Texte intégral
Chère Anne-Marie Idrac,
Monsieur le Président, cher Luc Chatel,
Monsieur le Président de l'Utac Ceram, cher Laurent Benoît,
Chers amis,
Je suis un amoureux de la voiture et donc tout ce qui permet à la France de garder sa position en matière d'industrie automobile aura mon soutien et aura notre soutien à tous.
La France a créé la voiture du XXe siècle. Elle doit créer la voiture du XXIe siècle. C'est le défi qui a été très bien exposé par Luc Chatel tout à l'heure. Et le fait que nous ayons créé un centre d'essai ici à Montlhéry, qui est un lieu historique de l'industrie automobile – puisque l'anneau date, si j'en crois le Président, de 1924 – est un symbole fort de notre détermination à relever ce défi de l'industrie automobile du XXIe siècle. Que Renault, PSA, Valeo, que les grands constructeurs automobiles français et les grands sous-traitants automobiles français aient déjà accès à ce centre d'essais est de mon point de vue un très bon signal et un très bon symbole.
Je ne reviendrai pas sur les défis auxquels fait face l'industrie automobile : je crois qu'ils ont été très bien présentés. Mais chacun doit mesurer que ces défis vont très vite, que les cartes sont rebattues à une vitesse absolument stupéfiante et que nous n'avons plus le temps d'attendre.
Deux révolutions sont en cours : la révolution de la motorisation électrique et la révolution du véhicule autonome. Nous sommes en passe de réussir la première – avec un peu de retard mais nous avons mis un coup d'accélérateur. Sur la seconde, en revanche, nous faisons confiance à Anne-Marie Idrac pour nous mettre l'épée dans les reins et garantir que les choses avancent. Nous avons pris du retard et il faut rattraper ce retard.
Sur les batteries électriques, vous savez que nous avons décidé de créer la première filière européenne de batteries électriques. Nous l'avons fait à la demande des industriels automobile, qui nous ont dit : "Nous ne pouvons pas continuer à dépendre de la fourniture de batteries électriques produites par la Chine ou par la Corée du Sud". Demain, la valeur d'un véhicule ne viendra pas de la carrosserie, aussi belle soit-elle, ce ne sera pas le pare-brise, ce ne seront pas les rétroviseurs, ce ne seront pas les jantes. La valeur d'un véhicule, pour la moitié, voire les deux tiers, résidera dans le système de guidage et dans les batteries électriques. Si vous perdez la valeur, vous perdez l'industrie et les emplois qui vont avec.
Il était donc indispensable pour notre indépendance technologique, pour notre indépendance stratégique, que nous réalisions nos propres batteries sur le sol européen. Et c'est le choix que nous avons fait avec notre partenaire allemand : être indépendant – ce beau mot d'indépendance en matière de technologie électrique. Nous avons donc lancé cette filière avec 5 milliards d'euros d'investissements, dont 1,2 milliard d'euros de financement, avec un soutien européen dans le cadre des projets d'intérêt collectif européen.
Il arrive parfois à l'Europe d'ouvrir enfin les yeux sur la réalité du monde et de comprendre qu'elle ne peut pas autoriser la Chine et les Etats-Unis à subventionner leurs batteries, pendant que nous serions les seuls à dire : "Les aides d'Etat, jamais !".
Il ne peut pas y avoir de filière des batteries électriques sans soutien public. Et je me félicite que l'Union européenne l'ait réalisé en acceptant que cette filière des batteries électriques bénéficie d'un soutien public.
Dès 2020, la première usine pilote ouvrira en France. Ce seront 200 nouveaux emplois industriels créés. À partir de 2021 et 2022, nous ouvrirons une usine en France et une usine en Allemagne pour 1 500 emplois dans chacune de ces usines. A terme, selon l'évaluation de la Commission européenne, ce sont des millions d'emplois industriels qui dépendront de la création de cette filière des batteries électriques.
Indépendance stratégique, autonomie technologique, des millions d'emplois industriels à la clé : vous voyez bien que c'est un enjeu absolument décisif, non seulement pour la filière de l'industrie automobile, pour les constructeurs et pour les sous-traitants, mais aussi pour tout ce qui va autour des emplois industriels, c'est-à-dire les emplois de service.
La seconde révolution, c'est celle du guidage autonome. Il ne faudrait pas qu'on se jette des sacs de cendres sur la tête. Il est vrai que, quand on regarde les chiffres, les deux tiers des kilomètres parcourus par les véhicules autonomes aujourd'hui le sont par les véhicules Waymo de Google. Nous avons du retard, autant le dire avec simplicité mais, en même temps, autant le dire avec détermination à combler ce retard et à revenir dans la course. D'abord, parce que cette domination technologique mondiale est dangereuse. Je pense que tout ce qui est concentration excessive peut être dangereux. Je pense que la cartellisation de l'industrie n'est pas une bonne chose et qu'il faut donc qu'il y ait donc des concurrents, des compétiteurs qui puissent émerger.
