérience diplomatique en effectuant une visite commune franco-allemande.
Le troisième rendez-vous, c'est dans le temps. Vous y tenez, nous y tenons. C'est celui de la monnaie unique en 1998. Et puis il y aura en 1998 un quatrième rendez-vous, celui de la renégociation du traité de Bruxelles, celui de l'Europe occidentale et dont le débat sur la défense européenne. Et enfin, en 1999, un rendez-vous très difficile, celui des nouvelles perspectives budgétaires et financières de l'Union européenne, avec la remise à plat d'un certain nombre de politiques. Notre problème, à nous et à vous, c'est d'éviter que ces différents rendez-vous se télescopent, veiller à ce qu'ils soient bien enchaînés les uns après les autres. De telle façon que les citoyens, qui s'intéressent pus qu'on ne le croit à l'Europe pour espérer et quelquefois pour douter, voient bien la perspective et le sens de ce que nous faisons. Nous avons donc une première responsabilité, c'est de réussir chacune de ces étapes, chacun de ces rendez-vous, en évitant la confusion ou le télescopage.
Je voudrais, Mesdames et Messieurs, fixer mon propos sur deux sujets : la conférence intergouvernementale, pour laquelle je suis, à côté du ministre français des affaires étrangères, le négociateur, au nom de mon gouvernement ; et puis évoquer le sujet qui est immédiatement lié à cette conférence : les perspectives d'élargissement. Cette conférence a débuté à Turin le 29 mars. On ne peut pas dire qu'elle a mal commencé, mais plutôt qu'elle n'a pas vraiment commencé. Nous avons pris deux mois pour l'observation, l'explication mutuelle, et je crois que ces deux mois ont été utiles. Maintenant, comme nous l'ont demandé les chefs d'État et de gouvernement à Florence, il faut entrer dans le vif du sujet. Il faut que la négociation commence.
L'objectif prioritaire de cette négociation, c'est de préparer l'Union à l'élargissement. L'union doit être la colonne vertébrale de cette Europe réunifiée ; cette colonne vertébrale doit être forte pour préserver la réussite de l'Union à un moment où, ne le sous-estimez pas, Mesdames et Messieurs, le risque de troubles, le retour des nationalistes, font que notre continent est à nouveau tenté par l'intolérance, la xénophobie et, à cause de la crise économique, est également tenté par le repli sur soi, ou le recroquevillement. L'adhésion de nouvelles démocratie à cette Union est une étape essentielle vers cette Europe pacifiste, humaniste et prospère que nous voulons construire.
Mais la condition, c'est cette colonne vertébrale, c'est de consolider les institutions. J'ai bien cela aussi dans le document rédigé par le Gouvernement autrichien. J'ai lu cela dans « les positions fondamentales de l'Autriche pour la CIG » qui ont été publiées en mars dernier. « Une réforme institutionnelle est indispensable, dit le Gouvernement autrichien, si l'on veut que l'union élargie conserve sa capacité d'action et de développement ». Je serais même tenté de dire à partir de cette phrase, que nous devrions avoir une ambition plus grande encore, un objectif plus ambitieux que la simple conservation du fonctionnement actuel de l'Union.
L'Union actuelle ne fonctionne pas bien. Sa légitimité est mise en cause, en raison d'une forte incapacité à gérer les problèmes qui intéressent au plus près, dans leur vie quotidienne, les citoyens ; je pense à l'emploi, je pense à la santé – et il y aurait sans doute des leçons à tirer de la récente crise de la vache folle, qui n'est pas terminée –, au problème de la sécurité. Les institutions complexes sont parfois incompréhensibles, une commission probablement trop nombreuse et un système de vote où le poids de chaque pays n'est pas juste aujourd'hui. Ainsi, même sans l'élargissement, Mesdames et Messieurs, je pense qu'une réforme institutionnelle aurait été nécessaire. Mais avec l'élargissement, cette réforme institutionnelle est incontournable. Et nous devons bien comprendre cette conférence intergouvernementale et son résultat comme un préalable obligatoire avant l'élargissement.
