Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Je suis très impressionné de vous voir si nombreux de si bon matin. Vous êtes les bienvenus. J’ai plaisir à vous accueillir, avec Michel Barnier et Jacques Godfrain, avec le Secrétaire général, le Directeur de cabinet, malheureusement sans Margie Sudre, c'est-à-dire la meilleure part de nous-mêmes, qui fait campagne électorale dans son département de la Réunion, et qui nous reviendra, je l'espère, pourvue d'un nouveau mandat.
Je voudrais d'abord me féliciter de cette année que nous avons passée ensemble. J'ai le souvenir précis de notre réunion de l'année dernière qui s'était tenue à peu près à la même date, et dont j'avais gardé un excellent souvenir. J'espère que vous-mêmes pourrez trouver dans ces deux jours de travail en commun des éléments qui soient propres à nourrir votre action pendant l'année qui commence.
Je voudrais évoquer devant vous, si vous le voulez bien, trois sujets, trois idées qui pourraient constituer le bilan de l'année écoulée, et conduire notre action commune pendant les douze mois qui viennent. La France peut, si elle le veut, affirmer sa place, défendre ses intérêts et affirmer son rôle dans le monde d'aujourd'hui. Il faut qu'elle le veuille, c'est affaire de volonté. Cette démarche volontaire n'est pas contradictoire avec l'affirmation et le développement de nos solidarités. Cela dépend de notre capacité à avoir une politique étrangère qui intègre à fond ces solidarités dont je vous parlerai.
Enfin, tout ceci ne nous dispense pas – loin de là – de nous engager dans un effort permanent d'adaptation que notre diplomatie doit être capable de faire, et dont je voudrais également vous parler.
A. – La volonté
D'abord donc, la volonté. Cette volonté, c'est celle du président de la République, et aussi, si vous le voulez bien, la mienne. Je ne doute pas que ce soit aussi la vôtre. Nous l'avons prouvé pendant ces douze mois, au moins sur quatre chantiers qui resteront tous en pleine activité au cours des mois qui viennent.
I. – Il y a un an maintenant, nous étions tous ensemble engagés dans un effort d'explication de l'ultime campagne d'essais nucléaires décidée par le président de la République.
Cette campagne, le président l'avait voulue. Le gouvernement l'a menée à bien et vous avez passé des semaines qui vous ont peut-être paru longues à expliquer et à justifier le pourquoi et le comment de cette campagne.
Je voudrais très simplement, Mesdames et Messieurs, rendre hommage à votre action de communication, d'information, parfois même de négociation pour faire comprendre quelle était la portée exacte de cette décision française. Nous avons, dans une tempête dont il ne faudrait pas exagérer la portée, défendu la détermination de notre pays avec calme, avec sang-froid. Il est de fait que, regardant de façon rétrospective ce que nous avons fait pendant cette période, nous pouvons constater que ce premier acte de la détermination de notre politique étrangère, loin de nous avoir porté tort, a été bénéfique. Nous avons pu, de surcroît, jouer un rôle majeur dans la négociation que nous avons conduite ensemble, à Genève, du Traité d'interdiction totale des essais nucléaires.
Le texte qui a été mis au point répond à nos préoccupations mais aussi aux désirs de la grande majorité de la communauté internationale. Nous entendons maintenant travailler activement à son adoption définitive, même si cette phase finale rencontre encore quelques obstacles sur son chemin.
II. – Le deuxième chantier est celui du Proche-Orient, qui est plus que jamais l'une des priorités majeures de notre diplomatie. Au mois d'avril, l'opération « Raisins de la colère » a été pour le monde entier sans doute, et pour nous en particulier, un défi. Nous ne pouvions pas accepter sans réagir un enchaînement de violences dont les victimes étaient essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, des victimes civiles.
Je me suis donc rendu dans cette région avec une mission précise : contribuer à l'arrêt des combats, affirmer notre présence dans une région avec laquelle nous avons des intérêts nombreux, mais aussi une relation affective forte.
