Texte intégral
J.-J. Bourdin.- J.-L. Borloo, l'homme du Grenelle de l'environnement, euphorique, ce matin, heureux en tous les cas ?
R.- Oui, heureux, épuisé mais heureux...
Q.- Vous étiez en train de regarder notre "manifeste de l'environnement", vous avez vu, ça colle, hein ?!
R.- Mais c'est incroyable, je regarde votre mémo, il y a six semaines que vous avez lancé cela... ?
Q.- On a lancé cela il y a un mois à peu près.
R.- Alors je regarde, les thèmes. D'abord, sur les principes généraux : 77 % des Français veulent économiser de l'énergie", c'est vraiment la partie centrale, et après, les transports... C'est incroyable, je vous dis que votre texte, mon cher J.-J. Bourdin, et puis, je peux comparer à ce qui est sorti de ce Grenelle...
Q.- Tant mieux !
R.-...Où il y avait tout le monde : il y avait les syndicats, les ONG - les organisations non gouvernementales écologistes -, les élus locaux, les parlementaires, les entreprises, l'Etat, enfin, tout ce monde, avec des experts. Et vous savez, cette espèce de club des cinq, qui ne se parlait pas ou pas beaucoup, et pour qui, parfois même, les mots ne voulaient pas dire la même chose, selon les uns et les autres, et qui, à force de se regarder, se confronter, d'essayer de comprendre pourquoi on en était là et ce que l'on pouvait faire, finit par faire des programmes complètement opérationnels. Alors, je relis votre "appel" ; c'est incroyable, cela commence par : instaurer une taxe pour les véhicules les plus polluants, et des taxes pour ceux qui ne polluent pas", c'est fait, banco, bonus- malus !
Q.- Le montant de la taxe ?
R.- Il n'est pas encore arrêté, mais le principe est très clair : ce qui est sensiblement plus polluant à l'achat que la moyenne du parc, aura une taxe...
Q.- Annuelle ?
R.- Annuelle. Cette taxe va venir en ristourne pour les Français qui achèteront des voitures sensiblement moins polluantes que la moyenne qui est actuellement vendue dans notre pays. C'est un principe très simple, bonus-malus. C'est un principe qu'on va étendre d'ailleurs à une vingtaine de familles de produits de grande consommation...
Q.- Lesquels, par exemple ?
R.- Je ne sais pas, on va en débattre. Mais l'idée générale...
Q.- D'autres produits ? Cela peut être quoi, un produit de grosse consommation ?
R.- Ceux que l'on trouvera dans les grandes surfaces, on va mettre cela au point avec ...
Q.- Dans les grandes surfaces, avec les produits alimentaires, par exemple ?
R.- Oui, par exemple. Le principe est assez simple ; il y a une phrase qui dit : "le communisme est mort parce qu'il ne laissait pas les prix dire la vérité économique" ; l'économie de marché va mourir si elle ne laisse pas les prix dire la vérité écologique. Donc on a un prix d'achat quand on va dans un supermarché, mais son prix écologique, ce que cela a coûté écologiquement en CO2, ou en biodiversité à la planète, ce n'est pas indiqué.
Q.- Tous les produits seront étiquetés ?
R.- L'idée, c'est d'étiqueter l'ensemble des produits, et parmi ceux-là, tester, sur dix ou vingt familles de produits, en disant : ce produit, dans cette famille-là... - je ne sais pas, des yaourts ou peu importent lesquels, ce n'est pas défini encore -, celui-là, est vertueux écologiquement, donc il va avoir une ristourne, et celui-là est coûteux écologiquement, donc indépendamment de son prix d'achat, il aura une petite taxe.
Q.- Et il sera payé plus cher ?
R.- L'un sera financé par l'autre. Donc pour le pouvoir des Français, cela ne change rien, puisque vous avez le choix pour le même produit, entre payer la taxe écologique ou avoir la ristourne écologique.
Q.- Y aura-t-il une prime à la casse pour les voitures les plus anciennes, les plus vieilles, les plus polluantes ?
R.- Attention, on le fait déjà dans le bonus. C'est-à-dire, il y un malus pour les voitures anciennes, mais il y a évidemment le bonus. C'est-à-dire que, si vous achetez une voiture très peu polluante, et que, en échange...