Vous m'avez demandé de parler des positions françaises : nous souhaitons une pondération plus juste des voix et en le disant, je ne cherche à montrer du doigt aucun pays, simplement à constater une réalité à laquelle je vous invite à réfléchir. Aujourd'hui, l'Allemagne plus la France, plus le Royaume-Uni, plus l'Italie, plus l'Espagne, cinq grands pays de l'Union européenne, représentent 85 % de la population. Et pourtant nous n'avons que 48 vois sur 87 au sein du Conseil. Et ce qui était à peu près acceptable dans une Europe à 6, à 9 ou à 15, ne le serait plus du tout dans une Europe à 20 ou à 25. C'est notre premier souhait qui doit être compris comme celui d'une plus grande justice dans la prise en compte du poids de chaque pays.
Une commission plus efficace, c'est notre deuxième proposition institutionnelle. Une commission qui ne se transformerait pas en un mini-parlement et nous souhaitons, en respectant par avance la règle qui s'imposerait à chaque pays, une commission d'une dizaine de membres pour qu'elle préserve son caractère collégial.
Nous souhaitons, c'est notre troisième proposition, une clause de coopération renforcée qui devrait permettre à quelques pays, dans une Union à 20 ou 27, de proposer aux autres une action commune et de s'engager plus vite que les autres dans cette action au nom de tous. C'est cette flexibilité, cette idée de coopération renforcée qui nous paraît absolument indispensable dans une Union élargie pour que notre Union n'avance pas au pas du pays le moins pressé. Il est clair, et je le dis par précaution, que cette idée de flexibilité ou de coopération renforcée ne s'appliquerait pas, dans notre esprit, à l'acquis communautaire.
Nous souhaitons enfin une meilleure écoute des parlements nationaux, notamment sur les sujets de la sécurité, des libertés publiques. Je l'ai dit tout à l'heure devant les parlementaires autrichiens, la méthode choisie depuis 40 ans à propos du commerce, des échanges, des produits est une chose pour la méthode communautaire. C'est celle du marché unique. Est-ce qu'on peut appliquer tout à fait les mêmes méthodes lorsqu'il s'agit des citoyens, de la liberté de circulation, des droits de l'homme, de la démocratie ? Je ne le crois pas. Je crois qu'on ne peut pas traiter les citoyens avec les mêmes méthodes que celles qu'on utilise pour s'occuper des tomates ou des machines-outils. Donc il faut probablement innover sur ces matières. Nous sommes prêts à d'avantage de communautarisation sur les sujets qui intéressent la sécurité des citoyens : la ville, l'immigration, la lutte contre la drogue, les visas, d'autres sujets peut être, à la condition que, sur ces sujets, nous prenions l'avis des parlements mentionnés.
Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques-uns des points forts des propositions françaises en matière institutionnelle.
Mais notre second objectif dans cette conférence est aussi de doter les pays de l'Union européenne des instruments d'une véritable puissance politique au 21e siècle et que l'influence politique sur notre propre continent appartienne bien, au siècle prochain, à nous Européens, d'avantage qu'aux Américains ou à d'autres.
Où se trouve l'impulsion politique principale dans notre Union ? Où doit-elle se trouver après la réforme ? Dans notre esprit, c'est au sein du Conseil européen puisque c'est ce Conseil qui réunit les chefs d'État et de gouvernement et la commission. On ne réussira pas une vraie politique étrangère commune si l'Union européenne ne se sent pas engagée collectivement, mais aussi la commission de Bruxelles et enfin, chacun des pays.
Voilà pourquoi nous souhaitons placer, sous l'autorité du Conseil européen, cette fonction nouvelle, ce haut-représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune qui animerait un centre d'analyse et de prévision, un lieu de cohérence diplomatique. Il ne faut pas que les diplomates des différents pays travaillent ensemble seulement quand il y a une crise ou une secousse. Il faut qu'ils travaillent quotidiennement ensemble. Ce ne sera pas facile, il faudra d'abord, au-dessus des diplomates, une volonté politique des chefs d'État et de gouvernement. Je sais que cette volonté politique existe en Autriche, en Allemagne, en France et d'autres pays. Et si cette volonté politique existe, alors il faut, pour l'accompagner, une fonction nouvelle, une habitude nouvelle de travail en commun, et c'est cette idée que nous proposons d'un haut-représentant. Sans cette fonction, je suis sûr d'une chose, c'est que la politique extérieure et de sécurité commune resterait infructueuse.
