Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur les avantages fiscaux donnés aux Français les plus aisés depuis 2017.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions et réponses. Je vous rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Il y a quelque chose de tout à fait savoureux à entendre la présidente du groupe socialiste nous donner des leçons sur les impôts, qui ont causé la perte de François Hollande et de la majorité précédente. J'ai écouté avec beaucoup d'attention les analyses techniques et les rapports très complexes que vous avez cités, mais je voudrais revenir à des choses beaucoup plus simples – des choses simples que vivent les Français, c'est-à-dire la réalité de la fiscalité en France.
La première de ces réalités est simple, et a été proclamée partout depuis des années : les impôts sont trop élevés en France.
M. Jean-Paul Lecoq. Lesquels ?
M. Bruno Le Maire, ministre. La pression fiscale atteint plus de 45 % de notre richesse nationale. Et ces impôts n'ont cessé d'augmenter, depuis dix ans, dans notre pays, toutes majorités confondues. On dépasse désormais 45 % d'impôts par rapport à notre richesse nationale, contre 39 % en moyenne en Europe, et un peu plus de 40 % dans la zone euro.
Ces 45 % sont donc une exception française…
Mme Christine Pires Beaune. Comme notre modèle social !
M. Bruno Le Maire, ministre. …une mauvaise exception, et s'il y a une seule direction à retenir en matière de fiscalité, c'est de baisser les impôts des Français.
M. François Ruffin. Et la justice ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Tout le reste, à mon sens, que ce soit au nom de la justice, de l'équité, de l'égalité, contribue systématiquement à justifier des augmentations d'impôts ou de taxes dont les Français ne veulent plus.
La deuxième réalité, c'est que les Français n'en ont pas pour leur argent.
M. Jean-Paul Lecoq. C'est vrai !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ils estiment qu'ils payent beaucoup d'impôts, beaucoup de taxes, mais ils ne comprennent pas quel service leur est rendu en retour de ces impôts et de ces taxes. En gros, nous avons les impôts de la Suède sans le modèle social suédois.
M. Jean-Paul Lecoq. Mais la Suède ne fait pas la guerre aux quatre coins du monde !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons des impôts et des taxes très élevés, mais les Français ont le sentiment qu'ils n'en voient pas la contrepartie réelle dans leur vie quotidienne, dans les services publics, dans ce qui est accordé au nom de ce soutien public.
La troisième réalité du système fiscal français, c'est que les classes moyennes supportent une large partie de cet impôt, et n'en peuvent plus. Elles n'en peuvent plus de payer tout le temps, de supporter des impôts et des taxes parmi les plus élevés, si ce n'est les plus élevés de toute l'Europe. Elles n'en peuvent plus de payer ces impôts, et de devoir, lorsqu'elles mettent leurs enfants à la crèche, contribuer au niveau le plus élevé, ou, lorsqu'elles doivent payer la cantine, le faire à un prix plus élevé que les autres ménages. Elles n'en peuvent plus, elles nous disent de baisser les impôts, et elles ont raison ! Ce sera la direction que suivra le Gouvernement.
M. Jean-Louis Bricout. Vous avez augmenté la CSG !
M. Bruno Le Maire, ministre. Autre réalité : nos impôts sont très redistributifs. Je veux bien que l'on parle sans cesse d'équité, de justice fiscale, d'égalité, mais regardons ce que nous avons déjà réussi à faire : oui, les impôts français sont redistributifs. Avant redistribution, les 10 % de personnes les plus modestes ont un niveau de vie moyen vingt-quatre fois plus faible que les 10 % des personnes les plus riches. Le vrai scandale français est là : les inégalités, à la racine, sont scandaleusement élevées dans notre pays, parce que nous n'avons pas été capables de réduire les fractures territoriales, les différences d'éducation, les inégalités à la naissance ! (Exclamations sur les bancs du groupe FI.) C'est cela, la réalité !
Et, pour masquer tout cela, nous avons un système fiscal de redistribution massive, qui vient tempérer et corriger effectivement ces inégalités, puisque, après redistribution, ce rapport de vingt-quatre entre les 10 % les plus pauvres et les 10 % les plus riches n'est plus que de six. Cela montre deux choses : que notre système fiscal est redistributif, mais que les inégalités à la racine en France restent scandaleusement élevées. Et c'est bien l'honneur de cette majorité que de vouloir traiter les problèmes à la racine, par l'éducation, par le travail et par l'emploi, plutôt que par l'augmentation systématique des impôts et des taxes. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme Sylvie Tolmont. En donnant aux plus riches !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nos impôts sont redistributifs, puisque 10 % des contribuables assujettis à l'impôt sur le revenu payent 70 % de cet impôt, et que plus de 50 % des Français ne sont pas assujettis à cet impôt sur le revenu.
M. François Ruffin. La principale taxe de ce pays, c'est la TVA !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le problème de la pauvreté est moins réglé par les impôts que par le travail.
M. Jean-Paul Lecoq. Derrière le travail, il doit y avoir un salaire !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ainsi, 14 % des Français sont sous le seuil de pauvreté, mais 34 % des chômeurs sont sous le seuil de pauvreté. C'est bien la preuve que la meilleure façon de réduire les inégalités et la pauvreté dans notre pays, c'est d'être capable de donner un emploi bien rémunéré à chaque Français…
M. Jean-Paul Lecoq. Chiche ? Augmentez donc le SMIC !
M. Bruno Le Maire, ministre. …et de se sortir de ce chômage de masse qui, depuis trente ans, dissout, disloque et divise la société française.
Il est intéressant d'aller à la racine de ces problèmes, puisque les solutions que j'entends souvent proposer – augmentation des impôts et redistribution accrue –, ne font que reproduire des erreurs qui, depuis trente ans, ont empêché notre pays de se redresser. Nos impôts ont favorisé la désindustrialisation, ont empêché nos PME de grandir, ont empêché l'émergence d'entreprises de taille intermédiaire, et expliquent que le chômage de masse reste aussi élevé dans notre pays.
Mme Sylvie Tolmont. Le chômage a augmenté depuis que vous êtes au pouvoir !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons fait le choix de taxer massivement le capital, et nous en subissons les conséquences : nos entreprises de taille intermédiaire sont aujourd'hui en nombre insuffisant, notre tissu industriel est faible, nos emplois industriels ont disparu, et nos usines ont fermé.
Taxation des dividendes à 44 %, des intérêts à 62 %, telle était la réalité de notre fiscalité sur le capital…
M. Jean-Paul Dufrègne. C'était bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. …avant que nous ne la transformions pour qu'elle permette d'investir, d'ouvrir des entreprises et de créer des emplois.
Cette taxation massive du capital était non seulement inefficace, mais injuste, puisque les plus gros patrimoines, que vous citez si souvent, échappaient à l'ISF. On avait ainsi droit chaque année, dans Le Canard enchaîné, à la liste des plus gros patrimoines français qui échappaient à l'ISF en raison de son plafonnement.
M. Jean-Paul Dufrègne. Ceux des banquiers !
M. Bruno Le Maire, ministre. Eh bien, quand une fiscalité sur le capital est à la fois inefficace et injuste, le bon sens veut qu'elle soit transformée. C'est ce que cette majorité a fait, et c'est ce qui donnera des résultats pour les Français ! (Exclamations sur les bancs des groupes SOC et FI.)
