Interviews de M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire de la ville et de l'intégration, à Europe 1 le 20 août 1996, France 3 le 21 et dans "Le Figaro" du 26, sur la situation juridique des "sans-papiers" de l'église Saint-Bernard et la volonté de faire "appliquer les lois votées par le Parlement de la République" (Lois Pasqua).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Evacuation par la police des Africains sans papiers de l'église Saint Bernard (Paris 18ème) le 23 août 1996

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Europe 1 - France 3 - Le Figaro - Télévision

Texte intégral

Europe 1 - mardi 20 août 1996

J.-C. Gaudin : La première tâche d'un gouvernement est d'appliquer et de faire appliquer les lois votées par le Parlement de la République. Que dirait-on si le Gouvernement ne respectait pas la loi ? Cette exigence est d'autant plus forte que le sujet est sensible pour les citoyens. Je suis pour ma part convaincu que la faiblesse ne servirait que les excès.

Europe 1 : D'autant plus que vous considérez que ce serait rendre un mauvais service aux immigrés en situation légale ?

J.-C. Gaudin : Bien entendu, la politique d'intégration que je conduis dans mon ministère de l'Aménagement du territoire, de la Ville et de l'intégration, sous l'autorité du Premier ministre, concerne des personnes qui respectent la loi. Comment prétendre s'intégrer si l'on commence par entrer ou séjourner illégalement en France ? Or la France est un pays qui, de ce point de vue, est un pays assez généreux. Nous naturalisons plusieurs dizaines de milliers de personnes par an. Ces personnes-là ont opté pour la nationalité française. Elles sont là quelquefois depuis longtemps, mais elles sont là en tout cas d'une manière légale. Par conséquent, celles-là peuvent être reconnues par la nation française. Or si l'on se met sous la pression, je ne veux pas aller jusqu'à dire le chantage, de vouloir naturaliser comme cela des groupes ici ou là, mais quel signal allons-nous donner aux autres pays européens et aux autres pays du monde ? Alors, je suis surpris de tout ce que j'entends, parce qu'au Gouvernement, on ne manque pas de générosité. A mon avis, on l'a prouvé à plusieurs occasions. Mais en la circonstance, comment peut-on demander aux membres du Gouvernement de ne pas respecter les lois votées par le Parlement de la République ? Ça, ce n'est pas possible ! Alors, il est des hommes qui peuvent faire toutes sortes de déclarations. Mais quand on gouverne, on est bien obligé de s'en tenir aux lois qui régissent notre République française. C'est ça, le fondement.

Europe 1 : Avez-vous été surpris par l'attitude de G. de Robien ?

J.-C. Gaudin : Monsieur de Robien est président d'un groupe à l'Assemblée nationale que je connais bien, puisque j'en ai moi-même été le président pendant de longues années. Je suis un peu surpris de cette déclaration, car en réalité, mieux que quiconque, lui, chef d'un groupe de parlementaires, s'insurgerait si le Gouvernement passait à côté d'une loi votée par le Parlement, et d'une loi approuvée en plus par son groupe.

Europe 1 : On a eu le sentiment qu'A. Juppé tentait un peu une sortie sur cette affaire mais que la situation est bloquée ce soir ?

J.-C. Gaudin : D'abord il y a la volonté du Gouvernement et donc du Premier ministre de rappeler la législation française. Ce que l'on ne dit pas dans tous les reportages ces jours-ci, c'est que depuis plusieurs semaines, des cas ont été réglés. Le 9 juillet dernier : je vous ai apporté la circulaire, j'ai signé une circulaire avec M. Debré et M. Barrot à l'intention des préfets pour régler un certain nombre de cas notamment ceux des parents d'enfants français c'est-à-dire nés en France d'un parent né à l'étranger. Pour les sans-papiers de l'église Saint-Bernard, cela représente 54 cas qui d’ores et déjà sont réglés. On n'en a jamais parlé. Cet après-midi, au conseil interministériel, le Premier ministre qui est un homme de cœur, chaleureux dans sa volonté d'apporter des solutions, a demandé que l'on regarde avec un a priori favorable, le cas des parents d'enfants nés en France et les cas exceptionnels. C'est déjà, me semble-t-il, un geste de générosité. Mais, voyez-vous, nous sommes le Gouvernement de la République. Le premier devoir du Gouvernement de la République, c'est d'appliquer et de faire appliquer les lois votées par le Parlement de la République.
Europe 1 : Justement, vous avez saisi le Conseil d'État alors que les lois Pasqua avaient déjà été examinées. C'est bien l'application de ces lois qui est en cause ?