Mais là encore, s'agissant de la PESC et de son prolongement normal qu'est la politique de défense, un prolongement qui est d'ailleurs expressément prévu dans le traité de Maastricht, nous savons bien que tout le monde ne pourra pas avancer en même temps. Nous respectons la position particulière de l'Autriche qui tient à sa neutralité même si nous espérons que son évolution, sa réflexion, continueront sur ce sujet. L'Irlande est également très attachée à sa neutralité. Il faut donc que, si nous sommes tous autour de la même table pour discuter et décider en matière de politique de sécurité et de défense, ceux des États membres qui souhaitent être à nos côtés dans une action mais pas y être engagés directement, puissent le dire et le faire. C'est en cela que cette idée de la flexibilité, cette idée de la coopération renforcée que nous défendons avec l'Allemagne, est une idée juste et, je crois, une idée utile pour un pays comme l'Autriche. En tout cas, nous sommes attentifs, très sincèrement, à l'évolution de la réflexion de votre gouvernement et des responsables politiques pour cette question de défense.
Et puis, le troisième objectif, Mesdames et Messieurs, de cette conférence, c'est celui de la sécurité des citoyens. Je pourrais d'ailleurs bien sûr parler de la sécurité économique pour nous protéger contre le risque, le coût des dévaluations compétitives. Sécurité économique, sécurité écologique. On a beaucoup parlé d'environnement aujourd'hui, et je sais la grande expérience de l'Autriche sur ce sujet, et disons que j'ai la même exigence en ce qui concerne – me souvenant de mes engagements, auxquels je reste fidèle, comme ministre de l'environnement de la France – sécurité économique, sécurité écologique mais aussi sécurité tout court.
Mesdames et Messieurs, ici à Vienne, vous savez les risques qui s'attachent au trafic de drogue, à la mafia, au terrorisme. Nous avons besoin de prouver aux citoyens européens que l'Union européenne est un cadre qui garantit ou qui accroît leur sécurité. Nous avons aussi besoin de prouver que l'élargissement de l'Union européenne ne sera pas un risque supplémentaire. J'ai dit cela hier soir à Bratislava, et je l'ai dit dans les autres pays qui veulent rentrer dans l'Union. Nous n'accepterons pas que l'élargissement se traduise par un risque supplémentaire pour les citoyens de l'Union européenne. Nous avons donc à renforcer tous ces sujets qui se trouvent sous le chapeau, dans le jargon communautaire, du troisième pilier, et nous sommes prêts, sur ces sujets, au nom de l'efficacité, à avancer vers une réponse commune, et s'il le faut vers une réponse communautaire, au sein de l'Union européenne. J'ai dit tout à l'heure à quelles conditions, notamment pour ce qui concerne la place et l'écoute des parlements nationaux.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais dire sur les enjeux, à nos yeux, de la CIG. La seule question qui mérite d'être posée et de laquelle découlent les solutions et les réponses institutionnelles, c'est la question que j'ai posée tout à l'heure : voulons-nous oui ou non que l'Union européenne soit une puissance politique au 21e siècle ? Nous avons répondu oui en créant la monnaie unique qui nous donnera un outil financier et économique capable de doter l'Europe d'une puissance au moins égale à celle du dollar ou du yen, et nous avons maintenant, à un moment stratégique et avant l'élargissement, à apporter une réponse politique avec la même ambition.
Je voudrais dire maintenant un mot de l'élargissement. Je m'en tiendrai à trois idées : l'élargissement est un nécessité politique et morale ; il ouvre pour nous tous des perspectives économiques dont nous avons besoin ; il faut enfin organiser cet élargissement avec précaution et en prenant du temps.
C'est d'abord cette nécessité politique. Je crois vraiment que l'adhésion à l'Union de ces pays d'Europe centrale et orientale ou baltique, leur accession aussi aux structures de l'Alliance atlantique, est une exigence. Depuis le Conseil européen de Copenhague, l'Union a clairement placé son action dans la perspective de l'élargissement à tous ces pays d'Europe centrale qui ont besoin de nous comme nous avons besoin d'eux. Pourquoi avons-nous besoin d'eux. Pourquoi avons-nous besoin d'eux ? Parce que nous avons construit, Mesdames et Messieurs, entre nous les quinze, un système politique qui empêche la guerre, qui préserve définitivement la démocratie entre nous et chez nous, et qui préserve notre intérêt après la rupture du rideau de fer quand on voit monter ces menaces nationalistes, ces guerres régionales. Notre intérêt, pour préserver la paix, la démocratie et la stabilité dont l'économie a besoin chez nous, dont vos entreprises ont besoin, c'est d'élargir ce système politique à ceux qui acceptent de respecter les mêmes règles politiques et économiques et qui nous le demandent. Le Conseil européen a fixé une méthode, il devra définir un calendrier. La commission de Bruxelles est chargée de réaliser une photographie de chacun de ces pays, et le Conseil se prononcera sur l'ouverture de ces négociations.