Nous avons donc défini une stratégie nationale pour développer les véhicules autonomes. Nous l'avons confiée à une personnalité dont chacun connaît la compétence et le caractère bien trempé, Anne-Marie Idrac. C'est le gage du succès de cette opération. Nous avons trouvé l'enceinte pour mettre en oeuvre cette stratégie : le comité stratégique de la filière automobile, avec un président qui a l'expérience, le professionnalisme et le savoir-faire pour que les choses fonctionnent, Luc Chatel. Et je me félicite que, pour la première fois, nous qui avons tellement de goût pour les rivalités, les querelles inutiles, nous soyons capables de nous rassembler. Le rassemblement – c'est parfois vrai en politique mais c'est vrai surtout en matière industrielle – est efficace pour relever les défis du XXIe siècle. Luc Chatel a fait un travail tout à fait formidable pour que la filière automobile, qui a été tellement divisée par le passé entre les grands constructeurs, avec les sous-traitants qui parfois se livraient des querelles inutiles, se rassemble et qu'il n'y ait qu'une seule filière automobile engagée autour du succès dans ces révolutions technologiques.
De quoi avons-nous besoin, maintenant que les bases ont été solidement établies, pour que tout cela marche ?
Le premier besoin, c'est de développer les technologies. Il ne peut pas y avoir de véhicules autonomes sans intelligence artificielle embarquée et donc il faut gagner cette bataille de l'intelligence artificielle embarquée. Qu'est-ce que ça veut dire très concrètement ?
L'intelligence embarquée, ce sont d'abord des composants de nano et de microélectronique. Vous avez sur la taille d'une pièce des composants nanoélectroniques qui permettent de réaliser des centaines de milliards de calcul par seconde. Il faut donc avoir la maîtrise de cet élément et de cet outil de base. Et nous l'avons, je tiens à le dire par fierté nationale et par fierté européenne. Nous possédons ces technologies, notamment grâce à un leader mondial qui s'appelle STMicro. Si certains parmi vous veulent voir ce qu'est une usine particulièrement impressionnante en termes de technologies, de savoir-faire, de professionnalisme et de modernisation, allez à Crolles visiter l'usine de STMicro : vous serez, je pense, absolument stupéfait.
Donc, nous avons une excellence française en terme de nanotechnologies et de micro-électronique embarqués, nous avons des entreprises à dimension mondiale, nous avons les technologies. Arrêtons d'expliquer que la Chine et les Etats-Unis sont déjà loin devant et que tout est perdu : c'est faux. C'est faux et c'est une insulte faite à nos ingénieurs, à nos ouvriers, à nos scientifiques, à nos chercheurs qui ont développé tous les savoir-faire pour que nous restions au niveau mondial au même niveau que la Chine et que les Etats-Unis en matière de micro-électronique et de nanotechnologies. STMicro en est une excellente illustration. Le CEA qui travaille aussi sur ces sujets, le "Plan nano" que nous avons mis en place avec 5 milliards d'euros d'investissements, tout cela doit nous permettre de continuer à maîtriser ces technologies au niveau mondial.
Le deuxième élément clé – le premier me paraît rempli et nous continuerons à y investir – c'est la 5G.
Il ne peut pas y avoir de véhicules autonomes sans 5G. Une fois que vous avez les composants pour faire circuler l'information, il faut qu'elle circule aussi entre véhicules ou avec des bornes de fréquences qui supposent le déploiement de la 5G.
Dès 2020, les fréquences seront attribuées et les déploiements commerciaux concerneront au moins une grande ville. Dès 2025, les axes de transports principaux seront couverts en 5G. Et les industriels évidemment doivent avoir accès à la 5G pour développer leurs technologies autonomes. Je constate d'ailleurs – parce qu'on nous s'explique qu'en matière de 5G, il n'y aurait qu'un industriel qui serait compétent – qu'ici c'est Ericsson qui a été retenu pour déployer la 5G et que visiblement tout marche très bien, preuve que l'offre en matière de 5G est peut-être plus large et plus diversifiée que ce qu'on veut parfois nous expliquer.
C'est un simple constat que je fais ici, il me semble que nous sommes tous sortis en très bon état des différentes expériences auxquelles nous avons été soumises : freinage d'urgence, freinage évitement ou véhicules autonomes totalement guidés grâce à une 5G déployée avec Ericsson, Bouygues et Orange.
