Interviews de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à France-Inter le 24 mars 1998 et à RTL le 30, sur les relations entre la droite et le Front national, l'intervention du chef de l’État contre les alliances avec l'extrême-droite dans les élections régionales, et la modernisation de la vie politique.

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Média : Emission L'Invité de RTL - France Inter - RTL

Texte intégral

France inter : mardi 24 mars 1998

Q. – L'autorité du Président de la République, les mots qu'il a choisis s'agissant du Front national, qualifié par lui de parti raciste et xénophobe, permettront-ils une refondation républicaine. La politique dans une démocratie, disait hier soir J. Chirac, c'est défendre un idéal, être au service de ses citoyens, la fin ne justifiant jamais les moyens. Mesure-t-on, ce matin à quel point, ces derniers jours, la politique française et son image projetée à l'extérieur du pays, ce dont s'est inquiété le Président de la République, s'est montrée très éloignée de ses valeurs. Le Chef de l'État en appelle à la droite et à la gauche ; ce faisant, il revient au-devant de la scène politique qu'il avait quittée depuis la dissolution.C'est la fonction présidentielle qu'incarnait hier soir J. Chirac, c'est-à-dire l'homme au-dessus des partis, l'homme qui donne le cap ?

R. – C'était à la fois la fonction présidentielle, le Chef de l'État, mais c'était aussi l'ancien président du RPR, le chef de l'opposition virtuel qui s'inquiétait à juste raison de la dérive de ses propres amis par rapport aux alliances avec l'extrême droite. Donc il était indispensable pour ces deux raisons – Chef de l'État soucieux de l'image de la France à l'étranger et puis, ancien président du RPR soucieux du glissement de certains de ses amis vers l'extrême droite – qu'il intervienne et qu'il dise – et je crois que c'était des mots forts – que le parti de J.-M. Le Pen est un parti xénophobe et raciste.

Q. – Ce que n'avait jamais fait un Chef de l'État jusqu'ici ?

R. – F. Mitterrand l'avait fait aussi mais il était indispensable que J. Chirac le fasse également de façon à ce que ceux qui ont fait des alliances dans les cinq régions notamment où il y a un président maintenant UDF élu avec des voix du Front national, démissionnent au plus vite. On comprendrait mal que le Président de la République intervienne pour dire que le Front national est ce qu'il est, et en même temps qu'on ait dans cinq régions françaises encore des membres de l'opposition, des responsables importants, des anciens ministres proches de J. Chirac qui, aujourd'hui, s'accrochent à leur fauteuil alors qu'ils sont élus avec les voix du Front national.

Q. – Ce contexte politique difficile, voire douloureux, qui donne au Chef de l'État l'occasion de s'adresser en même temps à la droite et à la gauche, est-ce que c'est aussi l'occasion de son grand retour politique après la dissolution ?

R. – Il y en a eu d'autres, ne soyez pas trop cruel ! Il n'avait pas disparu quand même depuis deux ans. II est un homme politique, donc par rapport à une crise que traverse la droite, on peut comprendre qu'il ait voulu donner quelques coups de griffe à la gauche. Il a repris d'ailleurs des arguments bien connus qui sont généralement ceux du président du RPR.

Q. – C'est justifié. Le rôle de F. Mitterrand s'agissant du Front national, on peut se poser des questions ?

R. – Je pense que l'on peut tout dire dans le passé – qui est responsable, pourquoi le Front national est si élevé – et chacun y a sans doute sa part. Aujourd'hui, ce n'est plus là la question. La question est de savoir ce que l'on fait du Front national et la réponse d'ailleurs qu'a apportée J. Chirac ne mérite pas de critique. On n'en fait rien et que plus on le laisse à sa place et moins il nuit Je pense que c'est cela, la leçon qu'il faut tirer des événements récents. Moi, je ne vois pas dans les critiques de J. Chirac autre chose qu'un moyen pour lui d'abord de s'adresser à son propre camp et de le mettre en garde par rapport à la dérive de l'extrême droite.

