Discours de M. Jacques Chirac, maire de Paris, président du RPR, sur le bilan de son action et son programme, concernant notamment le centre de Paris, Paris le 21 février 1983.

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Circonstance : Campagne pour les élections municipales des 6 et 13 mars 1983

Texte intégral

Mes chers amis,

Il m’est particulièrement agréable, ce soir, de vous retrouver nombreux et enthousiastes au cœur de Paris, à l’occasion d'une réunion publique qui, plus qu'une autre, témoigne de notre volonté d’affronter dans l'union l'opposition à notre municipalité. Les hommes qui m’entourent sur cette tribune sont venus de tous les horizons de la liberté pour constituer les équipes qui, fidèles à l'essentiel que nous partageons avec tous ceux qui dans ce pays veulent lui rendre l'espoir, demain auront la charge, en étroite union avec le maire de Paris, d'assurer le progrès et le bonheur du peuple de la capitale.

Ah ! Ce peuple de Paris auquel nous sommes si profondément attachés et dont nous sentons si fort ce soir vibrer la ferveur, c’est ici au cœur de la ville qu’il nous donne, peut-être avec le plus de vérité, le message immémorial de sa fierté, de son unité profonde transcendant toutes les diversités, de sa volonté d’être respecté et compris à la mesure de la confiance qu'il sait accorder dans la bonne humeur à ceux qu'il estime.

Ici, avec vous, au milieu de vous, je sens très fort la pesée de l'histoire, de notre histoire commune. Il y a mille ans ces lieux se trouvaient aux abords immédiats des premières enceintes de la ville. Qui ne sait ce que la nation tout entière doit à ce noyau qui s'est formé, puis développé, d’abord sur cette rive droite de la Seine, à partir de la cellule originelle qu’était le vieux site gaulois des îles campées sur le fleuve et qui, après la période romaine émergeant du chaos et de l’incertitude des temps barbares, s’est institué en capitale de la France.

Ici et là, dans les quatre arrondissements centraux surgissent les témoins et les marques de cette lente et besogneuse gestation qui a fondé Paris et, à partir de Paris, a fait la France.

Les murailles dressées autour de la cité par Philippe Auguste et Charles V ont été effacées par le temps ; elles se sont fondues dans un nouveau paysage. Et si la ville a connu, durant les siècles qui ont suivi, bien des vicissitudes et bien des alarmes interrompant des périodes d'abondances et de grâces, Paris et son peuple avaient désormais si indissolublement partie liée qu'aussi loin qu’on remonte dans le temps, même si tout a pu être tenté et imaginé pour réduire la capitale, jamais n’avait été conçue l’énormité qu'on pût diviser son peuple et tailler dans le vif de sa chair.

L'histoire vient incontestablement témoigner pour nous dans la querelle injuste et absurde qui nous a été imposée. Si nous avons bien failli perdre notre unité léguée par deux mille ans d'histoire et de tradition ininterrompue, la détermination dont a fait preuve une fois de plus le peuple de Paris, et dont vous êtes ce soir l'expression vibrante et convaincue, nous a permis de sauver notre unité.

C'est vous dire, mes chers amis, l'importance qu'il convient d'accorder à l'élection municipale des 6 et 13 mars prochains. Car il s'agit encore une fois de savoir si nous voulons porter, renouveler et assumer la tradition d’une cité et d'un pays qui n’ont jamais voulu être asservis et qui se sont toujours battus pour la liberté.

Avant d'évoquer quelques-uns des problèmes concrets de votre vie quotidienne qui, très légitimement, vous préoccupent, je voudrais encore un instant poursuivre avec vous cette méditation sur notre histoire et sur les grands principes qui l'ont menée. Car où, mieux qu’ici, au cœur du Paris de l’histoire, pourrais-je rappeler ce qui a guidé jusqu’à présent mon action et ce qui demain, si vous me faites confiance, continuera d’animer ma volonté.

Dans mes fonctions de maire de Paris, je me suis efforcé, non seulement, comme il était de mon devoir, d’assurer du mieux qu’il était possible la gestion de ce vaste ensemble économique et humain qu’est Paris, mais j’ai voulu aussi que tout ce qui était entrepris sur le plan administratif et matériel soit ordonné à des principes sans lesquels les meilleures gestions elles-mêmes risquent de se pervertir. Car à la base de toute action se trouve la volonté de servir des hommes et des femmes qui ont droit à réaliser, quelle que soit leur condition personnelle et sociale, la vocation qu'ils portent en eux et qui, pour moi, est sacrée. Or, cette ambition ne peut être obtenue sans référence aux principes dont une société libre doit se réclamer : le droit à la vie d'abord, le droit à la différence, à l'égalité des chances, la définition de la personne humaine comme sujet autonome et responsable.

