Article de M. Frank Borotra, ministre de l'industrie de la poste et des télécommunications, dans "Le Figaro" du 2 juillet 1996, sur la défense du modèle français de service public et les adaptations nécessaires pour l'avenir des opérateurs français de service public, intitulé "Service public et concurrence".

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  • Franck Borotra - ministre de l'industrie de la poste et des télécommunications

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. À lire certains commentaires sur l'évolution récente des services publics, ou à entendre l'opposition défendant sa motion de censure, on peut avoir l'impression que le gouvernement renonce à défendre le modèle français et républicain du service public.

La réalité est toute différente. Défendre le service public, ce n'est pas défendre le statu quo. L'immobilisme serait, au contraire, le meilleur moyen de condamner les opérateurs de service public, en les privant des moyens nécessaires à leur adaptation au monde présent. Nous aurions pu, bien sûr, refuser de regarder la réalité en face, l'environnement technologique et concurrentiel de plus en plus mouvant et complexe, les concentrations capitalistiques dans le secteur des télécommunications, ou encore la volonté de nos partenaires européens de faire baisser le prix de l'électricité chez eux.

Au prix d'une légère contorsion du cou (couramment pratiquée par l'autruche), il était, en effet, possible de ne rien faire avec, de surcroît, cette bonne conscience que confèrent les habitudes. Là n'est pas l'intérêt général, et le gouvernement n'a pas suivi cette voie. S'il veut rester vivant, le service public doit accepter le mouvement. Je constate, à l'occasion de ce débat, que l'actuelle opposition, à la recherche désespérée des « idées », ne parvient pas à sortir du fameux « ni-ni » (ni privatisation ni nationalisation), symbole de la glaciation idéologique du deuxième septennat de François Mitterrand.

Nous avons, quant à nous, les yeux tournés vers l'avenir. Le service public se définit d'abord par ses missions. L'organisation qui permet de les assurer vient en second lieu. Or les missions de service public sont au cœur du pacte républicain, réaffirmé avec force, lors de l'élection présidentielle, par Jacques Chirac.

Dans cette société française, fragilisée par les retards d'adaptation accumulés depuis 1988, nos concitoyens ont plus que jamais besoin de services publics de qualité, accessibles à tous, dans les mêmes conditions tarifaires et au prix le plus bas. Contrairement à d'autres pays européens, nous avons la conviction que cette revendication légitime n'est que rarement satisfaite par le marché.

En matière de télécommunications comme d'électricité, la position du gouvernement a été constante : défendre et faire reconnaître les missions de service public. Il en sera de même pour les services postaux.

Il faut savoir distinguer. Le « noyau dur du service public » – EDF, La Poste et la SNCF – a connu des évolutions de son environnement réglementaire. Pour les entreprises directement confrontées à la concurrence interne et internationale, comme France Télécom ou GDF, des adaptations de structure sont indispensables pour les conforter dans leur dynamique d'entreprise et leur donner les moyens du développement. Dans tous les cas, ce qui compte aujourd'hui, ce n'est pas la gestion frileuse d'une situation acquise, mais le projet d'avenir que doit se donner chaque opérateur, dans le respect des missions de service public qui lui sont imparties et dans le souci constant d'améliorer les prestations fournies.

Fait unique en Europe, ces évolutions nécessaires se font et continueront de se faire dans le respect du statut des personnels en place. Alain Juppé s'est lui-même engagé, par écrit, auprès des personnels concernés, en leur donnant des garanties qu'aucun gouvernement n'a jamais données, ni d'ailleurs qu'aucun marché concurrentiel ne peut offrir à des salariés du secteur privé. Si l'on ne tient pas compte des infrastructures (qui ne s'équilibrent dans aucun pays au monde), il faut rappeler que les entreprises à mission de service public sont bénéficiaires dans ce pays et que les garanties données ne pèseront donc pas sur les contribuables.

Le service public correspond à une certaine conception du rôle et de la responsabilité de l'État. Le droit français définit les principes du service public : égalité, continuité, neutralité et adaptabilité. Ce dernier principe, posé dès 1906 par le Conseil d'État, conditionne aujourd'hui le maintien des trois autres.

Les défis auxquels nous sommes confrontés sont multiples. Il est de notre responsabilité de les relever, il serait, au contraire, coupable de les ignorer. Ce qui est en jeu, ce n'est rien moins que l'avenir de nos opérateurs, c'est-à-dire notre capacité à offrir, demain, un véritable service au public, et de défendre, toujours, la société française contre ce qui menace son unité.