Q. – S'agissant de vous, quand-le Président de la République dit à la gauche : ne jetez pas d'huile sur le feu, qu'est-ce que vous entendez, qu'est-ce que vous comprenez ?

R. – Quand L. Jospin dit à peu près la même chose que J. Chirac hier, sauf que L. Jospin l'a dit jeudi, on lui dit – sous-entendu peut-être un certain nombre de dirigeants du RPH, peut-être même le Président de la République : vous jetez de l'huile sur le feu alors que ce serait de l'eau sur le feu que jetterai le Président de la République. Moi, je trouve que quand le Président de la République, quand le Premier ministre, quand un ensemble de dirigeants politiques de gauche comme de droite disent la même chose sur un phénomène qui est grave, à savoir les alliances avec l'extrême droite, je ne m'en plains pas et je ne fais pas de polémique. Je pense qu'il est bien qu'à un moment, droite et gauche, droite républicaine, gauche républicaine – par définition – se mettent en ordre pour dire : non, on ne doit pas faire d'alliance avec l'extrême droite. J'espère que maintenant, ceux qui se sont laissés aller – il y en a eu de trop et ce n'est pas fini car vous avez sans doute remarqué que C. Millon et beaucoup d'autres n'ont pas bougé de position – comprennent que c'est beaucoup plus grave qu'ils ne l'avaient pensé. Il ne s'agissait pas simplement d'alliances locales, il ne s'agissait pas simplement d'arrangements ou de manœuvres, c'était un processus et c'est ce processus-là qu'il faut arrêter absolument.

Q. – Vous avez le sentiment, ce matin, qu'après ces jours très difficiles pour la politique française, il y a finalement l'occasion de réorganiser, de refonder un peu le paysage politique sur des valeurs qui soient véritablement des valeurs républicaines, et que l'on sorte un peu de ce jeu politique dangereux ?

R. – Que toutes les autorités morales, politiques affirment très clairement les valeurs républicaines, je pense que c'est bien. Je pense que c'est important pour un pays de savoir quelles sont les limites et ce qu'il ne faut pas transgresser. Des tabous sont tombés, vendredi notamment, et peut-être hier. Puisque ces tabous sont tombés, il faut absolument qu'à un moment des autorités – L. Jospin l'avait fait, J. Chirac le fait maintenant – disent qu'on ne doit pas aller plus loin. Il faut savoir ce qu'est la France, ce qu'est notre République, ce qu'est la vie politique dans ce pays et ce qu'elle n'est pas. Je pense que tous ces rappels sont utiles.

Q. – Alors maintenant, il y aussi la deuxième partie de la déclaration du Président de la République, hier soir, sur la modernisation de la vie politique française. Et là, on a un peu l'impression en écoutant J. Chirac que c'est un peu le programme de L. Jospin qu'il évoque : en l'occurrence la limitation des cumuls des mandats, la présence des femmes en politique, la question du référendum. La question du quinquennat n'a pas été abordée hier soir.

R. – Non, c'est dommage d'ailleurs, ni même celle de la durée effectivement des mandats. Mais qu'il reprenne le programme de L. Jospin et subsidiairement aussi celui du PS, cela ne devrait pas nous fâcher, cela ne nous fâche pas d'ailleurs. Ce qu'il faudrait, c'est ne pas perdre de temps.J'ai entendu le Président de la République dire qu'il allait procéder à des consultations. Pourquoi pas ? Je ferai seulement observer qu'il y a déjà eu des consultations longues du Premier ministre récemment auprès de l'ensemble des formations politiques de gauche comme de droite sur la limitation du cumul des mandats. A mon avis, on n'a plus besoin d'aller se concerter, il faut le faire. Sur la parité homme-femme, un projet peut être déposé – le Premier ministre l'a annoncé – très rapidement et il faut une révision constitutionnelle. Il faut le faire. Alors que l'on regarde les modes de scrutin ensemble, cela peut être la bonne démarche, mais je dis bien : ne perdons pas de temps, ne faisons pas de concertations inutiles, faisons ce que nous avons dit et l'essentiel sera acquis." inutiles, faisons ce que nous avons dit et l'essentiel sera acquis.