Q.- Même d'occasion ?
R.- Même d'occasion, mais des très peu polluantes d'occasion...
Q.- Il n'y en a pas beaucoup...
R.- Mais il y en a. Mais, là où vous avez raison c'est que 20 % des voitures, mais les très, très anciennes, 18-20 ans, font 70 % de pollution. Donc, on ne parle pas des voitures qui ont 10, 12 ou 14 ans, on parle vraiment de cas un peu particuliers. D'une manière générale, quand je regarde toujours votre...
Q.- Il y aura une prime à la casse alors ?
R.- Non, il y aura une prime pour l'achat des voitures non polluantes.
Q.- Il n'y aura pas de prime à la casse ?
R.- Financement à l'achat des voitures non polluantes. Le covoiturage, que vous évoquiez, le fait de réserver des bandes plus rapides dans les entrées d'agglomérations pour le covoiturage, les bus, les taxis....
Q.- Comme aux Etats-Unis.
R.- Donc, on instaure la liberté pour les villes de le faire, mais on fait un texte de loi qui va les autoriser à le faire. Mais nous croyons que c'est absolument nécessaire. Changer le parc automobiles, je parle des collectivités publiques, de l'Etat, donc nous nous engageons, nous, à changer notre parc automobiles pour qu'il soit le plus écologique possible. En matière de restauration collective - j'y tenais par-dessus tout -, le bio ou l'agriculture de saisonnalité, de proximité. Donc, on va rendre obligatoire, on va changer les règles des marchés publics pour rendre obligatoire, jusqu'à 20 %, d'agriculture...
Q.- Dans combien de temps 20 % ?
R.- Cinq ans, 5 % par an ; on est à moins d'1 % aujourd'hui.
Q.- 20 % des cantines scolaires, par exemple, seront bio dans cinq ans ?
R.- Oui, hospitalières, publiques, etc., absolument ! Mais on ne peut pas aller plus vite parce qu'on a un vrai problème de production. On accompagne, on aide les agriculteurs qui ont été formidables dans ce Grenelle, je dois dire, puisque tout de le monde parlait toujours du lobby agricole, cela ce n'est pas vrai du tout...
Q.- On va parler quand même des pesticides, des OGM...
R.- Absolument.
Q.- Plus un seul camion sur les autoroutes ? C'est pour quand cela ?
R.- Cela, c'est pour dans trois-quatre ans.
Q.- Dans trois-quatre ans, il n'y aura plus un seul camion sur les autoroutes ?!
R.- Sur les longues distances. L'idée est assez simple...
Q.- De Lille à Perpignan, il n'y aura plus de camions ?!
Absolument, on est en train d'expérimenter actuellement, entre Luxembourg et R.- Perpignan. Alors que fait-on ? Ce ne sont pas des containers là, on met directement le camion sur un train. C'est-à-dire qu'on construit des trains spéciaux...
Q.- Ce sera obligatoire ?
R.- Ce sera absolument obligatoire, alors, 500 kilomètres, 600... L'idée, c'est que la France est un pays au milieu de l'Europe, qui est un pays de zone de transit de camions. Nous amis routiers, qui viennent de tester cela, trouvent que c'est très bien, parce qu'on est quand même mieux sur un train quand on est routier et en plus, le camion ne s'amortit pas, il ne se déprécie pas, etc. La vitesse commerciale est très rapide. Donc, il y a un programme d'un prêt de 800 millions d'euros pour acheter le matériel, les wagons roulants. L'idée générale c'est que, en gros, "le tout autoroutier", "le tout camion" - on ne va pas du tout empêcher les camions de circuler généralement pour faire des distances moyennes -, mais ces espèces de grands transits...
Q.- Là, ce sera obligatoire donc de monter sur un train ?
R.- Oui, absolument, pour les grandes distances. Tout cela prend du temps, il faut l'organiser, il faut mettre en place les plates-formes, etc., etc. Mais c'est un vrai changement radical.
Q.- C'est un changement ! La taxe carbone va-t-elle mise en place ?
