Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, relative au grand débat national, en application de l'article 50-1 de la Constitution.
Cette séance s'organisera en deux temps.
Après la déclaration du Gouvernement, la parole sera donnée à un orateur de chaque groupe, puis au Premier ministre pour leur répondre.
Puis, après une courte suspension, nous procéderons à un débat interactif de trente questions-réponses.
Je donne la parole à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le grand débat national s'est achevé lundi. Pendant trois mois, les Français ont renoué avec le goût de la discussion politique. Les débats se sont tenus, la plupart du temps, dans des salles polyvalentes, des salles municipales ou dans le bureau d'accueil des mairies, où des « cahiers citoyens » se trouvaient à disposition.
Même si cela peut surprendre, je voudrais commencer par rappeler que ce grand débat national a été l'occasion, pour bon nombre de nos concitoyens, de se réapproprier un espace de discussion.
Nos concitoyens aiment la politique ou, plus exactement, ils aiment leur pays. Dans notre vieille nation française, dont on dit souvent, à juste titre, qu'elle est une nation politique, on aime parler politique. Toutefois, observons-le tous ensemble, les espaces où l'on peut échanger, entre concitoyens, sur l'orientation qu'il convient de donner aux affaires du pays ne sont pas si nombreux. Sans doute le rôle et l'importance des partis politiques ont-ils évolué, sans doute la politique locale a-t-elle parfois considérablement « désensibilisé » le débat national, ou déconnecté le débat local de la politique nationale.
Le grand débat a ainsi permis à nos concitoyens d'échanger de nouveau sur ce qu'ils souhaitent et pensent de l'avenir de notre pays. Mes premiers mots seront donc pour remercier les maires de France, qui, avec cet esprit républicain qui les caractérise, ont facilité la tenue du débat. Parfois, ils étaient favorables à l'idée du grand débat ; parfois, ils ne l'étaient pas. Cependant, ils ont considéré qu'il existait un besoin d'expression dans leur commune et ont choisi de l'accompagner. Ils ont voulu faire en sorte que ce grand débat constitue un élément de réponse à la crise que nous connaissions.
De nombreux maires ont pris eux-mêmes la parole, en particulier lors des rencontres qu'ils ont eues avec le Président de la République. Ils ont relayé leurs propres attentes et propositions, ainsi que celles de leurs administrés. Ils ont évoqué les difficultés qu'ils rencontraient dans l'exercice de leur mission, difficultés que nous devons entendre si nous voulons répondre à celles de nos concitoyens.
Je voudrais également adresser aux élus municipaux qui ont dû faire face, samedi après samedi, à une violence intolérable, un message de totale solidarité avec les commerçants et les petites entreprises, auxquels le Gouvernement apporte et apportera son soutien, parce qu'ils ont souffert et souffrent encore des conséquences de comportements inqualifiables. Les scènes de violence que nous avons connues contrastent singulièrement avec le calme et l'écoute qui ont régné durant les trois mois du grand débat et ont fait son succès.
En effet, lorsque l'idée de ce grand débat a émergé, dans le cadre d'un dialogue mené avec nos concitoyens, les associations d'élus, les organisations syndicales et patronales et les associations en général, beaucoup pensaient que le débat ne pourrait pas se tenir compte tenu de l'effervescence du pays. Ils craignaient de transférer la tension des ronds-points dans les salles municipales, ce qui aurait été la pire des choses à faire.
J'observe, mesdames, messieurs les sénateurs, en m'en réjouissant, que nos concitoyens ont su, pendant trois mois, discuter et débattre avec une qualité d'écoute et de respect des positions des uns et des autres tout à fait remarquable. Je rappelle à quel point une telle attitude tranche avec les comportements que nous observons et déplorons, samedi après samedi.
Avec près de 1,5 million de participants, ce grand débat s'est apparenté à un exercice inédit. Quels que soient nos accords ou nos désaccords, nous pouvons saluer ensemble l'image d'une démocratie vivante, innovante et respectueuse.
Toutefois, l'expression de ce respect a été précédée par celle de la colère. Cette dernière est née à la suite de la hausse d'une taxe, qui s'est ajoutée à une hausse du prix des carburants.
M. Jean-François Husson. On vous l'avait dit !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Au-delà, la crise a surtout été l'expression d'un profond malaise que nul sur ces travées n'ignore, car il vient de loin, s'amplifiant au fil des années, des élections et des quinquennats.
Les causes en sont nombreuses. La première, c'est la baisse du pouvoir d'achat de nombre de nos concitoyens depuis la crise financière de 2008, crise dont nous subissons encore, dix ans après, les effets : la dette s'est accrue, le chômage a progressé, la croissance a stagné et les impôts n'ont cessé d'augmenter. (Eh oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
La deuxième cause, c'est la conviction terrible, pour des millions de Français, que leurs enfants vivront moins bien qu'eux, que les inégalités s'accroissent, se figent et se transmettent, que la réussite de leurs enfants dépend plus du milieu de naissance ou du lieu de résidence que des mérites propres de chacun et que, à l'égalité des chances, notre société aurait peu à peu substitué l'inégalité des destins.
Enfin, la dernière cause de cette colère, c'est un éloignement, même si ce terme n'exprime pas toute la réalité du phénomène. Il s'agit d'un éloignement géographique, bien sûr, parce que, ici ou là, des lignes de train ont fermé ; ici ou là, des routes estimées nécessaires n'ont pas été construites ; ici ou là, des médecins n'ont pas été remplacés ; ici ou là, des services publics ont été fermés ou ont déménagé. Enfin, nos modes de vie, nos règles d'urbanisme, nos choix publics, mesdames, messieurs les sénateurs, y compris les choix locaux, ont contribué à l'étalement urbain, à la dé-densification des centres-villes et à leur désertification commerciale. Bien évidemment, il est plus facile d'apprécier l'opportunité de certains choix publics trente ans ou quarante ans plus tard. Néanmoins, nous pouvons le reconnaître, l'urbanisme commercial qui a prévalu en France a contribué à créer les problèmes auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés.
Outre l'éloignement physique, nos concitoyens ont souvent le sentiment que ceux qui décident pour eux sont loin d'eux, à la fois différents et indifférents.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces causes ne sont pas, selon moi, propres à la France. En revanche, la forme prise par la colère lui est propre, notre pays étant, comme le disait M. Claude Malhuret en décembre à cette tribune, « le plus révolutionnaire des pays conservateurs ». (M. Emmanuel Capus applaudit.) On retrouve en effet ces mêmes causes à l'oeuvre au Royaume-Uni, en Italie et peut-être même aux États-Unis. Parce que ces causes n'ont pas disparu et parce que nous avons engagé un certain nombre de réformes, parfois en suscitant des malentendus ou des oppositions, les Français ont exprimé leur colère.
Cette colère, c'est celle de citoyens qui, par pudeur, parce qu'ils estimaient que certains vivaient des situations encore plus difficiles, avaient pris l'habitude de taire leur ressentiment, d'encaisser.
Ces citoyens demandent non pas la charité, mais la justice, celle qui permet de vivre et d'élever ses enfants grâce à son travail. Nous avons entendu leur indignation. Nous avons commencé à y répondre en annulant la hausse de la taxe carbone et en corrigeant la hausse de la CSG pour les retraités modestes.
M. Jean-François Husson. Merci le Sénat !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous avons également pris des mesures d'urgence en faveur du pouvoir d'achat, pour que le travail paie davantage. Mais nous avons été au-delà : le Président de la République nous a demandé de prendre le risque d'organiser ce débat, pour expliquer ce que nous faisions, pour rendre des comptes sur le terrain et offrir aux Français la possibilité inédite de s'exprimer dans ces conditions.
M. Jean-François Husson. Un an et demi après son élection !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le grand débat a permis de mettre en lumière un certain nombre de vérités. Avant de les évoquer, permettez-moi de m'arrêter quelques secondes sur l'exercice de restitution qui s'est tenu lundi matin. Dans le rapport qu'ils ont publié hier, les garants ont indiqué que cette restitution avait été « fidèle et loyale ». Cette fidélité et cette loyauté nous permettent d'identifier dans ces matériaux d'une très grande richesse les préoccupations et les attentes de nos concitoyens et de les apprécier dans leurs nuances, ce qui nous aidera à placer le curseur au bon endroit pour répondre à des questions complexes. Par exemple, devons-nous construire une transition écologique fondée sur la norme et l'obligation ou bien sur l'incitation ? Jusqu'à quel point devons-nous numériser les services publics ? Comment pouvons-nous revivifier nos outils démocratiques ?
Les Français ont joué le jeu du grand débat et, par sa qualité, la restitution donne tout son sens, toute son utilité, à leur engagement. Je le disais, ce grand débat a permis de faire ressortir un certain nombre de vérités. Je pense notamment à l'exaspération fiscale qui a gagné notre pays. Je serai très clair, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque je parle d'exaspération fiscale ou de ras-le-bol fiscal, je ne fais pas référence au consentement à l'impôt. Les Français savent qu'ils paient des impôts pour financer des biens communs qui sont indispensables. Leur exaspération fiscale, qu'ils expriment très clairement, est liée non pas à l'idée même de l'impôt, mais à l'augmentation de leurs impôts, à l'augmentation des prélèvements obligatoires qui les frappe directement. Certes, il arrive qu'ils soient moins exaspérés par l'augmentation des impôts concernant d'autres redevables. Néanmoins, ils formulent de façon très claire l'idée que le niveau des prélèvements obligatoires est, à bien des égards, trop élevé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il faut bien le reconnaître, au cours des dix dernières années, si l'on additionne tous les prélèvements, les pouvoirs publics ont choisi de faire supporter aux foyers et entreprises de France une charge supplémentaire de plus de 217 milliards d'euros de 2007 à 2017.
Nous avions conscience de cet état de fait. C'est la raison pour laquelle nous avons voulu baisser les cotisations salariales. C'est également la raison pour laquelle nous avons engagé la suppression de la taxe d'habitation. Sans doute l'avons-nous fait trop lentement et pas assez clairement. Nous avons corrigé ce qui devait l'être.
Je crois que le grand débat nous invite maintenant à aller plus loin dans la baisse des impôts, mais pas à n'importe quel prix. Les Français ont été très clairs s'agissant de la nécessité de ne pas augmenter les impôts et très clairvoyants sur les conditions s'attachant à cette priorité : la baisse des impôts ne doit pas s'effectuer au prix du creusement d'une dette qui est en réalité un impôt pour les générations futures. Nous devons donc baisser la dépense publique, comme nous le faisons depuis deux ans, même si c'est difficile.
Nous avons réduit le déficit public, qui est passé de 3,5 % en 2016 à 2,5 % en 2018, puis à 2,3 % en 2019, si on exclut le coût du basculement du CICE, qui ne sera applicable qu'une seule année. Nous avons réduit, en 2018, les dépenses publiques en volume de 0,3 %, ce qui signifie que, pour la première fois depuis 1970, les dépenses ont progressé moins vite que l'inflation. Nous avons mis en oeuvre cette politique de baisse de la dépense en faisant des choix de politique publique et en les assumant.
M. Michel Savin. Tout va bien !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. La deuxième vérité, c'est l'engagement des Français en faveur de l'environnement. Ils veulent changer, mais sans être pris au piège, sans « opposer la fin du mois et la fin du monde », pour reprendre l'expression du président de la République qui fait florès. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) On peut sans doute relever, dans la façon de mettre en oeuvre la transition écologique, des erreurs de méthode. Mais on ne peut certainement pas reprocher au Gouvernement un manque d'ambition. Nous conserverons donc l'ambition et changerons la méthode, en nous appuyant sur les très nombreuses initiatives observées dans les territoires. Nous le savons, la transition écologique est très souvent une transition locale.
La troisième vérité concerne la manière dont les Français perçoivent leurs institutions et leurs représentants. J'ai parlé hier, à l'Assemblée nationale, d'un mur de défiance et, à certains égards, d'un mur de haine. Si l'on excepte les maires, cette défiance concerne tout le monde, qu'il s'agisse des élus, des syndicats, des hauts fonctionnaires ou des journalistes. Elle s'enracine dans des échecs collectifs. Si j'en prends bien évidemment ma part, reconnaissons ensemble qu'ils sont parfois anciens. (Murmures de protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.) Elle s'enracine aussi dans des pratiques auxquelles les lois sur le financement de la vie politique, puis la loi pour la confiance dans la vie politique de septembre 2017 ont mis fin. Nous devons regarder les choses en face et ne pas oublier.
Même si ces lois font honneur à celles et ceux qui les ont proposées et soutenues, quelle que soit d'ailleurs leur sensibilité, la défiance demeure. Nous allons devoir entamer le long et difficile chemin de la réconciliation des Français avec leurs institutions – je ne parle pas uniquement des institutions politiques – et leurs représentants. De ce point de vue, le grand débat nous invite d'abord à construire une démocratie plus délibérative, parce qu'on ne peut plus discuter de l'avenir du pays uniquement tous les cinq ans, parce que le temps médiatique, politique et social s'accélère, parce que nos compatriotes veulent du respect et de la considération. À l'évidence, l'une des manières de témoigner de ce respect et de cette considération consiste à les associer aux décisions au moment où elles sont prises.
Tous les maires le savent, indépendamment des campagnes municipales, certains projets et événements nécessitent la consultation et le débat avec la population. Cette forme de démocratie existe et se développe au niveau local et produit souvent d'excellents résultats. En vérité, elle reste largement à construire au niveau national, le grand débat nous offre à cet égard de précieux enseignements.
M. Bernard Jomier. Le référendum !
M. Olivier Jacquin. Eh oui !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous devons également renforcer notre démocratie représentative, en la rendant plus représentative, plus transparente et plus efficace. Nous avions fait des propositions en ce sens dans le cadre du projet de révision constitutionnelle. Je regrette que nous n'ayons pu envoyer un signal fort aux Français dès l'été dernier. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) En la matière, il me semble difficile de ne pas entendre le message pour le moins assourdissant que nous adressent nos concitoyens. Le Président de la République y répondra.
La quatrième et dernière vérité concerne nos territoires, et je m'attarderai un peu sur cette question. Le grand débat national a aussi été un grand débat local sur la justice territoriale, l'équilibre à l'intérieur de nos territoires, les relations entre les collectivités et le rôle de l'État. Permettez-moi à cet égard d'évoquer avec vous deux paradoxes qui m'ont particulièrement frappé durant ces trois mois.
Premier paradoxe, la défiance envers l'État, son action et son organisation, est immense. Toutefois, les Français ne cessent de se tourner vers lui, pour lui demander de garantir toujours plus de droits et pour les protéger. La défiance et l'attente sont donc considérables. L'État devrait ainsi proscrire et inciter fortement, alors même que l'appétence des Français pour les normes supplémentaires se révèle assez faible. Ce paradoxe opposant la défiance et l'espérance est sans doute très français. Il appelle de notre part une réflexion dense et profonde.
Deuxième paradoxe, notre République n'a jamais été, dans notre histoire, aussi décentralisée. Jamais les collectivités territoriales n'ont bénéficié d'autant de moyens financiers et humains. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Dans l'histoire de notre République – je ne parle pas seulement de la Ve République –, l'organisation de notre pays n'a jamais été aussi décentralisée, si l'on considère le nombre d'agents publics territoriaux, ainsi que les compétences et les budgets des collectivités territoriales par rapport à l'ensemble des budgets publics. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) C'était vrai voilà deux ans et même voilà cinq ans ! J'espère avoir été clair. Aussi pouvons-nous nous accorder sur l'idée selon laquelle la République est plus décentralisée aujourd'hui qu'elle ne l'était voilà vingt, quarante ou cent ans. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées. – Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Pourtant, nous connaissons aujourd'hui une vraie crise de proximité, à laquelle il faut répondre. Durant ces trois mois, les Français ont exprimé des besoins très précis. Ils veulent pouvoir accéder aux services que l'on pourrait qualifier d'« essentiels » : la santé, l'éducation, le numérique, les transports. Ils ont également exprimé un besoin de simplicité et de proximité dans leurs relations avec les pouvoirs publics.
Quant aux maires, ils souhaitent bénéficier d'une plus grande liberté d'action, fondée sur la confiance de l'État. Ce dernier doit être présent, mais pas omniprésent.