Nous sommes, Mesdames et Messieurs, je le crois, des partisans convaincus de cet élargissement qui répond à une nécessité politique. Il s'agit, je viens de le dire, de restaurer ou d'élargir les chances de la stabilité de notre continent. Nous n'avons pas non plus une vision restreinte de l'Union européenne. Et nous ne souhaitons pas qu'il y ait deux Europe. Une Europe des riches, une Europe des beaux quartiers, et puis, une Europe des banlieues et des moins favorisés. Notre intérêt commun est d'associer, dans le même ensemble, en prenant des précautions, en acceptant des étapes ou des délais, tous les pays qui le souhaitent, qui acceptent la même règle du jeu dans le même ensemble politique et économique. Et je dis politique et économique parce qu'en visitant chacun de ces pays, j'ai ressenti parfois plus d'impatience politique à nos rejoindre dans l'Union européenne que d'impatience économique.
Nous souhaitons aussi que ces pays, ces douze pays associés soient placés sur un pied d'égalité au début du processus d'élargissement. Il s'agit d'engager collectivement ce processus d'adhésion. Après l'avoir engagé collectivement, naturellement le rythme et le calendrier des négociations tiendront compte de la situation de chacun de ces pays candidats et de sa capacité propre et objective à reprendre à son compte l'acquis communautaire. J'ai souvent dit dans ces pays qu'il ne fallait pas sous-estimer le choc de l'adhésion, le choc économique – l'acquis communautaire est très rude, il est très exigeant – et le choc politique. Nous considérons que l'Union européenne à laquelle les pays d'Europe centrale adhéreront ne doit pas être une Europe au rabais, les politiques communes doivent être préservées même si nous n'excluons pas une évolution pour tenir compte des lourdes contraintes budgétaires de l'élargissement. Faire évoluer les politiques communes ne doit pas aboutir à les faire disparaître ni à les dénaturer comme le souhaiteraient peut-être certains de nos partenaires. Nous n'accepterons pas que l'élargissement se traduise par un affaiblissement de l'Union européenne. Cette exigence vaut en matière sociale, elle vaut dans d'autres domaines comme la politique agricole commune, et les premières études de la commission prouvent d'ailleurs qu'il est parfaitement possible de préserver la politique agricole commune tout en évitant un dérapage budgétaire.
Quatrième et dernier élément de la politique française et de la position de mon pays, et je sais que vous y êtes sensibles, c'est la capacité du système constitutionnel de l'Union à fonctionner dans une Europe élargie, je l'ai évoqué tout à l'heure en parlant de nos idées à propos des institutions.
Je suis enfin convaincu, Mesdames et Messieurs, que cet élargissement est une chance économique. Il faut rappeler quelques chiffres. Vous le savez, vous qui êtes pour beaucoup engagés dans l'économie et l'industrie, il s'agit de 110 millions de citoyens qui veulent à terme nous rejoindre, c'est-à-dire 110 millions de consommateurs. Le produit industriel national de ces douze pays associés, réunis, rassemblés, n'est pas plus important aujourd'hui que celui des Pays-Bas, ce qui veut dire que le niveau de vie de ces pays est extrêmement faible. Il ne peut qu'augmenter, comme cela s'est passé pour l'Espagne ou pour le Portugal. Je me souviens, en France, des polémiques, des critiques, au moment de l'élargissement au Portugal et à l'Espagne. Je me souviens de toutes les inquiétudes qui se sont exprimées. Que constatons-nous dix ans après ? Parce que le processus d'élargissement a été bien maîtrisé, intelligemment construit, nous nous apercevons, par exemple, que nous vendons plus de produits agricoles français en Espagne et au Portugal qua nous n'achetons de produits à ces deux pays. Je crois donc, Mesdames et Messieurs, que la reconstruction de tous ces pays, que l'élargissement de notre marché, que la modernisation dont ces pays sont avides, constituent une chance à un moment où les citoyens de l'Union européenne exigent un effort de relance, nous demandent quelle réponse nous apportons à la question du chômage, 18 millions de citoyens européens sont actuellement au chômage, il me semble qu'il est possible de dire et de croire que l'élargissement, la coopération avec ces douze pays, c'est une chance pour l'emploi dans les douze pays de l'Union européenne. Ce sont des marchés pour nos entreprises et des emplois pour ceux qui sont au chômage.
