Texte intégral
B. Schönberg : Vous avez eu plusieurs conversations avec Jacques Chirac, peut-on en savoir davantage, souhaitez-vous négocier sur cette affaire ?
J. Lang : Je n'ai aucune autorité pour négocier, mais je crois que, face à la détresse et à la souffrance des uns et des autres, il n'est pas anormal de faire appel à l'esprit de justice du chef de l'État. Et je continue d'espérer, même si ce soir je suis inquiet, nous sommes inquiets
B. Schönberg : Réaction tout de suite à l'intervention de Jean-Louis Debré ?
J. Lang : Oui, j'allais vous en parler. Certes, un premier pas a été accompli. D'abord la rencontre du ministre et des responsables du mouvement : il était grand temps. Et pourquoi avoir attendu cinq mois, laissant pourrir une situation que tout le monde souhaite au contraire apaisée ? L'autre élément qui peut réconforter, c'est la solution indiquée pour les enfants, les parents ainsi que la saisine du Conseil d'État. Personnellement – et Lionel Jospin a exprimé un sentiment tout à fait identique au nom du PS – une solution de médiation par une personnalité indépendante nous apparaîtrait plus efficace. Mais, malheureusement, d'après ce que je crois comprendre, le fond du problème n'est pas résolu. Et toujours en filigrane se trouve cet amalgame que nos concitoyens ont du mal à comprendre – parce que c'est difficile comme sujet – un amalgame entre les clandestins et les sans-papiers. Nous sommes en tant que responsables politiques contre l'immigration clandestine. Or, les personnes dont il s'agit ne sont pas des clandestins, ce sont des personnes qui vivent en France depuis cinq ans ou dix ans, soit à travers des études, soit à travers un travail et qui se trouvent aujourd'hui victimes de lois injustes.
B. Schönberg : Les forces de gauche sont unies depuis quelques jours sur cette affaire, mais tout de même très divisées pendant de longues années sur ces problèmes difficiles de l'immigration. Je ne citerai que la phrase de Michel Rocard : « on ne peut pas prendre en compte toute la misère du monde ». Donc c'est un peu facile aujourd'hui de prendre ces positions alors que vous avez des difficultés à régler ces affaires.
J. Lang : Non, les positions que nous prenons aujourd'hui sont à peu près conformes à celles que nous avons prises. C'est-à-dire une position de responsabilité et qui se résume en deux mots, non à l'immigration clandestine, oui à l'intégration, oui au respect des droits de la personne et de la dignité des hommes. Et les hommes qui ont été reçus par M. de Robien hier à l'Assemblée nationale sont des hommes responsables et honnêtes. Ce ne sont pas ces poseurs de bombes vis-à-vis desquels en Corse on est parfois un peu trop complaisants et qui, eux, bafouent directement les lois de la République. Ce que nous souhaitons les uns les autres – nous ne voulons pas politiser ce dossier – nous voulons que, dans un esprit humain, d'ouverture et en même temps de fermeté, trouver une solution.
B. Schönberg : Donc il n’y a pas de stratégie politique – comme pouvait le dire M. Debré éventuellement – derrière cette affaire ?
J. Lang : Où est-elle ? Quelle stratégie ? De la part de qui ? En tout cas, pas de la part du PS qui, sur ce sujet, a toujours adopté un comportement humain, raisonnable et sérieux. C'est pourquoi nous voulons absolument que l'on sorte de l'impasse, que l'on choisisse une personnalité indépendante, qu’un moratoire permette pendant quelques semaines de régler cas par cas les situations. Certains seraient régularisés par cette personnalité, d'autres seraient expulsés s'ils ne remplissent pas les conditions. Par ailleurs, si on se tourne vers l'avenir, on voit aujourd'hui que les lois Pasqua sont des lois à la fois injustes puisqu'elles déchirent les familles, aboutissent à des conséquences humaines désastreuses, et paradoxes des paradoxes, inefficaces puisqu'elles fabriquent des clandestins. Les lois Pasqua sont des fabriques à clandestins. Des personnes qui, se trouvant tout à coup victimes de ces lois, s'enfuient dans la nature. Ce qui n'est pas le cas de ces femmes et de ces hommes qui, au contraire, sont là à visage découvert.
B. Schönberg : Pour ce qui est de la saisine du Conseil d'État, vous y êtes plutôt favorable, vous trouvez que c'est un pas en avant ? Je me souviens que Lionel Jospin à l'époque de l'affaire du foulard islamique avait lui-même eu la même démarche. Finalement, c'est une bonne médiation ?
J. Lang : À l'époque, il s'était fait drôlement harponné par les uns et par les autres. Je crois qu'en effet, saisir une haute autorité juridictionnelle ou administrative est une bonne idée. Elle ne pourra pas trancher sur les cas individuels, c'est pourquoi je persiste à penser qu'un médiateur – qui était la solution proposée par le premier secrétaire du PS – permettrait de résoudre la question. Je dirais pour terminer qu'il faut que cette affaire en finisse sur un plan humain, car elle nous détourne des vrais problèmes que se posent les Français. Et les vrais problèmes, c'est l'emploi, ce sont les inégalités. Et je crois qu'il est temps que nous nous centrions les uns les autres sur des solutions qui pourront redonner, le jour venu, au pays espérance et enthousiasme.