Si ces besoins sont simples à formuler, le défi à relever est immense et les chantiers sont nombreux. Il s'agit tout d'abord de réconcilier les métropoles avec les territoires qui leur sont proches ou un peu plus lointains. Notre pays a réussi l'exploit – c'est une bonne nouvelle – de rééquilibrer la relation entre Paris et ce que l'on appelait la province lorsque j'étais enfant et qu'on désigne désormais sous le terme générique de « région ». Nous avons tous constaté le développement de ces métropoles, qui a été progressif. Ce mouvement puissant a permis de réorganiser le territoire national, grâce à la création d'ensembles urbains comparables aux grandes métropoles européennes et, parfois, mondiales. Ne nous en plaignons pas, il s'agit d'une bonne nouvelle pour notre pays.
Toutefois, n'oublions pas qu'au moment où ce phénomène se réalisait, les territoires éloignés des métropoles subissaient le choc de cette accélération. La relation entre les métropoles et les autres parties du territoire doit à l'évidence être rééquilibrée ou repensée. Dans certaines régions et certains lieux, ce rééquilibrage est plus naturel. Ce n'est pas moi qui le dis, mais les études de flux, les études économiques et les études de solidarité. Ces dernières montrent que, dans un certain nombre d'endroits, la relation entre les métropoles et les territoires qui les entourent est plus harmonieuse que dans d'autres. Il est indispensable, me semble-t-il, si nous voulons répondre à la question de la justice territoriale, que nous sachions imaginer des mécanismes, qui, sans remettre en cause la dynamique des métropoles, soient capables de créer et de développer une telle solidarité. Il s'agit de faire en sorte que les communes, les villes moyennes, les petites villes et les territoires ruraux puissent bénéficier de ce dynamisme.
Nous devrons aussi apporter une réponse s'agissant de la complexité du millefeuille politique et administratif, qui fait l'objet de critiques unanimes et répétées.
Nos concitoyens accordent une prime à la proximité. Plus leurs élus et les fonctionnaires qui font vivre le service public sont proches, plus ils les respectent et leur font confiance.
M. François Grosdidier. C'est pour ça qu'on les retire !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Avec les associations d'élus, nous prendrons des initiatives concernant le fonctionnement des communes et des intercommunalités, l'articulation entre les régions et les départements et le juste équilibre entre l'État central et l'État local. À cet égard, nous devrons également redéployer des fonctionnaires sur le terrain, en leur donnant le pouvoir et les moyens d'agir localement. On gère bien ce que l'on connaît bien, j'ai donc tendance à penser que l'on gère bien ce que l'on connaît de près.
Nous avons commencé à engager ce chantier avec la loi Essoc, la loi pour un État au service d'une société de confiance, que les parlementaires ont beaucoup enrichie. Nous devons à l'évidence aller beaucoup plus loin. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous accélérerons tous les chantiers ayant pour but de garantir à nos territoires les services essentiels que j'évoquais. Je pense au développement du très haut débit pour tous d'ici à 2022. Je me trouvais à Mirande, dans le Gers, le 22 mars dernier, pour faire le point sur la couverture numérique de nos territoires. J'avais eu l'occasion d'évoquer devant vous, au mois de décembre dernier, les tronçons de routes nationales que nous avions décidé de mettre en chantier après parfois plusieurs décennies de pause. Je pourrais également citer le plan Action coeur de ville.
Je m'arrêterai quelques minutes sur trois sujets qui se sont invités dans le grand débat.
Le premier sujet concerne l'avenir de notre système de santé. Si la question n'était pas posée en tant que telle, elle s'est imposée, car les Français considèrent à juste titre qu'elle est essentielle. L'angoisse de nos concitoyens peut se résumer en quelques questions : qui remplacera le médecin de famille qui part à la retraite ? Dans certains territoires, l'âge moyen des médecins tourne autour de soixante-trois ans ou de soixante-cinq ans. (Murmures d'impatience sur les travées du groupe Les Républicains.) Dans quel hôpital accoucher ?
Le deuxième sujet est la prise en charge de la dépendance – il s'est lui aussi imposé pendant le débat. C'est la question des Ehpad et celle de la formation des personnels soignants. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.) Comment protégeons-nous nos aînés ? Quel soutien efficace leur accordons-nous contre les risques de la dépendance ?
M. Michel Raison. On le savait tout ça !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Comment trouvons-nous les justes sources de financement pour diminuer le reste à charge dont doivent s'acquitter ceux qui ne gagnent que le SMIC pour la prise en charge de leurs parents ou de leurs grands-parents ? Ce sont des questions que les Français nous ont adressées.
Le troisième sujet qui s'est imposé dans le débat est celui de l'éducation et de la formation. Les Français nous ont invités à adopter des approches adaptées à la diversité des territoires, qu'il s'agisse des zones rurales ou des quartiers en difficulté. Ils formulent un plaidoyer qui me réjouit, puisqu'il concerne l'apprentissage, que nos concitoyens perçoivent à juste titre comme la meilleure voie d'entrée dans la vie active.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes attachés à la contractualisation, aux solutions sur mesure. Depuis mai 2017, nous avons engagé un grand nombre de contrats territorialisés à l'échelle départementale, avec la Nièvre, avec la Creuse, où je me trouvais le 5 avril, avec les Ardennes, avec le territoire Sambre-Avesnois-Thiérache. Nous avons signé deux contrats d'accessibilité avec les régions Pays de la Loire et Bretagne – le pacte breton engage la région dans la voie de la différenciation. Cette différenciation figurait dans le projet de loi de révision constitutionnelle.
J'ai la conviction que, si l'on veut répondre aux attentes formulées par nos concitoyens, nous allons devoir faire en sorte que les réponses de l'État, et de l'action publique en général, soient mieux adaptées aux spécificités des territoires.
Cela passe – je le disais – par le principe de différenciation, qui était contenu dans le projet de révision constitutionnelle, mais cela passe aussi par la capacité pour l'État, demain, d'accompagner les projets locaux, exactement dans l'esprit de ce que nous avons fait dans la Creuse – la tonalité et les équilibres politiques qui y gouvernent l'action engagée montrent toute la diversité des champs à prendre en compte, mais témoignent aussi de la capacité de l'État, lorsqu'il sort d'une logique normative, de s'adapter aux projets formulés par les territoires eux-mêmes et de les accompagner.
M. Vincent Capo-Canellas. Ah !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Il y a là un exemple qui doit nous inspirer pour la suite.
Un mot, maintenant, mesdames, messieurs les sénateurs, sur quelques sujets qui ont été peu évoqués.
Le chômage a été très peu évoqué pendant le grand débat. Son ombre surplombait, certes, l'ensemble des prises de parole ; mais il a été peu évoqué, de même, d'ailleurs, que les questions d'emploi. Cela traduit sans doute une forme de résignation quant au haut niveau de chômage qui règne depuis longtemps dans notre pays ; or je ne crois pas que nous puissions nous y résigner.
Un deuxième thème a été très peu présent, et ne s'est pas imposé : celui de la défense, du monde et de ses dangers. Il ne s'est pas imposé ; en revanche, lorsque la question a été posée à nos compatriotes de savoir comment ils envisageaient la réduction des dépenses – « où faudrait-il couper ? », leur était-il en substance demandé –, leur première réponse a consisté à dire que nous devions réduire notre effort de défense – leur deuxième réponse a été de proposer une réduction de notre effort en matière de politique du logement.
Je veux le dire : nous n'avons pas fait le choix de réduire nos dépenses en matière de défense, bien au contraire. Le monde dans lequel nous vivons est un monde dangereux. Et je crains – nous pouvons en faire le pari – que ce danger n'ait plutôt tendance à s'accroître au fil du temps. Nous devons savoir nous défendre et défendre nos intérêts, et tout ce qui permet de mobiliser plus de policiers et de magistrats, et de mettre plus de moyens à la disposition de nos armées, est nécessaire pour notre pays – c'est l'engagement que nous avons pris, et nous n'y renoncerons pas.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ces exigences et ces ambitions formulées par les Français nous invitent à corriger la méthode, à prendre en compte de nouvelles priorités, à changer d'échelle, peut-être à accélérer parfois – nous devons le reconnaître.
Sur d'autres points, elles rejoignent des transformations que nous avons engagées. Mais nous devons rendre ces transformations plus claires, ou, en tout cas, nous concentrer sur les mesures les plus efficaces, pour qu'elles puissent bénéficier directement aux Français.
Le Président de la République présentera, le moment venu, ces orientations. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.) Il l'a annoncé : les décisions qu'il rendra publiques seront puissantes et concrètes. (Sourires et exclamations sur les mêmes travées.) Dans certains domaines, il fera état des choix qu'il aura faits ; dans d'autres, il fixera le cap et les éléments de méthode qui nous permettront d'avancer.
Je voudrais conclure sur un point relatif à la méthode. Il est assez facile de reconnaître les consensus qui prévalent chez nos concitoyens. Mais passer du consensus sur le diagnostic, ou même du consensus sur l'objectif, aux compromis démocratiques et aux choix qui font les grandes et les bonnes solutions est un exercice délicat.
Avec les élus locaux, quand il s'agit de l'avenir de nos territoires, avec les organisations syndicales et patronales, quand il s'agit de faire vivre la démocratie sociale, avec les associations, dont le grand débat a rappelé le rôle essentiel dans notre vie citoyenne, avec le Parlement, bien entendu, car rien ne peut se faire de grand ni de durable sans le respect des institutions (Ah ! sur les mêmes travées.), nous ferons en sorte de bâtir ce compromis démocratique qui est indispensable aux réelles et profondes transformations.
Nous serons tous jugés sur notre capacité de construire ensemble ces solutions, dont beaucoup devront être sur mesure, dans la continuité de la République contractuelle voulue par le Président de la République. C'est un très grand défi que nous adressent les Français, avec de très grandes attentes et de très grandes exigences. Il nous appartiendra d'être à la hauteur de ces attentes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. Jean Bizet et Mme Fabienne Keller applaudissent également.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement. Nous allons maintenant procéder au débat sur la déclaration du Gouvernement.
(…)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de remercier l'ensemble des orateurs qui se sont succédé à cette tribune pour la qualité et la mesure de leurs propos.
Les critiques peuvent être vives, mais il me paraît que nous avons eu un échange de qualité. Je le dis, parce que j'ai connu non pas des assemblées, mais des moments où les débats étaient moins respectueux que celui-ci et je voulais en remercier le Sénat.
J'ai peu de choses à ajouter, mesdames, messieurs les sénateurs, à ce qu'a dit avec un immense talent et une très grande lucidité le président Malhuret. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Je voudrais remercier le président Patriat pour son extraordinaire soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Vincent Éblé. C'est vrai que c'est extraordinaire !
M. Martial Bourquin. Il a du courage !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. J'ai appris à mesurer que, lorsque les temps sont difficiles, avoir des soutiens fidèles est quelque chose d'utile ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Et Dieu sait que les temps sont difficiles !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je veux le dire, je me retrouve dans beaucoup des éléments qui viennent d'être développés par le président Marseille.
Permettez-moi d'insister sur quelques mots évoqués par plusieurs des orateurs, notamment sur ce grand débat : était-il vraiment grand ? Était-ce vraiment un débat ? Au fond, faut-il en être fier ou faut-il être méfiant ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais le rappeler, lorsque nous avons commencé à réfléchir à ce que pourrait être ce grand débat, beaucoup de gens doutaient de l'intérêt que lui porteraient les Français. Beaucoup de gens doutaient de la capacité à organiser ce débat dans des conditions d'ordre public satisfaisantes.
Nous avons fait le choix d'une organisation « foisonnante » – le terme a été défini et assumé très tôt. En effet, nous savons parfaitement – certains d'entre vous l'ont dit avec raison – que chaque fois que l'on utilise un moyen, chaque fois que l'on propose à nos concitoyens une façon de s'exprimer, il y a un biais. Oui, bien entendu, dans une réunion où l'on peut prendre publiquement la parole, il y a des gens, c'est vrai, qui viennent plus spontanément que d'autres. Oui, bien sûr, quand on propose à nos concitoyens de s'exprimer par la voie d'une saisie numérique, certains y vont assez spontanément et d'autres n'ont ni l'accès à cet instrument ni l'envie de s'en saisir.
De même, nous savons aussi, parfaitement, dans toutes nos communes, que, lorsque nous mettons à la disposition de nos concitoyens un cahier dans le hall de la mairie pour qu'ils viennent y écrire, se saisir de cet instrument, certains d'entre eux ne viendront jamais y rédiger quoi que ce soit.
C'est bien parce que nous savons tout cela que nous avons souhaité que les voies d'accès au grand débat soient les plus diversifiées possible, de façon à réduire, globalement, les biais.
Je crois que c'est ce que nous ont dit les garants du grand débat, même si je ne veux pas parler pour eux – je salue à cette occasion l'un de ces garants, qui est présent dans vos tribunes. Ils nous ont dit, si je ne me trompe, que la volonté d'organiser ce débat de façon foisonnante avait permis, en quelque sorte, de lui donner réalité et intérêt.
Je veux évoquer à présent un deuxième élément.
Nous avons tous, dans cette enceinte, organisé des réunions publiques, du moins localement. Parfois, nous avons été chargés d'opérations ou de campagnes nationales. Nous savons, bien sûr, ce qu'implique l'organisation d'une, de cinq, de dix réunions. Or, en deux mois, plus de dix mille réunions se sont tenues ! Plus de dix mille ! Elles se sont tenues dans de grandes villes comme dans de toutes petites communes. Elles ont pu réunir trente personnes comme cinq cents personnes. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ces dix mille réunions traduisent une mobilisation qu'on peut saluer : un très grand nombre de Français s'y sont rendus. J'insiste, parce que deux millions de Français qui s'expriment…
M. Laurent Duplomb. Sur quarante millions d'électeurs !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … sont au moins aussi légitimes, et probablement plus encore, que trente mille personnes qui, le samedi après-midi, viennent manifester avec pour seule revendication la violence.
Il me semble que nous devons à tout le moins assumer le fait que nos concitoyens ont voulu se saisir d'un espace démocratique pour dire ce qu'ils souhaitaient. Cela a été, de ce point de vue – je le dis et je l'assume –, un grand succès.
Je suis pleinement en accord avec le président Retailleau quand il déclare son attachement aux institutions de la Ve République. J'y suis tout autant attaché que lui. Ces institutions prévoient que le Président de la République a un rôle éminent, qu'il est la clé de voûte des institutions ; il lui reviendra donc d'annoncer les décisions prises à l'issue de ce grand débat. Cela suscite de très grandes attentes ; j'ai entendu le sénateur Adnot affirmer qu'il n'avait pour sa part que des espoirs limités, et c'est la seule différence que j'ai avec lui : pour ma part, ces espoirs sont immenses !
Je voudrais par ailleurs indiquer mon désaccord avec une formule qu'a employée le président Retailleau, ou plus exactement avec la façon dont il interprète la politique que nous avons conduite. Nous devrions, selon lui, placer le travail au coeur de notre politique ; mais, monsieur le président Retailleau, c'est très exactement ce que nous faisons ! Cette ambition est au coeur même de l'engagement du Gouvernement et de la majorité de l'Assemblée nationale : nous entendons faire en sorte que le travail paie plus, et en tout cas plus que l'inactivité ; nous voulons faire en sorte, au travers de toutes les réformes que nous menons, qu'il s'agisse des ordonnances relatives au droit du travail ou de l'assurance chômage, que l'activité et le retour à l'activité soient systématiquement plus rémunérateurs et plus avantageux que la non-activité. Nous sommes en effet convaincus qu'une société s'élève par le travail et que l'épanouissement individuel passe lui aussi par le travail.
Vous avez rappelé, monsieur le président Retailleau, que j'ai eu l'honneur d'être maire d'une grande et belle commune, celle du Havre. Je vous en remercie : je ne l'ai pas oublié du tout, et je ne crois pas que je pourrais un jour l'oublier. J'ai d'ailleurs un souvenir si clair de la période où j'ai été maire que je me souviens bien d'un certain nombre d'événements qui l'ont ponctuée. J'ai le souvenir d'une réforme, adoptée, si je ne m'abuse, en décembre 2010, dont l'objet était d'inciter et, parfois, d'obliger – vous le savez parfaitement – les communes à se regrouper dans des intercommunalités.
M. Michel Amiel. Eh oui !
M. Bruno Retailleau. Cinq mille habitants !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Convenez avec moi que certaines communes regrettent aujourd'hui ces regroupements forcés. Peut-être ne regrettent-elles que ceux qui sont intervenus plus tard, mais quelque chose me laisse à penser que le mouvement avait été engagé alors. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
De même, je me souviens de la réforme d'août 2015. La façon dont le pouvoir central a, cette fois-là, envisagé la réorganisation territoriale me semble assez éloignée de ce que nous avons nous-mêmes déclaré : la nécessité de ne pas procéder à des big bang…
M. Bruno Retailleau. C'est vrai !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … et de respecter les communes et les intercommunalités, afin de leur laisser le temps, si vous me pardonnez l'expression, de « digérer » les transformations massives et, parfois, brutales qui leur avaient été imposées dans les années précédentes. Je le rappelle très respectueusement au président Kanner aussi, parce que je me souviens bien de cette réforme.
