Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à RTL le 14 décembre 1999, sur la rencontre entre le Gouvernement et les élus corses et l'attitude du patronat sur les 35 heures.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - La réussite que a sanctionné la rencontre de Matignon, hier entre le Gouvernement et les élus corses, ne repose-t-elle pas sur un malentendu, parce qu'après tous les objectifs des uns et des autres restent totalement divergents ?

- « Je ne crois pas qu'on puisse parler de réussite pour le moment. Il y a simplement une méthode, qui a été proposée par L. Jospin, qui a été acceptée par tous les partenaires. C'est une démarche qui est à la fois ouverte, puisqu'elle a été proposée à tous les élus ; qui est cohérente, puisqu'elle est dans le temps et qu'il y aura un dialogue tout au long des prochains mois, que l'on pourra mesurer, évaluer et à un moment sanctionner, y compris, peut-être on verra, par un recours à la consultation. Et enfin, c'est une démarche transparente. C'est fini, ces conciliabules secrets, ces négociations que l'on découvrirait quelquefois trop tard, et qui n'avaient rien changé, au contraire tout aggravé. Donc je pense que la méthode de L. Jospin est la bonne. Mais que maintenant pour que le processus s'engage avec succès, il faut que les élus soient à la hauteur de leurs responsabilités. »

Q - Quels sont les principaux écueils ?

- « Le premier écueil, c'est l'unité des élus. Est-ce qu'au-delà de réclamer plus de moyens, plus de solidarité de l'Etat, ils sont prêts à aller vers une évolution de développement économique, peut-être à travers de nouvelles institutions ? Est-ce qu'ils sont prêts à contrôler, ils le disent, les fonds publics qui sont alloués à la Corse ? Ou est-ce que c'est simplement une tactique, une démarche sans lendemain, où une nouvelle fois on mettre l'Etat en accusation ? Est-ce que les Corses veulent vraiment revendiquer la responsabilité, ou est-ce qu'ils veulent gagner du temps ? Je n'en sais rien pour le moment. C'est à eux de répondre à cette question. L. Jospin leur a donné en tout cas la manière de travailler ensemble. »

Q - Vous parlez de possible consultation référendaire, comme l'a dit le Premier ministre. Ça veut dire que l'indépendance, n'est pas un tabou ?

- « Si, je crois que l'indépendance n'est pas aujourd'hui envisageable et ne l'a jamais été. En revanche, qu'il y ait une consultation des Corses, dans le cadre de la République, sur le statut, ou sur l'évolution institutionnelle, ou sur les fondements d'un développement économique, pourquoi pas ? »

Q - Ce ne sera pas : « Voulez-vous être indépendants ? »

- « Une chose est de consulter la population sur son avenir, une autre est de lui proposer de quitter la République. Je crois que les Corses l'ont chaque fois dit, et nettement : ils veulent rester dans la République. Est-ce qu'on les a consultés sur un statut ? Jamais. Peut-être que c'est l'occasion. Je ne suis pas sûr d'ailleurs que ça doit se focaliser sur un seul statut. Peut-être faut-il y ajouter d'autres éléments, notamment le développement économique, notamment le contrôle des fonds publics. Je pense que ça serait utile. »

Q - Le fait que cette réunion ait lieu, signifie-t-elle que la question de la violence n'était pas aussi importante que ce que le Premier ministre nous avait dit lorsqu'il s'était rendu en Corse ?

- « Si la question de la violence, elle est majeure, parce que le premier mal de la Corse, c'est la violence qui frappe. Et une violence qui, hélas, est exercée par les Corses eux-mêmes. Une minorité d'entre eux, une extrême minorité, mais quand même ! C'est eux qui détruisent les éléments d'infrastructures de leur propre île. Donc je pense que c'est le problème majeur. Comment on en sort ? Par le maintien de l'ordre, l'Etat républicain, le respect de la loi — J.-P. Chevènement s'y emploie — mais aussi par un dialogue, et enfin par le développement économique. Si je veux résumer la politique de la majorité plurielle, en Corse, c'est à la fois, le respect de la loi, le maintien de l'ordre ; deuxièmement, le développement économique, le contrat de plan a déjà beaucoup apporté, et troisièmement le dialogue pour l'avenir. De façon à ce qu'on ne nous dise pas : “On ne peut pas faire le développement économique et on n'est pas d'accord avec le maintien de l'ordre, parce que vous ne nous parlez jamais d'avenir“. Eh bien, on les a pris aux mots, les élus ! On leur dit : “Ecoutez l'avenir, à vous de la décrire, à vous de le tracer, à vous de le définir !“

Q - Autre risque possible, la rupture gouvernementale. Après tout, un des élus corse disait hier soir, « J.-P. Chevènement n'a pas dit un mot, pendant cette réunion ».