La réalité de l'économie française, c'est que nous manquons de financements en fonds propres, de financements disponibles pour nos entreprises, parce que nous finançons par la dette. Le vrai problème de l'ISF n'est pas, comme je l'entends trop souvent, que les gros patrimoines seraient partis massivement de France. Dans le fond, que quelques centaines de patrimoines soient partis, ce n'est pas le problème. Après tout, si certains veulent partir, libre à eux. Mais le vrai problème économique, c'est qu'en taxant massivement le capital, nous avons affaibli notre économie, privé nos entreprises des fonds propres dont elles avaient besoin, et empêché la création d'emplois qui nous aurait permis de réduire le chômage. C'est ce qui nous a amenés aux choix fiscaux qui font l'objet du débat d'aujourd'hui.
Je veux revenir sur la cohérence de ces choix fiscaux, car ils sont adossés à des réalités sociales et à des choix économiques fondamentaux.
Un premier choix a consisté à alléger la fiscalité sur le capital, donc à dégager des moyens financiers pour l'investissement.
M. Jean-Paul Dufrègne. À creuser les inégalités !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons supprimé l'impôt sur la fortune tout en maintenant un impôt sur la fortune immobilière.
M. Gilles Lurton. Mauvais choix !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ce passage de l'ISF à l'IFI entraîne une perte de recettes de 3 milliards d'euros.
M. Jean-Louis Bricout. Vous avez réussi à diviser les riches !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons aussi fait ce choix pour nous conformer aux standards européens, Madame Rabault, car nous étions le dernier pays de l'Union à prélever un impôt sur la fortune. Vous ne pouvez pas être pour la convergence fiscale européenne lorsqu'elle vous arrange, et contre lorsque vous voulez maintenir le symbole de l'ISF. Nous avons au moins la cohérence d'aller au bout de nos choix ! Nous voulons de la convergence fiscale. En conséquence, comme tous les autres pays européens, nous supprimons l'impôt sur la fortune tout en maintenant un impôt sur l'immobilier.
Nous avons également mis en place un prélèvement forfaitaire unique – PFU ou flat tax – par souci de simplicité (rires sur les bancs des groupes SOC et GDR), mais aussi pour alléger la fiscalité sur le capital.
Nous avons décidé de ramener l'impôt sur les sociétés à 25 %, parce que nous voulons des entreprises plus compétitives. Avec un taux d'IS à 33,3 %, nous étions moins compétitifs que nos concurrents européens. Le ramener à 25 % d'ici à 2022 pour toutes les entreprises françaises – l'objectif sera tenu – fera de la France la terre la plus compétitive de tous les territoires européens.
M. Jean-Louis Bricout. Et l'Irlande ?
M. Jean-Paul Lecoq. Une terre où les travailleurs n'ont pas fini de souffrir !
M. Jean-Paul Dufrègne. Vous installez la précarité !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je rappelle que nous avons maintenu la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, dont peu de monde parle. La dernière tranche d'impôt sur le revenu est élevée et, en plus, il existe, pour les ménages dont les revenus sont les plus hauts, soit 250 000 euros pour une personne seule et 500 000 euros pour un couple, une surtaxe de l'IR…
Mme Sylvie Tolmont. Vous allez nous faire pleurer !
M. Bruno Le Maire, ministre. …à laquelle nous n'avons pas touché de manière à maintenir la justice fiscale.
Nous avons fait un deuxième choix fiscal qui nous honore : nous avons baissé la pression fiscale sur les ménages français.
M. Jean-Louis Bricout. Ah bon ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour la première fois depuis douze ans, la pression fiscale sur les ménages français baissera en 2019. C'est l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, qui le dit.
M. Jean-Louis Bricout. Pas les retraités, c'est sûr !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je cite mes sources, comme Mme Valérie Rabault, car je me doute bien que si je faisais une telle proclamation urbi et orbi, des interrogations pourraient survenir. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.)
M. Jean-Paul Lecoq. L'OFCE, ce n'est pas non plus parole d'évangile !
M. Bruno Le Maire, ministre. Vous devriez vous réjouir que nous empruntions enfin un chemin qui correspond davantage à la volonté d'une immense majorité de Français, en particulier des classes moyennes.
M. Jean-Paul Dufrègne. 75 % d'entre eux veulent le rétablissement de l'ISF !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous baissons les impôts des Français.
M. Julien Aubert. Mais le déficit a doublé !
M. Jean-Paul Lecoq. Une baisse, ce n'est pas ce que voient les Français !
M. Jean-Louis Bricout. C'est sans doute parce que les impôts baissent qu'ils sont sur les ronds-points !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous tiendrons notre objectif de baisser d'un point les prélèvements obligatoires d'ici à 2022, et je souhaite qu'à l'issue du grand débat, nous allions plus loin que ce point dans ce délai, afin de tenir le cap de la baisse de la pression fiscale pour tous les Français.
Mme Christine Pires Beaune et Mme Valérie Rabault. Si vous êtes sûrs de vous, convoquez un référendum sur l'ISF !
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour donner un chiffre exact, ce point de prélèvement en moins représente en moyenne 441 euros. Ils seront redistribués à 20 millions de Français en 2019.
Nous allons supprimer la taxe d'habitation – 10 milliards d'euros sont d'ores et déjà redistribués. Nous avons défiscalisé les heures supplémentaires. Nous avons revalorisé la prime d'activité.
M. Julien Aubert. Pas pour tout le monde !
Mme Gisèle Biémouret. Avez-vous voté en faveur de sa création sous le quinquennat précédent, monsieur le ministre ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons mis en place une prime de fin d'année totalement défiscalisée. Au total, 10 milliards d'euros sont redistribués aux Français. Nous avons supprimé la cotisation à l'assurance maladie et la cotisation à l'assurance chômage, avec un objectif : moins d'impôts, plus de salaire. Une meilleure rémunération du travail, c'est cela qui permettra aux Français de s'y retrouver et à notre économie de créer des emplois. C'est une vraie politique de baisse des impôts que nous voulons mener en faveur des Français.
M. Jean-Paul Dufrègne. Ça ne marche pas : ils sont dans la rue !
M. Bruno Le Maire, ministre. C'est l'inverse de la politique menée depuis dix ans, en particulier sous le précédent quinquennat. Je salue l'honnêteté de François Hollande, qui a reconnu qu'il avait une part de responsabilité dans la naissance du mouvement des gilets jaunes. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
La part de responsabilité de François Hollande dans le mouvement des gilets jaunes, c'est tout simplement le matraquage fiscal sous le précédent quinquennat. Il est de salut public d'y renoncer pour aller résolument vers…
M. Julien Aubert. …un référendum abrogatoire !
M. Bruno Le Maire, ministre. …la baisse des impôts pour tous les Français.
Quelle suite donnerons-nous à la politique dont nous avons posé les fondements dans le projet de loi de finances pour 2018 ? Tout d'abord, nous ferons une évaluation indépendante de l'allégement de la fiscalité sur le capital. Elle sera menée par France Stratégie et des experts économiques. Des parlementaires de l'opposition pourront y participer, qui rendront aussi leur avis.
M. Jean-Paul Dufrègne. On n'en tient pas compte, de nos avis !
M. Bruno Le Maire, ministre. Il y aura une évaluation indépendante de ces choix fiscaux, de la suppression de l'ISF comme de la mise en place du PFU – nous y reviendrons dans le débat.
Ensuite, nous entendons poursuivre la baisse des impôts. J'ai eu l'occasion de le répéter à mille reprises : les impôts doivent baisser, et pour qu'ils baissent, il faut que les dépenses publiques baissent aussi.