Cette crise a manifesté une nouvelle fois la détermination française et nous a conduits à mettre en pratique des orientations qui avaient été définies par le président de la République à Beyrouth et au Caire quelques jours auparavant, et le résultat est là. Nous sommes désormais un partenaire à part entière dans le processus de paix au Moyen-Orient, et je dirais que nous sommes reconnus comme tels, ou peu sans faut, par tous, y compris par ceux qui avaient manifesté les plus vives réserves à ce projet.
Le Proche-Orient appelle un fort investissement de notre part. Nous ne sommes pas en concurrence avec d'autres grands pays, pas plus que nous ne le sommes avec l'Union européenne. Nous utilisons le poids de nos contacts dans cette région. Nous répondons à l'évolution des choses dans cette partie du monde. Le processus de paix a déjà produit de nombreux résultats. Les pays concernés ont retrouvé l'habitude de dialoguer et de coopérer avec l'ensemble du monde extérieur, à commencer par l'Union européenne mais, comme vous le savez enfin, il y a aujourd'hui des difficultés.
J'aime profondément ces terres où certaines des plus grandes civilisations se sont croisées, se sont côtoyées, se sont assez souvent heurtées. Ces peuples passionnés avec lesquels la France a des liens millénaires sont, plus que d'autres encore, des peuples attachants.
Il ne s'agit pas de rechercher des effets d'annonce, mais d'agir pour la paix, en ayant conscience que nous sommes aussi, plus que beaucoup d'autres, les amis de chacun des pays de cette zone.
Je vous le dis franchement, aujourd'hui le processus de paix est en danger. Notre objectif est donc clair : préserver les acquis, confirmer les principes qui ont sous-tendu les avancées obtenues, et pour lesquels il n'y a pas d'autre solution. Vous sentez bien que dans la période où nous sommes, certains sont tentés de rechercher d'autres voies, d'imaginer des alternatives. Mais il n'y a pas d'alternative. L'alternative au processus de paix, c'est le conflit, ce sont les tensions, et ce serait peut-être demain de nouveaux drames.
C'est ce message que je continuerai à délivrer dans les prochains jours à nos principaux partenaires puisque j'aurai l'occasion d'en parler aussi bien avec les co-parrains du processus de paix, c'est-à-dire avec Warren Christopher qui sera à Paris dans quelques jours, et avec Evgueni Primakov que je rencontrerai à Moscou au début d'octobre. J'en parlerai aussi avec les représentants de la région, et notamment avec le ministre syrien des Affaires étrangères qui vient à Paris très bientôt, ainsi qu'avec le ministre israélien des Affaires étrangères, également à Paris.
III. - Troisième grand chantier, la rénovation de l'Alliance atlantique. Vous savez la part que la diplomatie française a prise et le rôle qui a été joué par les décisions du président de la République que j'ai annoncées en décembre 1995 à Bruxelles. Nous avons ainsi engagé un processus de rénovation qui a abouti à de premières et importantes décisions en juin dernier à Berlin, succès français, succès de notre diplomatie, succès de notre équipe de négociation qui a fait un travail remarquable et réussi.
Naturellement l'affaire est essentielle, puisqu'elle concerne à la fois notre conception des rapports transatlantiques et notre ambition à propos de la sécurité européenne.
Affaire essentielle aussi parce qu'elle était en panne depuis deux ans, et que nous avons ensemble réussi à la sortir de l'impasse.
Naturellement, nous allons continuer. Nous sommes décidés à assumer toute la responsabilité de la France dans les discussions et les négociations en cours. J'espère que celles-ci permettront au Conseil atlantique de décembre prochain à Bruxelles d'arrêter les décisions nécessaires à la réforme des structures de l'Alliance.
Nous poursuivons, en la matière, trois objectifs. D'abord préserver le lien transatlantique et l'efficacité de l'Alliance. Ensuite, faire en sorte que la réforme introduise dans le fonctionnement militaire de celle-ci la flexibilité nécessaire au succès des nouvelles missions qu'elle a définies. Enfin, concrétiser, et c'est bien sûr l'essentiel, l'identité européenne de défense, afin que les Européens puissent mener de manière efficace, ensemble, les interventions qu'ils auraient décidé d'entreprendre.