- « Le travail de J.-P. Chevènement c'est à la fois d'assurer le maintien de l'ordre, le respect de la loi, et en même temps, d'assurer le développement des collectivités locales. »

Q - Mais il ne veut pas entendre parler de « peuple corse » ?

- « Je ne suis pas sûr que ce soit le seul sujet. Honnêtement ce n'est pas parce qu'on aura reconnu le peuple corse que d'un seul coup, la Corse ira mieux. C'était déjà un élément du statut Joxe de 1990 que le Conseil constitutionnel avait annulé. Mais ne croyons pas que la Corse, pourra simplement s'en sortir avec des mots. Je pense que c'est vrai pour la Corse, comme pour toute la France : il faut des actes pas simplement des mots. »

Q - M. Aubry a essayé une rebuffade du patronat, du Medef. « Il n'est pas utile de parler avec vous, lui dit le patronat, de ce qui a déjà été décidé, ou voté »

- « Oui, moi je n'ai pas très bien compris la réaction du Medef. M. Aubry est consciente que le dialogue n'a peut-être pas été parfait, chacun d'ailleurs doit en porter la responsabilité. Le patronat n'a rien arrangé par une attitude hostile, sur les 35 heures. Consciente que le dialogue devait se rétablir, elle propose de venir devant le conseil exécutif du Medef. Le Medef depuis plusieurs semaines, ne cesse de réclamer que l'Etat, lui laisse enfin un peu de liberté de d'autonomie. Il explique les dossiers de l'avenir. M. Aubry propose de venir, on lui dit qu'elle n'a pas à venir. Moi je ne comprends pas très bien cette attitude du Medef. »

Q - Pour le Medef, la situation est simple : « On était pour la concertation, disent les patrons, mais l'Etat a décidé de manière autoritaire, quelle serait la loi, comment elle serait appliquée que les accords que nous avons signés avec les syndicats dans les branches ça ne sert à rien. Donc ça veut dire que la concertation et le paritarisme c'est du trompe l'oeil ».

- « Revenons à l'origine même des 35 heures. Au départ, il était possible d'avoir une négociation sur les 35 heures et pas le recours à la loi. Le CNPF à l'époque, ne l'a pas voulu ainsi. Il y a même eu un changement d'organisation et de président sur ce sujet-là. Deuxièmement, il y a eu des accords, qui ont été signé. Pour l'essentiel — il faut quand même le dire, pour que chacun en ait bien conscience — les accords qui ont été signés dans les entreprises, et même dans les branches, ont été acceptés par M. Aubry et sont conformes à la loi. Sauf un parce qu'il n'est pas respectueux de la loi. Il est quand même bien normal que M. Aubry sur l'accord de la métallurgie, mette en évidence qu'il y a une irrégularité, pas simplement de forme, mais une méconnaissance des dispositions de la loi. Donc elle dit : “Je ne peux pas étendre celui-ci, l'appliquer et le reprendre“. Je ne crois pas qu'il y ait là, une provocation. La négociation a bien eu lieu, la négociation a bien été respectée. Je pense que le débat il est de fond : le Medef n'accepte pas les 35 heures. Dans une certaine mesure, jamais une organisation patronale n'a accepté une grande réforme sociale. Il n'accepte pas les 35 heures et plutôt que d'essayer de parler de l'avenir, il répète un peu ses reproches sur le passé. »

Q - Si le Medef devait quitter la Sécurité sociale, celle-ci serait en danger ?

- « Moi je pense qu'on ne doit pas laisser penser qu'il y a une issue fatale dans le départ du Medef… »

Q - Oui, mais si ça se produisait ?

- « Ce serait une grave responsabilité de la part du patronat. Pourquoi ? Parce que c'est quand même un pacte social né dans l'après-guerre, la Sécurité sociale, et qu'il n'y a pas beaucoup d'exemples, en Europe de la qualité de ce pacte social, de la gestion de la Sécurité sociale. Donc que le Medef s'écarte de ce processus, ce n'est pas forcément souhaitable… »

Q - Mais ça serait un danger ?

- « Oui, c'est un danger ! On l'assumera. Il y a des organismes de Sécurité sociale, le Medef n'est est pas le seul membre. »

Q - On dit que c'est l'annonce de la mise en concurrence de la Sécurité sociale sur les assurances privées ?

- « Il peut y avoir une préparation d'un tel schéma. Mais surtout, je crois que ça serait mauvais pour le Medef. On ne peut pas être à la fois une grande organisation patronale voulant fédérer des entreprises, et puis sur le sujet même qui intéressent les entreprises, le paritarisme, pas simplement pour la Sécurité sociale, mais pour l'assurance chômage, pour la formation professionnelle, dire : “Je n'en suis plus“. Je pense que la première victime d'une sortie du Medef des organismes de Sécurité sociale, c'est le patronat lui-même. »