Naturellement, je l'ai dit plusieurs fois, il faut maîtriser cet élargissement, il faut le faire par étapes. Si nous ne le faisions pas, alors le risque existerait de transformer l'Union européenne, et ça nous n'en voulons pas, en une zone de libre-échange. Il faudra donc fixer des règles, introduire des garde-fous.
Je pense qu'en matière sociale, par exemple, il faut être attentif aux risques que ferait peser sur le modèle social européen une adhésion des pays d'Europe centrale qui seraient mal préparés. Je pense à l'environnement, je pense à la sûreté nucléaire, je sais que vous y êtes sensibles en Autriche, comme nous y sommes sensibles. La culture de sûreté nucléaire que nous avons essayé d'améliorer en France comme en Allemagne, doit être portée à la même exigence et au même niveau dans chacun des pays qui nous rejoindra, et même dans quelques autres. Je pense aux précautions qu'il faut prendre sur le plan monétaire : la plupart de ces pays ne sont pas en mesure de rejoindre l'UEM et pourtant ils ne devront pas être dispensés de discipline dans ce domaine. Je pense enfin aux rigueurs et aux étapes et conditions que nous devrons poser sur le plan budgétaire. Voilà, Mesdames et Messieurs, au-delà de ce que j'ai déjà dit sur la sécurité intérieure, sur la nécessité d'exiger de ces douze pays qu'ils soient vraiment des États de droit, qu'ils se dotent des moyens de maîtriser l'immigration sauvage, qu'ils se dotent des moyens juridiques, financiers, policiers, judiciaires, de lutter contre tous les trafics qui pénètrent par tous les côtés dans l'Union européenne. Voilà dans quel esprit et à quelles conditions nous pensons que cet élargissement est possible.
Mesdames et Messieurs, je m'exprime dans ma langue et non pas dans la vôtre, ce dont je suis désolé. Cela prouve d'ailleurs, Monsieur le secrétaire général, Monsieur l'ambassadeur, que le moment serait peut-être venu de relancer l'exigence du trilinguisme au sein de l'Union européenne. Apprendre chacun, en plus de sa langue maternelle, deux autres langues, ainsi votre langue, la mienne et d'autres encore auraient peut-être davantage de chances de pénétrer et d'être diffusées parmi les jeunes, futurs citoyens de l'Union européenne.
Voilà, venant donc de m'exprimer en français devant une communauté francophone, je suis très sensible à votre attention et à votre compréhension. J'ai essayé de vous dire le plus clairement possible quelles étaient les idées françaises. Le président de la République française, M. Jacques Chirac, est gaulliste, comme je le suis moi-même, et son ambition est de démontrer à ceux qui en douteraient, qu'être gaulliste et être Européen, c'est la même chose. Je sais que l'on a pu douter de cette idée. Jacques Chirac a une grande ambition pour l'Europe, il a aussi, et c'est son rôle, une ambition pour la France dans l'Europe. Il veut faire partager cette ambition, naturellement dans le cadre du dialogue particulier qui existe entre l'Allemagne et la France. Mesdames et Messieurs, j'ai bien compris votre appel, ce dialogue franco-allemand n'a jamais été un dialogue exclusif. Il est nécessaire mais il n'est pas suffisant. Mais surtout il ne doit pas être hautain ou arrogant, il doit être partagé avec ceux qui le veulent et j'ai la conviction, renforcée ce soir au terme de cette première visite ici d'un ministre du nouveau gouvernement français depuis l'élection présidentielle, j'ai le sentiment que l'Autriche a une place particulière et un rôle à tenir dans les mois et les années qui viennent parce qu'il s'agit de l'élargissement, et que cet élargissement se fera autour de vous. Vous êtes en quelque sorte la porte avancée de notre Union, et c'est sans doute par l'Autriche que peuvent passer un certain nombre de messages, d'exigences et de dialogues à l'égard de tous ces pays qui veulent nous rejoindre. J'ai donc le sentiment que nous avons beaucoup à faire entre la France et l'Autriche, et j'emporte de cette visite à Vienne la conviction qu'il faudra travailler à ce dialogue resserré entre nos deux pays ; En tout cas, je vais m'y employer. Je vous remercie de votre attention.
