Texte intégral
Gendarmerie (réforme)
Q. : Monsieur le Ministre, des changements sont-ils prévisibles dans la Gendarmerie avant que l'Assemblée nationale se soit prononcée sur le maintien de la conscription ou la mise en place d'un service national volontaire ?
R. : A l'évidence non. Comme l'a annoncé le président de la République les 22 et 23 février derniers et comme j'ai eu l'occasion de le répéter depuis, la nature du service national ne sera définie qu'à l'issue d'un grand débat qui verra sa conclusion devant le parlement. Nous verrons alors, tout en y réfléchissant dès maintenant, quelles adaptations apporter aux modalités actuelles d'emploi des jeunes gens qui servent dans la Gendarmerie.
Service national (12 000 gendarmes auxiliaires – débat)
Q. : La Gendarmerie a, actuellement, 12 000 gendarmes auxiliaires. Ils sont bien intégrés et globalement, donnent satisfaction. Elle en a besoin. Pouvez-vous nous résumer la situation envisageable dans l'hypothèse d'une transformation du service militaire ?
R. : Vous avez raison de dire que les gendarmes auxiliaires sont bien intégrés et qu'ils donnent satisfaction. La majorité de ces jeunes gens, qui participe directement aux missions opérationnelles de la Gendarmerie départementale fait preuve quotidiennement d'un sens élevé du service public et apporte une aide efficace el appréciée. La rénovation du service national est lancée. Les options possibles ont été définies par le président de la République. Le débat national entamé dès maintenant sur cette rénovation se traduira par le dépôt d'un projet de loi à l'automne prochain. Vous comprenez donc qu'il serait prématuré de dire ce que seront les modalités futures exactes du service national. Toutefois, on peut présumer que le nombre des gendarmes auxiliaires est appelé à augmenter sensiblement.
Défense opérationnelle du territoire (rôle de la Gendarmerie)
Q. : Dans l'hypothèse où le service national est maintenu, quel sera exactement le rôle de la Gendarmerie et ses effectifs seront-ils augmentés pour le cas où elle prendrait en charge la formation, l'instruction, l'encadrement des forces de défense opérationnelle du territoire ?
R. : Quelle que soit l'option retenue pour le service national, il est clair que la Gendarmerie en raison de la place qu'elle occupe dans le dispositif de sécurité intérieure ne peut voir son rôle que s'affirmer et s'accroître comme me l'a souligné le chef de l'État. Pour autant, la prise en charge de la formation et a fortiori de l'encadrement d'éventuelles forces de défense opérationnelles, qui je le souligne n'existent pas en tant que telles, ne sont pas d'actualité.
L'accroissement du rôle de la Gendarmerie en matière de défense terrestre ne se fera qu'à travers le rééquilibrage des missions entre les forces qui en étaient chargées jusqu'ici. Ce rééquilibrage tiendra compte des formats et des spécificités de chacune des forces. Il est bien évident que les missions de chacun seront adaptées à ses moyens. Il n'y a donc pas lieu de craindre que la Gendarmerie croule sous une surcharge de responsabilités. Soyez assurés que j'y veillerai.
Gendarmes auxiliaires (escadrons – place dans les brigades territoriales)
Q. : Si le nombre de gendarmes auxiliaires augmente de façon portante dans la Gendarmerie... quelles seront les missions de ces personnels ? Ne faudra-t-il pas un nombre trop important de gendarmes d'active pour assurer la formation, l'instruction permanente et l'encadrement de ces personnels au détriment du service ordinaire des brigades qui nécessite des personnels agents ou officiers de police judiciaire, qualités que ne peuvent avoir les appelés du contingent ?
R. : Les missions qui seraient confiées aux gendarmes auxiliaires devraient continuer à s'inscrire dans le registre d'un service de défense et de sécurité. Et il va de soi que toute augmentation des effectifs devra bénéficier en priorité aux unités territoriales dont les effectifs sont insuffisants pour un fonctionnement parfait.
