Interview de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, à Europe 1 et France 3 le 29 août et dans "L'Humanité" du 30 août 1996, sur les manifestations des éleveurs victimes de la crise de la "vache folle" et de la baisse de la consommation de viande bovine.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : "Contrôles sauvages" de transports de viande à l'appel de la FNSEA et du CNJA le 28 août et audience accordée par Jacques Chirac à une délégation d'éleveurs de la Vienne le 30 août 1996

Média : Emission Journal de 19h - Emission Journal de 8h - Europe 1 - France 3 - L'Humanité - Télévision

Texte intégral

Europe 1 - jeudi 29 août 1996

V. Parizot : Est-ce que vous estimez ce matin que cette opération est un succès et savez-vous globalement ce que les éleveurs ont trouvé dans ces camions contrôlés ?

L. Guyau : Oui, je suis tout à fait satisfait des agriculteurs et de leur mobilisation de cette nuit puisque plus de 50 départements ont répondu, 15 000 agriculteurs pour contrôler ce que nous voulons contrôler, c'est-à-dire de faire en sorte que les producteurs et les consommateurs y voient clair dans cette filière. C'est la transparence avant tout. Nous voulons que demain la traçabilité, c'est-à-dire la possibilité pour le consommateur de remonter la filière pour savoir d'où vient sa vente, soit assurée et nous serons intraitables là-dessus. Alors bien sûr, dans les camions qui ont été contrôlés, une grande majorité sont tout à fait conformes et tant mieux. Mais une minorité, une dizaine de camions actuellement sont en observation parce qu'on ne connait pas très bien, pour une partie ou pour la totalité de la cargaison, exactement l'origine de ces viandes. Ces contrôles continuent et si vraiment il y a des doutes, ils seront remis aux autorités locales.

V. Parizot : Est-ce que vous souhaitez l'arrêt total des importations de viandes venues de pays extérieurs à l'Union européenne, notamment des pays d'Europe de l'Est ?

L. Guyau : Lorsque l'on parle aujourd'hui de maitrise de la production pour redresser la situation et redresser les cours, il est impératif – comme le disait le ministre de l'Agriculture allemand il y a quelques jours – de commencer par les importations. Alors, nous ne sommes pas pour fermer les frontières, nous sommes pour que les accords qui sont passés soient respectés scrupuleusement tant en quantité, en qualité qu'en régularité. Car il est inadmissible qu'au moment où nous faisons des efforts dans la qualité, dans la régularité, qu'il n'y ait pas le même effort qui soit fait à un certain moment Alors, ce que nous demandons aujourd'hui, c'est que l'on soit très vigilant sur les importations.

V. Parizot : Vous voulez dire qu'aujourd'hui, il y a vers la France des exportations sauvages de viandes ?

L. Guyau : Il y a sans doute des importations sauvages. Quand vous parliez tout à l'heure d'une palette de viandes bovines dans un camion de poisson, je ne sais pas si ce transporteur avait la conscience tranquille. Mais s'il avait la conscience tranquille, il ne l'aurait sans doute pas mise avec le poisson. Ce sont des genres de choses comme cela que nous ne voulons plus voir ni pour le producteur ni pour les consommateurs. Les consommateurs ont droit à la vérité et à la transparence. Nous mettrons tout pour qu'elle puisse être assurée vers eux. C'est ce que nous avons voulu dire cette nuit par cette opération coup de poing.

V. Parizot : Cette opération intervient à la veille de la rencontre entre J. Chirac et le groupe d'éleveurs partis de la Vienne le 11 août, vous savez ce qu'ils vont lui demander ?

L. Guyau : Elle intervient surtout à la veille du comité de gestion au niveau européen sur la viande bovine qui doit décider, et c'est impératif, les mesures à prendre pour redresser le marché. Quant à la rencontre de ces agriculteurs avec le Président de la République, je pense qu'ils vont leur dire ce que nous avons déjà dit depuis longtemps : la détresse des agriculteurs et qu'il faut surtout sauver l'élevage, non pas uniquement pour les éleveurs, mais pour tout l'avenir du monde rural. Car derrière la détresse des agriculteurs, derrière la détresse des éleveurs, c'est tout l’équilibre de l'aménagement du territoire qui est en cause. Et cela, nos amis Français doivent le comprendre aujourd'hui. Ce n'est pas un combat corporatiste que nous menons, c'est véritablement un combat de société pour l'équilibre de la société.

 

France 3 - jeudi 29 août 1996

France 3 : Vous n'êtes pas à l'origine de cette marche des éleveurs mais j'imagine que vous la trouvez plutôt sympathique ?

L. Guyau : Nous la trouvons sympathique et nous l'avons accompagné d'un bout à l'autre. Bien sûr, notre fédération départementale ne l'a pas accompagné dès le départ mais toutes nos fédérations départementales ont accompagné cette manifestation parce qu'elle est sympathique. Ce sont des agricultures qui veulent exprimer, sur le terrain, à l'opinion publique leur désarroi. Et cette marche est complémentaire de nos actions. Je crois que c'était une bonne chose pour démontrer à l'opinion publique la détermination des agriculteurs.