Q. : Quelle est la position française sur les relations UE-UEO ?
R. : Le traité de l'UEO sera renégocié à son terme normal en 1998. Le paysage de la défense en Europe est en train de beaucoup changer et nous avons souhaité qu'il change : c'est l'objectif recherché par le président français en faisant ce pas vers nos partenaires de l'OTAN, que nous avons conditionné à une réforme de l'OTAN. Et dans ces conditions, la France sera prête à reprendre sa place, non pas dans l'OTAN telle qu'elle était, mais dans une OTAN rénovée. C'est l'idée pour laquelle nous travaillons.
Le deuxième point de l'émergence dans l'Alliance atlantique d'une identité européenne de défense est le lieu où doivent être évoquées les questions de défense entre nous Européens : c'est, nous semble-t-il, le Conseil européen, avec tous les pays, y compris les pays neutres qui sont intéressés globalement à ce qui se passe dans le monde et à ce qui se passe sur le continent européen, même s'ils ne souhaitent pas participer à une alliance militaire. Parler donc de défense au sein du Conseil européen avec tous les pays membres, et en appliquant cette règle ou cette disposition de flexibilité que j'évoquais tout à l'heure, pour qu'aucun pays ne soit en gagé malgré lui au-delà de ce qu'il souhaite faire.
Dans ces conditions, l'UEO a une place particulière, c'est d'être l'outil opérationnel des Européens dans l'Alliance atlantique. Que peut-on imaginer comme initiative miliaire par exemple ? Il peut y avoir des initiatives nationales. La France a des accords bilatéraux avec tel ou tel pays d'Afrique et nous intervenons bilatéralement dans tel ou tel pays par nous-mêmes et avec nos propres moyens. Il peut y avoir des initiatives communes à deux ou trois pays, c'est ce qui s'est passé sur l'affaire de la Bosnie entre la France et le Royaume-Uni qui ont créé la force de réaction rapide à deux. Il peut y avoir une initiative de tous les pays européens et c'est là que la discussion, si cette réforme aboutit, peut avoir lieu au sein du Conseil européen et l'outil normal opérationnel pour mener cette action sera alors l'UEO. Il peut y avoir un quatrième cas de figure, qui est une opération de l'Alliance atlantique avec les moyens de l'Alliance atlantique, menée seulement par les Européens. C'est ce que Jacques Chirac a souhaité, que les Européens puissent, dans l'Alliance atlantique, avec les moyens logistiques de l'Alliance, avec une chaîne de commandement particulière, mener une opération à laquelle les Américains ne souhaiteraient pas participer, et là, l'UEO interviendrait comme l'outil opérationnel des Européens dans l'Alliance atlantique. Enfin, et c'est le cinquième cas de figure, il peut y avoir une opération de l'OTAN, comme c'est le cas actuellement en Bosnie, avec les Américains et avec les Européens.
Voilà, nous avons donc un grand intérêt, et nous attachons beaucoup d'importance à l'UEO, dont vous êtes, pour l'instant, membre associé ou observateur. Je sais que le débat est ouvert pour aller plus loin sur une adhésion éventuelle à l'OTAN, mais cela, c'est votre problème national. Il me semble que l'Autriche doit partager avec nous cette ambition que les Européens parlent entre eux d'abord de politique étrangère, de sécurité extérieure et de défense. La possibilité de flexibilité permettrait à l'Autriche, le temps qu'elle souhaite, de ne pas être engagée au-delà de ce qu'elle voudrait elle-même.
Q. : Le nouvelle pondération se sera-t-elle au détriment de petits pays comme l'Autriche ?
R. : Je ne souhaite pas qu'on pose le problème comme cela parce que ce n'est pas notre idée.
Mais tout de même, j'ai dit les chiffres tout à l'heure : actuellement cinq pays de l'Union représentent 85 % de la population, et nous n'avons que 47 voix sur 90. Quelque part, il y a quelque chose que nous ressentons comme injuste. Alors nous ne demandons pas d'aller au bout de la logique proportionnelle, un citoyen, une voix. Nous pensons bien qu'il faut une pondération plus équilibrée, et avec l'élargissement, les grands pays ne peuvent pas accepter de voir leur poids diminuer constamment. Ce n'est pas possible. Nous souhaitons donc une autre pondération des voix, qui tienne compte du poids démographique, du poids économique, nous verrons bien. Il y a une discussion, c'est cela une négociation, mais il faut que les pays plus petits ou les pays de moyenne importance comme l'Autriche comprennent cette exigence d'un meilleur équilibre.