De la même façon, monsieur le président Kanner, lorsque vous affirmez que l'attitude du Gouvernement à l'égard du financement des collectivités territoriales est anxiogène, là encore, ma mémoire ne m'a pas encore fait défaut. Je me souviens de l'annonce, une semaine après les élections municipales de 2014, d'une diminution massive et régulière des subventions aux collectivités territoriales. Je m'en souviens parfaitement : ce n'était pas anxiogène, monsieur le président Kanner ; c'était mortifère ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.) Je m'en souviens bien ; vous aussi, j'en suis sûr.
Après des années de diminution massive de la DGF, nous avons fait le choix, que nous assumons, d'arrêter cette pente mortifère. Quant aux dotations qui ont été notifiées à l'ensemble des communes cette année…
M. Martial Bourquin. Elles baissent encore !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Pas du tout ! Elles sont marquées par une très grande stabilité, et elles augmentent même ; vous le savez parfaitement. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Je voudrais à présent remercier le président Requier de ses encouragements et de la profondeur de jugement dont il a fait preuve lorsqu'il a relevé l'ancienneté de la colère et de ses causes et qu'il a souligné ce que nous savons tous, à savoir le caractère contradictoire d'un certain nombre d'expressions des Français.
Le consensus peut intervenir sur des objectifs généraux, il peut intervenir sur des sujets précis, mais notre pays n'est pas un pays de consensus : c'est un pays de débats, c'est un pays d'oppositions. Au fond, c'est ainsi qu'on l'aime ! Ce ne serait pas une démocratie, ce ne serait certainement pas notre République s'il venait à changer.
Il serait intéressant – vous l'avez dit, monsieur le président Requier – de faire en sorte que, sur les éléments de consensus, nous soyons capables de construire les compromis démocratiques qui s'imposent. Je veux insister sur cette expression, qui a beaucoup à voir avec la méthode à employer.
M. le président Kanner nous a indiqué qu'il souhaitait de grandes conférences. Certes, elles sont souvent utiles, mais je ne crois pas que le renvoi à une grande conférence soit de nature à répondre, à lui seul, aux exigences et aux demandes que les Français ont exprimées pendant le grand débat. J'ai le souvenir, là encore, de grandes conférences qui, au fond, n'ont pas débouché sur des solutions majeures.
Je suis toutefois convaincu, avec vous, sans doute, monsieur le président Kanner, et avec beaucoup d'entre nous, que, pour aboutir à ces compromis, nous devons travailler non seulement, bien entendu, avec les parlementaires, mais aussi avec les corps intermédiaires…
M. Patrick Kanner. Enfin !
M. Martial Bourquin. Ils existent !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … pour élaborer ce qui pourra ensuite être mis en oeuvre, dans le temps, avec constance et soutien.
Cet exercice prend du temps ; c'est un fait. Il est assez largement contraire aux exigences médiatiques de notre époque. Lorsque nous travaillerons à l'élaboration de compromis démocratiques, nous le ferons sous la pression et face à l'insatisfaction de ceux qui nous observent. Nous le savons tous ici. Pourtant, je suis convaincu que nous devrons construire ces compromis et travailler avec les corps intermédiaires pour atteindre les objectifs qui ont été exprimés par les Français et que définira le Président de la République le moment venu.
M. Rachid Temal. Ah ! Tout passe toujours par le Président !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie encore une fois. Je répondrai volontiers à l'invitation que vous m'avez adressée afin que nous ayons une discussion sur les compromis à faire et les solutions retenues, après que le Président de la République se sera exprimé. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
Mme Laurence Cohen. Vous n'avez pas répondu à Éliane Assassi !
M. le président. Monsieur le Premier ministre, si vous voulez reprendre la parole pour compléter votre réponse, je vous en prie !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, je vous remercie mille fois : vous me permettez de corriger…
Mme Laurence Cohen. Une erreur !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … plus qu'une erreur, une faute. J'ai en effet oublié d'évoquer l'intervention de Mme la présidente Assassi, sinon pour la remercier en termes généraux, et je m'en veux.
Je voudrais la remercier de son discours vigoureux, qui ne m'a pas surpris du tout.
M. Gérard Longuet. Nous non plus !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cela n'a surpris personne ici. (Sourires.)
Je voudrais vous dire, madame la présidente Assassi, que je pensais aussi à votre intervention quand j'ai déclaré que nous avions eu un réel grand débat et que cela a été un grand succès. Je ne suis toutefois pas sûr que vous partagiez cette opinion.
Je voudrais aussi revenir sur la question de la conjugaison entre la démocratie représentative et d'autres formes de démocratie qui sont nécessaires, telles que la participation et, peut-être, l'expression directe. Vous avez évoqué le pouvoir et les masses. Le pouvoir est dans les masses, comme disait un responsable chinois à une certaine époque.
Mme Éliane Assassi. Non, Karl Marx !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cela a été repris.
Sur ce sujet, nous allons aborder des éléments qui sont compliqués. En effet, si nous voulons défendre la démocratie représentative – et nous devons la défendre en permanence ! –, nous devons lui donner le dernier mot, mais nous devons aussi lui permettre d'entendre d'autres paroles et de se nourrir d'autre chose que de sa seule expression. C'est une question de conjugaison : l'équilibre est difficile, il est délicat.
Nous aurons l'occasion d'en redire un mot, madame la présidente Assassi, notamment à propos de l'initiative qui a été prise récemment en matière de référendum d'initiative partagée. Le texte qui fait l'objet de cette initiative a lui aussi fait l'objet d'un très long débat à l'Assemblée nationale et au Sénat. Défendre la démocratie représentative, dans ce contexte, prendra donc, à mes yeux, une dimension très particulière, mais je suis certain, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous aurons l'occasion d'en reparler. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Emmanuel Capus et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
Débat interactif
M. le président. La conférence des présidents a fixé les modalités de ce débat interactif. Chaque orateur disposera d'une minute et trente secondes – je serai intraitable – pour poser sa question. Le Gouvernement disposera de la même durée pour apporter sa réponse – je serai non moins intraitable.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. S'il y a un sujet que la crise des « gilets jaunes » a remis en lumière, c'est bien celui de notre modèle social.
Les Français ont manifesté leur mécontentement et leurs inquiétudes. Aujourd'hui, notre modèle social, qui était la base de notre pacte national, est attaqué de toutes parts. Son financement est déséquilibré : certains paient toujours plus, car la base contributive diminue sans cesse du fait du vieillissement de la population et du chômage. Pourtant, les besoins n'ont jamais été aussi forts. Les attentes exprimées lors du grand débat national sont importantes.
La paupérisation de ceux qui ont travaillé toute leur vie n'est ni digne ni tolérable. La régulation des soins par la pénurie ne l'est pas non plus. Lorsqu'on évoque les grands sujets que sont la dépendance ou le handicap, le financement est renvoyé à plus tard.
Madame la ministre des solidarités et de la santé, pensez-vous toujours pouvoir faire en sorte que les Français puissent bénéficier d'un haut niveau de solidarité ? Les premières mesures portées par le Gouvernement concernant les retraités et la santé ne vont pas forcément dans ce sens. Or le Gouvernement ne sortira de la crise que si elle est l'occasion, pour lui, de faire oeuvre de vérité. Cela passe par la valeur travail, et non par l'augmentation de la dette et des déficits. La valeur travail est essentielle, nous devons la porter ; c'est là l'enjeu.
Dès lors, ma question est la suivante : le Gouvernement est-il prêt à porter ce discours sur le travail et à se poser des questions autour des 35 heures et de l'âge de départ à la retraite, de manière à éviter que ses annonces ne relèvent que de la communication, au détriment de notre modèle social ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur. Il est effectivement très important de rassurer les Français sur notre modèle social. Il est exceptionnel, c'est notre bien commun, et nous ne souhaitons en aucun cas le dégrader ; nous avons même l'ambition de l'améliorer encore, par la couverture d'un nouveau risque dont nous avons largement parlé et qui a émergé du grand débat : celui du grand âge, de la perte d'autonomie et de la dépendance. Cela recouvre les problèmes de nos Ehpad et des professionnels qui y travaillent.
Nous avons le devoir d'affronter en face la réalité d'une population qui vieillit et qui va avoir des besoins supplémentaires. Il s'agit de besoins liés à la dépendance, mais aussi de besoins de santé ; en effet, eux aussi augmentent.
Je ne peux pas, à cet égard, vous laisser dire qu'il y a en ce domaine une dégradation des soins ou une gestion par la pénurie. Un tel choix a certes été fait dans les années 1990 : on a alors réduit le nombre de médecins pour résorber la dette de la sécurité sociale. On en voit le résultat aujourd'hui ! Ce n'est pas le modèle que nous choisissons : nous allons, par notre réforme de la santé, ouvrir le numerus clausus et augmenter les dépenses de santé pour répondre aux besoins. C'est ce que traduit déjà le taux de 2,5 % auquel nous avons fixé cette année l'Ondam.
Je peux donc rassurer les Français : nous sommes en chemin pour améliorer la protection sociale. Les retraites et la branche famille sont à l'équilibre, la branche maladie l'est presque. La dépendance sera un enjeu que nous couvrirons ! (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Le prix du livre des députés – pardonnez-moi, mes chers collègues (Sourires.) – a été décerné à Pierre-Henri Tavoillot pour son ouvrage Comment gouverner un peuple-roi ? Il aurait peut-être aussi pu s'intituler Comment gouverner un individu-roi ? Pour ma part, je souhaite poser la question suivante : comment gouverner le numérique-roi ? Certains orateurs, notamment Claude Malhuret, ont déjà fait allusion à cet enjeu.
Le mouvement des « gilets jaunes » traduit une fracture territoriale liée aux conséquences de la numérisation de l'économie. Celle-ci favorise les métropoles, lesquelles ont du mal à loger les travailleurs qu'elles attirent, au détriment d'autres territoires qui souffrent.
Le numérique, c'est ce que nous avons tous dans nos poches, avec le smartphone. C'est ce qui permet le traitement massif des données, la géolocalisation, la création de services en permanence, mais aussi l'interaction directe sur les réseaux sociaux. On l'a bien vu : vidéos, pétitions, appels à manifester de façon masquée, tout cela représente une révolution qui a, elle aussi, rendu possible le mouvement des « gilets jaunes » tel qu'il s'est déroulé.
Alors, comment mener des politiques publiques dans un monde numérique ? Comment faire que cet outil, dont certains craignent qu'il puisse parfois s'avérer cauchemardesque, réponde aussi à un certain rêve et représente, au niveau local comme au niveau national, un levier permettant d'inventer une nouvelle façon de faire de la politique ? Bref, comment l'utiliser pour rêver tous ensemble ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du numérique, dont c'est la première prise de parole dans notre hémicycle. Je lui souhaite la bienvenue. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Je vous remercie de votre accueil, monsieur le président.
Il est certain que le numérique peut être un outil utile au service de la démocratie. C'est d'ailleurs ce qu'on constate dans les collectivités territoriales, qui ont en la matière une longueur d'avance sur l'État. Il peut s'avérer utile, parce qu'il permet d'associer un certain nombre de citoyens, en libérant la parole de certains, qui auraient eu du mal à s'exprimer dans d'autres cénacles.
Deux prérequis sont néanmoins nécessaires pour que cela fonctionne. D'abord, certaines règles doivent encadrer cette expression : des règles de décence et d'expression normale, des règles qui peuvent être liées à la manipulation de l'information. Il faut faire en sorte que les règles qui s'appliquent dans la vie de tous les jours s'appliquent aussi sur internet. Ensuite, pour qu'internet soit un outil au service de la démocratie, encore faut-il que les gens y aient accès ! Il faut donc réduire la fracture numérique, qui s'est creusée depuis quelques années dans notre pays. C'est notamment la mission que se sont assignée Jacqueline Gourault et Julien Denormandie, de manière à ce que tous nos territoires puissent bénéficier d'un bon débit.
Il convient également d'organiser la présence de l'État dans les territoires afin de donner accès à ces outils numériques, de former les gens qui ne savent aujourd'hui se servir ni d'un clavier ni d'une souris ; ils sont beaucoup plus nombreux qu'on ne peut le penser.
Ainsi, in fine, internet sera un outil au service de la démocratie, mais il est nécessaire pour cela que l'État pose le cadre. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Julien Bargeton. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Depuis plus de cinq mois, les citoyennes et les citoyens de ce pays se mobilisent contre une mesure fiscale injuste. Nos compatriotes nous disent que l'impôt doit être juste et progressif. Ils nous interpellent notamment sur l'ISF et sur la TVA, sujets qui ont été totalement absents de votre intervention devant nous, monsieur le Premier ministre. Les Françaises et les Français veulent le retour de l'ISF ; ils ont raison !
Mme Élisabeth Lamure. Non !
M. Pascal Savoldelli. Vous faites un cadeau aux plus riches et vous privez le budget de l'État de 3,2 milliards d'euros. Surtout, ne nous dites pas que l'IFI que vous proposez fera oeuvre de justice sociale ! En effet, 80 % du patrimoine des ménages les plus aisés est composé de capital mobilier. Les richesses d'aujourd'hui, ce ne sont plus l'usine à papa et les grands domaines ; ce sont des sommes immenses, des actions, des obligations volatiles qui s'accumulent dans les poches de quelques-uns, particulièrement à l'heure du numérique. Monsieur le Premier ministre, allez-vous écouter les Français et enfin rétablir l'ISF ?
Alors qu'il n'était que candidat, votre ami Emmanuel Macron déclarait : « La TVA, c'est injuste. » Pour ma part, je pense à Corinne, ma concitoyenne d'Ivry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne. Elle me demande de vous interpeller, parce que des produits aussi importants que le savon, le dentifrice ou les pâtes sont trop chers. C'est aussi le cas des protections hygiéniques, taxées à 5,5 %. Les femmes sont contraintes à un nombre de dépenses considérablement plus élevé et vivent avec 20 % de salaire en moins !
Monsieur le Premier ministre, fixer à 0 % le taux de la TVA sur les produits de première nécessité n'est pas seulement, pour reprendre votre propos, intellectuellement possible ; c'est urgent ! Que répondez-vous à Corinne et, à travers elle, à l'ensemble des citoyens de ce pays ?
M. le président. Il faut conclure !
M. Pascal Savoldelli. Comptez-vous donner un calendrier pour la réalisation de cette mesure, demande incessante de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. La première mesure de justice fiscale, quand on voit le niveau d'imposition dans notre pays, consiste à baisser les impôts. C'est ce que Gérald Darmanin et moi-même avons commencé à faire, avec le Premier ministre et le Président de la République.
Mme Éliane Assassi. Pour les riches !
M. Bruno Le Maire, ministre. Depuis dix ans, en France, les impôts ont augmenté en moyenne de 10 milliards d'euros par an. Ils n'ont cessé d'augmenter, pour les ménages, de manière continue, de 2009 à 2017. Pour les entreprises, c'est un peu différent : à partir de 2014, le CICE les a fait diminuer.
Notre politique, c'est de récompenser le travail. Nous avons donc voulu baisser les impôts, en particulier pour les personnes qui travaillent : suppression des cotisations d'assurance maladie et d'assurance chômage, défiscalisation des heures supplémentaires, tout ce qui permet de dire aux Français qui travaillent qu'ils vivront mieux de leur travail.
Mme Éliane Assassi. L'ISF n'a rien à voir avec le travail !
M. Bruno Le Maire, ministre. C'est ce que j'ai engagé avec Gérald Darmanin.
Le Premier ministre l'a indiqué : nous souhaitons baisser davantage les impôts et, pour cela, baisser davantage la dépense publique.
M. Pascal Savoldelli. Il faut répondre à la question !
M. Bruno Le Maire, ministre. S'agissant de la TVA, je vous répondrai avec beaucoup de simplicité : aujourd'hui, l'intégralité des produits de première nécessité est taxée au taux le plus bas, soit 5,5 %. Faut-il aller plus loin ? (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
J'ai parfaitement entendu les demandes qui ont pu s'exprimer au cours du débat. Reste que baisser la TVA coûte très cher aux finances publiques et ne représente que quelques centimes d'euro de plus dans le porte-monnaie des Français.