France 3 : Pourquoi avoir organisé ces organisations coup de poing, la nuit dernière ? Avez-vous le sentiment que le Gouvernement ne vous écoute pas assez ?

L. Guyau : C'est dans le cadre de nos actions globales que nous avons fait pour la défense des éleveurs. Nous avons eu, au cours du mois de juin, de nombreuses actions et aujourd'hui, nous voulons démontrer à l'opinion publique, au consommateur que ce que nous disons sur la traçabilité du produit c'est-à-dire que le consommateur puisse remonter toute la filière pour savoir comment sont élevés les animaux, eh bien, ceci est bien respecté. Et pour ce faire, il nous fallait savoir si les règles sont bien respectées. Nous avons contrôlé 2 000 camions et nous savons que dans la grande majorité des cas, c'est fait Mais nous voulons nous en assurer ainsi que de savoir s'il n'y avait pas des animaux importés frauduleusement avec des procédures tout à fait illégales.

France 3 : Est-ce que sur le dossier de la « vache folle », vous avez le sentiment que sur le fond le Gouvernement a répondu à vos attentes ou attendez-vous plus ?

L. Guyau : Le Gouvernement a répondu, dans un premier temps, à notre appel de désespoir au mois de juin puisqu'il a engagé, en lien avec l'Union européenne, des mesures très sensibles pour soutenir les agriculteurs. Dès ce jour-là, j'ai dit, compte tenu du fait que la crise risque de durer, cela ne peut être considéré que comme un acompte. Il faudra aujourd'hui soutenir les éleveurs et plus particulièrement ceux des zones d'élevage comme le massif central pour Rider ceux qui arrivent en détresse aujourd'hui et que l'on appelle les « producteurs de broutarts ».

France 3 : Cela veut dire que si de nouvelles mesures n'arrivent pas pour ces producteurs sur la longue durée, vous envisagez des actions plus dures, des manifestations plus lourdes, une montée à Paris par exemple ?

L. Guyau : Tout à fait. Aujourd'hui, nous attendons les décisions de Bruxelles – une réunion qui doit avoir lieu demain – pour décider les mesures d'organisation du marché pour alléger le marché du broutard et nous voulons que l'engagement pris par le Gouvernement de verser des aides complémentaires aux agriculteurs qui sont détresse soit versé rapidement Si tel n'était pas le cas, bien sûr nous engagerons d'autres actions au niveau régional dans un premier temps. Pour le reste, nous verrons.

France 3 : Vous êtes éleveur vous-même. Est-cc que vous avez déjà senti un tel désarroi chez les éleveurs jusqu'alors ?

L. Guyau : Jusqu'alors, c'est la première fois depuis que je suis responsable syndical que je connais une crise aussi profonde. Les agriculteurs sont touchés, bien sûr, dans leurs revenus, dans la suite de leur exploitation, parfois même dans leur dignité. Ils voient que derrière cela, c'est tout le milieu rural qui « fout le camp » je dirais. Ils se disent que si demain, ils ne peuvent plus vivre alors qui fera leur métier, qui fera vivre leur région, qui fera vivre leur famille. C'est pourquoi je dis que ce combat que nous menons n'est pas qu'un combat corporatiste d'agriculteurs mais c'est vraiment un combat pour l'équilibre de la société. Tout argent investit par l'État pour soutenir les éleveurs est de l'argent investi pour l'équilibre de la France.

 

L’Humanité - 30 août 1996

L’Humanité : Pourquoi l’opération de la nuit dernière et quel bilan en tirez-vous ?

Luc Guyau : Un bilan très satisfaisant. Nous voulions nous assurer que l’identification et la provenance ne faisaient pas seulement l’objet de discours et que les règles étaient bien respectées. Nous avons mobilisé près de 15 000 agriculteurs dans plus de 50 départements, contrôlé 2 000 camions. Une dizaine d’entre eux se sont révélés suspects. Cela a donc permis de vérifier qu’un effort considérable est effectivement fait dans ce domaine. Nous nous voulons intraitables et irréprochables en la matière. Nous visons le défaut zéro. L’opération a permis de réconforter les consommateurs sur l’origine et la qualité des produits. J’ajoute que nous nous prononçons pour la suspension des importations tant que la situation difficile actuelle prévaudra.

L’Humanité : Précisément, quelles sont vos revendications les plus urgentes ?

Luc Guyau : Nous réclamons un soutien financier permettant de faire face à la situation dramatique des éleveurs de vaches allaitantes et de broutards. Des aides sont nécessaires. Nous avons aussi voulu, par cette action, marquer notre volonté de voir le comité de gestion européen, qui se réunit ce vendredi, prendre des décisions effectives pour soutenir le marché.

L’Humanité : Pour vous, sauver l’élevage est nécessaire à l’avenir du monde rural, vous avez parlé de « combat de société » …

Luc Guyau : L’ensemble des agriculteurs contribue à cet avenir, les éleveurs plus que d’autres. Car le jour où il n’y a plus d’éleveur, plus d’activité, c’est la désertification. Sauver l’élevage est indispensable pour un environnement équilibré. C’est un élément très important de l’aménagement du territoire, pour l’emploi dans l’ensemble du pays, pour que la France ne soit pas que citadine.