Votre seconde question touche à un point essentiel : comment déterminer le seuil au-delà duquel le renforcement devient une charge, et nuit à l'efficacité ? J'estime que le nombre de gendarmes auxiliaires dans les brigades territoriales devrait se situer entre 25 % et 30 % de l'effectif total, afin de garantir un encadrement permanent et de qualité. Le détail de la distribution devra naturellement tenir compte de la nature du service de chaque brigade.
D'autres pistes de réflexion sont à explorer, si nous décidons d'incorporer davantage de jeunes dans la Gendarmerie nationale. En créant par exemple des escadrons de gendarmes auxiliaires, nous disposerions d'une réserve d'action territoriale alors qu'il y a de nombreuses occasions où la souplesse et la réactivité de renforts ponctuels sont nécessaires : objectifs fixés par les plans départementaux de sécurité, la police des grands rassemblements, les migrations saisonnières ou enfin les plans de crise. Ces appelés, militairement formés, pourraient constituer par ailleurs l'ossature future des unités mobilisées de la Gendarmerie.
Dans tous les cas, l'accroissement du nombre des gendarmes auxiliaires ne peut se concevoir qu'accompagné d'une augmentation du nombre des militaires d'active chargés d'exercer les fonctions de formation et d'encadrement.
Gendarmes auxiliaires (mission de police judiciaire)
Q. : Ou alors il faut changer le statut des gendarmes auxiliaires... et en faire peut-être des APJ (auxiliaires de police judiciaire)... c'est une possibilité s'ils font des contrats de prolongation de service militaire.
R. : C’est une voie qui ne peut évidemment être exclue a priori, mais elle nécessite une réflexion préalable approfondie, qui pourrait être menée en concertation avec le ministère de la Justice. La durée de leur service national devrait être assez longue pour qu'ils puissent recevoir une formation efficace et exercer les attributions dévolues à un APJ. Un « volontariat service long » pourrait satisfaire cette exigence.
Q. : En dépit de ce qui a été précédemment affirmé, certains continuent à penser que l'instruction et la formation des gendarmes auxiliaires nuiront à l'exercice de la police judiciaire, notamment en ce qui concerne la grande criminalité. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur les réalités de cette crainte réellement exprimée ?
R. : On a exprimé, ici ou là, l'idée que l'incorporation par la Gendarmerie d'un nombre plus important d'appelés pourrait contraindre cette arme à abandonner ses missions de police judiciaire. Cette crainte n'a aucun fondement. Il n'est pas envisagé de restreindre la mission de police judiciaire de la Gendarmerie, domaine dans lequel elle travaille avec compétence et efficacité. Reportons-nous aux statistiques de la criminalité en 1995 : la Gendarmerie a résolu plus de 58 % des affaires dont elle a été saisie, ce qui représente 51 % du total des crimes et délits élucidés en métropole. Quant aux atteintes aux personnes, leur taux d'élucidation est de 98 %. Ces chiffres sont suffisamment éloquents. Pourquoi se priverait-on d'une telle capacité ?
Gendarmerie mobile (présence d’appelés)
Q. : S'il y a des gendarmes auxiliaires dans les escadrons de Gendarmerie mobile, quelles missions pourront leur être confiées, étant donné qu'ils ne peuvent pas participer aux opérations de maintien de l'ordre ?
R. : En 1995, les escadrons ont été absents de leur résidence plus de deux jours sur trois. La Gendarmerie mobile est donc soumise à un rythme d'emploi très soutenu, ce qui n'est pas sans conséquence sur la capacité opérationnelle des unités. Le maintien en condition des matériels et les aspirations familiales du personnel. La présence d'appelés dans les escadrons de Gendarmerie mobile offrirait l'intérêt de soulager ces unités de certaines missions. Ils pourraient participer à tous les services de cette subdivision d'arme lorsque la mission n'est pas une opération de maintien de l'ordre stricto sensu. Je pense par exemple aux services d'ordre, aux renforts à la Gendarmerie départementale, aux missions de gardes statiques ou aux renforts saisonniers. Ces appelés prendraient naturellement leur part au fonctionnement de l'unité en y assurant, comme les militaires d'active, certaines tâches de soutien.