Le troisième besoin, c'est expérimenter : c'est le nerf de la guerre.
Plus on expérimente, plus on sécurise.
Je retiens aussi ce qu'a dit à très juste titre Anne-Marie Idrac : ne sous-estimons pas la révolution culturelle que cela représente pour nos concitoyens d'avoir des véhicules qui sont totalement autonomes, ne sous-estimons pas les craintes liées à cette nouvelle dimension de la voiture qui va être guidée de manière totalement autonome, ne sous-estimons pas les choix moraux qui peuvent se retrouver derrière. En cas de freinage d'urgence, quel est l'obstacle que je dois éviter ? C'est un choix moral à faire qui est très compliqué et qui soulève beaucoup de questions chez nos compatriotes, auxquelles il faut répondre.
Eh bien, pour donner de la sécurité, il n'y a pas d'autre solution que d'expérimenter pour certifier, protéger et donner confiance aux utilisateurs. Ces tests pourront être faits sur route, ils pourront aussi être faits de manière théorique. La validation technique de l'algorithme va jouer un rôle absolument déterminant et c'est pourquoi nous avons lancé, avec Frédérique Vidal, un grand défi "certification de l'intelligence artificielle" qui est absolument décisif pour nous assurer qu'il n'y ait pas des biais dans les sélections et les choix qui sont faits par l'intelligence artificielle.
Cela fait partie des projets soutenus par le Fonds pour l'innovation de rupture. Ce grand défi "certification à l'intelligence artificielle" permettra de nous doter des compétences pour garantir la sécurité des algorithmes qui nous guideront demain. C'est un enjeu absolument décisif d'avoir une sécurité dans les algorithmes qui guideront demain toutes nos mobilités, c'est l'objet de ce grand défi. Mais nous avons aussi besoin d'un programme national d'expérimentation qui se fasse sur route. 25 expérimentations existent déjà dans les grandes villes, à Rouen ou à Lyon par exemple. Je souhaite que ces expérimentations sur les véhicules autonomes se développent partout en France pour nous permettre de multiplier les expériences et d'avoir une certification qui soit la plus efficace possible.
Tout cela suppose, et c'est le dernier besoin, d'adapter la réglementation.
Si on veut expérimenter, il faut adapter la réglementation et d'abord le régime de responsabilité. Il a été défini dans la loi PACTE. Qui est responsable lors d'un accident avec un véhicule autonome ? Ce qui a été décidé dans le projet de loi sur la croissance et la transformation des entreprises, c'est que ce sera le titulaire de l'expérimentation qui sera responsable en cas d'accident. Ce n'est pas une contrainte pour le titulaire de l'expérimentation, c'est un cadre clair qui va permettre d'expérimenter en conséquence. Il faut également, et c'est ce que nous avons prévu, autoriser l'expérimentation sur route de manière très libre et nous avons défini là aussi, avec la loi PACTE, un cadre qui est l'un des plus libres en Europe pour tester le véhicule autonome sur route ouverte et multiplier à la fois les expériences et les retours d'expériences.
Enfin, je rappelle que tout cela n'a de sens que si nous travaillons au niveau européen pour avoir un cadre réglementaire qui soit exactement le même. Nous y travaillons avec l'Allemagne et j'espère que nous arriverons à des conclusions au niveau européen dans les délais les plus brefs possible.
Je terminerai par une conviction, en revenant à ce que je disais au départ : l'industrie automobile est une partie de notre patrimoine culturel. La voiture n'est pas simplement un objet industriel comme un autre. Il y a un attachement des Français - que je partage totalement - à la voiture comme objet, comme synonyme de liberté, comme synonyme de transport, de déplacement, de découverte. Eh bien, il faut que cette découverte aujourd'hui soit aussi une découverte technologique, que nous restions, nous Français, avec nos partenaires européens, au premier rang de l'industrie automobile mondiale.
Et je suis très heureux de voir que ce défi qui avait été laissé de côté pendant quelques années, nous sommes en train de le prendre à bras le corps en regardant en face les deux défis que sont l'électrique et le véhicule connecté, plutôt que de gémir en disant : "c'est trop tard on ne va pas y arriver".
Nous avons tout pour y arriver, c'est ma conviction profonde. Nous avons tous les atouts technologiques, scientifiques, industriels pour arriver à réussir cette révolution technologique de l'industrie automobile du XXIe siècle. Je crois en plus que nous avons le plus essentiel pour y arriver : une bonne volonté collective, que je vois ici à Montlhéry. C'est cette bonne volonté collective qui nous permettra au bout du compte de relever ce défi et de faire en sorte que la France continue à rimer avec industrie automobile de pointe.
Merci à tous.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 19 juin 2019