M. Jean-Paul Lecoq. Lesquelles ? Celles consacrées à la police, à l'éducation, à la bombe atomique ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Une baisse d'impôts durable ne peut reposer que sur une baisse durable de la dépense publique. Parmi les baisses envisageables, on parle beaucoup des niches fiscales, qui représentent 100 milliards d'euros. Je ne vois aucun obstacle à regarder l'intégralité de ces niches fiscales pour déterminer celles qui sont efficaces et qui doivent être maintenues et celles qui ne le sont pas.
Pour répondre précisément à la remarque de Julien Aubert, je veux redire mon attachement aux services à la personne. Les services à la personne, ça marche.
M. François Ruffin. Pas grâce à la défiscalisation, monsieur Le Maire ! Structurez plutôt ces métiers !
M. Bruno Le Maire, ministre. C'est de l'emploi pour des centaines de milliers de Français, et des emplois qui ne sont pas payés au noir. C'est aussi du soutien aux familles et aux personnes qui travaillent. Je veux saluer cette activité économique fondamentale pour notre pays. Les services à la personne, ça marche !
M. François Ruffin. Pas comme ça !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ne touchons pas à ce qui marche en France ! (Mme Cendra Motin applaudit.)
M. Gilles Lurton. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Enfin, nous tiendrons compte de la dimension internationale, car tous nos choix fiscaux n'ont de sens que s'ils s'intègrent aussi dans des choix fiscaux européens et internationaux. En la matière, il y a d'abord le choix de la convergence fiscale européenne. Supprimer l'ISF, c'est aussi converger avec nos partenaires européens.
M. Jean-Paul Dufrègne. Pourquoi pas l'inverse ?
M. Jean-Paul Lecoq. Voulez-vous que nous devenions un paradis fiscal comme le Luxembourg ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous ferons aussi converger l'impôt sur les sociétés avec celui de nos partenaires allemands d'ici à la fin de l'année 2019.
La fiscalité internationale doit ensuite permettre d'aller au bout de la taxation des géants du numérique, car personne ne peut accepter que nos PME soient taxées quatorze points de plus que les géants du numérique partout dans le monde. Nous irons au bout de cette taxation. Nous déposerons un projet de loi sur ce sujet, et, d'ici à quelques semaines, vous pourrez étudier, sur les bancs de cette assemblée, un vrai projet ambitieux de taxation des géants du numérique pour rétablir de l'équité et de l'efficacité dans le système fiscal international. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Enfin, sur le plan international, nous devons défendre l'idée d'une imposition minimale. Il existe aujourd'hui une injustice révoltante – ce problème rejoint ainsi la question de l'équité fiscale qui est au coeur de nos débats : un certain nombre de grands groupes, de multinationales, installent leur siège social dans un paradis fiscal ou dans un pays ou l'impôt sur les sociétés est beaucoup plus faible qu'en France. Ils y rapatrient leurs bénéfices, sur lesquels ils ne paient pas en France les impôts qui seraient dus en raison l'activité de leurs filiales dans notre pays.
Mme Christine Pires Beaune. Vous ne le découvrez pas, quand même !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous nous battrons au G7 pour une imposition minimale à l'impôt sur les sociétés, afin qu'aucune multinationale ne puisse échapper au juste niveau d'imposition qui doit s'appliquer à elle. Avec le Président de la République, nous faisons de ce point la première priorité du G7. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. François Ruffin. Le président Sarkozy disait déjà cela, et vous étiez à ses côtés !
M. Bruno Le Maire, ministre. La question fondamentale qui se pose aujourd'hui, c'est de savoir quel est le vrai problème de la France.
M. Jean-Paul Lecoq. C'est vous !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le vrai problème de la France est-il un problème de redistribution des richesses ou de création de richesses ?
M. François Ruffin. Le problème, c'est la cohésion morale, et vous l'abîmez !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je ne nie pas du tout que l'on puisse faire mieux en matière de justice fiscale. Nous écouterons avec beaucoup d'attention toutes les propositions sur la justice fiscale issues du grand débat national pour voir ce que souhaitent et veulent les Français pour l'améliorer. Nous aborderons de manière ouverte et constructive toutes les propositions qui viendront des Français. Mais n'oublions pas une chose : avant de redistribuer les richesses, il faut les créer, et une fiscalité efficace est une fiscalité qui permet de créer des richesses, des entreprises, et des emplois pour tous les Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. Nous en venons aux questions.
La parole est à M. Jean-Louis Bricout.
M. Jean-Louis Bricout. La suppression de l'ISF et l'introduction de la flat tax sont deux mesures emblématiques de votre politique fiscale au profit des plus aisés. Vous essayez de donner du sens à ces mesures fiscales au profit du monde de la finance en leur attribuant une fonction économique, celle de déplacer l'épargne vers l'appareil productif ou de faire de la France un pays attractif pour ceux qui sont toujours prêts à quitter leur pays pour une question d'argent.
En quelque sorte, l'État dit au monde de la finance : « Achetez des actions tant que vous voulez, ça ne comptera pas dans votre impôt sur le patrimoine, et en plus vous serez très avantagés sur les revenus du placement de ce capital ! » Il ajoute : « N'en soyez pas honteux, ce sera utile à l'économie et à l'emploi ! »
Au moment où l'argent public est rare, alors que les Français s'interrogent sur le consentement à l'impôt, ces mesures font désordre, puisqu'elles ont des effets non négligeables sur le budget et sur le pouvoir d'achat des plus modestes. Dans un souci d'équilibre budgétaire, ces dispositions fiscales ont en effet engendré des mesures d'économies : baisse de l'aide personnalisée au logement, suppression des emplois aidés et recherche de nouvelles recettes du côté, par exemple, de la CSG ou de la fiscalité écologique. Elles ont donc fini par provoquer des ruptures sociales et territoriales.
Nous sommes beaucoup moins sûrs que vous que cette épargne sera finalement profitable à l'économie. On peut aussi s'attendre à ce que les intermédiaires financiers proposent des placements sécurisés sur le CAC40, par exemple, ou, pire, sur des fonds communs de placement à l'étranger. En tout cas, ces placements ne se feront pas en faveur des PME, puisque vous avez mis fin au dispositif de l'ISF-PME.
Nous sommes confrontés à de légitimes interrogations sur l'efficacité économique de ces mesures, que ce soit la flat tax ou la disparition de l'ISF, compte tenu des risques de fracture sociale qu'elles provoquent. Faute d'une véritable étude d'impact, notre devoir d'exigence nous impose d'évaluer précisément leurs effets.
Dans la loi de finances pour 2018, l'article 28 relatif à la flat tax et l'article 31 relatif à l'ISF préconisent des méthodes d'évaluation dissemblables dans leurs critères et leurs calendriers, alors que les dispositifs sont étroitement liés et poursuivent peu ou prou les mêmes objectifs. Nous fournirez-vous une évaluation cohérente des deux dispositifs accompagnée d'un calendrier commun ?
Nous aimerions également que les missions d'évaluation de ces dispositifs comportent un député par groupe politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Jean-Paul Dufrègne applaudit aussi.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Oui, monsieur le député, il y a des interrogations légitimes. Je ne le conteste absolument pas. Toutes vos interrogations sont parfaitement légitimes. Nous avons fait le choix politique d'alléger la fiscalité sur le capital, en estimant que cela permettrait de mieux financer nos entreprises, en particulier l'industrie, qui me tient à coeur comme vous le savez. Je considère que la désindustrialisation est, depuis dix ans, l'un des drames politiques les plus lourds de notre économie et celui que nous payons le plus cher.