Gendarmerie/police municipale
Q. : Si on parle d'encadrer les polices municipales, il y aura des renforts de gendarmes d'active pour cela...
R. : La Gendarmerie n'a pas vocation à encadrer les polices municipales existantes, qui relèvent de la responsabilité des maires concernés. Le projet de loi déposé au parlement sur les polices municipales est clair à cet égard. Ces polices doivent avoir un statut particulier, une formation et des attributions leur sont propres.
Gendarmes auxiliaires (recrutement – incitations)
Q. : Si le service national est limité aux volontaires : la ressource sera-t-elle suffisante ? Si oui, des avantages sont-ils envisagés pour ces volontaires, s'ils souhaitent poursuivre leur carrière en Gendarmerie ou s'ils sont rendus à la vie civile ? Une admission dans la Gendarmerie peut-elle être réservée aux seuls volontaires ayant servis dans cette arme ?
R. : Si service national est effectivement limité aux seuls volontaires, j'ai la conviction que la Gendarmerie, comme c'est déjà le cas actuellement, n'aura aucun mal à trouver des jeunes prêts à servir dans ses rangs. J'en veux pour preuve diversité et la richesse des missions de la Gendarmerie, faites d'une expérience concrète et valorisante au contact de la population pour le bien public et service de la loi. Au-delà de cet attrait indéniable il faudra en plus qu'ils y trouvent d'autres intérêts. Parmi les mesures incitatives auxquelles nous devons réfléchir, pourquoi ne pas imaginer pour le volontariat service long, une priorité – et non une exclusivité – pour l'entrée dans le métier de gendarme, ou encore la reconnaissance de services effectués pour trouver, lors du retour à la vie civile, un emploi dans le secteur parapublic ? D'autres pistes peuvent encore être explorées.
Ainsi, outre l'aspect prioritaire pour faire carrière dans la Gendarmerie, on peut envisager que le temps passé comme gendarme auxiliaire compte double ou apporte des bonifications pour la carrière ou la retraite. Mais je crois à l'esprit de civisme des jeunes et je suis absolument certain que la Gendarmerie ne manquera jamais de volontaires.
Q. : Si dans l'hypothèse du service volontaire on n'atteint pas le volume de 12 000 gendarmes auxiliaires, nécessaires pour le bon fonctionnement de la Gendarmerie, alors y aura-t-il des augmentations d'effectifs indispensables pour maintenir l'opérationnalité actuelle ?
R. : Je viens de vous le dire, je suis convaincu que la Gendarmerie ne marquera jamais de volontaires. Votre question ne mérite donc pas de développement, si ce n'est pour vous confirmer que, quels que soient le choix qui seront opérés, il n’est absolument pas envisagé de diminuer les capacités opérationnelles de la Gendarmerie. Je veillerai à ce qu'elle dispose des effectifs nécessaires, en particulier dans les unités de terrain. En tout état de cause, nous en sommes, encore, au stade des projets. Il n'est pas exclu de récupérer éventuellement des personnels de l'armée de Terre par une procédure de recrutement classique, sauf s'il apparaissait qu'il faille édicter une mesure exceptionnelle.
Gendarmerie (réforme de l’organisation et des structures territoriales)
R. : Mon ambition pour la Gendarmerie est d'en faire une institution plus efficace, encore mieux adaptée aux défis de notre époque. C'est dans cet esprit que ces structures et son organisation doivent évoluer. La Direction générale y travaille, et des expérimentations ont lieu actuellement pour rationaliser la chaîne de commandement, développer le dialogue interne et améliorer l'administration. Je souhaite que les mesures qui seront adoptées s'inscrivent dans ce contexte de modernisation et de revalorisation de la Gendarmerie. C'est une grande ambition qu'il faudra concrétiser dans le projet de loi de programmation militaire. En septembre dernier, une provision de 20 MF avait été réservée sur le budget de cette année, destinée à prendre quelques mesures urgentes.