M. Pascal Savoldelli. Oui ou non ?
Mme Sophie Primas. Ça ne sert à rien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je ne suis pas certain que ce soit le meilleur moyen de redonner du pouvoir d'achat aux Français…
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre : vous faites de la TVA sur le temps ! (Sourires.)
M. Bruno Le Maire, ministre. … et de mieux rémunérer le travail en espèces sonnantes et trébuchantes.
Mme Laurence Cohen. Et rien sur l'ISF ?
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville.
Mme Angèle Préville. Ce que nos concitoyens demandent, c'est d'être en mesure de vivre décemment de leur travail, c'est de ne pas avoir à compter chaque euro lorsqu'ils remplissent leur caddie, c'est de ne pas être tous les mois systématiquement à découvert, c'est de ne pas s'endetter pour payer des factures liées au logement et à l'électricité, c'est de ne pas avoir à renoncer aux loisirs.
Les inégalités sociales se creusent et sont le reflet d'un partage des richesses profondément injuste. Les mobilisations citoyennes que nous connaissons depuis plusieurs mois parlent d'elles-mêmes. La réponse que le Gouvernement doit apporter à ces mouvements sociaux inédits consiste à résoudre l'équation de l'impératif de justice sociale et du défi de la transition énergétique.
Aujourd'hui, 8,8 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec 1 026 euros par mois. Dès lors, comment vivre dignement et comment exiger de ces Français une participation aux défis qui s'imposent aux décideurs, alors qu'ils sont écrasés par les dépenses liées au logement ?
Les locataires modestes sont les premières victimes des coupes budgétaires sur les allocations logement et de la hausse du prix de l'électricité qui s'annonce. Ils subissent une double peine : l'impossibilité de s'acquitter des dépenses courantes et une assignation à des logements moins-disants et plus énergivores. Ainsi, 7,4 millions de foyers vivent dans des logements mal isolés, ils subissent les conséquences d'un marché insuffisamment réglementé et supportent des dépenses qui devraient être à la charge du bailleur.
La justice consiste à anticiper les problèmes et non pas à panser les plaies d'une société encore trop inégalitaire. Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages et venir en aide aux familles les plus en difficulté ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la ville et du logement.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Le logement en France est un problème essentiel : il peut représenter jusqu'à 40 % à 50 % des dépenses mensuelles d'un ménage.
Mme Angèle Préville. Oui !
M. Julien Denormandie, ministre. Il faut donc agir sur deux plans.
D'une part, il faut absolument ancrer notre politique vers plus de logements abordables en en construisant plus et en faisant en sorte que l'accent soit mis sur les logements accessibles. Je pense aux logements intermédiaires, aux logements sociaux et, au sein de cette dernière catégorie, aux logements très sociaux plutôt qu'à ceux de la tranche la plus haute, problématique que vous connaissez très bien, madame la sénatrice.
D'autre part, il faut faire baisser le niveau des charges liées aux logements. L'efficacité énergétique est l'un de ces éléments. Aujourd'hui, des aides existent pour accompagner les ménages et leur permettre d'adapter leur logement, mais elles sont si nombreuses que l'on s'y perd. J'ai demandé à mes services d'en dresser la liste sur une page : ils sont revenus, quarante-huit heures après, avec un document de quatre pages ; or ces aides étaient toutes plus nécessaires les unes que les autres.
En fait, on demande à nos concitoyens de s'adapter à la complexité des aides que l'on a inventées année après année. Cela n'est plus possible : c'est aussi ce message que nous envoient aujourd'hui les Français. C'est pourquoi le ministre d'État, François de Rugy, et moi-même avons pris en compte cette contrainte et décidé que ce serait à l'État, aux entreprises et aux agences de simplifier ces aides.
M. le président. Il faut conclure !
M. Julien Denormandie, ministre. Nous avons donc lancé la plateforme www.faire.fr, accessible aussi au 0 808 800 700, qui aide nos concitoyens à se retrouver dans la complexité des aides. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Depuis la royauté, la France s'enorgueillit d'accorder l'asile à tous les persécutés. Depuis la République, elle conduit une politique d'assimilation, puis d'intégration, pour que les nouveaux arrivants participent à l'unité de la Nation et s'approprient les principes de la République. Or ces deux modèles sont à bout de souffle. Le droit d'asile est détourné par des filières d'immigration économique ou sanitaire et l'intégration des nouveaux arrivants se heurte au problème du nombre et du communautarisme, qui s'oppose aux principes républicains.
Le Sénat a adressé plusieurs propositions au Gouvernement, pour réformer le droit d'asile, mieux maîtriser l'immigration, mieux intégrer par une politique de quotas, une politique européenne plus affirmée, une politique de contrôle des frontières et un ensemble de mesures garantissant que les étrangers qui arrivent en France respectent les droits et devoirs de la République. En contrepartie, nous mettrions les moyens de les intégrer, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Monsieur le Premier ministre, défendre la République, c'est aussi défendre l'unité de la Nation et cette vision de la société française. Allez-vous oui ou non mettre en place une politique ferme, mais juste, qui intègre sans faire courir de risques à la République ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur Karoutchi, l'asile, que vous avez replacé dans sa dimension historique, fait la singularité de la France, au-delà des clivages politiques, et protège ceux qui ont besoin de l'être.
Vous avez établi une distinction entre les migrants économiques et les réfugiés. C'est essentiel, car cela nous permet d'avoir une politique ferme envers celles et ceux qui n'ont pas vocation à venir ou à rester en France et généreuse aux fins d'intégrer les autres.
Je partage votre opinion sur celles et ceux qui ont besoin d'être protégés. Pendant trop longtemps, nous nous sommes opposés, selon les clans politiques, sur la question du nombre sans jamais nous préoccuper de savoir si cette intégration était réussie. Avons-nous réussi l'intégration ces trente dernières années ? La réponse est clairement non.
L'année dernière, près de 36 000 personnes se sont vu accorder le statut de réfugié par la France. Il nous faut nous donner les moyens de garantir cette intégration. Cela passe d'abord par l'apprentissage et la maîtrise de la langue française, essentiels pour éviter le repli sur soi et le communautarisme, que vous avez dénoncé et que je dénonce bien volontiers avec vous.
Depuis le 1er mars dernier, nous avons doublé le nombre d'heures de français financées pour que, dans certains cas, jusqu'à 600 heures puissent être dispensées.
M. le président. Il faut conclure !
M. Christophe Castaner, ministre. Cela représente une augmentation du budget, qui a été votée, de 37 % pour l'intégration, soit une hausse de 137 millions d'euros pour atteindre les objectifs fixés.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Depuis le mois de novembre dernier, le mouvement des « gilets jaunes » a rendu visible la défiance que nos concitoyens nourrissent à l'égard de nos mécanismes démocratiques. Animés par le sentiment d'être déconnectés de l'élaboration des politiques publiques, ils s'insurgent aux fins d'être plus régulièrement consultés et intégrés dans le process des décisions.
Dans le grand débat national, le Gouvernement a confié à près de 700 médiateurs, facilitateurs de parole, la lourde tâche de transformer une contestation violente en une concertation constructive, la responsabilité d'animer et de réguler au plus près du terrain ces participations de citoyens aspirant à devenir bien plus que de simples administrés.
Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Nous disposons d'outils originaux qui ne demandent qu'à être développés, notamment les médiateurs territoriaux, qui constituent souvent le maillon manquant entre les administrations locales et leurs résidents. C'est pour cette raison que, avec des collègues du RDSE et au nom de 57 sénateurs de différentes sensibilités politiques de la Haute Assemblée, j'ai déposé une proposition de loi visant à instituer un médiateur territorial dans certaines collectivités territoriales. Ce texte sera prochainement examiné dans le cadre d'une niche parlementaire.
Monsieur le Premier ministre, êtes-vous prêt à engager votre gouvernement et votre majorité en soutenant cette démarche et en émettant un avis favorable sur cette proposition de loi, qui a pour seule ambition de renforcer nos outils locaux de proximité ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Delattre, vous posez la question de l'importance de la citoyenneté dans notre démocratie et de la façon d'en accentuer la vitalité de l'exercice. La question de la citoyenneté est essentielle depuis 1789, et notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen l'instaure pour la première fois pleinement. Depuis, elle s'est exercée diversement, mais de manière toujours manifeste dans notre démocratie.
Ce qui vient de se passer ces derniers mois dans notre pays témoigne de la volonté de revivifier l'expression de la citoyenneté. Cela peut se faire de mille et une manières, par exemple en associant des citoyens au principe de l'élaboration de la loi ou de l'évaluation des textes ; cela peut se faire à l'échelon national ou local, ainsi que vous nous le suggérez avec votre proposition de loi.
Il nous faut engager un travail pour instiller des éléments de démocratie participative dans notre vie politique et dans notre vie démocratique. Cela peut prendre différentes formes. Celle que vous proposez en est une, même si je ne sais pas si cela doit être imposé par la loi – en tout cas, cette pratique mérite d'être développée.
L'important, me semble-t-il, est que, comme le précise la dernière phrase du préambule de la déclaration de 1789, « les réclamations des citoyens, […], tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous ».
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Hervé Maurey. La crise dite des « gilets jaunes » a été déclenchée par une hausse de la fiscalité écologique : la taxe carbone. Cette hausse forte, trop forte, n'a été ni expliquée à nos concitoyens ni accompagnée socialement ou territorialement. Elle était destinée non pas à assurer la transition écologique ou à aider les collectivités en la matière, mais uniquement à remplir les caisses de l'État.
Très tôt, nous avons appelé l'attention du Gouvernement sur le fait que cette approche n'était pas bonne. Très vite, nous avons rappelé que la fiscalité écologique devait être incitative et non punitive et demandé que cette mesure soit suspendue. Malheureusement, on ne nous a pas écoutés, et il a finalement fallu renoncer purement et simplement à cette hausse. Ce n'était plus suffisant pour calmer la colère populaire : on le sait très bien, en cas d'incendie, plus on tarde à intervenir, plus il est difficile d'être efficace.
Ma question est très simple : à la lumière de cet épisode et des propos de M. le Premier ministre et face à l'exaspération fiscale, dans la mesure où certains pays ont réussi à mettre en place une fiscalité écologique acceptée et efficace, quelle est la vision du Gouvernement sur l'avenir de la fiscalité écologique, sans laquelle il ne peut y avoir de véritable transition écologique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, je répondrai à votre question en tirant les leçons non seulement de ce grand débat, mais aussi de la crise qui l'a précédé.
Je ne partage pas votre analyse. La crise a été déclenchée non par la fiscalité écologique, mais par les prix du pétrole à la pompe. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Alors, on n'a rien compris !
M. François de Rugy, ministre d'État. Je vous rappelle que la crise a démarré au mois d'octobre, alors que la fiscalité n'avait pas encore augmenté. Vous le savez bien, la fiscalité augmente toujours au 1er janvier. D'ailleurs, vous l'avez vous-même souligné, la suspension de la hausse de la taxe carbone n'a pas suffi : les revendications des « gilets jaunes » et pas seulement d'eux portaient sur le pouvoir d'achat, les revenus et la fiscalité dans son ensemble.
La taxe carbone, qui a été créée en 2013, a été mise en oeuvre en 2014 et a augmenté un peu tous les ans. Le problème, c'est qu'elle est venue s'ajouter à d'autres impôts que les Français trouvent légitimement trop élevés.
Nous avons interrompu cette trajectoire. Si nous devions la reprendre un jour, considérant qu'il s'agit d'une réponse efficace, il faudrait revoir complètement la transparence,…
M. le président. Il faut conclure !
M. François de Rugy, ministre d'État. … l'affectation des recettes et l'accompagnement social.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. « Marche du siècle », grève scolaire pour le climat : il est temps de passer du débat aux actes. L'inscription dans les programmes scolaires dès le primaire de cours de sensibilisation à la transition énergétique serait un début.
Alors que l'urgence climatique et environnementale nous commande de revoir entièrement notre modèle énergétique, toute l'attention est focalisée sur la production. Or un problème majeur semble avoir été sous-estimé, celui de la refonte énergétique du parc de logements français, notamment du parc ancien.
L'un des moyens les plus efficaces est de diminuer les consommations énergétiques à la source, c'est-à-dire au sein même des foyers. Environ 4 milliards d'euros sont mobilisés chaque année pour l'habitat sous des formes multiples. Ces fonds publics et privés sont censés aider à la rénovation de 550 000 logements privés et autour de 100 000 maisons et appartements. Ces chiffres figuraient dans la loi de 2015, avec l'ambition de rendre le parc immobilier vertueux d'ici à 2050, avec une éradication des passoires thermiques d'ici à 2025. Malheureusement, du retard a été pris, et il faudrait presque aller deux fois plus vite.
Et que dire des ménages qui se sentent perdus entre les soutiens des collectivités locales et les aides de l'État ? Parfois, ce sont des avances, d'autres fois des remboursements sur devis ou sur factures…
Au-delà du site www.faire.fr, quelles actions concrètes le Gouvernement compte-t-il engager pour simplifier et rendre plus lisibles les outils et aides actuels en matière de rénovation énergétique dans le logement et ainsi les rendre réellement incitatifs et attractifs pour tous les ménages ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice, nous partageons totalement votre analyse : l'énergie la moins chère et la moins polluante, c'est celle que nous ne consommons pas.
Il y a concrètement des gains de pouvoir d'achat possibles par la transformation écologique, notamment celle de nos logements, qui permet notamment de réduire les factures de chauffage. Cela suppose de mobiliser des moyens et d'accompagner les Français.
Quand on conduit une transformation, on obtient des résultats : il n'est qu'à prendre l'exemple de l'éclairage. Voilà vingt ans, nous utilisions des ampoules à incandescence, nous nous sommes ensuite tournés vers les ampoules basse consommation et, aujourd'hui, vers les LED. En quinze ans, la consommation d'électricité pour l'éclairage a baissé de 25 % à l'échelle nationale. On le voit, l'effet peut être massif.
Julien Denormandie l'a souligné à l'occasion d'une autre question : il va falloir clarifier et simplifier les différents dispositifs. Nous avons commencé ce travail. Au 1er janvier dernier, nous avons lancé l'opération « la chaudière à 1 euro ». Évidemment, tous les Français n'auront pas une chaudière neuve contre 1 euro, mais les ménages qui ont les plus faibles revenus pourront bénéficier de cette aide. Il s'agit d'un test grandeur nature pour voir si nous pourrons étendre ce type de procédure à l'ensemble de la rénovation,…
M. le président. Il faut conclure !
M. François de Rugy, ministre d'État. … en permettant aux opérateurs d'aller au-devant des Français, avec les aides et l'ensemble des démarches à accomplir.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Ma question s'adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
La santé s'est imposée dans le débat, alors que, de l'aveu même de M. le Premier ministre, le Gouvernement ne l'avait pas prévu.
Nous partageons tous le même constat : l'hôpital connaît une crise existentielle, notamment liée à des coupes budgétaires qui n'ont fait qu'empirer, couplées à une désorganisation due aux 35 heures ; les soins de ville, quant à eux, souffrent d'une désertification médicale, le secteur libéral ayant été affaibli sans alternative durable.
Nous partageons également tous l'objectif que les patients puissent tous avoir un médecin traitant, accéder à un médecin spécialiste dans des délais raisonnables et être accueillis dans des hôpitaux mieux organisés avec des personnels plus sereins.
Or force est de constater que le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé ne va pas dans ce sens. Le projet territorial de santé, mesure phare du texte, aggrave le millefeuille administratif et est sans doute inopérant, probablement inutile.
Quant aux communautés professionnelles territoriales de santé, elles sont un modèle d'organisation uniforme. C'est un modèle centralisateur, qui ne correspond en rien à la diversité de nos territoires.
Madame la ministre, pourquoi le Gouvernement s'obstine-t-il à poursuivre des mesures qui augmentent le temps administratif des médecins et ne libèrent pas de temps médical ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président de la commission des affaires sociales Alain Milon, nous aurons l'occasion d'en débattre, mais vous savez bien que ce projet de loi a pour objectif de rendre du temps médical aux médecins, de mailler le territoire national d'une médecine de proximité, qui ne soit pas constituée que de médecins. Nous savons aujourd'hui que de nombreuses pathologies nécessitent des soins de proximité, qui peuvent être dispensés par d'autres professionnels que les médecins. Il s'agit donc d'une juste répartition des tâches entre les professionnels sur le territoire. Les communautés professionnelles territoriales de santé visent justement à ce que ces professionnels se coordonnent pour une meilleure prise en charge des patients.