La France, au terme de ce processus de rénovation, et s'il lui paraît suffisant au regard des objectifs que je viens de rappeler, est disposée à prendre au sein de l'Alliance un statut comparable à celui de ses autres alliés.
Mais qu'on nous entende bien : nous proposons une alliance nouvelle. Sans doute subsiste-t-il des réticences devant ce projet. C'est pourquoi nous demandons instamment que nos propositions ne soient ni différées, ni repoussées, ni détournées. En toute hypothèse, nous ne retournerons pas dans l'Alliance d'hier. Nous sommes volontaires pour une Alliance nouvelle, c'est à elle que nous pensons, et c'est vers elle que nous cheminons.
Qu'on n'oppose pas non plus la logique de la rénovation et celle, à venir, de l'élargissement de l'Alliance. La première ne peut contrarier la seconde. Elle doit au contraire la faciliter, en lui donnant tout son sens, qui est de s'inscrire dans une vision stratégique à long terme et dans un contexte plus général d'organisation de la sécurité en Europe. Cette perspective donne donc une importance particulière au prochain sommet de l'OSCE, prévu en décembre à Lisbonne, et que nous aurons à préparer ensemble.
Bien sûr, Mesdames et Messieurs, l'élargissement de l'Alliance ne peut être conçu dans un esprit de confrontation avec nos amis russes. Nous comprenons les préoccupations de sécurité des pays candidats à l'élargissement de l'Alliance, mais ces garanties qu'ils espèrent et dont ils ont besoin viendront en réalité d'abord d'une nouvelle architecture de sécurité, dans laquelle chaque ensemble, les États-Unis, l'Union européenne, bientôt elle-même élargie, et la Russie se sentent partenaires et non pas adversaires. Il doit donner à tous les pays européens, quelle que soit leur position future à l'égard de l'Alliance, des garanties de sécurité satisfaisantes.
L'Alliance est un moyen parmi d'autres, de ce qui est l'essentiel, c'est-à-dire l'architecture européenne de sécurité.
Vous savez, bien sûr, l'importance que la France attache à son partenariat privilégié avec Moscou. De même souhaitons-nous que soit trouvé un accord, sous la forme par exemple d'une charte ou d'un traité, entre la Russie démocratique de demain et l'Alliance atlantique rénovée à laquelle nous travaillons.
IV. - Enfin, dernier grand chantier que je vais évoquer devant vous : l'ex-Yougoslavie. Notre pays a fait beaucoup pour aider ses malheureux peuples à passer de lu guerre à la paix. Ce chantier – c'est déjà bien que ce ne soit plus un champ de bataille –, restera au cœur de nos préoccupations. La paix en ex-Yougoslavie est fragile et menacée. Nous aurons au cours des semaines et des mois qui viennent sans aucun doute à apporter notre contribution pour continuer ce chemin difficile et délicat.
B. – Les solidarités
Je vous ai parlé de la volonté française parce que c'est sans doute le cœur même, la marque de cette nouvelle politique étrangère de la France. Je voudrais vous parler aussi de nos solidarités.
I. – L'Europe d'abord, parce qu'elle est bien sûr le premier espace de notre rayonnement extérieur et de notre capacité d'influence ; parce que c'est un formidable atout pour la défense des intérêts de la France et des Français ; mais aussi parce qu'il s'agit d'un cheminement historique de l'Europe vers son unité, qui est pour la France l'enjeu central de sa diplomatie.
L'année qui vient sera donc celle d'un engagement renouvelé de notre administration sur le chantier de l'Europe.
1. L'Union européenne est à la veille d'un élargissement sans précédent
La France, vous le savez, y est favorable. Tous les États associés de l'Union ont vocation à l'adhésion. Bien sûr, les négociations se fonderont sur les mérites propres de chaque candidat. Elles seront difficiles et nécessiteront, sans nul doute, des périodes de transition et des mécanismes d'adaptation. Tout cela prendra du temps. La France a avancé des propositions pour garantir la cohésion du processus, pour concilier l'unité de l'Europe, en même temps que le caractère individuel des négociations d'adhésion. Bien sûr, nous aurons l'occasion dans un très proche avenir de préciser ces propositions.
