Interview de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, dans "L'Humanité" le 28 mai 1998, sur la campagne de prévention contre le sida centrée sur le dépistage, et le dispositif spécifique en direction des DOM.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Lancement de la campagne d'été pour la prévention du sida, à Paris le 26 mai 1998

Média : L'Humanité

Texte intégral

L’Humanité : La campagne de prévention contre le SIDA que vous avez lancée mardi est notamment centrée sur le dépistage. Pourquoi ?

Bernard Kouchner : Aujourd’hui, environ 30 000 personnes contaminées par le virus du SIDA ignorent leur séropositivité au moment où ils entrent dans la maladie. Cela pose donc des problèmes de prise en charge : on sait désormais que plus les traitements anti-SIDA sont administrés tôt, plus ils sont efficaces dans la prophylaxie de la maladie. La connaissance par les malades de leur séropositivité leur permettrait donc d’avoir cette prise en charge thérapeutique précoce. Ce que nous voulons, c’est que la maladie soit connue avant qu’elle ne se manifeste en des termes beaucoup trop dommageables pour le patient.

L’Humanité : Vous vous êtes clairement prononcé en faveur de la déclaration obligatoire de séropositivité. Pourquoi ?

Bernard Kouchner : Parce que l’épidémie n’est plus la même aujourd’hui. En termes statistiques et épidémiologiques, connaître le nombre de cas de SIDA, donc des personnes entrées dans la maladie, ne suffit plus. Nous avons désormais besoin de mieux connaître le nombre de personnes séropositives. C’est tout l’enjeu et l’utilité de cette déclaration obligatoire de séropositivité. Cela étant, elle respectera la confidentialité et l’anonymat le plus absolu.

L’Humanité : Pourquoi avez-vous décidé d’un dispositif spécifique en direction des départements d’outre-mer (DOM) ?

Bernard Kouchner : Parce que, là-bas, les contraintes ne sont pas les mêmes. Il s’agit de s’adresser directement aux femmes. Ces dernières ont beaucoup de difficultés à parler à l’homme de protection, de capote. De plus, les chiffres concernant les personnes séropositives y sont particulièrement élevés. Il nous a donc semblé nécessaire d’effectuer ce message de prévention à leur égard.

L’Humanité : Dans la campagne de prévention qu’on pourra suivre bientôt sur les écrans et dans la presse, la sexualité n’est pas abordée. Pensez-vous réellement emporter l’adhésion du public ?

Bernard Kouchner : Cette campagne d’été n’est effectivement pas fondée sur la sexualité, qu’elle soit hard ou soft, mais sur la prévention. Il s’agit de montrer que plus on est dépisté tôt, mieux c’est en termes de prise en charge et de traitement. Quant à l’impact que cette campagne rencontrera, on ne peut pas présumer de ce qui se passera.

L’Humanité : Pourquoi ne pas faire en France des campagnes de prévention « réalistes », comme celles mises en œuvre dans les pays anglo-saxons ou nordiques ?

Bernard Kouchner : Dans les campagnes que vous évoquez, on voit souvent des sexes en érection. Nos campagnes pour le préservatif n’ont rien à voir avec cela. On pourrait effectivement faire le choix de dire des choses très dures. Ce n’est pas le nôtre. Cela étant, je n’ai rien contre les campagnes plus dures, brutales ou crues.

L’Humanité : La prise en charge thérapeutique des mineurs ne peut se faire qu’avec l’assentiment des parents. N’est-ce pas un obstacle à la prévention ?

Bernard Kouchner : En général, les parents consentent au traitement de leurs enfants. Quant au mineur ne voulant pas alerter ses parents, c’est une affaire qui peut se résoudre entre le malade, le médecin et la conscience de ce dernier. Le médecin peut décider de lui-même de soigner son patient mineur, ou demander l’avis éclairé du Conseil de l’ordre. En général, cela se passe d’ailleurs très bien.

L’Humanité : Vous avez évoqué l’« échec relatif » du Sidaction 1998. Quels enseignements précis en tirez-vous ?

Bernard Kouchner : J’ai vu que les résultats n’étaient pas très bons. Mais Ensemble contre le SIDA (1) m’a indiqué que les chiffres doivent être considérés sur l’ensemble de l’année et pas uniquement sur le plan de la soirée. J’en prends acte. Mais je pense quand même que d’autres moyens qu’une soirée télévisée doivent être mis en œuvre.

(1) Le Sidaction a été lancé par des associations afin de compléter, ou parfois de pallier, l’action gouvernementale dans la lutte contre le SIDA. Ensemble contre le SIDA (ECS) est la structure associative qui répartit les sommes récoltées lors de chaque Sidaction.