Contrairement à votre lecture du projet de loi, tout vient des initiatives locales. Nous sommes là au coeur de la différenciation, prônée par M. Retailleau. Ainsi, chaque territoire dresse son diagnostic en matière de besoins de santé : le projet territorial de santé est à l'initiative des territoires et des professionnels, qui s'organisent pour répondre aux besoins de la population.
Ce projet de loi n'est en rien un texte normatif ou administratif. C'est au contraire de la confiance redonnée aux territoires et aux professionnels pour qu'ils répondent aux besoins de santé des Français.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. La question du millefeuille administratif est souvent revenue dans les réunions du grand débat national, associée à la volonté de supprimer un échelon. Nous avons aussi senti un fort attachement aux communes et aux départements et un ressentiment à l'égard des grandes régions ou des très grandes intercommunalités.
Parmi les pistes étudiées, la création du conseiller territorial, qui partage ses fonctions entre les départements et la région, est l'une des plus intéressantes. Dans un récent entretien à La Tribune, le ministre Sébastien Lecornu a mis en avant cette proposition, qui permettrait notamment de réaliser des économies, en diminuant le nombre d'élus sans remettre en cause l'existence du conseil régional et du conseil départemental, à la différence de ce qui a été imaginé en son temps par le gouvernement Fillon.
Je partage cette proposition. Chacun sait bien que le conseiller régional n'a jamais connu la même légitimité que le conseiller départemental, qui est beaucoup plus reconnu par les acteurs locaux et plus engagé localement sur un territoire bien identifié. Cependant, je m'interroge sur le mode d'élection de ce futur conseiller territorial. Faut-il l'élire en s'appuyant sur le périmètre des cantons actuels ? On imagine ce que cela pourrait donner dans certaines régions : par exemple, une assemblée de 346 membres dans la région Auvergne-Rhône-Alpes ! Faut-il que l'assemblée départementale désigne ses représentants à la région, avec un risque de dilution de cette dernière ?
Par ailleurs, la nouvelle fonction de conseiller territorial serait très exigeante : cela reviendrait à exercer l'équivalent de deux mandats locaux.
M. le président. Il faut conclure !
M. Didier Rambaud. Dans le cadre de la loi organique sur le non-cumul des mandats, la fonction de conseiller territorial sera-t-elle compatible avec un mandat municipal ou intercommunal ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, il me sera plus facile d'évoquer avec vous le constat que de répondre précisément à toutes les questions détaillées que vous avez posées.
Vous avez raison de souligner que nos concitoyens ont le sentiment que notre organisation administrative – État et collectivités locales – est trop complexe, au point qu'il arrive que l'on ne puisse avoir accès aux services auxquels on a droit et que l'on ne sache pas trouver le bon interlocuteur. Voilà d'où vient l'idée du guichet unique. Doit-il être dans la commune, la communauté de communes, la communauté d'agglomération ou la métropole ? Comment trouver un responsable à même d'accompagner chacun de nos concitoyens dans son parcours administratif ?
Pour le département et la région, c'est la même chose. Les Français ont le sentiment que la région est trop éloignée et que le département ne peut pas apporter toutes les réponses en raison des conventions avec la région. Il faut trouver les moyens de simplifier la vie administrative à l'égard tant des collectivités que de l'État.
Le conseiller territorial est une réponse possible. Ainsi, une ou plusieurs personnes identifiées pourront passer le message, transmettre le dossier, assurer son instruction et faciliter les échanges entre le département et la région.
Cela soulève un certain nombre de questions – vous en avez posé beaucoup. Si nous devions travailler sur ce sujet, il faudrait veiller à préserver la parité, à éviter une explosion de la taille des assemblées régionales, à affirmer l'ancrage local de tous les élus locaux,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Christophe Castaner, ministre. … et ce dans le respect de la règle d'égalité pour représenter un territoire dans une assemblée, qu'a posée le Conseil constitutionnel.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Notre devise républicaine « liberté, égalité, fraternité » est remplacée progressivement par « libéralisation, concurrence, privatisation ». Pourtant, les « gilets jaunes », comme une majorité de Français, refusent qu'on confie au privé nos biens communs.
Les libéraux avaient promis que la concurrence conduirait à une baisse des prix et à un meilleur service. Or les Français observent chaque jour que les prix augmentent pour les usagers devenus des clients – 6 % pour l'électricité l'été prochain –, que les salariés sont la variable d'ajustement et que les profits s'envolent au bénéfice des actionnaires.
Les Français sont majoritairement contre la privatisation des barrages hydroélectriques et pour une renationalisation des autoroutes, ce qu'a défendu notre groupe le mois dernier et que vous avez refusé.
Enfin, les Français s'opposent à la future privatisation d'Aéroports de Paris, monopole naturel au regard de ses 100 millions de passagers par an. C'est une question de souveraineté nationale, de sécurité, d'aménagement du territoire, mais aussi une question économique, sociale et environnementale. L'an dernier, ADP a versé 180 millions d'euros à l'État en tant qu'actionnaire. Nous refusons que cet argent aille engraisser les actionnaires de Vinci, car cet argent serait plus utile à nos hôpitaux et nos écoles.
Pourquoi vous entêtez-vous à privatiser ADP au profit des riches, plutôt que de défendre nos biens communs qui sont le patrimoine de celles et ceux qui n'en ont pas ? Si vous êtes si sûr de vous, donnez la parole au peuple par référendum et nous verrons le résultat ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur Fabien Gay, nous avons consacré des dizaines d'heures de discussion à cette privatisation. Grâce au travail qui a été accompli au Parlement – au Sénat et à l'Assemblée nationale –, nous avons renforcé les garanties sur les tarifs, l'environnement, la récupération du foncier, la manière dont l'entreprise sera gérée, les investissements nécessaires et le cahier des charges, qui vous a été fourni. Nous avons désormais des garanties solides – plus solides même, comme l'a dit le président-directeur général d'ADP – qu'avant le projet de privatisation. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Fabien Gay. Ce n'est pas sérieux !
M. Bruno Le Maire, ministre. Vous avez pris l'initiative de demander un référendum d'initiative partagée, dans un attelage étrange qui est peut-être la première étape d'un programme commun entre Les Républicains et le parti socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.) Après tout, pourquoi pas ?
Mme Cécile Cukierman. C'est une question d'intérêt général !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je ne fais que constater que ce projet… (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Je n'y arrive pas, monsieur le président…
M. le président. Mes chers collègues, laissez parler monsieur le ministre !
M. Bruno Le Maire, ministre. Après m'être exprimé pendant des dizaines d'heures sur le fond de l'opération, je redis que cette initiative baroque pourrait être la première étape d'un programme commun entre Les Républicains, le parti socialiste et les communistes.
M. Vincent Éblé. Ce n'est pas à la hauteur du débat !
M. Rachid Temal. C'est une honte !
Mme Éliane Assassi. Répondez sur le fond !
M. Fabien Gay. Donnez la parole au peuple !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je constate d'ailleurs que, dans leur grande sagesse, ni le président du groupe Les Républicains au Sénat ni le président du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale ne se sont associés à cette initiative, sans doute parce qu'ils la trouvaient surprenante, voire déplacée. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Éblé. Ils y viendront !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ce que je constate, monsieur Gay, c'est que vous affaiblissez la démocratie représentative en contestant les dizaines d'heures de travail de nos représentants – sénateurs et députés – sur la privatisation d'ADP et, avant même que le projet de loi ne soit voté, en demandant la consultation populaire par référendum.
M. Rachid Temal. C'est honteux !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je constate que les mêmes qui soutenaient les privatisations voilà quelques mois s'y opposent aujourd'hui et se sont joints à ceux qui s'y opposent depuis toujours.
M. Fabien Gay. Et Vinci ?
M. le président. Il faut conclure !
M. Bruno Le Maire, ministre. Toutes les garanties ont été données, monsieur Gay. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) J'attends maintenant sereinement la décision du Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Fabien Gay. Nous aussi !
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé.
M. Vincent Éblé. Le Gouvernement a lancé ce grand débat en posant la question du niveau des prélèvements obligatoires. Or nous pensons que la question qui est posée par les Français, c'est celle de la justice fiscale. Ce n'est pas la même chose !
Les principales raisons des contestations qui s'expriment vivement depuis novembre proviennent de l'accroissement des inégalités, devenues insupportables après les premières décisions budgétaires que vous avez prises dès 2017.
L'abaissement des mécanismes de redistribution est multiforme : baisse des APL, réduction des emplois aidés, hausse de la CSG pour tous les retraités, plan Pauvreté en deçà des attentes. Vos choix ont ainsi abouti à une remise en cause de notre pacte social dans des proportions jamais vues sous la Ve République.
La fin de l'ISF a eu des effets désastreux en matière d'acceptabilité de l'impôt. Cette suppression, couplée à la mise en place de la flat tax, a permis à chacun des cent premiers contribuables français d'économiser 1,5 million d'euros par an en moyenne,…
M. Martial Bourquin. C'est scandaleux !
M. Vincent Éblé. … ce qui représente 5 milliards d'euros de recettes fiscales annuelles en moins, alors que, dans le même temps, vous aviez prévu une hausse de la fiscalité écologique impactant fortement nos concitoyens de condition modeste.
La pratique du « en même temps », chère à notre Président, est dans les faits clairement déséquilibrée en faveur des contribuables les plus fortunés. Nous nous interrogeons sur vos ambitions en matière de lutte contre les inégalités fiscales. Si vous continuez à nous dire, comme M. le ministre de l'économie, que, pour lutter contre l'injustice fiscale, il faut réduire l'impôt, c'est pour nous un aveu clair : vous refusez de traiter la question essentielle de l'équité contributive ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Rachid Temal. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'action et des comptes publics.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le président Éblé, cela ne vous surprendra pas : nous ne partageons pas votre constat. Reste que vous posez une question de société très importante. À quoi sert l'impôt ? Est-il un outil juste de redistribution ? La réponse est oui. Les 10 % de Français qui paient le plus d'impôts sur le revenu en paient l'essentiel, soit 70 % de son produit. Pour autant, seuls 43 % des contribuables sont imposables.
Cela étant, vous le savez mieux que personne, monsieur le président la commission des finances, il existe d'autres impôts que les impôts directs. Les cotisations sociales sont les impôts les plus payés par nos compatriotes – et nous en avons supprimé –, puis la TVA. La question se pose de son équité et de son acceptabilité, selon ses moyens contributifs. Nous n'avons pas, dans un premier temps, posé la question de la TVA. D'autres la posent, y compris d'ailleurs dans votre famille politique désormais.
Quant à la CSG, nous avons considéré que c'est un impôt juste, parce qu'il est proportionnel aux revenus. Évidemment, un certain nombre de discussions sont nées à la suite de la suppression des cotisations, sur lesquelles nous sommes en partie revenus.
Enfin, monsieur le président de la commission des finances, la redistribution ne se fait pas que par l'impôt. Il faut aussi prendre en compte le grand niveau de redistribution sociale dans notre pays. Certes, notre système est celui où le niveau des prélèvements obligatoires est le plus élevé, notamment sur les plus riches, mais c'est aussi celui qui est le plus redistributif. C'est cela, le système français ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Monsieur le Premier ministre, ce grand débat aura finalement été utile, très utile même, car il vous aura permis d'ouvrir les yeux. Pourtant, cela fait deux ans que les élus locaux, le Parlement – inlassablement –, votre opposition, celle de l'ancien monde, et même quelques-uns de vos ministres depuis quelque temps vous le disent : les Français sont des exaspérés fiscaux ! Avec 45 % de prélèvements obligatoires en 2018, la France porte le bonnet d'âne !
À cette lourde charge s'ajoutent l'injustice et, pour le moins, la maladresse de vos mesures. Vous avez supprimé l'ISF, comme vous l'aviez annoncé, et, en même temps, vous avez baissé les APL et augmenté le taux de la CSG des retraités. Dans ces conditions, comment voulez-vous que les Français ne ressentent pas une profonde amertume ? Que de temps perdu, alors que la réalité sautait aux yeux !
Les Français ne se satisferont plus des grandes envolées en bras de chemise et des punchlines sur Twitter.
Mentir aux Français en déclarant avec aplomb, et quelquefois avec talent, que « jamais les impôts n'ont autant baissé depuis vingt ans »,…
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. C'est vrai !
Mme Sophie Primas. … ce n'est pas respecter nos concitoyens. Qui regarde les comptes publics sait que c'est faux !
Instaurer une taxe carbone et baisser les budgets consacrés à l'environnement ne trompent pas nos concitoyens. Annoncer que vous baissez les impôts en comptabilisant ceux que vous aviez prévus et auxquels vous renoncez, c'est incroyable !
Ce que nos compatriotes attendent maintenant, ce sont des faits et des chiffres clairs de baisses d'impôts. Alors, allez-vous supprimer l'augmentation de la CSG pour tous les retraités ? Quels impôts va-t-on voir enfin baisser ? Et quand ? Quel niveau de prélèvements obligatoires vous fixez-vous comme objectif ?
Plus votre réponse sera précise, plus elle sera convaincante. Les Français nous regardent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Je vais vous répondre précisément, madame la sénatrice Primas : notre objectif est de baisser les impôts de plus de 1 point de PIB d'ici à la fin du quinquennat. Objectivement, factuellement, ce sera la baisse d'impôts la plus importante des dix dernières années, dans la stabilité et dans la continuité. Je rappelle que, en dix ans, ce sont les ménages français qui ont payé le prix de la crise financière et qui ont vu exploser leur niveau de prélèvements, qu'il s'agisse d'impôts ou de taxes.
Nous avons amorcé une décrue. On peut toujours faire mieux, on peut toujours aller plus vite, mais le fait est que nous l'avons amorcée. Selon l'OFCE, les impôts baisseront en 2019 de 440 euros en moyenne pour deux tiers des ménages. C'est factuel. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'OFCE !
Notre philosophie, pour vous répondre sur le type d'impôts que nous souhaitons baisser, c'est d'aider d'abord ceux qui travaillent. Je pense que vous serez d'accord avec nous sur ce point, comme un bon nombre de vos collègues sur les travées du Sénat : il faut aider principalement ceux qui travaillent pour que le travail paie davantage et que tous ceux qui ont un emploi aient le sentiment qu'ils peuvent en vivre dignement. C'est tout de même le premier message que nous ont adressé les « gilets jaunes » : « Nous voulons vivre dignement de notre travail ! » La suppression des cotisations chômage et maladie, la défiscalisation des heures supplémentaires, l'augmentation de la prime d'activité : toutes ces mesures vont dans ce sens.
Enfin, je sais que la fiscalité sur le capital est très critiquée. Pour ma part, je constate une seule chose, c'est qu'elle soutient l'attractivité, l'innovation et les entreprises dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Il y a une semaine, le président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, plaidait pour une « loi Macron des territoires ». Il a exprimé le souhait que le rôle des préfets soit renforcé et, en même temps, que soient octroyées plus de libertés locales et plus de souplesse aux collectivités en matière d'organisation afin de leur permettre de s'adapter plus efficacement aux réalités des territoires.
Ce souhait, nous ne pouvons que le partager. Il est temps de redonner de la cohérence à une organisation territoriale profondément abîmée et déstructurée par les réformes antérieures, notamment par la loi NOTRe. Il est nécessaire de restaurer une meilleure lisibilité de la carte territoriale, mais également de donner aux collectivités les moyens de leurs compétences.
En parallèle, l'État doit assumer son rôle dans nos territoires, notamment dans les plus fragiles d'entre eux, où les habitants considèrent souvent qu'ils sont traités comme des citoyens de seconde zone. C'est la raison pour laquelle je pense en effet que les préfets doivent voir leur pouvoir de décision renforcé et surtout – surtout ! – adapté aux territoires dont ils ont la charge. Il est également nécessaire de donner à ces territoires, qui font la fierté de notre pays, les moyens de leur développement économique.
Madame la ministre de la cohésion des territoires, comptez-vous lancer le chantier d'une grande réforme territoriale ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, je suis absolument d'accord avec tout ce que vous avez dit. Le grand débat a aussi eu le mérite de montrer que les Français qui se sont exprimés étaient attachés à la proximité. C'est pour cela que le maire est plébiscité, car il est l'élu de proximité par excellence.
Le Président de la République l'a souvent dit : déconcentration et décentralisation ne sont pas antinomiques. On peut imaginer des transferts nouveaux vers les collectivités territoriales et conserver une organisation territoriale de l'État forte. Nous savons combien les élus et la population sont attachés à la présence des services de l'État sur le territoire. C'est pourquoi nous avons créé de nombreuses maisons de services au public, qui remplacent un certain nombre de services de proximité qui ont disparu depuis une dizaine d'années. Nous allons essayer de renforcer cette présence sur les territoires d'une autre manière.