Il est parfaitement légitime que ces choix fiscaux fondamentaux, le prélèvement forfaitaire unique et l'ISF, soient soumis à l'évaluation. Faut-il que celle-ci soit plus large ? Je suis tout à fait ouvert en la matière, et je pense que l'on peut parfaitement inclure un élément qui fait partie du dispositif fiscal global adopté en 2017, comme la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés de 33,3 % à 25 %.
Nous avons fait des choix fiscaux, nous les revendiquons, car nous pensons qu'ils sont bons pour le pays, pour créer des richesses, pour réindustrialiser et, au bout du compte, pour disposer de plus d'emplois pour les Français. Il est légitime que certains expriment des doutes et des interrogations. Je suis partisan d'une évaluation au champ le plus large.
Une commission totalement indépendante sera placée sous le contrôle de France Stratégie, et les parlementaires de l'opposition participeront bien évidemment à ses travaux. Je souhaite que ceux-ci aillent au bout de l'évaluation et permettent à tous les Français de se faire un avis éclairé et transparent sur les choix fiscaux de la majorité.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Auconie.
Mme Sophie Auconie. Monsieur le ministre des comptes publics, dans les dispositions votées dans la loi de finances…
M. Bruno Le Maire, ministre. Madame la députée, je ne suis pas ministre des comptes publics !
Mme Sophie Auconie. Monsieur le ministre, cher Bruno, l'article 109 de la loi de finances pour 2019 a modifié l'article L. 64 du livre des procédures fiscales en élargissant la notion d'abus de droit aux opérations à motivation fiscale principale, et non plus exclusive. Rappelons que l'abus de droit est un dispositif qui permet à l'administration fiscale d'écarter certains actes en les rendant inopposables.
Ce dispositif concerne les actes ayant un caractère fictif, ou ceux inspirés par un autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales de l'intéressé. Dans ce dernier cas, seules les opérations à but exclusivement fiscal étaient passibles de sanctions. Ainsi restait à déterminer la notion d'implication ou non des opérations en donation de démembrement de propriété, souvent utilisées pour préparer la transmission de patrimoine et la permettre.
Dans un communiqué de presse en date du 19 janvier dernier, le ministère a précisé que cette disposition ne remettait pas en cause ce type d'opération, sous réserve de leur non-fictivité. C'est sur cette notion que je souhaite vous interroger, monsieur le ministre. L'application de la nouvelle disposition aux opérations effectuées à compter du 1er janvier 2020 doit permettre à l'administration fiscale d'en préciser les modalités d'application. Dans le cadre du débat qui nous réunit aujourd'hui, qui porte sur les avantages consentis à nos concitoyens les plus aisés, pouvez-vous nous donner les contours de cette nouvelle notion de l'abus de droit, et surtout de la non-fictivité des opérations de démembrement, et en préciser les limites, alors même qu'elles concernent tous les jours de nombreux patrimoines, du petit artisan souhaitant assurer la transmission à ses héritiers aux patrimoines les plus élevés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Madame la députée, les transmissions sont en effet un sujet sensible. Trois remarques : nous avons décidé de reporter d'un an l'application de cette disposition de façon à pouvoir bien mesurer son impact ; deuxièmement, cela ne s'appliquera pas aux situations en cours, mais uniquement aux situations futures ; troisièmement, les services de Bercy préparent, à ma demande, une instruction fiscale, qui sera publiée dans les mois qui viennent, pour préciser les contours de cette mesure et sa mise en oeuvre et éviter ainsi les risques que vous avez mentionnés. Le ministère a donc parfaitement conscience de ces risques et il travaille sur leur évaluation.
Mme la présidente. La parole est à M. François Ruffin.
M. François Ruffin. « J'ai besoin que nos grandes entreprises, nos concitoyens les plus fortunés, aident la nation à réussir. Je les réunirai et prendrai des décisions en ce sens dès cette semaine. » C'est le Président de la République en personne qui le déclarait le lundi 10 décembre, en pleine crise des gilets jaunes. Et j'étais intéressé. J'étais curieux de connaître ses décisions. Cette semaine-là, je sillonnais les routes de France, écoutant en boucle France Info : rien le mardi, mais c'était un peu tôt… Mercredi, ça allait venir... Jeudi, rien pour l'instant... Vendredi, aucune nouvelle... D'où la première de mes deux questions, monsieur le ministre : cette réunion avec les grandes entreprises et les plus fortunés s'est-elle bien tenue, et les décisions promises par Emmanuel Macron en sont-elles bien sorties ? Je n'ai rien vu, les Français non plus, mais on sait qu'en matière de communication, le Président de la République aime la discrétion…
Dans cette même allocution, le Président annonçait encore : « Le Gouvernement et le Parlement devront aller plus loin pour mettre fin aux avantages indus et aux évasions fiscales. » Cela m'intéressait davantage encore, car jusqu'alors, l'évasion fiscale était un tabou pour l'ancien banquier d'affaires, l'ami de Xavier Niel et de Bernard Arnault, des habitués des paradis fiscaux. Mais j'ai regardé le calendrier parlementaire de cette année : j'y vois un projet de loi relatif à la justice, un autre relatif à la réforme de la fonction publique, un autre pour une école de la confiance, un autre relatif à la surtransposition dans l'Union européenne, une révision constitutionnelle… Dix-neuf projets de loi dans les tuyaux, mais aucun sur l'évasion fiscale ! D'où ma seconde question : quand arrive ce texte promis par le Président de la République sur les avantages indus des dirigeants et les évasions fiscales ?
M. Jean-Charles Colas-Roy. Et la suppression du verrou de Bercy, vous ne l'avez pas vue ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Je voudrais rassurer M. Ruffin et lui recommander de s'adresser directement au ministre ou à la majorité plutôt que d'écouter France Info. Il aurait des informations plus précises. (Sourires sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Les dirigeants des plus grandes entreprises françaises ont été réunis autour du Président de la République il y a quelques semaines. Ils ont pris des engagements, notamment en matière de formation, de qualification et d'investissements. Quant aux représentants du secteur bancaire, ils ont été réunis spécifiquement et ont pris des décisions fortes, notamment sur les frais d'incident bancaire, qui vont être limités à 25 euros par mois pour 3,5 millions de personnes. Vous savez parfaitement, puisque vous vous êtes mobilisé sur le sujet, qu'ils peuvent aujourd'hui atteindre 200, 300, voire 400 euros par mois, y compris pour des ménages modestes. Ils seront désormais plafonnés à 25 euros par mois pour plus de 3 millions de personnes. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.) Même chose pour l'offre bancaire spécifique : le plafonnement sera de 20 euros par mois pour 350 000 personnes – encore un engagement très concret pris par les banques. Même chose également du côté des assureurs, qui ont pris des engagements très précis. Nous allons poursuivre ces rencontres avec les dirigeants des plus grandes entreprises françaises, parce que nous estimons qu'ils ont eux aussi leur part à prendre en matière de justice économique.
Vous évoquez également la question de l'évasion fiscale. J'en ai parlé tout à l'heure : c'est ma priorité au G7. Notre pays veut mettre en place à ce niveau une imposition minimum au titre de l'impôt sur les sociétés, parce qu'il est inacceptable que quand l'impôt sur les sociétés est entre 20 % et 30 %, des multinationales ne le payent qu'à un taux de 6 % à 8 %, ayant installé leur siège social dans un paradis fiscal ou dans un pays où l'impôt est beaucoup moins élevé et rapatriant leurs bénéfices dans cet endroit.
M. Jean-Paul Lecoq. Au Luxembourg !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le Gouvernement en fait la priorité absolue dans le cadre du G7.