Ces droits sont simples, et pourtant leur application se heurte quotidiennement à des obstacles : la barrière des langues, le système scolaire peu apte à des populations souvent hétérogènes, le refus rampant et sournois d'accepter l'autre dans son identité, sans compter les formes diverses de solitude, celle des vieillards, celle des infirmes, celle des jeunes, celle des immigrés, sans contact suffisant avec le milieu environnant.

Ici, dans ce cœur de Paris, où depuis des siècles la cohabitation d'hommes et de femmes parfois si différents et pourtant si complémentaires, a fondé une communauté qui a le plus tendu à l'universel, tout en maintenant ses différences, comment ne pas frémir en songeant que, dans notre siècle de fer et de sang, ce qui est une richesse inestimable peut devenir un risque inouï, car le grand brassage des idées et des hommes qui a fait notre histoire se heurtera toujours à l'esprit de système, au sectarisme, à la haine de ceux qui voudraient substituer au foisonnement et à la richesse des cultures, l'uniformité des pensées et la discipline mécanique des comportements.

Il nous faut bien évoquer, dans le recueillement et la honte, honte pour ceux qui l'ont consommé, l'ignoble attentat qui l'été dernier a semé la terreur et la mort rue des Rosiers. L'émotion impuissante qui nous a étreint à cette occasion nous a fait prendre conscience de la fragilité de ce domaine où nous habitons, de ce domaine pourtant qui a été bâti sur des siècles et des siècles d'échange, de partage, de dialogue.

Voilà le bien le plus précieux qu'il nous faut sauvegarder et protéger : cette tradition séculaire d'enracinement et d'ouverture au monde, valeurs irremplaçables de notre cité et de notre civilisation que nous devons développer et tenir hors d'atteinte des agressions de ceux qui veulent les anéantir.

Voilà mes chers amis pourquoi l’exigence de la sécurité est pour moi un préalable essentiel à tout le reste, car sans la sécurité, non seulement les biens et la vie de nos concitoyens sont gravement menacés, mais c'est l'âme elle-même de notre civilisation que nous risquons de perdre.

Alors qu'en France, après d'autres pays européens, les manifestations de la violence et du terrorisme se multiplient, il est indispensable de rappeler que la sauvegarde des libertés individuelles et collectives passe par la prise de conscience qu'aucune démocratie ne peut subsister sans que l'Etat assume pleinement sa mission d'ordre et de justice.

Face à des individus et à des groupes organisés en vue de détruire les capacités de résistance des citoyens à la subversion, notre société, respectueuse du droit et de la liberté, se trouve en quelque sorte placée en état d'infériorité. Ses adversaires n’hésitent pas en effet à utiliser les moyens de la démocratie pour la détruire.

Il est donc nécessaire que l’Etat exerce sans défaillance son devoir de préserver la liberté contre tous ceux qui, groupes, factions ou individus, adhèrent à des idéologies négatrices des valeurs qui fondent l'exercice même de la démocratie.

Cette exigence de sécurité est ressentie avec une vigueur particulière dans les arrondissements centraux qui vivent au rythme de l’agglomération tout entière.

Le problème du centre de Paris, aujourd’hui rajeuni, rendu à sa vocation première notamment grâce à l'opération des Halles, qui constitue la plus grande expérience de reconquête d'un centre urbain qu'il nous soit donné de connaître et de maîtriser, c'est celui de la coexistence entre les habitants qui font la vie de vos quartiers et ceux qui y viennent, qui y passent et qui y consomment.

Pour maintenir l'équilibre nécessaire entre la vie locale et l'intense fréquentation de vos quartiers par la masse considérable de ceux qui viennent y chercher le travail, le loisir, et aussi, il faut bien le dire l'aventure du vice ou hélas du crime, il faut que les moyens de surveillance et de répression soient adaptés à l'ampleur des problèmes.

C'est ce que pour ma part je n'ai cessé de réclamer avec vigueur et, dans la mesure des compétences dont je dispose, j’ai pris les dispositions qui s’imposaient.

C'est ainsi que je suis allé jusqu'à sacrifier un équipement social indispensable aux Halles (un foyer de personnes âgées depuis longtemps attendu) pour céder l'immeuble du 10, rue Pierre-Lescot à la préfecture de Police afin qu'il y ouvre le commissariat dont ce quartier avait tant besoin.

C'est ainsi que je n'ai cessé de dénoncer la montée d’une prostitution de plus en plus agressive, l'expansion des « sex-shops », des spectacles pornographiques, des commerces marginaux et autres « fast-food ». Sur chacun de ces sujets, j’ai tenu de multiples réunions avec le préfet de Police. Tous nos efforts réglementaires ont échoué. Il y faudrait une volonté politique qui hélas fait défaut à nos actuels gouvernants.

Le préalable de la sécurité étant posé sans être hélas résolu, que nous faudra-t-il entreprendre pour rajeunir, ranimer, revitaliser le centre de Paris ?