En échange, nous sommes prêts à généraliser de manière assez ouverte le vote à la majorité qualifiée. Une des leçons de la crise de la vache folle, c'est qu'il faut réduire la possibilité de l'unanimité. On a vu que dans un cas comme celui-là, un grand pays – l'unanimité avait été faite à l'origine pour protéger les petits États qui pouvaient dire « j'ai un veto » – voilà que c'est un grand pays qui a voulu bloquer. Parce que pour la première fois depuis longtemps, l'Europe des consommateurs s'est fait entendre dans cette affaire, et le Anglais ont vite compris que leur réponse politique était une mauvaise réponse, parce que le problème de la vache folle n'était pas un problème politique, on ne peut apporter une réponse politique ou politicienne. C'est une des leçons, il y en a d'autres, sur le respect qui est dû aux consommateurs, sur ce qu'ils achètent et l'authenticité, la qualité des produits qu'ils achètent, ou sur l'absence de politique européenne en matière de contrôle vétérinaire. Est-il possible, dans le même marché unique, alors que les consommateurs et les produits circulent, d'avoir quinze politiques différentes de contrôles vétérinaires, est-il même possible d'avoir dans un marché unique quinze politiques de santé publique différentes ? Je ne fais que poser la question.
entretien avec « Radio Autriche Internationale » et « ORF » (Vienne, 2 juillet 1996)
Après une période de turbulences dans les relations franco-autrichiennes, la page est tournée, comme l'a dit Jacques Chirac en recevant le président autrichien il y a quelques jours à Paris, et cette première visite d'un ministre français à Vienne est le témoignage de cette volonté d'écrire ensemble de nouvelles pages de la construction européenne.
Ce qui est important, c'est que les plus grands États membres de l'Union et les États plus petits aient, comme c'est le cas de la France, de l'Autriche, du Benelux et d'autres encore, une ambition politique commune pour l'Union. Et nous sommes d'accord, je le crois, Autriche, France et d'autres, pour considérer que l'Union n'est pas seulement un supermarché.
C'est aussi, et cela doit l'être encore davantage au 21e siècle, une puissance politique avec des instruments et donc des réformes à mettre en œuvre dans le cadre de cette conférence intergouvernementale. J'ai eu donc l'occasion avec le chancelier, dans un entretien qui a été très cordial et très approfondi, d'entendre les points auxquels l'Autriche tient et d'expliquer aussi les points auxquels la France tient dans cette négociation à la fois sur la réforme des institutions, préalable à l'élargissement, les instruments d'une vraie politique extérieure commune et aussi d'une vraie politique de défense commune qui doit intéresser l'Autriche malgré sa position actuelle de neutralité. La France et l'Allemagne ont en effet proposé une méthode qui devrait permettre avec de la flexibilité, avec l'idée de coopération renforcée à tous les pays, d'être associés à la réflexion et parfois à la décision sans être engagés dans l'action s'ils ne le souhaitent pas ; il nous semble donc que cette méthode de flexibilité et de coopération renforcée est tout à fait accessible pour un pays comme l'Autriche.
Nous avons également parlé de ce qu'on appelle dans le jargon européen le troisième pilier, disons plus simplement des questions liées à la sécurité des citoyens, à la préservation des droits de l'homme, à l'environnement. Je reviens comme vous le savez de Slovaquie avec le ministre allemand, M. Hoyer. Nous y avons fait une visite commune, c'était une première expérience diplomatique, et nous avons dit à Bratislava ce que moi-même j'avais dit dans d'autres capitales de pays associés : l'adhésion à l'Union européenne comporte une exigence politique. En adhérant à l'Union européenne, on adhère à un marché, on adhère aussi à une union politique, à un système que nous avons construit ensemble patiemment depuis 45 ans, dans lequel tous les pays membre s'engagent à garantir définitivement la paix et la démocratie entre eux et chez eux.
Q. : Monsieur le ministre, cette visite commune avec le ministre allemand en Slovaquie, est-ce que cela laisse augurer d'une politique plus commune de l'Union européenne pour l'avenir ?
