Texte intégral
La flexicurité est l'intérêt naturel des entreprises et des salariés. C'est un succès de la négociation collective que les partenaires sociaux aient apporté des réponses concrètes à cette question. Il faut se souvenir qu'en 1984, les négociations sur « l'adaptation des conditions de l'emploi » avaient échoué et que, depuis lors, il n'avait pas été possible de donner une forme consensuelle et pratique à la flexicurité. Cet accord marque un tournant sans précédent particulièrement important dans notre vie sociale. Et sans doute, à l'issue des débats, nous pourrons le qualifier d'historique, dès lors que le projet de loi qui vous est proposé aura permis de donner pleinement force obligatoire à certaines de ses dispositions.
Le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui est en effet né de l'accord interprofessionnel sur le marché du travail qui a été signé le 11 janvier 2008.
C'est le premier accord conclu dans le cadre de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007. Il a été signé par les partenaires sociaux, qui ont su trouver eux-mêmes les solutions les plus adaptées aux problèmes qui les concernent. Cet accord prouve que nous sommes entrés dans une nouvelle ère du dialogue social : il prouve que dans une société moderne, on a toujours raison de privilégier la voie de la négociation, voire de la concertation, selon les sujets.
L'issue des négociations sur la démocratie sociale vient d'ailleurs de le confirmer.
I- Le projet de loi qui vous est soumis témoigne de la volonté du Gouvernement de préserver cet accord et de lui donner force obligatoire le plus rapidement possible.
Pour qu'il soit mis en oeuvre de la manière la plus efficace possible, nous avons identifié, en étroite concertation avec les signataires, les points qui nécessitaient une loi, sachant que tout l'accord sera à terme applicable à tous les salariés selon des modalités négociées.
Certains sujets feront l'objet de négociations ultérieures, comme la formation professionnelle, la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ou l'assurance chômage.
D'autres domaines feront l'objet d'une transposition réglementaire, et nous avons commencé à travailler à des projets de décrets avec tous les signataires de l'accord.
Je m'étais d'ailleurs engagé à vous transmettre le contenu des projets de décrets et, à cet effet, j'ai adressé hier une lettre aux Présidents des groupes donnant ces informations. Ce projet illustre notre méthode, la méthode du dialogue social :
Tout d'abord, un document fixe aux partenaires sociaux un certain nombre d'orientations et un délai, (dans le cadre de la Loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007.)
Ensuite, les partenaires sociaux négocient ou nous font connaître leur position. Lorsqu'ils ont conclu un accord (et c'est ici le cas), celui-ci résulte bien évidemment d'un équilibre et de l'esprit de responsabilité de chacun.
Dès lors qu'ils se sont accordés ou qu'ils ont transmis leurs observations, l'élaboration du texte peut débuter. Ce travail de transposition a été conduit en permanence avec eux. Ce n'est pas forcément chose aisée, car certaines dispositions demandent à être interprétées, voire précisées ou complétées pour être pleinement opérationnelles.
Pendant tout le travail d'élaboration de ce projet de loi, nous avons eu à coeur de rencontrer les signataires à de nombreuses reprises, de valider avec eux les précisions et les compléments nécessaires et de les soupeser avec précision. Nous avons également rencontré le syndicat qui n'a pas signé. C'est cette méthode d'un dialogue social au quotidien qui donne au texte qui vous est soumis une légitimité supplémentaire, et sans doute, une durabilité plus grande.
II- Ce projet de loi permettra de mettre en oeuvre concrètement les avancées considérables qui ont été introduites par l'accord du 11 janvier et qui façonnent un nouvel équilibre entre flexibilité et sécurité, pour une flexicurité à la française.
1- Ce projet de loi apporte tout d'abord des garanties nouvelles aux salariés.
Il pose un principe essentiel : la forme normale de la relation de travail, la forme de droit commun, est le contrat de travail à durée indéterminée. Les représentants du personnel seront désormais informés sur le recours prévisionnel aux contrats de travail à durée déterminée et temporaire.