La domiciliation fiscale des chefs d'entreprise fera l'objet de dispositions législatives, probablement dans le prochain projet de loi de finances rectificative, qui toucheront toutes les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à un milliard d'euros et garantiront que tous les présidents ou directeurs généraux de ces entreprises soient bien domiciliés fiscalement en France. Elles accroîtront les sanctions pour les contrevenants. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Hubert Wulfranc.
M. Hubert Wulfranc. Monsieur le ministre, l'ISF est une question fiscale, mais c'est d'abord une question sociale. Son rétablissement est à ce titre souhaité par une majorité de Français, y compris par certains des vôtres, attachés à la question sociale et qui vous quittent à l'heure actuelle. Vous avez lâché au total 3,5 milliards, sachant que le patrimoine de ceux qui étaient redevables pouvait dépasser le milliard. Fallait-il cette manne, style « argent de poche », pour obliger ces Français à ne pas quitter notre pays et à y investir ? Le groupe GDR proposera de revenir sur ce débat dans le cadre de sa niche parlementaire. Pour l'heure, vous tentez d'apaiser la colère en promettant une évaluation de la suppression de l'ISF. Mais je vous rappelle que déjà, sur le CICE, les évaluations, notamment celle de l'Institut des politiques publiques, avaient conclu à des effets certes positifs sur les marges des entreprises, c'est-à-dire à terme sur leurs profits, mais à des effets modestes, quasi nuls, sur l'emploi et sur l'investissement. Malgré cela, vous avez pérennisé ce cadeau par la baisse des cotisations patronales. Dès lors, comment allez-vous procéder à cette évaluation, alors que la suppression de l'ISF n'a été assortie d'aucune condition et qu'on voit mal à quel saint vous pourriez vous vouer aux fins de discerner quelle part d'investissement aurait été versée au quitus de ladite suppression ? À vous entendre, nous n'attendons de toute façon pas une évaluation qui remettrait en cause cette décision. Mais – c'est ma seconde question – aurons-nous au moins une évaluation à porter au débat de l'Assemblée nationale en septembre prochain, à défaut de l'avoir été au débat auquel les Français ont été invités à participer ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR et FI.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur le député, nous disposons de plusieurs indicateurs qui doivent permettre de vérifier que l'allégement de la fiscalité sur le capital a donné les résultats souhaités. S'agissant du financement de l'économie, savoir s'il repose plus sur les fonds propres ou s'il reste autant qu'avant en dettes est un premier indicateur possible. S'agissant de l'attractivité, la France en a-t-elle ou non gagné depuis cette nouvelle fiscalité du capital ? Voilà un deuxième indicateur. Quant à l'efficacité de ces nouvelles mesures sur la redistribution, c'est un troisième indicateur possible. Je ne veux pas me substituer au comité indépendant qui doit rendre ses conclusions en octobre ou en novembre, mais je pense que ces indicateurs peuvent être intéressants. Et je redis que cette évaluation sera bien entendu transparente, publique et accessible à chacun, en priorité aux parlementaires.
Seconde remarque : je crois pour ma part profondément à cette évaluation. Sans être dogmatique, je crois profondément à l'allégement de charges et je pense que c'est une excellente décision de transformer le CICE en allégement de charges en 2019 pour garantir la stabilité fiscale dont tout le monde a urgemment besoin, les ménages comme les entreprises. Cela étant, que nous disent les conclusions de l'évaluation de France Stratégie sur le CICE ? Que jusqu'à 1,6 SMIC, éventuellement 2,5 SMIC, cet allégement est extrêmement efficace et permet de créer beaucoup d'emplois, alors qu'au-delà, l'efficacité devient marginale alors que le coût, lui, est élevé. Je ne veux pas préjuger des conclusions que nous en tirerons, mais je pense qu'à partir du moment où c'est l'argent du contribuable, il faut vérifier l'efficacité de la mesure. C'est la même chose pour les niches fiscales : regardons quels sont l'efficacité et le rendement des 100 milliards d'euros de niches fiscales. Mais faisons-le dans une très grande ouverture d'esprit. Ne disons pas : « Telle niche est trop sensible, n'abordons pas le sujet. » Examinons toutes les niches fiscales, car c'est à chaque fois l'argent des Français qui est utilisé. Cela doit donc être efficace.
Vous avez évoqué la question sociale. Je vous y sais très sensible. La première fois que nous nous sommes rencontrés, c'était à un moment douloureux, chez vous, à Saint-Étienne-du-Rouvray. Je vais vous dire ma conviction profonde : la première question sociale, c'est le chômage. Et les choix que le Gouvernement a faits en matière de fiscalité, croyez-le bien, ont été faits parce qu'ils sont pour nous une réponse à cette question sociale essentielle qu'est le chômage.
M. Jean-Paul Lecoq. Ça ne marche pas !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel Castellani. Depuis deux ans, vous menez une politique, monsieur le ministre, dont l'objectif est de développer l'investissement dans l'économie et donc l'embauche. À cette fin, vous avez notamment transformé l'ISF en un impôt sur la fortune immobilière et mis en place le prélèvement forfaitaire unique. Ces avantages fiscaux ont des conséquences : ainsi, pour financer ces mesures, vous avez décidé d'augmenter la CSG pour une partie des retraités et de sous-indexer les prestations sociales et les retraites ; en parallèle, la hausse des prélèvements obligatoires se poursuit. Conséquence macroéconomique : les Français tendent à acheter moins, ce qui se traduit par une baisse de la consommation des ménages, et donc par une moindre croissance.
J'ai donc deux questions à vous poser. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait changer de méthode et entreprendre enfin une refonte complète de la fiscalité sur le revenu afin de la rendre plus juste et plus efficace ? Par ailleurs, le système d'impôt sur le revenu est actuellement progressif, puisqu'il comporte plusieurs tranches, avec un taux maximum de 45 % pour les foyers déclarant plus de 156 245 euros annuels. Or certains membres de votre majorité ont semblé ouverts à la création d'un échelon supplémentaire de taxation. Quelles sont les pistes que vous envisagez en la matière ? (M. Christophe Naegelen applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. On voit bien, monsieur le député, que la fiscalité est une question brûlante. C'est une des grandes passions françaises. On voit d'ailleurs dans le grand débat national qu'elle passionne nos compatriotes. J'ai participé à plusieurs réunions – il se trouve que j'ai une certaine habitude de ces débats et que j'aime beaucoup cela. Je pense qu'il est très précieux d'avoir ce grand débat national. On voit bien, dans les échanges que nous avons avec les Français, que la fiscalité suscite des réactions extraordinairement passionnelles, parfois un peu confuses, voire contradictoires. Quand il y a autant de complications, il faut arriver avec des idées simples. En effet, que doit-il sortir de nos travaux ?
Tout d'abord, de la lisibilité. Il faut que les décisions prises soient simples, lisibles pour les Français.
La deuxième chose à laquelle je crois profondément, c'est la stabilité. Je pense que beaucoup de nos compatriotes s'inquiètent de voir toutes sortes d'idées surgir tous les matins et se disent : « Houlà ! À quelle sauce vais-je être mangé ? Ne suis-je pas à un moment donné le riche de l'autre ? » Faisons très attention, parce que cela crée des inquiétudes chez les Français. Ils veulent de la stabilité en matière fiscale : à partir d'un niveau d'impôts qui ne bougera pas, ils sauront à quoi s'attendre. Je crois profondément qu'une société, aussi bien les ménages que les entreprises, a besoin de stabilité fiscale.