Certes nous avons déjà beaucoup fait, et dès 1985, nous aurons pu concentrer dans le secteur des Halles la plupart des équipements nécessaires à la vie locale des quatre arrondissements centraux: notamment la piscine, le gymnase, les salles de sport, le conservatoire inter-arrondissement, les ateliers d'expression culturelle que vous attendez avec une impatience légitime.

Mais je sais aussi que les besoins restent importants, notamment en matière de garde des enfants (5 crèches, soit 320 berceaux, une crèche familiale et 5 haltes-garderies ont déjà été créées depuis 1977).

L’effort doit également porter sur le domaine scolaire (depuis 1977 près de 46 MF ont été engagés en matière de constructions scolaires et de grosses réparations) et j’aurais garde d'oublier ce qui doit être entrepris en faveur des personnes âgées (depuis 1977, 4 résidences et un dispensaire ont été ouverts).

Dans tous ces domaines, notre effort doit être maintenu et il le sera.

C'est enfin sur la reconquête de l'habitat, sa modernisation et son adaptation aux besoins d'aujourd'hui que nous aurons à engager dans les années qui viennent des actions nouvelles.

Déjà certaines réalisations donnent l'image de ce qu'il faut faire. Je pense d'une part à la magnifique réhabilitation par la RIVP de l'îlot des Jardins Saint-Paul dans le 4e arrondissement et à celle, en cours, de l'îlot de Beauvais. Je pense aussi à l'opération du quartier de l'Horloge qui nous a permis d'introduire du logement social de qualité et des équipements dans un tissu particulièrement difficile à traiter.

Au cours du prochain mandat, il nous faudra rénover les plus menacés de nos passages couverts qui sont des témoins remarquables de l'urbanisme du XIXe siècle. Déjà la ville a préempté plusieurs parcelles du passage Molière, et elle poursuit les études en liaison avec l'Assistance publique pour la réhabilitation du passage du Grand-Cerf.

C'est une nouvelle conception de l’aménagement urbain qu'il nous faut ici mener à bien, dans l’esprit de la rénovation du quartier du Marais qui, s'il n'a pas retrouvé son antique splendeur – mais il y manque tout un environnement social qui a sombré avec l'histoire du XVIIIe et du XIXe siècles ! – n'en est pas moins redevenu un des hauts lieux du charme et de la grâce de Paris, un lieu où l'histoire naturellement affleure, et ce n'est pas sans raison que je me réjouis que deux des plus nobles institutions de la ville y soient présentes : je songe au musée Carnavalet, connu de tous ; je songe aussi à la bibliothèque historique de la Ville de Paris, hébergée à l’hôtel de Lamoignon, qui est la mémoire de Paris et son renom scientifique en France et à l'étranger auprès de tous ceux qui portent intérêt à l’histoire de la capitale.

Nous avons un projet pour Paris qui couvre les six années à venir. C'est un projet réaliste mais ambitieux dont notre bilan sérieux et honnête est le garant.

Face à ce projet que nous propose-t-on ? Une avalanche de propositions démagogiques qui sont d'autant plus contestables qu'elles sont formulées par des candidats dont l'intérêt pour les affaires locales ne s'était jamais exprimé jusqu’à ces dernières semaines.

Ce n’est certes pas le sérieux qui l’emporte lorsque je considère le programme et l’action de nos concurrents. Leurs propositions en rafale (une par jour m'apprend-on) ne devraient pas faire illusion, car il en faut plus pour convaincre les Parisiens qu'on aborde les problèmes avec l'objectivité et la rigueur que requiert la difficulté de la tâche.

Or, il est clair que l’ampleur de la tâche à accomplir exige l’unité de Paris, et la solidarité entre ses quartiers, les catégories sociales de ses habitants et leurs différentes classes d'âge. Aurions-nous pu poursuivre la politique en faveur des personnes âgées si nous avions été divisés et dressés dans la surenchère les uns contre les autres ? Aurions-nous pu faire la politique familiale qui est la nôtre, alors que nous donnons une leçon de courage politique à la nation, au moment où notre pays est menacé de mort lente par le déclin de sa démographie et par l'affaiblissement des valeurs spirituelles dont les foyers restent par excellence les gardiens vigilants, si nous n’avions pu engager dans cette entreprise tout le budget de la ville ?

Pourrions-nous faire face à l'ampleur des charges qui pèsent sur nous pour restaurer et animer le centre historique de Paris si chaque Parisien ne contribuait pas à cette grande œuvre de restauration d’un patrimoine commun ?

Voilà pourquoi, mes chers amis, nous devons gagner. Je vous renouvelle solennellement mon appel pour que, dans chacun  de nos arrondissements, toutes les chances soient données aux équipes qui se réclament de notre bilan et qui se réfèrent à notre projet pour que Paris demain continue à être gérée comme une ville unie et fraternelle.

J'ai la certitude que si nous le voulons, nous pouvons remporter ce combat qui est le combat pour Paris, son progrès, son unité et sa liberté.