Cet élargissement comporte pour l'Union un très grand risque : celui de voir ses institutions paralysées. Nous avons donc besoin d'une réforme profonde de nos institutions européennes. Le simple maintien ou l'extrapolation des règles actuelles signifierait sans aucun doute une régression.
Une Europe plus large ne pourra pas fonctionner sans un renforcement de la solidarité politique de ses membres les plus engagés dans la construction européenne. La cohésion politique de ces pays doit donc continuer à se cristalliser, notamment dans le couple franco-allemand, qui est plus que jamais appelé à assumer sa fonction centrale.
Au-delà de la France et de l'Allemagne, il existe un cercle de pays, qui n'est certes pas le cercle des poètes disparus, mais celui des pays qui souscrivent pleinement à l'objectif du préambule du traité de Rome visant à créer entre les États membres une union sans cesse plus étroite. Il nous appartiendra donc de déterminer comment ce groupe de pays pourra continuer à imprimer sa marque à la construction européenne, et comment il devra chercher à s'organiser à cette fin.
Mesdames et Messieurs, toutes ces questions seront au cœur des débats des prochains mois sur l'avenir de l'Europe. Je ne veux pas à l'avance dérouler le film des événements futurs, mais sachez en tout cas que la France prendra les initiatives nécessaires pour que s'expriment les États qui seront prêts à assumer toutes les conséquences du projet européen, pour lequel nous n'avons pas l'intention d'abaisser en quoi que ce soit le niveau de nos ambitions.
D'un autre côté, l'Union économique et monétaire est le grand projet de cette fin de siècle pour l'Europe. C'est le vrai projet fédérateur européen. Il créera entre les pays concernés une solidarité nouvelle. Le calendrier est établi. Il sera respecté, et je vous demande d'être les porteurs à travers le monde de l'engagement et des certitudes françaises face à ce qui est en permanence la remontée des scepticismes et des doutes.
L'Union économique et monétaire est naturellement un défi : défi pour nos sociétés qui vivent un douloureux processus d'adaptation. Le passage à la monnaie unique sera aussi un défi pour l'Union elle-même, car il conviendra de ne pas créer, entre les membres de l'Union qui seront prêts le jour venu et les autres, des divisions ou des difficultés inutiles.
La monnaie, c'est bien entendu un projet politique. Nous lui donnerons cette dimension par des décisions appropriées. C'est à ces conditions qu'elle sera un facteur déterminant du retour à la croissance dont la France et l'Europe ont un urgent besoin.
2. La construction européenne, faite de négociations multilatérales, ne nous dispense pas d'être attentifs à nos relations bilatérales avec nos voisins européens. C'est pourquoi je voudrais insister auprès de ceux qui ont la charge de nous représenter dans ces pays pour encourager les contacts directs entre parlementaires, chefs d'entreprises, universitaires, journalistes, responsables syndicaux, de telle sorte que nos voisins et amis comprennent mieux les positions françaises et que nous-mêmes prenions davantage notre place dans la vie de ces voisins.
La relation franco-allemande, dont j'ai déjà parlé, doit elle aussi être constamment cultivée à tous les niveaux. Tel est en particulier l'objectif des assises que j'ai proposées à mon collègue Klaus Kinkel et que nous avons décidé de tenir en 1997 dans une grande ville de l'ouest français.
II. – Au-delà des solidarités européennes, je voudrais vous parler aussi de l'attachement français au système multilatéral.
1. Le Sommet du G7 à Lyon a, de toute évidence, été un succès qui a permis à la France de faire prévaloir ses idées. A notre initiative ; il a mis un accent particulier sur la mondialisation de nos économies et de nos sociétés, sur ses chances et aussi sur ses risques ainsi que sur les conditions de sa réussite au bénéfice de tous.
C'est là un message d'autant plus essentiel que les peuples et les nations perçoivent plus aujourd'hui les risques immédiats de cette mondialisation que ses avantages à long terme. Ainsi, en tout cas, le pense beaucoup de nos concitoyens. Nous avons d'ici la fin de l'année, au titre de la présidence du G7, à prolonger le message de Lyon, à veiller à ce qu'il soit mis en œuvre par tous nos partenaires comme par nous-mêmes, dans tous ses aspects : emploi, monnaie, aide au développement, mais aussi sûreté nucléaire, lutte contre le terrorisme, contre la drogue et la criminalité et tous les autres enjeux globaux, étudiés non seulement à Sept mais à Huit avec la Russie.