Le troisième principe que je ne cesse de rappeler depuis des mois, et pour lequel je me bats avec le Président de la République et le Premier ministre, c'est la baisse des impôts.
Avec ces trois règles simples – la lisibilité, la stabilité et la diminution des impôts –, nous devrions sortir gagnants, sur le plan fiscal, du grand débat national.
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Roseren.
M. Xavier Roseren. Depuis 2017, le Gouvernement et la majorité ont mené de nombreuses réformes fiscales et économiques en vue de rendre la France plus attractive et de favoriser l'investissement dans nos entreprises, notamment dans les TPE et les PME.
Certaines de ces réformes sont décriées et font l'objet de débats, comme la transformation de l'ISF en impôt sur la fortune immobilière – IFI – ou la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, la flat tax.
Pourtant, les premiers résultats sont là : les investissements étrangers en France ont augmenté de 31 %, nous faisant revenir dans le trio de tête des pays préférés par les investisseurs, d'où nous étions absents depuis dix ans ; en 2018, la part des décideurs étrangers qui considèrent la France comme une destination attractive a été de 88 %, soit une augmentation de 14 points en deux ans ; enfin, l'investissement des épargnants français par le biais des contrats d'assurance-vie est à son plus haut niveau depuis 2010.
Les mesures présentées comme profitant aux plus riches semblent donc profiter à notre économie. En dépit de ces signes encourageants, les réformes engagées font pourtant l'objet de critiques. Le rétablissement de l'ISF, en particulier, est une demande qui revient souvent dans le grand débat national.
Dès lors, il importe d'évaluer l'efficacité de ces réformes et de la faire connaître. Quel délai le Gouvernement s'est-il donné pour apprécier leurs résultats ?
Par ailleurs, les experts s'accordent à considérer que les Français ont peur des risques que représentent les marchés financiers. Le Gouvernement envisage-t-il de prendre des mesures pour réconcilier les Français avec les marchés financiers et les inciter à investir dans nos entreprises ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. J'ai déjà répondu longuement aux questions portant sur l'évaluation. Concernant l'investissement et le financement de l'économie, je souhaite préciser que tous les aspects microéconomiques seront évalués. J'ai évoqué les aspects macroéconomiques du financement de l'économie sur fonds propres, mais il sera également procédé à une évaluation de la réallocation de l'épargne, notamment entre patrimoine financier et patrimoine non-financier, ainsi qu'à une évaluation des flux d'expatriation de contribuables percevant de hauts revenus.
Ces évaluations donnent lieu à de nombreux commentaires, parfois même à des exagérations. Il sera pourtant intéressant de connaître précisément le flux d'expatriation des contribuables ayant de hauts revenus et l'évolution de l'investissement dans les entreprises. Ces éléments microéconomiques seront notamment pris en compte dans l'évaluation globale de la nouvelle fiscalité du capital qui sera conduite d'ici la fin de l'année 2019.
Je rejoins entièrement votre analyse, monsieur le député : depuis trente ans, on n'a cessé d'alourdir la fiscalité sur le capital dans le but d'assurer une redistribution favorable aux Français ; au bout du compte, on a seulement détruit de l'activité et de l'emploi et appauvri les Français. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Stella Dupont.
Mme Stella Dupont. Lors de son allocution télévisée du 10 décembre, le Président de la République s'est engagé à « aller plus loin pour mettre fin aux avantages indus et aux évasions fiscales ».
L'évasion fiscale est une pratique qui relève à la fois de l'optimisation, qui est légale, et de la fraude, qui ne l'est pas. Elle recouvre donc l'ensemble des comportements des ménages et des entreprises qui cherchent à réduire le montant des impôts dus dans leur pays d'origine.
Aujourd'hui, l'évasion fiscale est évaluée à près de 80 milliards d'euros par an pour la France. Cette perte sèche est considérable pour l'État, car l'argent de l'évasion fiscale n'est ni investi ni taxé dans notre pays, et il sort de notre circuit économique. Nous devons agir pour la prévenir, la réprimer et ainsi renforcer la justice fiscale.
Certains contribuables, notamment les plus aisés, tirent avantage de multiples possibilités, parfois très imaginatives, permettant de contourner les règles d'imposition. Pour l'éviter, le Gouvernement mène une action qui s'inscrit dans la lignée de l'approche développée par l'OCDE pour renégocier des conventions bilatérales et renforcer la coopération fiscale internationale.
Ainsi, la convention en cours de ratification entre la France et le Luxembourg constitue un vrai progrès. Elle contient, entre autres, une clause anti-abus limitant les possibilités de double exonération. Elle intègre aussi les normes les plus récentes de l'OCDE en matière d'échange de renseignements et d'assistance au recouvrement et s'inscrit donc pleinement dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
Il est cependant nécessaire d'aller plus loin et plus vite pour répondre à nos engagements. Monsieur le ministre, au-delà du G7, quels moyens le Gouvernement met-il en place pour améliorer la coopération fiscale internationale et faire en sorte que tous les contribuables acquittent leurs impôts en France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. J'insiste sur le fait que les gouvernements successifs ont mis en oeuvre, depuis plusieurs années, une politique efficace de lutte contre l'évasion, l'optimisation et la fraude fiscale. Tous les champs sont donc couverts.
Les mesures mises en place sont concrètes : ce ne sont pas des symboles ou des paroles en l'air, mais des textes juridiques internationalement contraignants.
Ainsi, nous avons transposé dans notre droit national la liste noire européenne des États et territoires non-coopératifs. Nous sommes les premiers – et jusqu'à présent les seuls – à l'avoir fait. Cette transposition a des conséquences effectives en matière de lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscales, puisqu'elle rend obligatoire la déclaration des montages et comporte d'autres dispositifs extrêmement efficaces.
Nous avons également fait adopter en quelques mois la directive relative aux obligations de déclaration des intermédiaires fiscaux, qui permet de savoir précisément qui sont ces intermédiaires et quels montages ils mettent en oeuvre.
Je ne reviendrai pas sur la taxation des géants du numérique, qui permet aussi de lutter contre l'optimisation fiscale et contre un problème de base fiscale. La taxation nationale des géants du numérique sera mise en place dans quelques mois si vous adoptez le projet de loi qui devrait être présenté d'ici la fin du mois de février en Conseil des ministres.
Cette taxation doit également être établie en Europe, et j'espère qu'elle nous servira de levier pour obtenir de l'OCDE une taxation internationale des géants du numérique sur la base du chiffre d'affaires. Parvenir à une définition des établissements stables numériques permettrait aussi de lutter efficacement contre l'évaporation fiscale due au fait que l'on ne sait pas taxer les données alors même que ce sont elles qui créent le plus de valeur.
Enfin, nous avons avancé en matière de convergence fiscale avec les directives ACIS – assiette commune pour l'impôt sur les sociétés – et ACCIS – assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés.
Je terminerai en rappelant une nouvelle fois l'engagement fort qu'a pris le Président de la République en faisant de la taxation minimale au niveau international la première ambition financière de la présidence française du G7. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Bazin-Malgras.
Mme Valérie Bazin-Malgras. Ma question porte sur la réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune opérée par la loi de finances pour 2018. Loin de restaurer la confiance des investisseurs étrangers, cette réforme a eu pour effet de troubler la paix sociale. La suppression de l'ISF a en effet été l'un des principaux moteurs du mouvement des gilets jaunes, dont les excès ont marqué les esprits partout dans le monde et inquiété les milieux d'affaires.
