Déclaration de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, sur la rénovation urbaine, l'éducation et l'emploi des jeunes dans les quartiers sensibles, Meaux le 25 novembre 2005.

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Circonstance : Déplacement à Meaux le 25 novembre 2005. Violences dans les banlieues depuis le 27 octobre

Texte intégral

QUESTION : Vous évoquez l'importance du parcours scolaire, et pourtant c'est vous qui proposez l'apprentissage à 14 ans...

Dominique de VILLEPIN : Mais ce n'est pas contradictoire ! L'apprentissage à 14 ans ira de pair avec l'acquisition des savoirs fondamentaux. Il ne s'agit en aucun cas de sortir prématurément les enfants de l'école : l'apprentissage sera relié au collège. Le contrat de travail ne pourra commencer qu'à 15 ans, l'âge légal. Nous créerons des filières qui permettront de revenir vers l'école, le lycée. Un système qui sera aidé par l'acquisition durant l'apprentissage du socle commun de connaissance générale... L'apprentissage peut redonner le goût à l'enseignement supérieur.

QUESTION : Sur le logement, ne doit-on pas sanctionner plus sévèrement les communes ne respectant pas le taux de 20 % de logements sociaux ?

Dominique de VILLEPIN : Il faut prendre en compte la situation très différente de certaines villes. Des communes fortement urbanisées avec peu d'espaces constructibles ne sont pas dans la même situation que des communes rurales.

QUESTION : Mais des maires font preuve de mauvaise volonté.

Dominique de VILLEPIN : Appliquons déjà la loi, toute la loi, qui n'est aujourd'hui pas entièrement respectée. L'effort fourni ces dernières années est considérable. En 2005 il y a eu 80 000 nouveaux logements sociaux financés, contre 35 000 avant 2002. Cela dit nous devons faire beaucoup plus en faveur de la mixité sociale et c'est vrai que nous avons pris du retard.

QUESTION : Ne rencontrez-vous pas des difficultés politiques à faire obtempérer les maires UMP ?

Dominique de VILLEPIN : Chacun doit prendre ses responsabilités.

QUESTION : Pourquoi ne pas rendre obligatoire le Service civil volontaire si vous y croyez tellement ?

Dominique de VILLEPIN : Je doute que l'idée d'un service civil obligatoire soit favorablement accueillie par les jeunes et que cela corresponde aux besoins de notre société.

QUESTION : Pourquoi êtes-vous défavorable à la "discrimination positive" ?

Dominique de VILLEPIN : Ce qui me paraît contraire à nos principes républicains et que je rejette dans la discrimination positive c'est qu'elle prend en compte des critères ethniques raciaux ou religieux. Ce qui est important c'est de prévoir des accompagnements personnalisés pour ceux qui en ont besoin à un certain moment. Et aider des territoires où se concentrent des difficultés spécifiques. Je préfère donc parler de « l'égalité des chances ». Le mot discrimination lui-même crée des tensions. Celui qui en bénéficie a le sentiment de ne pas être reconnu et celui qui n'en bénéficie pas a le sentiment qu'on lui a pris sa place.

QUESTION : L'idée du CV anonyme vous semble intéressante ?

Dominique de VILLEPIN : Je suis tout à fait favorable à son expérimentation, après discussion bien sûr avec les partenaires sociaux. Le procédé a des limites, mais si cela permet d'accéder à un entretien d'embauche c'est très bien. Je ne suis pas sûr qu'il faille le rendre obligatoire mais l'encourager.

QUESTION : Vous souhaitez passer d'une immigration subie à une immigration choisie. Comment ?

Dominique de VILLEPIN : Pour bien réaliser une intégration nous devons mieux maîtriser notre immigration. Et donc mieux faire face à une immigration irrégulière qui est la source de nombreux trafics et de souffrances. Il faut renforcer nos moyens pour mieux empêcher l'immigration irrégulière.

QUESTION : Et en ce qui concerne l'immigration régulière vous n'avez pas l'intention de toucher au regroupement familial ?

Dominique de VILLEPIN : Dans le domaine du regroupement familial il faut être soucieux du respect de certains critères : bien maîtriser notre langue, être capable de s'intégrer dans des conditions correctes. Il faut renforcer les dispositifs quand c'est nécessaire, dans le respect des conventions internationales. Je pense aussi à l'arrivée des étudiants en France, et aux mariages. Nous avons un certain nombre de dispositifs qui ont été détournés. Des règles doivent garantir la véritable volonté d'intégration de l'immigré. Par exemple en sélectionnant des étudiants sur un projet et donc opérer cette sélection dès le pays d'origine. Nous ne pouvons pas accepter que des personnes qui se marient à l'étranger avec une personne d'origine étrangère voient leur acte de mariage automatiquement transcrit en droit français, alors qu'il peut s'agir d'un mariage blanc ou forcé.

QUESTION : Le contrat d'accueil et d'intégration vous convient-il ?

Dominique de VILLEPIN : Ce contrat est une bonne chose mais il doit évoluer, être mieux adapté et pouvoir être généralisé. Par exemple la maîtrise de la langue française doit être un élément important parce que c'est la garantie d'une bonne intégration. Le contrat d'accueil et d'intégration c'est la garantie que celui qui vient en France connaît ses droits, connaît ses devoirs, maîtrise les outils de son intégration.