Mon temps de parole étant achevé, je terminerai ma réponse sur ce sujet à l'occasion de mon intervention sur une autre question. (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme Sylvie Vermeillet. Le mouvement social de ces derniers mois a permis au Président de la République de prendre connaissance de la détresse du monde rural, du sentiment d'abandon qu'il a maintes fois exprimé et du découragement des maires.
Dans les petites communes, au-delà de la fermeture sans négociation des services publics – écoles, hôpitaux, agences du trésor public, bureaux de poste, etc. –, il existe sur le plan financier une injustice aussi fondamentale qu'insupportable ; je veux parler de la répartition de la dotation de base de la dotation forfaitaire des communes. Aux yeux de l'État, un habitant d'une commune de 200 000 habitants vaut deux fois plus qu'un habitant d'une commune qui en compte moins de 500 ! Avant 2005, il en valait même deux fois et demie plus, cette différence s'expliquant par les charges de centralité exercées par les grandes villes… Certes ! Mais l'intercommunalité ne serait-elle pas passée par là ? Et n'exercerait-elle pas aujourd'hui ces compétences transversales ? Quels que soient les montants de la DSU, de la DSR et des péréquations, l'État peut-il concevoir qu'un Français vaille deux fois plus à un endroit qu'à un autre ?
Dès son élection, le Président de la République a annoncé la suppression de la taxe d'habitation au motif qu'elle était un impôt injuste. Monsieur le Premier ministre, la dotation de base de la DGF est-elle juste ? Allez-vous rendre justice au monde rural et aux petites communes ? (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'action et des comptes publics.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. Madame la sénatrice, on peut en effet se demander si le calcul des dotations aux collectivités locales est juste et s'il prend en compte les questions sensibles que vous posez concernant le monde rural, mais aussi celles, très importantes, sur les villes, certaines ayant des quartiers qui relèvent de la politique de la ville, et sur les intercommunalités, en plein développement. Or je constate que tous ceux qui ont essayé de réformer la DGF et toutes les dotations depuis le gouvernement Barre ont échoué. Il appartient sans doute à la Haute Assemblée de s'y intéresser particulièrement – je sais que vous le faites –, mais aussi aux élus locaux et au Comité des finances locales.
Depuis la fin du gouvernement Jospin, qui est le dernier à avoir touché aux quarante variables de la DGF, et, pour simplifier, la distinction entre l'euro donné à la ville et l'euro donné au village, il y a une différence entre les dotations, en raison des charges de centralité. Il est vrai par ailleurs que les intercommunalités n'étaient pas aussi développées qu'aujourd'hui.
Si le Comité des finances locales, notamment son président M. Laignel, la Haute Assemblée, l'Association des maires de France souhaitent redistribuer différemment une enveloppe qui, pour la première fois depuis dix ans et pour la troisième année consécutive, ne baisse plus, Mme Gourault et moi sommes tout à fait prêts à en discuter. Cependant, vous l'aurez constaté, il y a parmi les associations d'élus, parmi les élus eux-mêmes, que ce soit les représentants des collectivités locales que vous êtes ou les représentants élus directement par le peuple, des gens qui ont des visions différentes.
Les charges de centralité des très grandes villes et les pertes d'habitants des communes rurales sont des questions très importantes. Peut-être pourrions-nous y travailler ensemble, sous l'autorité de la ministre de la cohésion des territoires ? (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Je veux évoquer ces territoires où certains services publics s'éloignent, où l'emploi agricole a diminué des deux tiers en trente ans, où il faut avoir une voiture pour se déplacer, où les Français à faibles revenus ne peuvent circuler ou se chauffer en raison de l'augmentation du prix du gazole. Le Gouvernement a débloqué 11 milliards d'euros pour le pouvoir d'achat, c'est positif.
Il faut faire évoluer l'organisation de l'État et des services publics pour plus d'efficacité et un meilleur rééquilibrage. Il faut renforcer les dotations aux communes, soutenir l'aménagement des centres-bourgs, développer internet et la téléphonie mobile, restructurer le réseau ferroviaire et les lignes Intercités secondaires, maintenir les écoles, les gendarmeries, les sapeurs-pompiers volontaires, car ils sont indispensables, développer l'emploi par les entreprises par l'intermédiaire d'un préfet développeur, grâce à des zones franches et des ZRR efficaces. De plus, il faut implanter ou maintenir des maisons de services au public pérennes, avec des permanences efficaces des services publics de l'État, pour les élus et les citoyens.
Enfin, il faut faire en sorte que tous les professionnels de santé soient présents dans les maisons de santé. Pour les médecins, l'abolition du numerus clausus et le plan Santé vont dans le bon sens, même si leurs effets ne se feront pas sentir avant longtemps. Nous devons aussi fortement améliorer la prise en charge de la dépendance, à domicile et dans les Ehpad.
J'en viens à mes questions : comment, dans ces territoires hyper-ruraux, adapter le rôle de l'État pour le rendre plus efficace, pour l'emploi et le service public, pour y maintenir la vie ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour supprimer les zones blanches en matière de santé et maintenir les centres de secours ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, cher docteur (Sourires.), vous avez, je pense, mentionné dans votre intervention tous les services publics dans les territoires…
Il est vrai que les problèmes de désertification médicale sont une réalité, et vous êtes bien placé pour le savoir. Il est vrai également que certains services publics ont disparu des territoires. Le Président de la République a l'habitude de dire qu'on a considérablement réduit le nombre de fonctionnaires depuis une dizaine d'années, essentiellement dans les territoires, beaucoup moins dans les administrations centrales, et qu'il aurait peut-être fallu faire le contraire. C'est la raison pour laquelle il faut effectivement remettre des permanences des services publics dans les territoires et développer les MSAP.
Cela étant, je le dis comme je le pense, il faut aussi garantir des services de qualité dans ces MSAP, les services que certaines d'entre elles rendent étant parfois un peu justes. Nous projetons donc la création d'une sorte de label, attestant de la fourniture dans ces maisons d'un nombre minimum de services, afin de garantir un certain niveau de qualité.
Certains territoires ont mis en place des MSAP mobiles, qui passent de village en village, et c'est une réussite.
M. le président. Il faut penser à conclure !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Enfin, j'indique que, dans le cadre de l'ANCT, l'Agence nationale de la cohésion des territoires, nous prévoyons une aide de l'État aux élus locaux.
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Mathieu Darnaud. Mesdames, messieurs les ministres, si vous n'êtes pas responsables de tous les maux de nos communes, il est un échec dont vous portez l'entière paternité, c'est à l'évidence celui de la Conférence nationale des territoires. Cette conférence, dont le Président de la République lui-même attendait des propositions concrètes, n'a pas été capable de corriger ce que vous appelez vous-mêmes « les irritants » de la loi NOTRe.
Il a fallu que le Sénat fasse des propositions, notamment sur les questions de l'eau et de l'assainissement, pour que, enfin, soient apportées les corrections que les élus appelaient de leurs voeux. Aucune disposition n'a été prise non plus, alors que s'amorce une réforme fiscale, afin de mettre en oeuvre les péréquations nécessaires à l'instauration d'une plus grande solidarité entre territoires urbains et territoires ruraux.
Durant deux années, le Sénat n'a cessé de faire des propositions sur la revitalisation de l'échelon communal, sur les conditions d'exercice des élus locaux, sur la limitation de vitesse à quatre-vingts kilomètres à l'heure, de proposer des mesures susceptibles de permettre aux territoires de retrouver la voie de l'espérance.
Au cours du grand débat national, le Président de la République a avancé un nombre incroyable de pistes. J'ai envie de dire : finies les paroles, place aux actes ! Il est temps pour vous de conjuguer le « dire » et le « faire » et de reprendre les propositions du Sénat. Il n'y a, comme disait Churchill, aucun mal à changer d'avis, pourvu que ce soit dans le bon sens ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, cher Mathieu Darnaud, c'est vrai qu'il faut parfois savoir changer d'avis.
La Conférence nationale des territoires est un lieu de dialogue très important. Je sais que le Sénat n'y a jamais été très favorable,…
Mme Sophie Primas. La première a eu lieu au Sénat !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … mais il est nécessaire que l'ensemble des élus locaux et, bien sûr, le Sénat y participent.
En matière de fiscalité, je tiens à rappeler que nous avons tout de même consacré cette année 180 millions d'euros à la péréquation en faveur des quartiers en difficulté et de la ruralité, où la DGF a fortement augmenté dans la mesure où elle ne subit plus de plein fouet, comme l'année dernière, les modifications de la carte intercommunale. Je suppose que vous l'avez vu sur la carte interactive disponible sur le site de la DGCL.
Par ailleurs, je connais bien le travail sur le statut de l'élu local qui a été réalisé, sous la présidence de Jean-Marie Bockel, par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, avec laquelle mon ministère et moi avons beaucoup travaillé. Nous allons bien sûr intégrer les propositions du Sénat, sans aucune difficulté.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Nous avons fait un travail permanent et constructif. Nous sommes bien sûr ouverts pour travailler avec vous sur bien d'autres sujets.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Je souhaiterais que nous n'oubliions pas les Français établis hors de France. Ils sont plus de 3 millions à vivre dans tous les pays du monde, ce chiffre augmentant de 3 % à 4 % par an.
Ces Français ont participé au grand débat, ce qui n'a pas toujours été facile pour eux. Quand vous habitez à Conakry, c'est évidemment plus difficile que lorsque vous vivez en banlieue parisienne. Ils ont ainsi fourni 1 500 contributions écrites et participé à 300 réunions organisées dans près de 80 pays à travers le monde.
M. Rachid Temal. Bravo !
M. Richard Yung. C'est un travail collectif, je n'ai aucun mérite particulier.
Ils ont donné leur opinion sur les quatre grands thèmes du débat. Vous ne serez pas surpris d'apprendre qu'ils ont placé les questions fiscales et les questions de transition écologique en tête de leurs souhaits. Ils demandent en particulier à être traités de manière égale et juste en matière fiscale.
Je soulèverai à cet égard un point particulier. La CSG a été supprimée pour celles et ceux qui adhèrent à un régime d'assurance maladie dans un pays membre de l'espace économique européen et en Suisse. Ils cotisaient en effet à la CSG de façon inutile, puisqu'ils étaient déjà couverts par un système de sécurité sociale.
M. le président. Il faut penser à conclure !
M. Richard Yung. Je conclus, monsieur le président.
Le gouvernement précédent a appliqué une décision de la Cour de justice de l'Union européenne et supprimé la CSG pour les ressortissants établis à l'intérieur de l'Union, mais il ne l'a pas fait pour les Français vivant en dehors de l'Union. Il s'agit là d'un traitement différencié et injuste.
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Richard Yung, il existe en effet des différences de traitement entre les Français établis au sein et en dehors de l'Union européenne. Cette différence résulte de traités européens, qui garantissent un certain nombre de droits. Pour les résidents européens, ces droits sont la libre circulation des personnes et des marchandises dans l'Union. Il n'y a rien d'anormal à ce que les traités créent des régimes juridiques différents pour les résidents européens et extra-européens.
En l'occurrence, la différence de traitement que vous mentionnez trouve une traduction en matière sociale avec l'exonération de la CSG et de la CRDS sur les revenus du capital, qui ne concerne en effet que les résidents de l'Union européenne. Il faut toutefois préciser que, en l'espèce, c'est non pas le critère de résidence qui joue, mais celui de l'affiliation. L'assujettissement aux cotisations et aux contributions sociales dépend du système social d'affiliation. Toutes les personnes affiliées au système français de sécurité sociale sont soumises aux mêmes règles. Inversement, la coopération européenne et la coordination en matière de sécurité sociale imposent que les affiliés aux autres systèmes sociaux européens puissent n'être soumis qu'aux règles de ces autres systèmes.
Ces garanties existent entre systèmes européens en raison d'objectifs convergents et comme contrepartie à la coordination qui existe entre eux. En dehors de l'Union européenne, il est normal que le principe de territorialité s'applique en l'absence de coordination entre les systèmes sociaux, sauf lorsqu'il existe des conventions spécifiques.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Les Français ont fait surgir la santé dans le grand débat. Il n'y a rien de surprenant à cela. Nos concitoyens vivent en effet douloureusement la destruction conjuguée des deux piliers de notre système d'accès aux soins que sont la médecine de ville – les déserts médicaux progressent de manière très inquiétante – et l'hôpital public, lequel est aujourd'hui à l'os et ne tient plus que grâce à l'exceptionnel engagement de ses personnels.
Personne n'acceptera que l'examen de la loi Santé se poursuive comme si de rien n'était. Personne n'acceptera qu'après avoir fait les questions de ce grand débat, vous en fassiez aussi les réponses !
Le conventionnement sélectif des médecins doit être décidé pour commencer à corriger au plus vite la démographie médicale en dissuadant de nouvelles implantations dans des zones surdotées. Des propositions ont été travaillées ici même en ce sens, elles peuvent rapidement voir le jour. Le système libéral étant incapable de se réguler, il est nécessaire que la puissance publique intervienne pour développer les unités employant des médecins salariés. Il faut donc aussi soutenir les centres de santé, portés notamment par les collectivités locales.
Il est enfin urgent non seulement de mettre fin aux fermetures de maternités et d'hôpitaux de proximité, mais également de rouvrir un certain nombre d'entre eux.
Comptez-vous prendre en compte ces propositions ? Si vous ne le faisiez pas, je pense que les Français ne croiraient définitivement plus à la sincérité de votre démarche. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Céline Brulin, je connais vos positions sur le système de santé français. Il se trouve que ce cri des territoires, je l'ai entendu dès mon arrivée au ministère. La loi Santé répond exactement à la demande et aux besoins des Français aujourd'hui. Elle coordonne et structure une médecine et des hôpitaux de proximité. Telle est exactement la démarche que j'ai suivie. La seule question que je me suis posée est : comment rendre service à nos concitoyens, qui, aujourd'hui, s'inquiètent de ne pas trouver de médecin ?
Vous proposez une solution simpliste, toujours la même : la coercition des médecins.
Mme Cécile Cukierman. Il n'y a qu'à faire le tour des hôpitaux pour se rendre compte qu'elle n'est pas simpliste !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Je rappelle que seuls 15 % des médecins veulent s'installer en libéral aujourd'hui…
Mme Cécile Cukierman. Et quand on dit que les femmes ne peuvent plus accoucher dans les maternités, c'est simpliste aussi ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Nous aurons l'occasion d'en débattre.
Il est certain qu'il n'y a plus de zones surdotées en France. J'aimerais savoir quel sénateur ici accepterait de se départir d'un médecin…
Il nous faut organiser le territoire en imaginant une autre solution que celle qui consiste à déshabiller Paul pour habiller Pierre. Or c'est malheureusement la seule solution que vous proposez.
Mme Cécile Cukierman. Allez visiter les hôpitaux !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Enfin, j'ai bien augmenté le budget des hôpitaux cette année. Pour la première fois depuis dix ans, leurs budgets et leurs tarifs sont en hausse. Je redonne du souffle à nos hôpitaux publics.
M. Fabien Gay. On ne vit pas sur la même planète !
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. En matière de transition écologique comme de volontarisme institutionnel, on attendait du Gouvernement des propositions plus éclatantes que le recyclage du conseiller territorial, avec ses justifications managériales d'efficacité et d'économies. Encore une incompréhension majeure sur ce que doit véritablement être la démocratie de proximité !
Recentrons-nous plutôt sur une fonction curieusement absente du grand débat : la fonction présidentielle.
Je comprends bien qu'affaiblir les assemblées, cultiver l'antiparlementarisme, supprimer les contre-pouvoirs, des corps intermédiaires jusqu'aux représentants du personnel, offre un confort incomparable. C'est d'ailleurs ainsi que l'ultralibéralisme produit mécaniquement des dérives autoritaires, sous couvert de neutralité technicienne.
En dépit de ce qu'on essaie de faire dire aux Français après le grand débat par un exercice de ventriloquie déconcertant de candeur, ce n'est pas ce qu'ils attendent pour la France ni d'ailleurs pour l'Europe.
Ma question porte sur cet angle mort que l'exécutif n'aborde pas, malgré quatre-vingt-dix heures – quatre-vingt-dix heures ! – de contribution présidentielle au grand débat : celle de la place de la fonction présidentielle dans notre édifice démocratique.