Au lieu de créer un climat de confiance propice aux investissements étrangers, cette réforme a alimenté les inquiétudes et renforcé le sentiment d'une instabilité fiscale dans notre pays. Son but n'a donc pas été atteint.
Dès lors, nous pouvons nous interroger sur la méthode qu'a employée le Gouvernement pour mener cette réforme à bien. Parler de suppression de l'ISF a été une maladresse politique : il aurait fallu parler de réaménagement de ce dispositif, puisque c'est de cela dont il s'agit !
Usant de slogans tels que « Rends l'ISF ! », les Français expriment leur profonde aspiration à plus de justice fiscale. Le Gouvernement ne peut se contenter de leur répondre qu'il ne reviendra pas sur la réforme de l'ISF.
Monsieur le ministre, quelle réponse allez-vous apporter aux Français sur cette question ? Allez-vous enfin changer de méthode pour apaiser les esprits ou, au contraire, continuer à montrer une rigidité qui est fortement préjudiciable à notre pays ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Madame la présidente, je suis assez perturbé car il me semble être victime d'une dyslexie géographique au sein de cet hémicycle. (Sourires.) J'entends en effet la droite s'adresser à moi en tenant un discours de gauche !
Mme Valérie Bazin-Malgras. Non ! Pas du tout !
M. Jean-Paul Dufrègne et Mme Marie-Noëlle Battistel. Nous aussi, cela nous perturbe un peu !
M. Bruno Le Maire, ministre. Comment ne pas être troublé en entendant une députée du groupe Les Républicains nous reprocher d'avoir supprimé l'impôt sur la fortune, ce qui figurait au premier rang des propositions de tous les candidats de droite lors de l'élection présidentielle de 2017 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Jean-Paul Dufrègne. C'est l'effet Wauquiez !
M. Bruno Le Maire, ministre. Vous me voyez donc désorienté dans cet hémicycle, à vingt-trois heures dix, ne sachant quoi répondre à Mme la députée, sauf à lui conseiller de relire le programme du candidat qu'elle a soutenu il y a deux ans.
Il faut aussi qu'elle regarde ce que démontrent les chiffres. Car, madame la députée, je fais confiance à votre honnêteté intellectuelle et je pense que vous reconnaîtrez que l'attractivité française s'est améliorée depuis deux ans, que des emplois ont été créés, que 1 300 décisions d'implantation ont été prises, que 4 500 relocalisations d'emplois bancaires ont eu lieu en France, et que la suppression de l'ISF – vous devriez en être la première convaincue – renforce l'attractivité fiscale de notre pays et favorise l'emploi. Tels sont, je l'espère, les buts que vous poursuivez.
Enfin, vous m'avez reproché ma rigidité. Je suis bien convaincu qu'en politique, la rigidité n'est pas forcément une qualité, mais trop de souplesse et de contorsions, comme celles qui vous amènent aujourd'hui à dire le contraire de ce que vous affirmiez deux ans plus tôt, n'est pas non plus souhaitable ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme Marie-Noëlle Battistel. Cela vous est pourtant arrivé, monsieur le ministre !
M. Jean-Paul Dufrègne. C'est ce qui s'appelle renvoyer dans les cordes !
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Viala.
M. Arnaud Viala. Le poids des impôts et contributions obligatoires représente 46,2 % du PIB de notre pays. Ce chiffre nous place en tête de tous les pays de l'OCDE, la hausse étant constante depuis de longues années.
En 2017, l'impôt en France est de 656 milliards d'euros collectés auprès des 38 millions de foyers fiscaux. En 1995, il n'était que de 294 milliards d'euros : en un peu plus de vingt ans, l'augmentation a donc été de plus de 123 % !
Ces chiffres frappants font écho au ras-le-bol fiscal qu'expriment massivement les Français depuis plusieurs semaines, qui a conduit nombre d'entre eux à descendre dans la rue au moment où vous vouliez – pardonnez-moi l'expression – en rajouter une couche avec les taxes sur les carburants.
Le débat de ce soir tombe à point nommé, la journée s'étant tout entière déroulée au diapason des déclarations du ministre Darmanin sur la suppression des niches fiscales.
Mme Marie-Noëlle Battistel. C'est vrai !
M. Arnaud Viala. Sous ce terme que je trouve particulièrement trompeur, car il laisse penser que la mobilisation des niches fiscales serait masquée, et donc frauduleuse, se cachent un trop grand nombre de dispositifs – 473 – mis en place pour dynamiser l'emploi ou l'économie.
Parmi ces dispositifs, on trouve pêle-mêle l'encouragement aux services à domicile, qui créent un grand nombre d'emplois, l'incitation à la rénovation thermique et écologique du bâti, qui sous-tend notamment l'activité du secteur du BTP, la stimulation de la construction de logements dans les zones classées à cet effet, qui impacte la rénovation urbaine et la création d'habitats à loyer encadré pour des jeunes actifs en particulier, et ainsi de suite – je n'énumérerai pas les 473 dispositifs.
Je voudrais simplement que vous me disiez si vous pensez que supprimer ces dispositifs va aider l'emploi et la compétitivité économique de notre pays à s'améliorer.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Là, je m'y retrouve davantage, et je retrouve également le bon sens de l'Aveyron. (Sourires.)
Les niches fiscales, qui représentent plus de 100 milliards d'euros, ont une efficacité qui, si elle peut être contestée, peut répondre à des objectifs de développement économique de certains territoires ou au soutien d'activités que l'on estime stratégiques.
Je pense notamment au crédit d'impôt recherche, qui est une niche fiscale.
Elle peut également soutenir certains secteurs d'activité en faveur desquels il faut, compte tenu de la faiblesse des marges, faire des efforts financiers. Je pense au gazole non routier, qui est une niche fiscale.
Les niches fiscales peuvent aussi concerner certains secteurs d'activité spécifiques, ou encore l'emploi de manière globale. Je pense au CICE, qui est une niche fiscale en tant que telle.
Elles peuvent toucher des investissements particuliers – vous avez cité le CITE, qui est une niche fiscale – ou des emplois essentiels à notre pays.
Je vous ai dit ce que je pensais des services à la personne : je considère qu'ils sont précieux, que ça marche et qu'il ne faut pas y toucher, car il s'agit d'un soutien aux familles comme aux gens qui travaillent. En outre, ils empêchent le développement du travail au noir.
La sagesse est à mon sens de considérer, de manière très large, l'intégralité de ces dispositifs et de s'assurer de leur efficacité : quel en est le coût, pour quelle efficacité ?
On arrive très bien à se livrer à un tel exercice s'agissant du CICE. Je rends à cet égard hommage au travail de France Stratégie : on parvient à savoir très exactement quel est le coût d'un emploi en fonction du soutien public qui lui est apporté à travers la niche fiscale correspondante.
Il revient ensuite aux Français de juger s'ils estiment qu'un emploi vaut 80 000, 100 000 ou 120 000 euros d'argent public, c'est-à-dire d'argent des Français, ou qu'il ne les vaut pas.
On s'apercevra en faisant ce travail, que nous allons mener à bien et mettre à disposition, et auquel je souhaite que tous les organismes d'évaluation, notamment France Stratégie, participent, qu'il résulte de certains dispositifs qu'un emploi coûte 80 000 ou 85 000 euros, et d'autres dispositifs que chaque emploi créé va coûter 280 000 ou 300 000 euros.
On verra donc qu'il existe des écarts absolument considérables dans l'efficacité de ces niches, ce qui nous aidera ensuite à prendre des décisions.