En cas de maladie, l'ancienneté requise pour bénéficier d'une indemnisation complémentaire sera réduite de 3 à 1 an.
La durée des stages de fin d'études sera comprise dans la période d'essai, jusqu'à réduire celle-ci de moitié.
Le montant de l'indemnité de licenciement sera unifié en augmentant celui prévu en cas de licenciement pour motif personnel ; et l'ancienneté nécessaire pour percevoir l'indemnité passera de deux ans à un an. Ainsi, un salarié ayant 10 ans d'ancienneté devrait désormais percevoir au moins 2 mois de salaire en cas de licenciement, contre un mois auparavant pour certains licenciements.
Enfin, ce projet de loi pose le principe selon lequel tout licenciement doit être motivé, et il vient clarifier une situation de fait : il abroge le CNE. Désormais, tout salarié dont le contrat de travail est rompu par son employeur connaîtra donc le motif de son licenciement. En effet, l'accord demandait aux pouvoirs publics de prendre les dispositions nécessaires pour que l'exigence de motivation et de cause réelle et sérieuse en cas de licenciement « s'applique à tous les contrats ». Je l'avais dit dès qu'ont été connus la décision de l'OIT en novembre 2007 et les arrêts des Cours d'appel qui ont rendu inopérant le CNE. Depuis fin 2007, tous les CNE sont devenus de fait des CDI comme les autres, puisque la rupture d'un CNE doit toujours être motivée.
La meilleure sécurisation juridique, pour les salariés comme pour les entreprises, c'est de mettre en cohérence le droit et la réalité, dans un souci de pragmatisme, pour éviter aux entreprises et aux salariés de courir des risques inutiles. Tel était le voeu des signataires de l'accord du 11 janvier 2008.
2- Ce projet de loi modernise les relations individuelles de travail, en offrant des règles plus simples, qui s'appuient sur des garanties.
Les partenaires sociaux ont voulu mettre en place de nouvelles périodes d'essai interprofessionnelles par catégories, qui seront donc applicables dans toutes les professions et dans tous les secteurs d'activité. Les rares périodes d'essai plus longues que prévoient aujourd'hui les accords de branche resteront applicables, comme le requiert l'accord du 11 janvier 2008. Pour les périodes d'essai plus courtes, le projet de loi ménage une période de transition d'une année avant de les rendre inopérantes. Ce délai permettra aux négociations de branche d'adapter le la durée des périodes, pour les cas où cela s'avérerait nécessaire. Le projet de loi permet aussi au contrat de travail ou aux accords collectifs qui seront conclus après l'entrée en vigueur de la loi de fixer des périodes d'essai plus courtes.
Ces dispositions clarifient les règles déterminant les périodes d'essai sans que les durées qui seront désormais possibles soient très différentes de celles qui sont actuellement pratiquées. Le projet de loi rendra également possible la rupture conventionnelle du contrat de travail.
Il s'agit d'une modernisation sans précédent des relations individuelles de travail et d'un changement considérable dans le droit du travail. Cela rejoint la proposition 145 du rapport de la Commission Attali pour la libération de la croissance française. C'est, dans le domaine social, la première concrétisation d'une des préconisations de ce rapport. La modernisation de l'économie souhaitée par les membres de cette commission trouve ici son premier écho concret. Ce ne sera pas le dernier ; nous avons besoin de mettre en oeuvre ce type de propositions contenues dans le rapport Attali.
Ainsi, l'employeur et le salarié pourront convenir ensemble de rompre leurs relations de travail dans un cadre légal entouré de garanties : assistance des parties, délai de rétractation de 15 jours et homologation par le directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.
A côté de la démission et du licenciement, la rupture conventionnelle est désormais une troisième possibilité qui n'est à l'initiative d'aucune des deux parties mais des deux à la fois. Cette 3e forme symbolise le nouvel équilibre que les signataires de l'accord souhaitent introduire dans les relations de travail : des relations plus simples, plus souples et plus consensuelles.
