Article de M. Henri Krasucki, secrétaire confédéral de la CGT, dans "L'Humanité" le 4 février 1982, sur l'ordonnance de réduction du temps de travail à 39 heures

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Texte intégral

Ce qui se produit à propos de la réduction du temps de travail n'a rien de surprenant. Dès le mois de juillet 1981, nous avons publiquement démontré tout ce qui allait arriver : la volonté rétrograde du patronat à laquelle les autres syndicats venaient de souscrire et le refus des travailleurs qu'exprimait, alors, déjà, et seule, la CGT.

Nous avions, dès ce moment, saisi le gouvernement au plus haut niveau, publiquement et dans les diverses concertations qui se sont succédées. Nous l'avons prévenu à temps, sans outrance, mais sans rien masquer, en soulignant les risques qu'il y aurait, pour lui, de s'identifier au CNPF, au mauvais « accord » de juillet et de fournir une couverture légale qui lui ferait porter le chapeau des méthodes réactionnaire des patrons.

1° 39 heures, c'est trop peu pour créer des emplois.

2° La réduction des salaires est inadmissible et n'est effectivement pas admise. C'est pourtant bien ce que veut le patronat.

Les propos du ministre du travail sur « le prix du temps libre » sont inacceptables pour l'ensemble des travailleurs qui refusent, à juste titre, ce genre de marchandage.

L'ordonnance du gouvernement, en ne garantissant que le SMIC, heurte les travailleurs et n'a rien à voir avec la lutte contre les inégalités.

II est franchement mauvais de commettre trop de fautes sociales et d'en rajouter.

3° Le patronat s'efforce de tricher sur la réduction de la durée hebdomadaire en reprenant des temps de pause et d'autres dispositions de bon sens obtenues de longue date. Il annule ainsi la réduction réelle et, parfois, aggrave la situation. Il essaie d'en faire autant pour la 5e semaine de congés.

Certaines administrations publiques agissent de même, en dépit des engagements gouvernementaux. C'est le cas des douanes dont le comportement à l'égard du personnel est inadmissible. L'entêtement de cette direction et du ministère concerné est incompréhensible et parfaitement vain. L'action des douaniers est légitime et reçoit l'entière solidarité de la CGT.

Le patronat tente de faire ce qu'il n'a cessé de vouloir.

Toutes les centrales syndicales qui ont signé l'accord de juillet 1981 contre la seule CGT portent une lourde responsabilité : elles ont cautionné ces méthodes et sont (...) aujourd'hui de jouer (…)

La CGT n'admet pas (...) responsabilité. Chacun doit assumer les responsabilités de ses actes et de répondre devant les travailleurs dans les entreprises.

Edmond Maire clame sa véhémence pour Varsovie, mais, rue Pierre-1er-de-Serbie, ses remontrances sont délicates pour le CNPF.

En ce qui concerne le gouvernement, il faut bien constater qu'il a préféré, par son ordonnance, servir de paratonnerre au patronat, au point de porter atteinte au suffrage universel dans les entreprises dans ce but.

Les propositions de la CGT n'ont pourtant rien d'exorbitant : elles répondent à un besoin raisonnable des travailleurs qui réclament un pas réel et juste dans la voie d'une réduction rapide de la durée du travail vers les 35 heures.

En ce sens, nous l'avons démontré par des actes, certains aménagements, qui sont inacceptables à 39 heures, deviennent envisageables à 35 heures, sous certaines garanties.

Notre action correspond à nos responsabilités dans la défense des intérêts des travailleurs, mais aussi pour contribuer à la réussite de l'entreprise du changement.

Plutôt que de se méfier de la CGT, ou même de chercher à contourner ou réduire l'expression de sa représentativité, l'expérience prouve qu'il serait plus judicieux de prendre en considération ses avis responsables et sérieux.

II est toujours temps de corriger cette erreur – comme plusieurs autres faux pas – qui gâche les aspects pourtant positifs des réformes déjà engagés. Mais il est vraiment temps.

L'action revendicative de masse des travailleurs est un élément constitutif du changement pour répliquer aux prétentions du patronat et corriger les erreurs ministérielles ou même gouvernementales.

Les faits confirment que la CGT a loyalement dit vrai et a agi juste, dès juillet.

Ils confirment également le refus des travailleurs eux-mêmes.

Ce qui se passe ces jours-ci, et notamment sur la question de la durée du travail, éclaire bien la réalité sociale.

Les travailleurs peuvent constater la nouvelle réalité du rapport des forces qui leur permet de se défendre contre les empiétements des patrons.

Ils peuvent aussi constater qu'il ne faut pas tout attendre d'en haut, mais prendre en main leurs intérêts et agir avec intelligence et fermeté pour les faire prévaloir.

Ils peuvent enfin constater à quel point la CGT leur est nécessaire.

Les organisations de la CGT prendront, dans les entreprises et aux divers échelons, les initiatives rapides et bien adaptées à chaque situation, pour définir démocratiquement, avec les travailleurs, les objectifs et les méthodes de lutte pour obtenir une bonne solution.

Sur ces bases définies avec les travailleurs, les organisations de la CGT agiront dans les entreprises, avec toutes celles qui le souhaiteront, sans jamais masquer la responsabilité des centrales signataires de l'accord de juillet.

La réduction du temps de travail, sans perte de salaire, sans tricherie, cela se conquiert par l'action dans les entreprises et les branches.

Les travailleurs sont capables de franchir un pas réel et sans bavure.

Ce sera une conquête syndicale et un vrai progrès pour la gauche.