2. Notre attachement résolu au système multilatéral vaut tout particulièrement dans le domaine commercial. Ce système multilatéral a ses règles, auxquelles il convient d'être fidèle. C'est ce que nous disons très franchement aux États-Unis : chacun est maître chez soi, mais chacun doit respecter, y compris chez soi, les règles librement consenties de l'Organisation mondiale du commerce, et nul ne peut imposer à d'autres des règles de comportement qui ne soient validées par le droit international ou par de libres conventions.
Aussi bien, comme vous le savez, la France a-t-elle engagé, avec les pays européens et d'autres partenaires dans le monde, un certain nombre d'initiatives contre deux législations récemment promulgués aux États-Unis, dites loi d’Helms-Burton et loi d'Amato-Kennedy.
Je vous demande d'être particulièrement vigilants, que ce soit dans vos démarches bilatérales ou dans les enceintes multilatérales, à Bruxelles, New York, Genève, comme dans la préparation de la conférence ministérielle de l'OMC de Singapour, il s'agit pour nous d'un enjeu important.
3. La même attitude doit prévaloir à propos des Nations unies. Celles-ci ont un rôle irremplaçable, rôle politique bien entendu, mais aussi économique et social. La réforme des institutions des Nations unies est engagée depuis quatre ans, le Sommet de Lyon a proposé de nouvelles pistes pour son approfondissement. Elle doit être une œuvre collective, librement consentie par les États membres. Chacun des États doit être rappelé à ses obligations, notamment financières, à l'égard des Nations unies.
Notez bien ceci : nous ne voulons pas d'un monde unipolaire, comme d'ailleurs nous ne voulons pas non plus d'un univers anarchique.
La règle de droit est nécessaire. Elle est là même pour tous et tous doivent s'y soumettre.
Quant aux questions de personne, dont j'ai compris qu'elles occupaient un certain temps à l'heure actuelle dans certaines chancelleries, qu'on ne vienne pas les substituer au débat de fond qui doit se poursuivre sur l'action des Nations unies et la mise en œuvre des réformes engagées, surtout lorsque ces questions ne sont ni d'actualité, ni selon nous, justifiées.
4. Un dernier cadre multilatéral revêt pour la France une importance essentielle : c'est l'organisation de la Francophonie. La réforme de ces institutions, décidée à Cotonou et conduite en ce qui nous concerne avec efficacité par le secrétaire d'État, Mme Sudre et son équipe, va de l'avant.
Je vous remercie des efforts que vous déployez actuellement pour présenter nos propositions et je vous engage à participer activement à la préparation du prochain sommet qui aura lieu à Hanoï en 1997. La Francophonie est un lieu de rapprochement, de concertations, d'initiatives. Elle peut offrir des occasions de diplomatie préventive, elle doit aussi peser sur la communauté internationale, en faveur de la diversité culturelle.
La Francophonie est beaucoup plus qu'une action collective de nature culturelle. C'est un projet politique. C'est ainsi que nous l'avons conduit depuis un an et que nous le conduirons pendant l'année qui vient.
C. – Savoir s'adapter
Volonté, solidarité, adaptation enfin.
1. Adaptation, d'abord, des grandes orientations de notre nouvelle diplomatie. Il y a un an, je lançais devant vous l'expression de « nouvelle frontière », pour décrire notre action diplomatique en Asie et en Amérique latine.
Nous avons montré ces derniers mois que cette expression n'était pas un slogan. Le président de la République et moi-même, nous nous sommes rendus à plusieurs reprises en Asie. D'autres membres du gouvernement ont suivi, marquant ainsi la priorité nouvelle donnée à ce continent dont le développement est, en effet, extraordinaire.
La France a joué un rôle majeur dans la préparation et le succès du Sommet de Bangkok qui appelle de notre part un suivi attentif.