Police – Gendarmerie (carrière – zones de compétence)
R. : Parallèlement, des mesures sont étudiées pour maintenir un « dualisme équitable » entre la Police et la Gendarmerie. Les gendarmes en connaissent l'économie générale. Ces mesures ont été présentées à la fin de l'année passée devant les officiers responsables de la Gendarmerie et le CFMG. Elles prévoient un programme de requalification des emplois et des dispositions particulières destinées à reconnaître l'exercice d'une qualification, celle de l'OPJ par exemple, ou à rétablir des déroulements indiciaires de carrière plus équilibrés. Ces dispositions devront sans doute être intégrées au nouveau format que prendra la Gendarmerie, conformément aux décisions prises en conseil de défense.
Je voudrais d'ailleurs, à cette occasion, rappeler que « comparaison n'est pas raison » et que, au même titre que les militaires ne doivent pas toujours se comparer les uns aux autres, on s'apercevrait d'ailleurs que la Gendarmerie n'est pas défavorisée par rapport aux autres armées, au contraire, il n'est pas souhaitable de toujours établir des parallèles avec la Police. Certes, les missions sont complémentaires mais les statuts sont différents et ont l'un et l'autre des avantages et des inconvénients. Il ne me semble pas que les gendarmes pour lesquels des efforts importants ont été accomplis, notamment en matière de casernement, soient défavorisés.
Q. : Où en sont les différentes tractations déterminant le partage des zones de compétence entre la Police et la Gendarmerie ? Pouvez-vous nous donner un calendrier des mouvements envisagés ?
R. : La loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995, a prévu la clarification et l'harmonisation des compétences territoriales entre la Police et la Gendarmerie. Un décret, élaboré par les deux directions générales, est en cours d'examen devant le conseil d'État. Nous travaillons avec le ministère de l'Intérieur pour voir quelles communes ont vocation à être étatisées ou désétatisées. Ensuite, de manière très pragmatique et ponctuelle, un dialogue pourra être établi avec les élus pour préciser l'intérêt de telle ou telle opération. Il appartiendra alors à tous ceux qui sont en charge, à tous les niveaux, de la sécurité publique d'œuvrer à convaincre nos partenaires du bienfondé de cette harmonisation.
Cette démarche ne doit par ailleurs pas être confondue avec celle que j'ai engagée en septembre 1995 pour l'année 1996. Celle-ci consiste à alléger le dispositif de la Gendarmerie en zones étatisées où la Police nationale effectivement présente, est responsable de la sécurité publique. Il serait ainsi possible d'affecter les effectifs dégagés aux unités de Gendarmerie périurbaines qui affrontent aujourd'hui les difficultés liées au manque d'hommes. Ce déploiement, même modeste à l'échelon national, est absolument nécessaire au maintien de la capacité d'action de la Gendarmerie dans ces zones difficiles où elle est seule responsable de la sécurité publique.
En conclusion de cette interview, je voudrais bien rappeler que les missions des Armées sont bien définies et portent sur la dissuasion, la prévention, la projection et la protection. Il apparaît évident que la Gendarmerie, partie intégrante des forces armées, va avoir un rôle éminent à jouer dans la mission de protection. Protection du territoire, des personnes et des biens. La flexion engagée a pour objectif, en fonction des budgets, d'aboutir à ce que la Gendarmerie puisse assurer, mieux qu'avant, sa mission de sécurité face aux menaces intérieures, telles le banditisme, le terrorisme les différents trafics, etc., qui sont réelles et préoccupantes.