De fait, en sécurisant les modes de rupture, cette disposition permettra également de réduire la judiciarisation : un licenciement sur cinq fait aujourd'hui l'objet d'un recours devant le juge. Et les complexités actuelles du droit incitent à de nombreux contournements, ce qui se traduit par le nombre élevé des licenciements pour motif personnel (50.000 en février 2008, soit 3 à 4 fois plus que le nombre de licenciements économiques). Le projet de loi apporte ainsi des réponses claires et durables sur les possibilités de rupture du contrat de travail.
Enfin, cette nouvelle forme de rupture vise à la simplification : c'est pourquoi les recours juridictionnels seront tous traités par les conseils de prud'hommes, que les contentieux portent sur l'homologation ou la convention.
3- Le projet de loi offrira aux entreprises des outils pour accompagner et sécuriser leur activité.
Pendant 5 ans sera expérimenté un CDD à objet défini. Il permettra à une entreprise d'embaucher un ingénieur ou un cadre afin de réaliser un projet pour une durée de 18 à 36 mois.
Cela offrira aux entreprises une plus grande souplesse pour recruter les compétences nécessaires sur certaines missions ponctuelles. Un accord collectif devra être préalablement conclu pour garantir les conditions d'utilisation de ce contrat.
La mise en oeuvre de ces dispositions sera régulièrement examinée par les signataires, qui pourront transmettre leurs analyses au Gouvernement, pendant la période d'expérimentation.
L'assurance garantie des salaires pourra garantir auprès des employeurs le versement des indemnités dues en cas de licenciement pour inaptitude d'origine non professionnelle. Elle résout ainsi les difficultés que rencontrent les salariés concernés, mais aussi les petites entreprises, qui, en ces circonstances, devaient parfois débourser une somme importante.
Enfin, le portage salarial pourra être encadré par un accord qui sera conclu d'ici deux ans dans la branche du travail temporaire, comme l'ont souhaité les partenaires sociaux.
Comme vous le voyez, ce projet de loi présente de grandes avancées dans le domaine des relations du travail.
Je sais que vous aurez à coeur de préserver l'équilibre qui a été trouvé par les partenaires sociaux. En prenant la suite de leur action, les parlementaires pourront donner force de loi au fruit du dialogue social qui a été mené avec les pouvoirs publics, comme cela a été le cas par le passé pour d'autres textes transposant des accords nationaux interprofessionnels, notamment la loi sur la mensualisation en 1978, celle sur les CDD en 1990, et celle sur la formation professionnelle en 1971 et 2004.
L'histoire nous enseigne d'ailleurs que les lois consécutives à des accords nationaux interprofessionnels sont les plus durables et les plus stables car elles tirent également leur légitimité du dialogue social. Notre méthode, je l'ai dit, c'est le dialogue social, qui fait appel à l'esprit de responsabilité de chacun. Et cet esprit de responsabilité est là, il est important. J'ai été attentif aux déclarations responsables des groupes PS, Nouveau Centre, UMP. Le travail en commission s'est situé dans la même logique. C'est important car les partenaires sociaux, et tous ceux qui joueront un rôle dans l'application de ces dispositions, sont aussi attentifs aux déclarations, aux travaux préparatoires, aux travaux en commissions, et aux travaux dans l'hémicycle, comme ils le seront pour les décrets d'application.
Ce projet de loi marque une étape importante, une étape décisive, une première étape. Nous savons tous que la modernisation de notre économie et de notre marché du travail appelle d'autres accords, en particulier sur la formation professionnelle et l'assurance chômage. Ce que veulent les Français, ce que nous voulons et mettons en oeuvre pour la société française, c'est une modernisation du contrat de travail, une modernisation du Droit du travail, une modernisation du marché du travail. Il était temps.
Je vous remercie.
Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 16 avril 2008