Nos relations avec la Chine, le Japon, les pays de l'ASEAN ont connu des progrès remarquables. D'autres déplacements auront lieu régulièrement dans cette région, à laquelle je continue et je continuerai d'accorder une priorité particulière.
L'Amérique latine sera elle aussi un axe fort de notre action en 1996/97. Vous pourrez !e constater, à l'initiative du président de la République au cours des prochains mois.
A ceux d'entre vous qui sont en poste sur cette nouvelle frontière, je n'ai pas besoin d'expliquer l'importance des enjeux, ni l'ampleur de la tâche. Ils sont déjà mobilisés pour promouvoir l'image et l'influence de la France, pour faire connaître davantage notre langue, notre culture et notre capacité de formation de cadres, pour aider les entreprises françaises à s'implanter, elles ont du retard, à gagner des parts de marché, nous avons un sérieux déficit à combler. Les efforts particuliers à accomplir, à cet égard, impliquent donc une mobilisation totale de l'ensemble des administrations de l'État, sous votre responsabilité bien sûr. Mais je souhaite aussi que nous mobilisions nos entreprises, nos régions et nos chambres de commerce.
Cette nouvelle frontière, je tiens à le souligner avec force, n'implique aucune prise de distance vis-à-vis de nos amis les plus proches en Afrique et en Méditerranée. Il y a de ce côté-là quelque chose de très fort qui nous touche parce que nous sommes parfois un peuple affectif.
L'Afrique du nord reste donc un enjeu capital auquel nous entendons rester fidèles, pour avoir de bonnes relations, des relations étroites avec la Tunisie et le Maroc mais aussi avec l'Algérie où, comme vous le savez, je me suis rendu il y a quelques semaines.
Je citerai aussi les pays au contact de nos départements et territoires d’outre-mer et plus particulièrement, les pays insulaires de l'Océanie avec lesquels des relations fortes de coopération et d'amitié doivent se maintenir et se développer. Je fais confiance aux chefs de poste récemment nommés dans la région pour mener à son terme le travail engagé.
Ne vous laissez pas impressionner par certaines actions hostiles à la présence française dans cette partie du monde, ce n'est pas nouveau.
Les pays africains fournissent un autre exemple du caractère collectif de notre action. Le poids de notre coopération traditionnelle est très considérable. Il ne doit pas obscurcir la ligne générale de notre politique. Ces pays sont sur le chemin du développement et de l'État de droit. Nous les y aidons, à la mesure de nos moyens, et nous poussons les institutions financières internationales à les aider aussi.
Des difficultés surgissent, çà et là, dans certains pays qu'il nous revient d'aider plus particulièrement, non pas pour les exonérer des règles, ni les dispenser des efforts, mais pour qu'ils s'y préparent et reprennent dans les meilleurs délais la voie suivie par les autres.
Je rends à cet égard hommage au travail considérable réalisé par le ministre délégué, Jacques Godfrain, à Paris et dans ses nombreux déplacements sur le terrain.
2. Adapter nos orientations diplomatiques à ce monde nouveau, à ces nouvelles frontières, nous impose d'adapter en profondeur nos méthodes et nos outils de travail.
L'an dernier, je vous proposais ainsi de réfléchir à ce que devrait être le réseau diplomatique, consulaire et culturel de la France en 2005.
Ce réseau est en effet un corps vivant, il doit refléter les évolutions de la situation internationale comme celles de nos priorités de politique étrangère, et donc s'adapter en permanence, bien que l'évolution et l'adaptation ne sont pas dans la nature administrative intrinsèque.
Mais il faut le faire, telles sont les préoccupations, qui ont inspiré les propositions que j'ai présentées au président de la République et au Premier ministre. Les mesures envisagées concernent non seulement le Département mais aussi les autres administrations qui ont des réseaux à l'étranger, parfois d'ailleurs d'autres administrations qui nous donnent des leçons et dont pourtant la rigueur n'est pas la marque. C'est pourquoi nous avons travaillé dans un bon esprit entre les administrations et avec les plus hautes autorités de l'Etat pour faire cheminer l'adaptation du réseau de la présence française dans le monde.