R.- Alors, la taxe carbone, parce que j'ai écouté les commentaires, il faut avoir deux choses bien distinctes à l'esprit : il y a une taxe carbone, on souhaite une taxe carbone, ce que d'autres appellent "la taxe Cambridge", c'est-à-dire un ajustement aux frontières européennes, lorsqu'un produit vient d'un pays qui lui-même ne respecte pas le protocole de Kyoto, ou n'a pas lui-même chez lui une taxe carbone, il n'y a aucune raison que cela vienne percuter de manière déloyale la concurrence des produits fabriqués en Europe...
Q.- C'est-à-dire qu'un produit qui arrive de Chine, par exemple, sera surtaxé ?
R.- Il aura la taxe du coût écologique de sa venue, sauf à ce que le pays ait signé le protocole de Kyoto, enfin, le nouveau protocole de Kyoto, avec des engagements forts pour son industrie. Cela, c'est la taxe carbone qu'on souhaiterait mondiale, à défaut européenne. Et puis, il y a un deuxième concept, qui est la contribution climat-énergie, proposé notamment par N. Hulot, qui consiste à regarder, comment dans notre système global, peut-on alléger un certain nombre de fiscalités, notamment sur le travail, au profit d'une petite fiscalité indicative, progressive, pour les 20 ou 25 ans qui viennent, sur les énergies, et notamment sur les énergies fossiles.
Q.- Sur les carburants donc.
R.- Pas forcément sur les carburants, sur les énergies...
Q.- Sur les énergies, cela veut dire que vous allez augmenter le prix de l'essence d'un ou deux centimes d'euro pour cette taxe !
R.- Sous réserve que les mêmes Français aient 1 centime de ristourne par ailleurs. C'est pour déplacer la fiscalité, il ne s'agit pas d'augmenter la fiscalité.
Q.- Pourquoi ne pas créer un fonds spécial, avec cet argent, avec cette taxe, permettant d'aider les ménages les plus modestes, justement à participer de cette lutte contre... ?
R.- Il n'est pas exclu que cela se fasse sous forme d'un fonds. Ce que l'on veut c'est, que tout le monde soit attentif à la consommation d'énergie, et quand je dis "énergie", ce sont toutes les énergies, car le plan a pour vocation de réduire de 40 % les besoins énergétiques. Parce que, quel est le fond de l'histoire ? C'est que notre économie est fondée sur des énergies fossiles, qui sont de la rareté, parce qu'en termes de climat, ce n'est pas tenable, et de toute façon, on en découvre quasiment ou très peu de nouveaux gisements. Vos enfants vivront dans une société sur un autre mode énergétique. Donc, c'est une façon d'anticiper pour ne pas subir brutalement un jour tout cela.
Q.- Il y aura donc une taxe sur les produits pétroliers ?
R.- Non ! La contribution climat-énergie c'est, on déplace vers l'énergie mais on donne une ristourne sur l'ensemble des ressources des Français.
Q.- J'ai compris, il y aura une ristourne sur l'ensemble des ressources des Français, mais il y aura quand même une petite taxe sur les produits pétroliers ?!!
R.- Non, cela ne s'appellera pas "une taxe"...
Q.- Non ? Pas une taxe, ce sera quoi, alors ?
R.- Non, parce qu'on a décidé de le faire sur l'ensemble de l'énergie ! Il y aura un fonds global de solidarité écologique qui sera alimenté par l'ensemble des énergies au profit d'une amélioration du pouvoir d'achat des Français.
Q.- Ensemble des énergies, c'est le pétrole, le charbon...
R.- Toutes les énergies, le nucléaire, aussi.
Q.- Le nucléaire aussi ?
R.- Bien sûr, et les énergies renouvelables. Ce sont les énergies !
Q.- Je voulais juste vous poser une question sur le changement d'heure ? On n'en a pas parlé pendant ce Grenelle ? C'est ce week-end ; va-t-on arrêter avec ce changement d'heure ou pas ?
R.- C'est vrai qu'on a parlé de beaucoup, beaucoup de choses, 1.500 propositions, et je n'ai rien vu sur le changement d'heure, voilà, alors je ne sais pas. Pour l'instant, heureusement qu'il n'y pas de changement d'heure, sinon j'aurais été en retard de matin.
Q.- Mais on ne change rien ?
R.- On n'a pas regardé, on ne l'a pas expertisé, donc je n'ai pas d'avis.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 26 octobre 2007