Texte intégral
France 2 : vendredi 23 août 1996
France 2 : Fallait-il recourir à la force ?
É. Raoult : Un artiste, ça peut susciter une émotion. Un gouvernement, c'est fait pour trouver des solutions. J'ai autant de peine que l'on en soit arrivé là que Mme Béart. Je souhaite simplement qu'après la clarification, après le moment de fermeté que le gouvernement a été amené à prendre pour mettre en place, pour appliquer la loi au cas par cas, parce qu'on ne peut pas étudier une situation administrative dans une sacristie, sous le regard des caméras. Il faut un débat contradictoire entre une personne qui défend sa situation et les dossiers administratifs. Il ne faut pas que les sans-papiers soient des sans-dossiers. Mais il n'y a pas d'un côté les sans-papiers, de l'autre les sans-pitié. Il faut voir comment on en est arrivé là, et voir aussi que comme toutes les autres personnes qui se sont exprimées, j'aurais souhaité qu'on évite tout ça. Mais on en est arrivé là parce qu'il y a eu d'un côté une volonté de parvenir à une situation bloquée, et malheureusement, avec beaucoup de récupération – on le voit avec les manifestations – et de la part du gouvernement, la volonté de trouver une solution.
France 2 : Le gouvernement est allé jusqu'au maximum de ce qu'il pouvait faire en termes de négociation ?
É. Raoult : On doit appliquer la loi, on ne peut pas la négocier. Si demain, il convient de modifier un texte, il faut le faire à l'Assemblée nationale, pas dans une église, parce que l'émotion que Mme Béart a exprimée, je voudrais aussi qu'elle puisse la manifester dans un quartier, qu'elle puisse la manifester au Mali. Nous sommes dans une situation qui, aujourd'hui, en matière d'immigration, peut freiner l'intégration. Or, ces immigrés qui sont en situation irrégulière posent un réel problème vis-à-vis de tous ceux qui sont en situation régulière et qui veulent vivre une vie comparable à la nôtre. Je crois qu'il fallait intervenir. Mais maintenant que la fermeté est passée, je fais confiance au ministre de l'Intérieur et au Premier ministre, qui l'ont montré avec intelligence et patience, pour qu'une réponse de fraternité et de solidarité soit apportée avec humanité.
France 2 : Le droit des familles à avoir une vie de famille normale sera-t-il respecté ?
É. Raoult : Comme l'a dit hier Alain Juppé, les familles ne seront pas séparées. Les personnes en mauvaise santé ne seront pas expulsées. Mais il y a aussi des déboutés du droit d'asile. Tout gouvernement, les gouvernements socialistes aussi, a été confronté aux mêmes problèmes. Les autres pays le sont aussi. Quand on entre en France, ce n'est pas un hall de gare. Le fait d'avoir sa situation revue, révisée, comme le Premier ministre l'a annoncé, ne veut pas dire une régularisation massive.
France 2 : Faut-il revoir les lois Pasqua ? Leur application a l'air de poser problème.
É. Raoult : Je crois que les textes de Charles Pasqua sont un socle qu'il faut peut-être adapter dans les années qui viennent, mais qu'il faut d'abord appliquer. L'immigration est un problème qui ne s'interrompra pas en 1998. C'est un problème de pauvreté et de richesse. Comme, hier, l'a souligné le Premier ministre, il faudra apporter des réponses qui soient aussi des réponses de coopération. On a parlé tout à l'heure du Mali. On a parlé de la Mauritanie. Ce qu'il faut faire, c'est aider les Africains à rester dans leur pays, les aider au développement pour éviter qu'ils viennent ici vivre leur pauvreté, leur précarité.
France 2 : Jacques Chirac a-t-il effectivement donné des consignes de très grande fermeté, comme on le souligne ?