S'adapter signifie supprimer certains postes moins nécessaires aujourd'hui qu'hier – il convient, par exemple, d'alléger le réseau consulaire dans les pays de l'Union européenne mais également répondre aux nouvelles priorités et donc créer de nouveaux postes dans les zones émergentes d'Asie ou d'Amérique latine où nous sommes insuffisamment présents. J'ai donc veillé à ce que notre réseau reste pour la France un outil de rayonnement et d'influence à vocation universelle, puisque c’est la nature de la politique étrangère de la France.
Vous recevrez bientôt à ce sujet des instructions précises. Je vous demande de les mettre en œuvre vite et avec loyauté, ce dont je ne doute pas, en informant, avec tout le savoir-faire que chacun reconnaît à la diplomatie française, les autorités auprès desquelles vous êtes placés de telle sorte qu'elles accueillent ces décisions avec enthousiasme.
L'adaptation de la carte diplomatique n'est qu'un élément, certes essentiel, d'une entreprise plus vaste de réforme engagée il y a déjà quelques années au Quai d'Orsay. Celle-ci s'inscrit désormais dans le cadre de la réforme de l'Etat décidée par le Premier ministre, tout en respectant la spécificité des missions du Quai d'Orsay, comme j'ai pu début juillet le confirmer aux représentants du personnel qui s'en inquiétaient.
Je souhaite rappeler à cet égard qu'aucune réforme ne peut être menée à bien sans la participation de tous, celle des cadres de la maison comme de l'ensemble du personnel. Le Secrétaire général et le Directeur général de l'Administration auront donc, dans les prochains mois, la charge de la concertation appropriée avec les agents du Département.
Mais il n'y a pas non plus de réforme sans esprit de réforme. Nous ne sommes pas dispensés d'être constamment en éveil pour modifier nos structures, nos méthodes, notre organisation.
C'est une grande tâche et je souhaite que ce soit l'un de nos objectifs dans les douze mois qui viennent.
Je vous demande de vous y consacrer personnellement, de vous y intéresser.
Pour mener à bien dans les prochains mois notre action de réforme, j'ai demandé à M. Laurent Aublin d'en être l'artisan auprès du Secrétaire général. Il sera votre interlocuteur privilégié et le mien. Soyez certains que je veillerai très personnellement à l'action de réforme de notre ministère.
Dans ce domaine en particulier, nous aurons à parler ensemble de tout ce qui concerne la formation permanente des agents du ministère. J'ai demandé au nouveau Directeur général de l'Administration de s'attacher en particulier à améliorer l'apprentissage des langues étrangères. Comme vous le savez, en effet, notre administration a, à cet égard, des manques regrettables. Un plan d'action a donc été établi. Je souhaite qu'il soit mis en œuvre dans les meilleurs délais. Je vous demande d'y consacrer les efforts nécessaires pour que notre diplomatie dispose, non seulement pour demain, mais pour les vingt ans qui viennent, des cadres connaissant les grandes langues du monde, telles que nous pouvons nous figurer que sera le monde dans vingt ans. Je voudrais enfin que nous attachions de l'importance à la gestion des ressources humaines, c'est-à-dire des dix mille agents qui sont les porteurs de la diplomatie française, et que notamment nous attachions de l'importance à la promotion interne, prioritaire à mes yeux, et dont je connais les problèmes.
Reste, me direz-vous, la question des moyens budgétaires. Les choses sont très simples, la diplomatie française est performante, vous êtes un grand ministère, mais nous avons peu de moyens.
Cela ne nous dispense pas de contribuer à l'effort de rigueur, de maîtrise de la dépense publique et nous y apporterons notre contribution sans état d'âme. Vous êtes les responsables de cette maison, vous êtes donc là pour porter avec détermination cet engagement qui est le mien et qui est le vôtre. Comme vous le savez, nous avons fait ce qu'il fallait au cours des derniers mois pour défendre la priorité, qui n'est pas douteuse, de la politique étrangère française. Cela a été le cas dans les discussions budgétaires 96, dans la période de glaciation des crédits supplémentaires au cours de l'année, où nous avons, à ma demande, été mieux traités que prévu. Enfin, ce sera le cas dans le budget 97, où, s'il est vrai que nous participons à l'effort collectif de maîtrise et de réduction de la dépense, il n'en ai pas moins vrai aussi que notre ministère préserve ses marges d'actions et de décisions.