QUESTION : Sur le domaine de l'emploi, vous avez reçu l'ensemble des partenaires sociaux ces dernières semaines. Que va-t-il en sortir ?

Dominique de VILLEPIN : Je vais faire d'ici à dix jours un certain nombre de propositions sur les trois grands dossiers qui sont au c?ur de ces concertations : la sécurisation des parcours professionnels, le pouvoir d'achat et l'égalité des chances, c'est-à-dire la lutte contre les discriminations. La sécurisation des parcours professionnels, c'est-à-dire un parcours professionnel adapté permettant de bénéficier de formations adéquates au moment où la personne rencontre des difficultés en matière d'emploi, s'impose à nous de façon évidente. Entre les années 50 et 70, chacun avait le sentiment que l'emploi était au rendez-vous. Aujourd'hui on change d'emploi et même de métier. Il faut donc établir des passerelles entre les différentes étapes de la vie...

QUESTION : Vous croyez que les Français qui ont 20 ans aujourd'hui ont compris qu'ils exerceraient trois ou quatre métiers ?

Dominique de VILLEPIN : Ils ont compris que la réussite professionnelle passait par un travail d'adaptation de formation, que les technologies et les savoirs évoluaient, et qu'il fallait constamment actualiser ses connaissances.

QUESTION : Le modèle nordique peut-il être une source d'inspiration ?

Dominique de VILLEPIN : Chaque fois qu'une expérience réussit ailleurs, nous regardons. Mais il n'est pas souhaitable de plaquer un modèle étranger sur le nôtre, qui obéit à une histoire et à des principes différents. Comme pour l'éducation, l'accompagnement personnalisé de chacun me paraît une voie prometteuse.


QUESTION : Sur la notion de flexisécurité, pensez-vous que les Français sont prêts à en accepter la composante la plus libérale, qu'il s'agisse de la facilité de licencier, du temps de travail ultra-variable ?

Dominique de VILLEPIN : Nous devons prendre en compte des habitudes, des pratiques, une culture qui sont différentes. Mais on peut s'en inspirer. C'est très exactement ce que fait le Contrat nouvelles embauches, qui exige à la fois plus de responsabilité pour l'employeur et pour le salarié.

QUESTION : L'un des problèmes du pays n'est-il pas la discontinuité gouvernementale, qui fait que toute alternance politique se traduit par le balayage de ce qui vient d'être fait ?

Dominique de VILLEPIN : La continuité est certainement un gage d'efficacité. Mais le choix consistant à ne pas s'enfermer dans des querelles idéologiques est un deuxième gage d'efficacité. Il est vrai que nous avons un problème avec des approches trop souvent idéologiques, nous nous enfermons dans des schémas qui nous empêchent de voir la réalité telle qu'elle est. Je prends un exemple, qui est une réussite : la rénovation urbaine. Quand on s'engage en 2002 avec Jean-Louis BORLOO dans le plus important programme de rénovation urbaine jamais effectué en France, qui nous permet en 18 mois de passer de la démolition d'une tour à sa reconstruction en résidences urbaines, nous constatons que des choses formidables sont accomplies dans notre pays. Alors qu'il y a parfois un scepticisme, voire un pessimisme français qui peut les occulter....

QUESTION : Il est difficile de prétendre arrêter de tels chantiers, il en va différemment pour une loi ou une décision administrative....

Dominique de VILLEPIN : Peut-être, mais prenez le domaine de l'emploi. J'ai annoncé que l'ANPE devra recevoir 70 000 jeunes en difficulté et leur proposer dans les trois mois soit un contrat, soit une formation, soit un stage. Ce sont des choses extraordinairement concrètes, et, à partir du moment où nous entrons dans la réalité des banlieues, je ne vois pas qui pourra les remettre en cause. Par ailleurs, il faut voir les changements intervenus dans la mobilisation de l'ANPE par rapport à quelques mois ou quelques années ! Aujourd'hui, il ne s'agit pas simplement de recevoir un demandeur d'emploi et de regarder son dossier en s'assurant que tout est en ordre. Il s'agit de le voir régulièrement. Et ce que nous voulons, c'est qu'il puisse rencontrer le correspondant de l'ANPE tous les mois, voire plus souvent, car c'est la clé pour établir des relations personnalisées et apporter des réponses concrètes à des problèmes d'emploi.

QUESTION : Quand on interroge les jeunes aujourd'hui sur le fait politique, ils dénoncent à la fois l'absence de projet de société et d'une personne pour l'incarner. Que leur répondez-vous ?

Dominique de VILLEPIN : Il faut que chacun comprenne qu'il a des droits mais aussi des devoirs et que, de son côté, la République doit faire en sorte de prendre en compte les différences. Je veux une République qui donne plus de résultats. Mon projet, c'est une société plus optimiste, plus fraternelle, mobilisée pour l'avenir, construite sur une vraie politique de la main tendue et un projet collectif.

(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 29 novembre 2005)