É. Raoult : J'ai entendu le président de la République s'exprimer le 14 juillet, parler d'un geste fort et de l'intégration. Le geste fort est intervenu. Maintenant, nous avons encore beaucoup de travail pour expliquer à l'ensemble de nos compatriotes que l'intégration est une chance pour notre pays, mais que nous ne pouvons pas la faire dans le désordre. Il y avait un désordre à l'église Saint-Bernard.
Le Parisien : 24 août 1996
Le ministre délégué à l'intégration, Éric Raoult, nous explique que l'affaire des sans-papiers de Saint-Bernard va sans doute conduire à la régularisation de plusieurs centaines d'autres clandestins.
Le Parisien : L'intervention de la police, hier matin, dans l'église de Saint-Bernard, a eu lieu au bout de cinquante jours de grève de la faim et cela fait cinq mois que les sans-papiers réclament une solution. Est-ce vraiment une bonne méthode de la part du gouvernement d'avoir attendu que ce dossier dégénère ainsi en crise ?
É. Raoult : Si le gouvernement a mis du temps, c'est d'abord parce que ce dossier a évolué. Il y a cinq mois, le problème était d'abord celui des parents étrangers d'enfants français. Mais à partir de là, on est ensuite passé au problème plus général des sans-papiers, qui a alors compris les déboutés du droit d'asile. C'est vrai qu'il n'y a pas eu de « service après-vente » des lois Pasqua. Nous avions vu, avec Jean-Louis Debré et Jean-Claude Gaudin, que les préfectures n'étaient pas toujours au fait pour régler la complexité de tous ces dossiers, d'où les précisions par circulaires successives. Mais ensuite, le mouvement a changé. Il y a eu une récupération de plus en plus politique de cette affaire, aboutissant à une remise en question globale des lois Pasqua. Ensuite, au mois d'août, l'affaire est devenue un feuilleton médiatique. L'on ne peut pas parler des flux migratoires avec la seule connaissance qu'en a Emmanuelle Béart ! Il faut aussi avoir en tête la réalité de l'intégration et des quartiers. Comme l'a rappelé Alain Juppé, notre souci c'est le cœur et la raison. Pas l'un sans l'autre.
Le Parisien : On a pourtant l'impression que le gouvernement n'a pas saisi la détermination des Africains de Saint-Bernard…
É. Raoult : La situation des Africains est souvent plus complexe que celle d'autres immigrés. Nous manquons souvent d'interlocuteurs. Avec les ressortissants du Maghreb, nous pouvons discuter avec les associations, les gouvernements, les représentants officiels ou religieux. Avec les Africains, nous assistons à une transposition des phénomènes ethniques, tribaux ou même villageois. Très concrètement, il est parfois difficile de connaître la nationalité précise de chacun. C'est pour cela qu'il est long et difficile de saisir chaque cas.
Le Parisien : La régularisation de quelques dizaines de sans-papiers de Saint-Bernard va créer une jurisprudence. Combien de personnes en situation irrégulière peuvent-elles désormais voir leur dossier résolu ?
É. Raoult : Il est clair qu'il n'y a pas que trois cents clandestins dans le pays. Mais nous ne voulons pas faire de vaste politique de régularisation, ce serait un appel d'air à d'autres candidats à l'immigration. En revanche, en fonction de ce qui est aujourd'hui appliqué, nous allons probablement régler la situation de plusieurs centaines d'autres personnes qui n'étaient pas à Saint-Bernard. Il faudra voir pays par pays. Actuellement, on ne reconduit pratiquement plus de femmes en Algérie vu la situation là-bas. Mais il faut faire attention à ne pas heurter des populations immigrées en situation régulière qui pourraient avoir l'impression qu'il suffit de faire une grève de la faim pour obtenir ce que l'on réclame. Ensuite, notre travail consistera à aider le mieux possible l'intégration de ceux, parmi les Africains, qui restent en France. Alain Juppé et le gouvernement ont joué la patience et l'intelligence, le tout dans la transparence. Maintenant, après la clarification et la fermeté, il faut l'apaisement pour réussir l'intégration.