Q. – Mais comment mesurez-vous le rôle et la responsabilité morale du Président de la République et du Premier ministre pour ensemble, comme semble-t-il beaucoup de Français l'attendent ou le souhaitent, réinstallent et refondent le socle républicain de la politique ?

R. – Je crois qu'il faut bien mettre chacun devant ses responsabilités. Aujourd'hui il y a une crise à droite. Ce n'est pas à gauche : elle a gagné les élections cantonales, elle a gagné les élections régionales. Je ne dis pas que tout va bien. Il y a encore beaucoup à faire – et beaucoup de frustrations et d'impatiences. Mais la crise est d’abord à droite. La droite doit se refonder sur un pacte républicain et la contribution du Président de la République sera utile. Deuxièmement notre République doit se moderniser : c'est tout l'enjeu de ces réformes sur la limitation du cumul de mandats, les modes de scrutin, la place des femmes. Cela peut se faire vite et cela peut se faire à l'initiative du Premier ministre, bien entendu en concertation avec le Président de la République. Je ne crois pas qu'on puisse dire : il faut que tout le monde fasse un effort. Non, aujourd'hui, hélas, la crise est surtout à droite parce qu'on sent bien, au-delà même de la péripétie pourtant suffisamment préoccupante des Conseils régionaux, qu'il y a un processus qui s'est engagé sur l'alliance avec l'extrême droite. C'est ce processus-là qu'il faut casser.

Q. – Avez-vous peur qu'on aille vers une sorte de radicalisation de la politique française. Chacun marquant très bien les limites de son camp : être vraiment de droite, être vraiment de gauche ? Je vous pose la question parce qu'hier, j'entendais M. Vauzelle saluer assez chaleureusement et sportivement les membres de l'opposition qui avaient permis, en effet, qu'il soit élu en PACA.

R. – Il avait raison. Je crois qu'il y a eu, heureusement pour notre vie publique, des hommes et des femmes à droite qui ont su garder le cap et fixer les limites très clairement Par exemple, F. Léotard, alors qu'il était harcelé par ces propres amis pour faire alliance avec le Front national, a résisté. Il faut saluer ces gestes et il ne faut pas essayer de compliquer la donne, il ne faut pas essayer de faire la politique du pire. Cela serait trop simple pour la gauche, même par cynisme, de dire : la droite est en crise, eh bien, à la limite, qu'elle y aille, vers le FN, parce que c'est l'assurance qu'on gagnera toutes les élections puisque les Français ne veulent pas d'alliance avec le FN. Et je me garde au nom du PS de faire toute surenchère ou tout cynisme. Il y a une crise à droite, il faut qu'elle en sorte, cette droite. Il faut qu'on trouve des modes de travail ensemble dans un certain nombre d'institutions, notamment les institutions régionales qui sont bloquées, et en même temps, il faut que chacun soit dans son rôle. La droite doit définir un projet, la gauche doit gouverner le pays. Elle le fait depuis neuf mois de façon honorable, je pense, et c'est ce sur quoi les Français nous attendent, c'est-à-dire d'abord répondre aux missions qui nous ont été confiées aux uns et aux autres.

Q. – Vous craignez une radicalisation à droite, justement pour peut-être répondre aux attentes de ceux qui sont fascinés par le FN ?

R. – Je préfère que la droite, à la limite, se radicalise quant au projet, quant aux idées mais fasse le clair par rapport à l'extrême droite, c'est-à-dire qu'elle la refuse plutôt qu'elle ait un projet qui soit finalement évanescent, glissant et qu'elle fasse l'alliance avec l'extrême droite. Parce que ce qui est grave dans l'alliance avec l'extrême droite, c'est que la droite ne pensant plus rien vient sur les valeurs mêmes, sur les programmes, sur les propositions du FN. Je préfère une droite qui se reconstitue sur son socle plutôt qu'une droite qui dérive sans finalement s'accrocher à la moindre pensée.