Texte intégral
Les Échos - 2 septembre 1996
Les Échos : Est-il judicieux de faire des économies sur les aides à l’emploi au moment où le chômage, après l’embellie de juillet, a de fortes chances de progresser encore dans les mois à venir ?
Anne-Marie Couderc : Un effort nous a été demandé dans le cadre budgétaire mais il correspond aussi à nos axes stratégiques et aux recommandations des parlementaires. Nous souhaitons avoir des aides à l’emploi qui remplissent parfaitement leur fonction et qui aient un bon rapport coût/efficacité. Rien à voir donc avec des coupes arbitraires.
Les Échos : Vous réformez le CIE un an après sa création. Or, les défauts qu’on lui trouve aujourd’hui – coût trop élevé, effet d’aubaine – sont ceux que les spécialistes pointaient dès l’origine.
Anne-Marie Couderc : Le contrat initiative-emploi a rempli pendant un an le rôle qu’on lui assignait, à savoir stopper l’hémorragie du chômage de longue durée. Celui-ci régresse mais essentiellement pour les chômeurs inscrits entre un et deux ans. Nous voulons donc concentrer l’effort sur les chômeurs de plus de deux ans en modulant la prime en fonction de la durée de chômage, 1 000 francs au-delà de deux ans, 2 000 au-delà de trois ans.
Les Échos : Vous venez aussi de supprimer l’aide au premier emploi des jeunes (APEJ). Ne manque-t-il pas désormais un dispositif pour les jeunes comme le faisait observer récemment Édouard Balladur ?
Anne-Marie Couderc : Non. Je ne le crois pas. Les outils existent. Le contrat d’adaptation qui a connu des heures un peu difficiles est aujourd’hui conforté, la baisse du contrat de qualification est enrayée et l’apprentissage continue sur sa lancée avant même que les campagnes prévues par les institutionnels et les organisations patronales démarrent. L’APEJ, qui était destinée essentiellement aux jeunes diplômés, n’était pas un bon instrument. Tout le monde l’a reconnu, y compris les syndicats. Les jeunes diplômés qui rencontrent des difficultés n’ont pas besoin d’une prime mais d’une meilleure préparation à l’emploi : l’aide qui leur est apportée au sein des clubs de recherche d’emploi mis en place par l’ANPE marche très bien puisque, au-delà de trois mois, 80 % environ des jeunes retrouvent un emploi. Restent les jeunes en difficulté qui ne veulent pas d’une formation. Pour eux, l’ouverture du CIE en juin dernier a eu un effet incitatif important : les jeunes sans formation et sans qualification sortis au niveau de la troisième environ peuvent bénéficier d’un CIE avec une prime de 2 000 francs pour l’employeur et cela sans condition de durée d’inscription au chômage.
Ceci n’exclut pas bien sûr, des réflexions complémentaires, notamment pour faciliter l’emploi des jeunes à l’étranger.
Les Échos : Quel premier bilan pouvez-vous tirer des programmes régionaux d’accès à l’emploi ?
Anne-Marie Couderc : Il est un peu tôt car les derniers ont été signés début juillet. Mais les premiers programmes mis en place montrent que tout le monde s’est mobilisé pour placer des jeunes en apprentissage et en qualification. Surtout quand parallèlement sont mises en place des équipes de démarcheurs. Qui plus est, la transformation progressive des missions locales et des PAIO (permanences d’accueil et d’orientation) en « espaces jeunes » se révèle un outil efficace pour mettre plus rapidement les jeunes en contact avec l’emploi. Il existe aujourd’hui quelque 150 « espaces jeunes » contre une trentaine en début d’année.
Les Échos : Pourquoi vouloir rogner quelques centaines de millions sur des formules qui, comme l’Accre (aide aux chômeurs créateurs d’entreprises) marchent plutôt bien ?
Anne-Marie Couderc : Notre souci est de garder toutes les aides qui encouragent la reprise d’emploi. Si on est amené à modifier l’Accre, ce sera dans le cadre d’une politique plus large de soutien à la création d’entreprise. Mais il faudra évidemment tenir compte de la spécificité des personnes qui ne sont pas dans le circuit de la vie active et qui nécessitent donc un accompagnement différent lorsqu’elles veulent créer une entreprise ou plus modestement créer leur activité.
Paris-Match - 5 septembre 1996
Paris-Match : Lorsque vous prenez connaissance des chiffres de l’emploi et qu’ils sont catastrophiques, quelle réaction avez-vous ?
Anne-Marie Couderc : Ces mauvais chiffres me rongent. Je suis une élue locale et, en tant que ministre, je me rends souvent sur le terrain, en province. Je vois les familles, je parle aux gens. Les chiffres, pour moi, ce sont des visages. Cela me pousse à me battre encore davantage. Je ne suis pas du genre à baisser les bras.
Paris-Match : Vous arrive-t-il de penser que les Français sont trop pessimistes ?
Anne-Marie Couderc : En France, on a une fâcheuse tendance à ne regarder que ce qui ne va pas. On oublie que nous avons une balance commerciale excédentaire, que nous sommes la quatrième puissance économique du monde, que notre économie est solide, que l’on a une politique particulièrement dynamique en faveur des défavorisés. Bref, nous avons de vrais atouts. Cela ne peut plus durer. Que chacun prenne ses responsabilités. Il faudrait que tout le monde, du patron à l’employé, du fonctionnaire à l’artisan, du commerçant aux professions libérales, comprenne qu’il n’y a pas d’avenir dans l’immobilisme. Il faut accepter les réformes indispensables et regarder ce que chacun peut faire pour aider l’emploi. Chaque nouvel emploi créé doit être une victoire collective.
Paris-Match : De multiples plans sociaux de licenciement sont annoncés (Aérospatiale, arsenaux, Giat, Crédit lyonnais, Crédit foncier, Crédit national, Moulinex, Peugeot, Pechiney, etc.). Est-ce que ça va continuer longtemps ?
Anne-Marie Couderc : Ces plans sociaux, je les regrette, mais ils sont malheureusement nécessaires quand ils accompagnent la modernisation de notre économie. Nous sommes vigilants pour éviter au maximum les licenciements. Nous venons par exemple de mettre en place un dispositif d’aides à l’aménagement du temps de travail qui peut permettre de passer des caps difficiles.
Paris-Match : Des mouvements sociaux sont déjà prévus pour septembre. Dès le 21, F. O. lance une grande manif. Croyez-vous à une rentrée difficile ?
Anne-Marie Couderc : Vous dire ce que la rentrée sociale sera je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que la situation est très contrastée : certains secteurs marchent, d’autres connaissent de vraies difficultés. Chacun doit écouter la voix de la raison. Je voudrais que ceux qui réussissent, ceux qui ont du travail, ceux qui entreprennent parlent davantage. On ne les entend jamais. Je voudrais qu’ils transmettent aux autres leur enthousiasme, leur passion d’entreprendre, leur goût de bouger, leur envie de faire. Je lance un appel à tous ceux qui agissent et qui aiment leur métier. Ce sont eux qui doivent s’adresser aux Français pour leur montrer que la « France entrepreneuse », ça existe aussi.