R. : Il n'existe pas vraiment de politique étrangère comme aujourd'hui. C'est l'un des enjeux de la conférence intergouvernementale, et l'on peut dire qu'une visite commune, que nos deux ministères ont préparée ensemble pendant des semaines, c'est un peu la prémisse de ce que devrait être une politique étrangère commune. Qu'est-ce qu'une politique étrangère commune ? C'est non seulement réagir ensemble quand il y a une crise, une guerre ou une secousse, mais aussi, et nous en avons parlé avec le chancelier autrichien, travailler ensemble quotidiennement, afin qu'il y ait lieu de cohérence diplomatique où les diplomates soient ensemble autour de la table en permanence, et à la tête de ce lieu de cohérence diplomatique. Notre idée est celle de placer un homme ou une femme de haut niveau politique, ce « M. ou Mme Pesc », ce haut-représentant qui puisse, sur des mandats précis que lui fixeront les ministres des affaires étrangères, être la voix et le visage, l'animateur de cette politique étrangère commune.
Q. : Mais cela ne sera pas un « super-ministre » ?
R. : Cela sera une personnalité dans notre esprit qui aura la confiance des chefs d'État et de gouvernement. Ce sont eux qui devraient le désigner, travaillant sur des actions communes que fixeront les chefs d'État et de gouvernement, par exemple les relations de l'Union européenne avec la Russie, avec le Proche-Orient, ou la gestion de la crise des Balkans, et ce haut représentant devrait travailler sur des mandats précis fixés par les ministres des affaires étrangères à leurs côtés.
Q. : Concernant la crise de la vache folle, faut-il maintenir la règle de l'unanimité ?
R. : Concernant la crise de la vache folle, il y a cette première leçon : il faut abandonner cette règle de l'unanimité sur tous les sujets. Nous souhaitons, en effet, généraliser le vote à la majorité qualifiée dans l'Union européenne, à condition qu'il y ait une autre pondération des voix. Mais on voit bien dans cette crise que la règle de l'unanimité peut entraver un progrès ou bloquer, sur des vrais sujets, le fonctionnement de l'Union européenne. C'est une première leçon, mais il y en a d'autres.
Par exemple, le fait que, dans un marché unique où les consommateurs circulent librement, où les produits circulent librement, on puisse avoir quinze politiques différentes en matière de santé publique, ou quinze politiques différentes en matière de contrôle vétérinaire. Je pense que c'est une des leçons de la crise de la vache folle que d'aller vers d'avantage d'organisation et de coordination européenne en matière, par exemple, de contrôle vétérinaire et je le pense, un jour, en matière de santé publique.
Il y a une troisième leçon que l'on peut tirer de cette crise grave qui n'est pas terminée, c'est le fait que les consommateurs exigeront désormais d'avantage la vérité sur ce qu'ils consomment. C'est en quelque sorte l'Europe des citoyens qui est apparue dans cette crise, peut-être pour la première fois, et les hommes politiques ont été obligés d'en tenir compte, y compris le gouvernement britannique qui a pendant un moment voulu apporter une mauvaise réponse politique par le veto à un problème qui n'était pas politique. Une question de santé publique se traite par des mesures de santé publique, des mesures techniques ou sanitaires, pas par de la politique.
La quatrième leçon, c'est qu'il faudra probablement réorienter, au nom de l'authenticité des produits offerts aux consommateurs, la politique agricole commune, vers d'avantage d'extensivité. Il faut aller vers une agriculture plus naturelle, et encourager au niveau de l'Union européenne les produits authentiques et les produits de qualité.
Q. : Êtes-vous favorable à une Europe à deux vitesses, à savoir qu'il y ait des pays plus intégrés que d'autres ?
R. : L'idée de plusieurs vitesses dans la même union ne me choque pas. Parce que dans une union à quinze, ou vingt, ou vingt-cinq, on ne pourra pas avancer au même pas sur tous les sujets. Ce qui est important c'est que le socle soit le même pour tout le monde. Le socle, c'est l'acquis communautaire, notamment du premier pilier. L'acquis économique, qui doit être le même pour tout le monde, ça, ce n'est pas négociable. Sur d'autres sujets, la politique étrangère ou peut-être d'autres sujets du troisième pilier, il faudra plus de flexibilité, mais dans l'Union européenne, pas en dehors. À condition que ceux qui vont un peu plus vite dans l'Union et au nom de tous fassent un effort pour que les autres les rejoignent.