Monsieur le Premier ministre, comment entendez-vous prendre en considération le grand débat dans le cadre d'une révision institutionnelle sans cesse reportée ? Allez-vous transformer ce qui est un projet de technocratie plébiscitaire et de domestication du Parlement en une opportunité pour rééquilibrer notre architecture institutionnelle en faveur d'une meilleure représentation des citoyens et des corps intermédiaires ? Allez-vous accepter de mettre en place de nouveaux mécanismes délibératifs…
M. le président. Il faut conclure !
M. Éric Kerrouche. … et représentatifs pour revitaliser une Ve République épuisée par une présidentialisation excessive ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, votre question est assez paradoxale. Le Premier ministre l'a dit, le grand débat a fait émerger des questions fortes, il a également été marqué par un certain nombre de thématiques qui n'étaient pas abordées – on pense au chômage, à la mondialisation –, mais personne n'a évoqué la place de la présidence de la République dans notre architecture institutionnelle.
M. Rachid Temal. Personne ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Non ! Cette question n'a pas été abordée au cours du grand débat. Personne n'a remis en cause l'article 5 de la Constitution, qui prévoit que le Président de la République « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics », ni notre architecture institutionnelle.
M. Rachid Temal. Ah bon ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je ne crois donc pas qu'il y ait lieu de le repositionner.
En revanche, je vous rejoins assez aisément lorsque vous soulignez une demande d'évolution de la démocratie telle qu'elle s'exerce aujourd'hui pour y introduire, je le disais, des éléments de démocratie participative. C'est une demande forte à laquelle nous devrons répondre. Le Président de la République s'est engagé à apporter des réponses puissantes sur ces sujets.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. C'est ce qu'il fera. Dans les textes qui suivront ce grand débat, des éléments de réponse permettront, aux niveaux national et local, de répondre à cette demande accentuée de démocratie participative.
M. Rachid Temal. Quel suspense !
M. le président. La parole est à M. Jacques Genest. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Genest. La crise des « gilets jaunes » a été le cri de colère et de désespoir des territoires ruraux méprisés, voire ignorés par le pouvoir technocratique parisien. Ce cri correspondait à la fracture territoriale illustrée par les problèmes de mobilité, l'absence de services publics, la fiscalité, les 80 kilomètres à l'heure, le pouvoir d'achat et des revenus « inadmissiblement » bas. Dans ma commune comme ailleurs, la moyenne mensuelle des retraites agricoles est inférieure à 600 euros. La France devrait avoir honte.
Cependant, le problème le plus dangereux pour la survie de la ruralité est la santé, très souvent citée dans le grand débat. Les médecins généralistes arrivent à la retraite et ne sont pas remplacés. Pour une visite chez un spécialiste, il faut attendre un an et parcourir cent kilomètres aller-retour en voiture en l'absence de transports en commun. La ruralité attirait de plus en plus de retraités lassés de la ville, mais ceux-ci ne viendront plus sur un territoire sans médecin, sans dentiste, avec la pharmacie fermée et les cabinets d'infirmiers partis.
Dans ma question d'actualité du 30 octobre dernier, j'appelais l'attention sur le mouvement du 17 novembre. Bien entendu, le Gouvernement n'avait pas compris et il a été sourd à cet appel au secours. On a vu la suite… M. de Rugy n'a d'ailleurs toujours pas compris !
Les propositions homéopathiques contenues dans la loi Santé ne changeront rien, comme tout ce qui a été fait depuis de très nombreuses années. Il convient de prendre des décisions énergiques, autoritaires et en partie coercitives pour ne pas laisser sans soins des millions de Français. Les ruraux ne veulent pas de soins palliatifs, mais des soins curatifs. La ruralité a la jaunisse,…
M. le président. Votre question !
M. Jacques Genest. … vous ne la soignerez pas avec un cachet d'aspirine et des belles paroles.
Madame la ministre de la santé, que comptez-vous faire pour que des millions de Français puissent encore se faire soigner ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Genest, j'entends votre question. J'ai pris le problème à bras-le-corps, et il est faux de dire que la loi Santé ne contient que des mesures homéopathiques : c'est une loi extrêmement structurante qui va être débattue par votre assemblée en juin.
Cette loi vise à structurer la médecine de proximité en donnant une nouvelle responsabilité aux professionnels de santé en dehors de la responsabilité de leur patientèle : la responsabilité territoriale. Tous les professionnels de santé d'un territoire s'engagent à s'organiser en groupe pour couvrir une population donnée et permettre l'accès aux soins, à un médecin traitant, à des soins non programmés, à la prévention. Des organisations nouvelles vont se mettre en place dans les territoires.
Nous allons doubler les maisons de santé et les centres de santé pluriprofessionnels, car c'est l'avenir de la médecine. C'est ce qui se fait dans tous les pays du monde aujourd'hui. La médecine en cabinet isolé est vouée à disparaître, parce qu'elle n'est plus adaptée pour soigner les pathologies chroniques.
Nous allons structurer des hôpitaux de proximité qui rendront un service de proximité autour de la gériatrie, de la médecine polyvalente, de plateaux techniques. Nous allons réinvestir dans ces hôpitaux. Nous allons y favoriser des consultations avancées de spécialistes, comme dans les maisons de santé. C'est ce qui se passe dans les GHT, où des professionnels de santé spécialistes…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Agnès Buzyn, ministre. … dispensent du temps médical.
Cette loi structurante va rapprocher notre système de santé des besoins des territoires.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. À la suite du grand débat, au-delà des réformes structurelles dont la mise en oeuvre prendra nécessairement du temps, nos concitoyens attendent du Président de la République et du Gouvernement des mesures concrètes susceptibles d'avoir une traduction effective à court terme. Dans l'esprit des Français, il s'agit essentiellement de mesures à caractère fiscal et en faveur du pouvoir d'achat.
Le Premier ministre a lui-même évoqué « une immense exaspération fiscale », mais si cette exaspération porte sur le niveau global des prélèvements, elle s'adresse aussi à la répartition de l'effort fiscal. Pouvez-vous imaginer une réforme fiscale sans que celle-ci concerne aussi la TVA ? L'institution d'une TVA à taux zéro sur certains produits de première nécessité, les produits alimentaires non transformés par exemple, et l'application d'un taux réduit à une gamme plus large de produits incluant en particulier des produits d'hygiène concourant à des objectifs de santé publique sont une réponse en termes de pouvoir d'achat.
Je connais les objections récurrentes du ministère de l'économie et des finances sur de telles propositions. L'argument selon lequel le différentiel de TVA serait capté par une majoration de la marge des producteurs et des distributeurs me paraît infondé, car nous sommes bien dans une économie de marché, donc concurrentielle, et cela prouverait par l'absurde que les taux intermédiaires et réduits de TVA actuellement en vigueur n'ont aucune incidence sur le prix TTC, donc aucune utilité.
La deuxième objection concerne la directive européenne sur la TVA, mais dont il est sans doute possible d'utiliser les souplesses dérogatoires ou d'obtenir quelques révisions à la marge.
La troisième objection est le coût budgétaire de telles mesures, mais ce manque à gagner ne pourrait-il pas être compensé, au moins partiellement, par l'instauration de droits d'accises sur certains produits de luxe ?
Fiscalité et pouvoir d'achat étant intimement liés,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Marc Gabouty. … la modulation des taux de TVA est-elle une option envisageable par le Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'action et des comptes publics.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le sénateur, votre interpellation porte sur la fiscalité, largement abordée dans les contributions de nos concitoyens. Qu'il s'agisse des débats, des cahiers de doléances, des interrogations, des envois de courriers ou des contributions sur la plateforme, la question de la fiscalité est arrivée en premier.
Évidemment, il y a beaucoup d'impôts en France, de nature très différente entre les ménages et les entreprises.
Le Président de la République souhaite baisser la fiscalité. Je me suis permis de faire passer à votre collègue sénatrice un petit graphique assez révélateur de la montée de la fiscalité, parfois qualifiée d'overdose fiscale, composée par deux gouvernements. Nous devons effectivement répondre à cette baisse de la fiscalité souhaitée par nos compatriotes. La question est de savoir où, avec des comptes publics que vous savez dégradés.
Il appartient au Président de la République de choisir les impôts qu'il proposera éventuellement à la représentation nationale et à la population de baisser. La question de la TVA est posée. Vous savez bien qu'elle soulève un problème de recettes, puisque c'est l'impôt, non social, qui rapporte le plus d'argent dans les caisses de l'État.
La TVA applicable aux produits de première nécessité fait l'objet d'interrogations. Il est vrai, comme l'a dit M. le ministre de l'économie et des finances, que ceux-ci sont déjà soumis à un taux très réduit de 5 %. Faut-il aller plus loin ? La Commission européenne répond « non », mais nous pourrions tout à fait négocier avec elle. En tout cas, ce ne sera pas automatique et immédiat, contrairement à d'autres impôts que nous maîtrisons totalement.
Par ailleurs, il convient de prendre en compte le rôle du distributeur. La baisse de la TVA sur la restauration n'a pas créé autant d'emplois que nous le pensions tous, même si elle a sans doute permis d'en créer une part et d'augmenter les marges,…
M. le président. Il faut penser à conclure !
M. Gérald Darmanin, ministre. … comme l'ont démontré les rapports du Parlement et de l'Inspection générale des finances. Elle représente des pertes de recettes fiscales et, pour autant, peu de pouvoir d'achat donné à nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Bonnecarrère. Le grand débat, à mon sens réussi, apporte une preuve supplémentaire de la volonté des Français de participer à la décision publique. La manière de décider a changé : nous sommes passés d'une légitimité de position à une légitimité de décision, à une « démocratie délibérative », pour reprendre les termes de M. le Premier ministre.
Le Sénat a fait, sous votre autorité, monsieur le président, dix propositions pour une démocratie plus participative renforçant la démocratie représentative et sans s'y substituer. Ces propositions portent sur le renforcement du référendum local, une rénovation du droit de pétition, à travers un droit de tirage citoyen, un droit d'initiative législative, un mécanisme de questions posées par des citoyens et, enfin, un assouplissement du référendum d'initiative partagée.
Ma question porte sur ce dernier point : l'exécutif a-t-il le projet de reprendre la révision constitutionnelle ? Si oui, le fera-t-il par la voie parlementaire ? Proposerez-vous un nouveau texte ou comptez-vous sur le Parlement pour l'enrichir, notamment sur le référendum d'initiative partagée, qui pourrait ainsi s'inscrire dans la République contractuelle évoquée par M. le Premier ministre ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Bonnecarrère, votre question reflète bien ce qui ressort clairement des résultats du grand débat. Je ne prétends pas à moi seule les interpréter, mais sous le chapitre « mieux associer les citoyens à la décision publique », quatre items ressortent prioritairement : le référendum, qu'il s'agisse du référendum national, mais surtout local, comme vous le disiez vous-même dans votre propos ; repenser le rôle des élus et des institutions, avec plus de disponibilité et plus d'exemplarité, cela vaut d'ailleurs également pour le Gouvernement ; développer la participation citoyenne et faire évoluer le système électoral. Le fait de mieux mobiliser les corps intermédiaires et la société civile vient plus loin.
Ces résultats disent évidemment que nous ne pourrons pas reprendre la révision constitutionnelle telle qu'elle était écrite,…
M. Philippe Bonnecarrère. Ah !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … encore qu'elle comprenait des éléments allant vers davantage de démocratie participative, de contrôle et d'évaluation des politiques publiques. Il me semble néanmoins que ce serait ne pas entendre ce qui a été dit dans le grand débat que de laisser les choses en l'état. Il appartiendra au Président de la République de préciser la manière dont il entend travailler sur ce sujet. En tout cas, et c'est essentiel, il ne s'agit absolument pas de substituer la démocratie participative à la démocratie représentative…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … ni même d'ailleurs de créer de la confusion entre l'une et l'autre.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Lundi, le Premier ministre a présenté la synthèse du grand débat national. Pour ce qui concerne la fiscalité, un constat s'est imposé : l'exaspération est à son comble. Les Français ont ainsi appelé de leurs voeux une baisse massive de la fiscalité. Cette baisse devra concerner les particuliers autant que les entreprises, avec un objectif clair : augmenter le pouvoir d'achat de tous nos concitoyens.
Cette baisse globale de la pression fiscale, pour concerner tous les Français, ne devra pas laisser de côté les outre-mer. Certes, des dispositions spécifiques existent déjà. Pourtant, elles se révèlent encore insuffisantes pour combler le différentiel de compétitivité de ces territoires par rapport à la métropole et à leur environnement géographique.
Comment la baisse massive et rapide des impôts concernera-t-elle les outre-mer, notamment les entreprises ? Qu'est-ce que le Gouvernement prévoit d'apporter aux dispositifs existants, notamment pour ce qui concerne les TPE et les PME ? Le Gouvernement envisage-t-il d'élargir les aménagements fiscaux propres à certains secteurs d'activité à l'ensemble des entreprises ultramarines ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué « l'exaspération » fiscale et l'attente fortement exprimée par les Français, en métropole comme dans les outre-mer, de voir diminuer cette pression fiscale. C'est ce à quoi nous nous employons : nous avons comme objectif de diminuer le taux global de prélèvements obligatoires de 1 point de PIB à l'échelle du quinquennat.
Cette baisse doit profiter à tous les territoires. Elle doit aussi être l'occasion d'améliorer la lisibilité de notre système fiscal. Nous aurons à travailler sur la fiscalité locale dans le cadre de la réforme de la taxe d'habitation ; ce sera très certainement l'occasion d'améliorer cette lisibilité. Nous aurons à travailler sur les impôts des ménages, comme sur ceux des entreprises. Vous savez les débats qui animent tant le Sénat que l'Assemblée nationale en matière de rationalisation des niches fiscales, de recherche d'économies et de lisibilité. Nous aurons à veiller à ce que les territoires ultramarins bénéficient, comme la métropole, des mêmes dispositifs d'exonération. La baisse de l'impôt sur les sociétés mise en oeuvre par le Gouvernement profite d'ailleurs à l'ensemble des entreprises, quelle que soit leur localisation.
Concernant la fiscalité plus spécifique des outre-mer, ces dispositifs dérogatoires ou particuliers de fiscalité qui peuvent d'ailleurs varier d'un territoire ultramarin à l'autre, je puis vous assurer que Mme la ministre des outre-mer, en liaison avec Gérald Darmanin et moi-même, veillera à ce qu'elle soit adaptée dans le même sens qu'en métropole et sur l'ensemble des territoires.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Ma question s'adresse au ministre de la transition écologique et solidaire.
Monsieur le ministre, quelles leçons tirez-vous du grand débat en matière de transition énergétique ? D'une part, la fiscalité écologique ne fonctionne qu'avec de la transparence, de la progressivité et de l'acceptabilité sociale. C'est d'ailleurs ce que le Sénat vous avait rappelé à la fin de 2017. D'autre part, nos compatriotes attendent de la politique une réflexion sérieuse sur ce qu'on veut faire effectivement pour construire une écologie authentique.
En guise de réponse, vous proposez une loi de programmation écologique qui serait soumise par voie de référendum. Quelle serait la question posée ? Faut-il, oui ou non, sauver la planète ?…
Nos politiques publiques environnementales manquent, depuis trop d'années, de cohérence et, surtout, de réalisme. Les Français ont le sentiment que les lois sur l'environnement, comme celle sur la transition énergétique de 2015, sont inconsistantes. Soit les objectifs sont fixés sur le très long terme et ne nous engagent pas réellement, soit ils le sont sur du très court terme et donc irréalistes, discréditant ainsi la parole publique. L'objectif intenable de 50 % de la part d'électricité issue du nucléaire d'ici à 2025 en est le meilleur exemple. Votre programmation pluriannuelle de l'énergie va d'ailleurs repousser l'échéance à 2035 et entrer ainsi en contradiction avec la loi de 2015. Nous attendons d'ailleurs toujours avec impatience le décret relatif à la PPE.
M. le président. Votre question !
M. Guillaume Chevrollier. Avez-vous vraiment une vision pour une écologie rationnelle qui aurait des effets bénéfiques concrets pour notre environnement et la biodiversité ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, la transition écologique a été très présente dans le grand débat, puisque c'était le deuxième thème d'expression après la fiscalité. L'un des points extrêmement positifs est que nos concitoyens ressentent l'urgence à agir. Ils considèrent le changement climatique et la préservation de la biodiversité comme des sujets importants. Sur la plateforme, ils se disent à 62 % directement touchés et sont 86 % à penser qu'ils peuvent agir en personne. Enfin, ils n'opposent pas écologie et économie, écologie et solidarité, puisqu'ils pensent que les politiques écologiques peuvent leur permettre de réaliser des économies.