En conclusion et en confidence, je voudrais vous dire que je suis heureux d'être à la tête de votre brillant Département. Je le suis parce que c'est évidemment une tâche passionnante que d'essayer de contribuer comme vous le faites, chacun d'entre vous, à marquer de son empreinte la politique étrangère de notre pays, de faire en sorte qu'ainsi notre vieille nation trouve dans le monde d'aujourd'hui l'espace qui est possible pour elle, de façon à occuper une place plus forte encore demain qu'aujourd'hui, ce que je crois possible. Je ressens comme un honneur d'être à la tête d'une grande maison qui révèle d'autant plus ses qualités que le monde est en profonde mutation et que ces mutations engendrent des crises parfois dramatiques.
Dans ce contexte, j'ai eu le bonheur d'apprécier les qualités de caractère du Département – car vous appartenez à une administration qui a du caractère – et je voudrais vous en rendre hommage. J'ai admiré le courage d'un certain nombre d'entre vous.
Le métier de diplomate devient de plus en plus un métier à risques. Peut-être l'était-ce à la belle époque de Vergennes, mais aujourd'hui aussi on le voit, hélas. J'ai été frappé par le courage tranquille, par la sérénité de nos agents qui vivent dans des postes exposés et que j'ai pu admirer sur place en particulier à Alger. Je tiens à les saluer, comme je voudrais exprimer mon admiration à tous ceux qui ont travaillé dans des postes difficiles.
Mais j'admire aussi et je perçois quotidiennement le professionnalisme des agents du Département. Je lis beaucoup de vos télégrammes, pas tous, mais beaucoup, ceux qu'on me sélectionne naturellement. Cela me permet d'enrichir ma culture générale, de savoir à peu près ce qui se passe et d'admirer vos talents, ce qui n'est pas rien. C'est vrai, je constate que le métier diplomatique ne s'improvise pas, qu'il demande une longue maturation et une assez savante combinaison de qualités intellectuelles et humaines. Franchement, vous pouvez être fiers du professionnalisme que tous ensemble vous représentez.
Je constate avec satisfaction la disponibilité des agents du ministère. Un grand réseau diplomatique comme le nôtre fonctionne et doit fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Nous ne sommes pas une administration où il y a des guichets ouverts à heures fixes, nous sommes constamment en éveil et en action. C'est une contrainte que vous acceptez car elle fait partie de votre métier, de votre vocation et je voulais vous en remercier.
La fonction publique française a une tradition de loyauté à l'égard du gouvernement en place. Votre maison, notre maison, l'a poussée jusqu'à l'excellence. J'espère que ça ne vous empêche pas d'être pour autant une force de propositions imaginatives. J'apprécie au contraire, vous le savez, la liberté de ton, la liberté d'expression, l'originalité des esprits. Il n'y a pas de pensée unique au Quai d'Orsay. Le prêt-à-penser n'existe pas ici. Chacun peut exprimer librement ses idées, ses vues, ses propositions.
C'est ainsi à force de courage, de professionnalisme, de disponibilité et de loyauté que l'on fait un grand corps de l'État. Le corps diplomatique est un grand corps de l'État.
Vous aurez pendant ces deux jours un assez lourd programme de travail. Nous l'avons néanmoins resserré sur deux jours et non pas sur trois comme c'était le cas l'année dernière. Je me réjouis beaucoup de passer ces deux jours pratiquement avec vous, d'avoir l'occasion de parler avec beaucoup d'entre vous, de pouvoir échanger des idées dans nos séances de travail. Je souhaite que ce soit un bon signe pour la rentrée de la diplomatie française, que nous continuerons à marquer du sceau de la détermination française à être présente partout dans le monde, parce qu'ainsi nous sommes, nous pensons que nous sommes, une puissance mondiale et nous avons l'intention de jouer pleinement notre rôle avec modestie, toujours, et avec détermination. Soyez-en assurés. Merci.