Je suis pour ma part tout à fait prêt, dans la mesure où notre objectif est bien de faire baisser le chômage et de créer des emplois dans notre pays, à reprendre le critère que vous proposez. Ne regardons l'efficacité de ces dispositifs qu'à l'aune d'un seul critère : la création d'emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Mohamed Laqhila.
M. Mohamed Laqhila. Mon collègue Jean-Noël Barrot l'a rappelé tout à l'heure, l'objectif de la transformation de l'ISF en IFI et de la mise en place de la flat tax, prélèvement forfaitaire unique, était de libérer l'épargne afin qu'elle soit investie dans l'économie réelle, c'est-à-dire celle qui crée de l'emploi.
S'agissant de la première réforme, le groupe du Mouvement démocrate et apparentés avait rappelé au travers d'un amendement sa préférence pour le maintien de l'ISF, duquel on aurait déduit les investissements dirigés vers l'économie productive.
Une telle démarche nous semblait préférable, d'abord pour des raisons tenant à la lisibilité de la réforme, mais également pour des motifs de justice fiscale.
Sur ce point, monsieur le ministre, ma question est double : quels outils ont été mis en place en vue d'orienter le plus efficacement possible l'argent libéré vers la création de valeur et d'emplois, et quelles seront les modalités d'évaluation de cette réforme ?
Par ailleurs, quelles mesures pourraient être mises en place pour corriger les effets non souhaités de cette réforme ?
Je pense par exemple aux dons aux associations, qui ont fortement diminué en 2018 – le nombre des contribuables assujettis à l'IFI étant inférieur à celui des contribuables assujettis à l'ISF –, ce qui n'était bien évidemment pas l'objectif poursuivi.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Paul Dufrègne. Un exercice compliqué pour un ministre, de répondre à une telle question…
M. Bruno Le Maire, ministre. Les dons constituent évidemment un sujet très important, car il existe une générosité française, qui est une caractéristique propre de la société française à laquelle nous sommes profondément attachés. France Générosités a en effet relevé, comme vous l'avez indiqué, que les dons réalisés sous le régime de la réduction d'impôt attachée à l'ISF avaient baissé d'environ 130 à 150 millions d'euros entre 2017 et 2018.
Ce montant est à rapporter au chiffre total de 7,5 milliards d'euros de dons effectués.
Nous ne disposons pas encore des données relatives à l'année 2018 concernant les dons effectués sous le régime de l'impôt sur le revenu, sur lesquels une partie des dons qui étaient consentis dans le cadre de l'ISF peut s'être reportée, 90 % des dons provenant de donateurs fidèles et réguliers.
Nous vous transmettrons bien entendu ces chiffres dès que nous en disposerons, afin que l'impact global du dispositif puisse être évalué.
Nous estimons aujourd'hui que cet impact est limité, dans la mesure où il y a eu un effet de report de l'ISF vers l'impôt sur le revenu – d'autant que la réduction d'impôt attachée aux dons effectués dans le cadre de ce dernier donne désormais lieu à une avance de 60 % au 15 janvier, ce qui est très avantageux pour les donateurs.
L'effet de cette nouvelle mesure est immédiat et très visible. Tels sont les éléments que je peux vous donner. L'impact de cette évolution devrait donc être limité, même si nous le vérifierons et en tirerons le cas échéant les conséquences.
Je crois pour ma part qu'un report sera constaté sur l'impôt sur le revenu et que la mesure au 15 janvier sera tout à fait efficace en termes de trésorerie pour les donateurs.
S'agissant de l'évaluation des autres dispositifs, je recommande vivement qu'avant toute proposition de réforme, nous regardions quels en sont les résultats.
La multiplication des propositions par le ministre de l'économie et des finances perturbe en effet le débat au lieu de le clarifier.
Attendons donc de disposer des évaluations qui seront menées aux alentours des mois d'octobre et de novembre pour débattre ensemble des décisions à prendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Lassalle.
M. Jean Lassalle. Monsieur le ministre, j'ai entendu ce que vous avez dit juste avant mon intervention, et vous avez déjà répondu cinquante fois à la question.
Ce qui fait la richesse des plus riches, ce ne sont pas tant les revenus de leur travail que ceux de leur capital, c'est-à-dire de l'ensemble des biens qu'ils possèdent et dont ils tirent des revenus, comme les loyers issus de biens immobiliers et les dividendes tirés d'actions et de la propriété d'entreprises.
Or en France, les revenus du capital sont très peu taxés, beaucoup moins en tout cas que ne le sont les revenus du travail. Différents rapports montrent en effet que 90 % des revenus du travail sont soumis à l'impôt, alors que moins de 20 % des revenus du capital sont effectivement taxés.
Mme Christine Pires Beaune. Merci Macron !
M. Jean Lassalle. Paradoxalement, le Gouvernement trouve que ces taux d'imposition sont encore trop élevés et restent les plus élevés d'Europe.
Ils freineraient les investissements en France et pénaliseraient les entreprises.
Monsieur le ministre, ne trouvez-vous pas que malgré vos mesures, à savoir une faible taxation des revenus du capital et la suppression de l'ISF, le taux d'investissement dans les TPE comme dans les PME n'augmente toujours pas ?
Cet argent épargné par les plus riches ne profite pas à notre économie.
Monsieur le ministre, les inégalités entre ceux qui possèdent un patrimoine et ceux qui n'ont que leur travail pour vivre ont rarement été aussi grandes.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur Lassalle, me répéter, même pour la cinquante-et-unième fois, est toujours un plaisir lorsqu'il s'agit de vous.
M. Jean Lassalle. Ça, c'est gentil ! (Sourires.)
M. Bruno Le Maire, ministre. Je tenais à vous le dire. S'agissant de l'efficacité des mesures que nous avons prises, je constate deux choses.
La première est que l'investissement a fortement augmenté dans notre pays, en 2017 comme en 2018.
L'investissement des entreprises a en effet augmenté de 4 % en 2017 et de 3,8 % en 2018.
Je ne suis pas en train de vous dire que la situation est parfaite : je dis simplement que nous allons à mon sens dans la bonne direction.
Deuxième chose : ayant comme moi une certaine ancienneté politique, vous n'aurez pas manqué de constater que depuis des années et des années, les dirigeants de TPE et de PME se plaignaient de problèmes de financement – ils n'arrivaient plus à trouver les financements dont ils ont besoin pour financer tel ou tel projet.
C'est un discours que j'entends pour ma part de moins en moins.
En revanche, le nouveau problème français, qui est en fait le vrai problème économique français, c'est celui des qualifications.
Les dirigeants de PME et de TPE nous disent aujourd'hui : « nous ne trouvons pas de soudeurs, nous ne trouvons pas de carrossiers, nous ne trouvons pas de chaudronniers, bref, nous ne trouvons pas les compétences dont nous avons besoin. »
M. Jean-Paul Dufrègne. Augmentez les salaires !
M. Bruno Le Maire, ministre. Les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration se plaignent de ne pas trouver de serveurs, de plongeurs, de maîtres d'hôtel : c'est ce que nous entendons partout, partout, partout.
Je ne dis pas que nous avons résolu tous les problèmes : je dis simplement que s'agissant de l'investissement et du financement, nous allons dans la bonne direction.
Le problème est désormais celui de la formation et de la qualification, et il est beaucoup plus lourd à traiter, car il s'agit du problème essentiel de l'économie française.
Le résoudre prendra du temps. S'il faut accélérer, c'est ainsi que nous arriverons à donner un emploi à chaque Français, ce qui je le sais, Monsieur Lassalle, est un objectif que nous partageons. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. Le débat est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 11 février 2019