Nous sommes prêts à avancer sur les sujets qui leur tiennent particulièrement à coeur, les deux premiers étant les transports - le Sénat a débattu du projet de loi d'orientation des mobilités présenté par Mme Borne - et la transition agricole. Nous tenions ce matin, Didier Guillaume, Agnès Buzyn, Frédérique Vidal, François de Rugy, Brune Poirson et moi-même, le comité Écophyto II+, qui va nous permettre d'avancer dans la transition agricole vers l'objectif ambitieux que nous nous sommes donné de réduction des pesticides de 25 % en 2020, de 50 % en 2050, de sortie du glyphosate en trois ans, en accompagnant les filières.
Les Français nous demandent d'agir au plan national et sur les territoires ; ils sont prêts à agir eux-mêmes. N'opposons pas les Français et le Gouvernement sur la transition écologique !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Que de la rue aux salles de réunions la question de l'accès à des services publics de proximité soit ces derniers mois un thème récurrent n'est pas fortuit. Nos concitoyens savent bien que les services publics constituent le seul bien de ceux qui n'ont rien, et ils y sont légitimement très attachés.
Aussi, quand l'école ferme, quand les options se réduisent comme peau de chagrin dans le lycée rural, quand les gendarmeries sont regroupées au chef-lieu de canton, quand l'hôpital public le plus proche est à plus d'une heure de route et que l'attente aux urgences peut durer des heures par manque de personnel, le sentiment d'abandon s'installe inexorablement, et c'est toute la perception d'appartenance à la communauté nationale qui se délite. Cette situation n'est évidemment pas brutalement apparue avec ce gouvernement, mais force est de constater son exacerbation ces derniers mois.
Le numérique, s'il peut apporter des réponses partielles, ne sera jamais une solution globale et ne peut remplacer des agents compétents au contact des administrés. Comme l'a souligné le Défenseur des droits, il peut même, dans certaines circonstances, exacerber la fracture et le sentiment de relégation.
Alors que la récente réforme de la justice éloigne le justiciable des lieux de justice, alors que la future loi pour l'école fait planer de lourdes hypothèques sur le maillage territorial du service public d'éducation, allez-vous faire évoluer la logique gouvernementale et tenir compte de l'attente de nos concitoyens, qui ne demandent pas une remise en cause de la fonction publique, mais des services publics, certes modernisés, parfois plus réactifs, bien présents à leurs côtés tant en milieu rural que dans les quartiers urbains ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics. Madame la sénatrice Perol-Dumont, je vous remercie de cette question embrassant l'ensemble des services publics présents sur nos territoires et d'avoir rappelé que l'existence de territoires oubliés ou qui se sentent comme tels ne date pas de ce gouvernement et s'est installée au fil des années ; cela témoigne, personne n'en doutait, de votre connaissance des territoires, notamment ruraux.
Nous avons comme objectif d'inverser cette logique en matière de santé. Mme la ministre des solidarités et de la santé a rappelé les efforts que son ministère mettait en oeuvre avec la loi Santé pour assurer un maillage territorial.
Nous avons comme objectif, avec Gérald Darmanin, de l'inverser en matière de finances publiques. Nous avons en tête que 1 200 points de contact ont été fermés en dix ans et que nous devons en réinstaller, peut-être en regroupant certaines fonctions support, mais en garantissant de la proximité, une présence physique sur le territoire.
Nous avons aussi la volonté d'accompagner la numérisation des services. Nous nous sommes engagés à ce que l'ensemble des services soit numérisé d'ici à 2022, parce que c'est un moyen d'accès pour beaucoup de nos concitoyens. Nous gardons en tête que 13 millions de Français accèdent difficilement aux services numérisés, soit par défaut de couverture en dépit des efforts du Gouvernement et des acteurs locaux pour améliorer le débit, soit pour des raisons d'usage de cette technologie ; il faut donc veiller à la médiation.
Nous essayons d'apporter une réponse en termes de services publics sur chacun des territoires avec une présence humaine, en veillant à réformer aussi la manière dont nous gérons les femmes et les hommes qui servent l'intérêt général, les fonctionnaires, en les mettant au contact du public et en leur donnant…
M. le président. Il faut conclure !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. … plus d'autonomie et de responsabilités au quotidien.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-Marie Bockel. Nous sommes plusieurs à le dire ce soir : les Français sont viscéralement attachés à leurs services publics, mais ils sont aussi très nombreux à critiquer la façon dont ceux-ci sont organisés sur le terrain. Cette responsabilité incombe à l'État et aux collectivités territoriales. Certes, nous avons fait des efforts, et la Cour des comptes a récemment noté que l'implantation des services publics dans les territoires ruraux résiste encore tant bien que mal, mais elle a aussi appelé l'État à améliorer la cohérence de ses services dans les territoires et à renforcer sa concertation avec les acteurs locaux.
Il est évident que les récentes lois d'organisation territoriale n'ont pas vraiment clarifié le partage de responsabilité entre l'État et les collectivités. Dans nos travaux au Sénat, nous touchons du doigt cette réalité et en mesurons les effets délétères. Une partie du dynamisme et de la réactivité des pouvoirs publics locaux se perd inutilement dans les labyrinthes des circuits décisionnels.
Pour corriger ces failles du maquis français, améliorer l'accès aux services publics, nous devons effacer les doublons, alléger les normes, libérer les initiatives. Le Président de la République s'est déclaré disposé à rouvrir la loi NOTRe pour améliorer ce qui ne fonctionne pas. Au-delà de ces corrections, avez-vous le projet, madame la ministre de la cohésion des territoires, d'ouvrir une nouvelle étape de la décentralisation centrée sur une subsidiarité réelle, des espaces de différenciation par lesquels les citoyens, les collectivités et l'État seront en mesure de construire une meilleure gouvernance de notre pays, du sommet à la base ? (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Jean-Marie Bockel, nous avons effectivement plusieurs projets visant à réorganiser la présence de l'État sur les territoires, que nous avons l'intention de mener avec les collectivités territoriales.
Il importe bien sûr de supprimer les doublons, source de clarté pour nos concitoyens. Il convient également de faire en sorte que les services publics soient présents d'une manière moderne sur les territoires. Nous savons bien que nous ne disposerons pas des services publics d'autrefois. Nous savons aussi que le numérique est un outil utile pour les services publics, mais que ceux-ci ne peuvent pas passer uniquement par l'outil numérique, ne serait-ce que parce qu'il faut accompagner environ 30 % de la population pour l'encourager à utiliser le numérique.
Par ailleurs, nous proposerons la réalisation d'un agenda rural permettant de décliner sur les territoires les services publics dont nos concitoyens ont besoin. J'ajoute, bien sûr, qu'il ne faut pas opposer le rural à l'urbain. Il faut prévoir la présence de maisons de services au public dans les quartiers.
Pour conclure, j'indique que 95 % des gens qui se sont exprimés dans le grand débat sur ce sujet sont tout à fait d'accord avec le regroupement des services publics en un guichet unique sur les territoires.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Depuis plus de vingt-deux semaines, notre pays connaît une crise sociale sans précédent. Depuis deux ans, le pouvoir se résume à un homme, seul, à l'Élysée, qui décide de tout. Pour autant, impuissant face à cette crise, il a lancé son grand débat national. L'instrumentalisation des contributions le transforme en « grand bluff national ».
En vingt-deux semaines, toutes les solutions n'émanant pas de l'Élysée ont été rejetées. Les propositions de lois et d'amendements socialistes : rejetées ! Le Pacte pour le pouvoir de vivre porté par dix-neuf organisations autour de MM. Berger et Hulot, que vous connaissez bien : rejeté également !
Ma question est simple : le Président de la République va-t-il suivre les conseils de la porte-parole du Gouvernement, qui a prophétisé que « rien ne sera plus comme avant », ou va-t-il continuer à prendre et à imposer ses décisions seul ? Pour sortir de la crise, va-t-il enfin entendre la demande d'une grande conférence sociale, environnementale et territoriale associant l'ensemble des Français au travers de leurs représentants légitimes, à savoir les trois assemblées, les élus locaux, les partenaires sociaux et l'exécutif, afin que chacun prenne publiquement des engagements et s'y tienne ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, qui est notamment chargée du grand débat.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, ce grand débat a été un moment de démocratie inédit auquel plus de 1,5 million de personnes ont participé : un tiers par des contributions en ligne, un tiers dans 10 000 réunions partout sur le territoire et un tiers dans des cahiers citoyens. Nous pouvons bien sûr tous considérer que la parole de 1,5 million de personnes n'a pas d'importance, mais il me semble que cette parole a de la valeur et doit être entendue.
Ce grand débat n'a pas opposé les Français et les corps intermédiaires : les organisations syndicales et patronales y ont beaucoup participé ; elles ont été incitées à produire des contributions. Nous avons monté des conférences nationales thématiques regroupant les organisations syndicales et patronales, les grandes associations, les associations de protection de l'environnement, de solidarité, les associations d'élus, qui ont émis des propositions. Leurs quarante propositions ont servi de base aux conférences régionales citoyennes, composées de citoyens tirés au sort qui, eux-mêmes, ont réagi. Par ailleurs, les contributions de ces organisations sur le site du grand débat ont été rendues publiques.
Vous nous interrogez aujourd'hui sur les suites de ce processus. Le Président de la République l'a dit, c'est le moment de refonder le quinquennat, de revoir le projet national et européen.
M. Rachid Temal. Va-t-il décider seul ?
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. Le Premier ministre a annoncé la mise en oeuvre de décisions puissantes. Le temps des décisions est proche et celles-ci, j'en suis sûre, ne nous décevront pas.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Dans sa lettre aux Français, le Président de la République n'a pas identifié l'éducation comme un sujet essentiel. Pourtant, la plupart des Français sont particulièrement inquiets pour l'avenir de leurs enfants. Plus personne n'ose dire aujourd'hui que l'école va bien. L'ascension sociale et la confiance dans l'institution scolaire sont compromises, car il y a un renoncement évident au principe de la méritocratie républicaine.
Dans ce contexte difficile, à travers le déracinement des savoirs, le nivellement, la création des inégalités, l'école n'a plus d'identité et ne fait qu'aggraver les fractures territoriales, sociales et culturelles dans notre pays. L'école républicaine a cessé d'être nationale ; elle a même cessé, plus grave encore, de former des citoyens éclairés et patriotes plus instruits que leurs aïeux.
Cet appauvrissement intellectuel et cet abandon culturel produisent, dans un certain nombre de territoires et de quartiers laissés en marge, échec scolaire, violence, chômage, discrimination et un malaise dans lequel tant d'enseignants, d'élèves et de familles sont plongés.
Il est urgent de réaffirmer l'autorité du maître et la primauté de la transmission des savoirs sur tout pédagogisme.
Monsieur le ministre, vous avez ouvert beaucoup de chantiers sur l'école.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Vous avez commandé des rapports, créé des comités Théodule, présenté le projet de loi pour une école de la confiance… Mais qu'attendez-vous pour rétablir le lien entre la Nation et l'école, garante des valeurs républicaines ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Notre stratégie pour l'école est claire, et j'ai souvent eu l'occasion de l'exposer devant vous. Elle tient en deux grands objectifs : élever le niveau général et garantir la justice sociale.
Le Président de la République a abordé l'éducation dans sa lettre aux Français, même si elle ne constitue pas l'un des quatre axes. Il ressort également du grand débat que l'éducation apparaît comme une solution, et non comme un problème : les Français lui demandent de renforcer le lien avec la vie professionnelle, de traiter de la transition écologique et de former à l'éducation civique et morale.
Je ne pourrai pas résumer en une minute l'ensemble de la stratégie, que par ailleurs vous connaissez, madame la sénatrice, mais la définition de l'école est claire : transmettre des connaissances et des valeurs.
Je suis en désaccord avec vous sur deux points.
Premièrement, votre description beaucoup trop catastrophiste n'aide pas à la construction de l'école de la République. Celle-ci va mieux que ce que vous dites, et moins bien que ce que l'on voudrait. Évidemment, nous avons une stratégie à long terme, mais l'impatience et les mots excessifs ne la servent en rien.
Deuxièmement, votre remarque sur les comités Théodule est inutilement désobligeante. Nous avons créé un grand conseil scientifique de l'éducation nationale, présidé par Stanislas Dehaene, qui a débouché sur des mesures très concrètes, comme les évaluations au CP et au CE1, véritable stratégie pour ancrer les savoirs fondamentaux chez nos élèves.
La réforme du lycée est également extrêmement concrète.
On ne peut pas nous faire le procès de rester dans la théorie ou l'abstraction. Nous agissons, selon une stratégie claire et exposée. Il faut simplement du courage, et peut-être aussi une relative unité nationale.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Élisabeth Doineau. Ma question s'adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Le sujet de la santé a été largement évoqué par nos concitoyens lors du grand débat.
Je commencerai par saluer l'initiative de la ministre et du Premier ministre d'avoir lancé, dès octobre 2017, un plan pour l'accès aux soins. La stratégie Ma santé 2022 a également été largement plébiscitée lors de sa présentation en septembre dernier. Le projet de loi Santé, dont nous allons débattre dans cet hémicycle d'ici à quelques semaines, décline cette ambition.
Je voudrais à présent profiter de mon expérience de déléguée à l'accès aux soins pour vous faire part de quelques réflexions et vous proposer quelques outils, madame la ministre.
Il faudrait une boussole pour se repérer dans la forêt d'acronymes et de dispositifs existants, notamment pour favoriser l'installation des médecins ou la coordination des initiatives… Les élus et nos concitoyens ne s'y retrouvent pas. La culture de la simplification doit véritablement devenir une exigence.
Il faudrait aussi clarifier.
M. le président. Il faut penser à poser votre question, ma chère collègue…
Mme Élisabeth Doineau. Le projet de loi Santé prévoit un large recours aux ordonnances, et certaines de ses mesures sont très floues.
Le dernier outil que je vous propose, c'est un baromètre.
M. le président. Il faut vraiment conclure !
Mme Élisabeth Doineau. Nous avons besoin d'une déclinaison par territoire, et il est très important, notamment, que les élus locaux puissent diffuser les résultats des mesures qu'ils effectuent.
Pourriez-vous apporter les clarifications nécessaires et faire confiance aux élus locaux, notamment aux élus départementaux,…
M. le président. Ma tendresse est épuisée… (Sourires.)
Mme Élisabeth Doineau. … qui s'investissent beaucoup dans les politiques de santé ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Élisabeth Doineau, j'ai écouté vos remarques avec attention. Vous parcourez tout le territoire pour voir comment s'organise le plan d'accès aux soins, et les propositions que vous nous soumettez sont issues de votre expérience.
Je suis d'accord avec vous : une relation de confiance doit se nouer avec les élus locaux pour déployer notre stratégie de transformation du système de santé. Nous avons d'ores et déjà créé, pour l'examen du projet de loi Santé, un groupe de contact avec les grandes associations d'élus – AMF, ARF, ADF –, chargé d'examiner les étapes de la discussion du texte et sa future mise en oeuvre.
Je veux également que les élus locaux soient beaucoup plus impliqués qu'ils ne le sont aujourd'hui dans les décisions de santé. Lors de l'examen du projet de loi à l'Assemblée nationale, les députés ont prévu une participation des élus locaux aux conseils territoriaux de santé. Les parlementaires, députés et sénateurs, siégeront également au conseil de surveillance des ARS, et ils seront impliqués dans les décisions de santé territoriales.
C'est aujourd'hui le contrat que je veux conclure avec les citoyens : rien ne se fera sans les élus locaux. Je rencontre tous les mois les directeurs généraux des agences régionales de santé et leur rappelle que la transformation de notre système passera par une concertation avec les territoires et une compréhension de leurs besoins, tout en tenant compte des contraintes liées à la sécurité des soins. C'est mon unique boussole en tant que ministre des solidarités et de la santé.
M. le président. Mes chers collègues, je vous remercie d'avoir assisté nombreux à ce débat qui a duré plus de quatre heures.
Je remercie M. le Premier ministre, Mmes et MM. les ministres, et je félicite tout particulièrement M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, dont j'ai pu apprécier le rôle de chef d'orchestre tout au long de l'exercice.
Ce débat n'est qu'une étape d'une réflexion à laquelle il m'apparaît indispensable que le Sénat soit associé, avec sa préoccupation particulière pour les territoires et les citoyens. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures dix.
La séance est suspendue.
Source http://www.senat.fr, le 16 avril 2019