J.-C. Gaudin : Écoutez, les lois Pasqua ont été examinées par le Conseil d'État bien entendu. Les décrets d'application l'ont été également. Il y a eu saisine du Conseil constitutionnel. Ce dernier s'est prononcé. Par conséquent, c'est surtout un principe fondamental. Dans cette affaire-là, il ne s'agit pas de dialogue, il ne s'agit pas d'ouverture de négociations. Il s'agit pour le gouvernement de la République d'affirmer que son premier devoir est de faire respecter les lois. Et ceux qui défilent à Paris, s'ils étaient demain au gouvernement de la République – j'espère que non – ils seraient bien confrontés à la même situation. Alors, à la fois, le Gouvernement veut, bien entendu, être ferme – il le sera – mais avec bien entendu toute la générosité. Quand on dit qu'on a évacué des femmes enceintes ou des gens qui étaient malades ou des gens qui font la grève de la faim, cela est faux et totalement faux ! ça ne s'est jamais produit ! Pour autant, nous sommes dans un État de droit, nous sommes dans la République française. Et par conséquent, on ne peut pas faire n'importe quoi. Alors, ceux qui n'exercent pas des responsabilités gouvernementales, peuvent tenter d'apparaître comme plus généreux que ceux qui sont en charge des responsabilités. Pour autant, le Premier ministre nous l'a encore dit cet après-midi : le droit et le cœur. Nous devons faire respecter la loi mais nous devons le faire avec toute la générosité nécessaire.

Europe 1 : Qu'est-ce que vous envisagez ce soir ? Des évacuations ?

J.-C. Gaudin : Il y a eu des gestes ce soir. Il n'a jamais été question dans le conseil interministériel de cet après-midi de ces choses-là. Mais examiner avec un a priori favorable le cas des parents d'enfants nés en France est déjà me semble-t-il un geste. Mais encore une fois, pas de discussion, pas de négociation, simplement la volonté de faire respecter le droit de la République avec la générosité que la République nous a toujours demandée.

 

Le Figaro - 26 août 1996

Le Figaro : Peut-on aller, avec d'ores et déjà la libération de toutes les femmes et de tous les enfants de l'église Saint-Bernard, vers une régularisation massive du type de celle de 1981-1982 ?

Jean-Claude Gaudin : D'abord, dans cette affaire, on a oublié de dire que par une circulaire du 9 juillet 1996 signée par MM. Debré, Barrot et moi-même, le cas de 54 personnes de Saint-Bernard avait été réglé. Il s'agissait de parents nés en France avec leurs enfants nés en France. Ensuite, au comité interministériel qui s'est tenu mercredi dernier à Matignon, le premier ministre nous a demandé d'examiner « avec un a priori favorable » le cas des parents d'enfants nés en France. C'est-à-dire de faire l'interprétation la plus généreuse de la loi Pasqua. Il a aussi demandé l'examen de tous les autres cas. Ce soin particulier est justement motivé par le fait que le gouvernement ne veut pas commettre les erreurs du gouvernement socialiste dans les années 81-82, lorsque Mme Questiaux légitimait devant l'Assemblée nationale la régularisation de dizaines de milliers d'immigrés en situation Irrégulière. A cette époque, la faute a été grande, car elle a créé un appel d'air dans les pays d'immigration, dont certains habitants se sont dit qu'ils pouvaient venir en France, et qu'ils seraient automatiquement régularisés.

Le Figaro : Cela signifie que les lois Pasqua sont nécessaires et suffisantes ?

Jean-Claude Gaudin : Les lois Pasqua ne sont en rien responsables des difficultés rencontrées dans l'affaire de Saint-Bernard. La plupart des personnes en question vivaient en France avec des autorisations de séjour datant parfois de plusieurs mois. Ils ont récemment perdu cette autorisation, non à cause des lois Pasqua, mais parce qu'ils étaient demandeurs d'asile ; pendant la durée d'instruction de leur demande d'asile, en application de la convention de Genève, ils avaient reçu un titre de séjour. Lorsqu'ils ont été définitivement déboutés, Ils ont perdu ipso facto ce titre de séjour.

Cela dit, les lois Pasqua datent d'il y a deux ans ; peut-être appellent-elles quelques modifications techniques. Le rapport Philibert-Sauvalgo demandait un durcissement sur certains points ; sur d'autres points, Il conviendrait sans doute d'assouplir et de clarifier le règlement – notamment pour certains cas humanitaires. Ce travail est en préparation au ministère de l'Intérieur. Jean-Louis Debré, à la demande du président de la République et du premier ministre, prépare aussi des textes tendant à réprimer le travail clandestin.

Le Figaro : On a reproché au gouvernement d'avoir traîné sur les dossiers des sans-papiers...

Jean-Claude Gaudin : Le gouvernement a voulu s'entourer d'un maximum d'avis, y compris celui du Conseil d'État, faire fonctionner toutes les possibilités législatives. Afin que ne se reproduisent pas des recours, qui, comme précédemment, ont eu pour résultat que des clandestins ont eu le droit de revenir en France. Quoi qu'on en dise, cette affaire a été menée avec tout le respect dû aux droits de la personne humaine. Le premier rôle d'un gouvernement est d'appliquer et de faire appliquer les lois votées par le Parlement de la République.

 

(manque France 3)