Interview de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, sur le site Opinion.fr le 7 février 2019, sur le Grand débat national.

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Média : L'Opinion

Texte intégral

NICOLAS BEYTOUT
Bonjour Jacqueline GOURAULT.

JACQUELINE GOURAULT
Bonjour.

NICOLAS BEYTOUT
Vous êtes ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les Collectivités locales, et rien que l'intitulé de ce ministère dit à quel point vous avez été impliquée dans la gestion de la crise des Gilets jaunes. Aménagement du territoire, Cohésion des territoires. Est-ce que vous diriez aujourd'hui que la crise est en phase de décrue ?

JACQUELINE GOURAULT
Oui, quantitativement, on peut dire que la crise est en phase de décrue, mais en même temps que pense que la fracture territoriale, la fracture sociale, est quelque chose qui vient de loin, qui a donc une durée déjà très longue, et je ne pense pas que ça s'arrête du jour au lendemain.

NICOLAS BEYTOUT
Et le Grand débat ne suffit pas à combler cette fracture.

JACQUELINE GOURAULT
Ah mais c'est très important le Grand débat, parce que ça permet d'exprimer les choses. Vous savez…

NICOLAS BEYTOUT
Mais pas de les corriger.

JACQUELINE GOURAULT
Mais il faudra après trouver les solutions pour corriger tout cela.

NICOLAS BEYTOUT
On va parler des solutions ou des tentatives de solutions, mais on voit aujourd'hui encore dans la Presse des sondages qui montrent qu'effectivement cette fracture Paris – Province, entre les métropoles et ce que l'on appelle des territoires, est très profonde, et elle est plutôt ressentie par la province que par Paris, disons, par les territoires que par les métropoles. Est-ce que vous ressentez ça dans votre ministère et comment est-ce que l'on peut lutter contre ?

JACQUELINE GOURAULT
Oui, bien sûr, il y a eu un mouvement, je dirais, de rejet de l'évolution de notre société, qui n'est pas spécifique à la France mais avec l'urbanisation massive et peut-être aussi une urbanisation peut-être pas suffisamment encadrée, accompagnée…

NICOLAS BEYTOUT
Et peu d'infrastructures, en tout cas pas suffisamment.

JACQUELINE GOURAULT
Surtout des…

NICOLAS BEYTOUT
Peu de transports, pas suffisamment, des services publics.

JACQUELINE GOURAULT
Voilà, toutes ces choses-là se sont entassées, si je puis dire, au cours des années, et… Alors il y a des régions où les choses sont un peu différentes, différemment ressenties, parce qu'il y a des métropoles qui font profiter davantage à leurs territoires assez larges, et d'autres qui sont repliées sur elles-mêmes, et puis en tout cas…

NICOLAS BEYTOUT
L'idéal c'est quoi, la métropole exemplaire, à vos yeux ?

JACQUELINE GOURAULT
Je pense que par exemple Touloise ruisselle, comme on dit, beaucoup plus sur son territoire que d'autres métropoles.

NICOLAS BEYTOUT
Et pourtant il y a eu des manifestations, et des violences, beaucoup de violences.

JACQUELINE GOURAULT
Oui, mais je pense que la structure industrielle, aussi, qui est à Toulouse, extrêmement variée, moderne, etc., quand je suis allée l'autre jour en Corrèze j'ai vu des petites entreprises qui travaillent, qui sont des sous-traitants de Toulouse, donc je veux dire, ça s'étale assez loin. Mais il y a un problème général et effectivement, de partage, au fond, des richesses sur le territoire français. Et donc, et puis on peut dire, enfin personnellement je pense que le découpage des régions tel qu'il a été fait, avec la création d'une très grande région, peut-être aussi l'agrandissement des intercommunalités…

NICOLAS BEYTOUT
C'est une erreur ? Tout ça est une erreur ?

JACQUELINE GOURAULT
Moi je pense que ça a été fait sans suffisamment penser à l'aménagement du territoire. On a découpé pour découper, pour faire des grandes régions, avec l'idée de big is beautiful, et puis finalement on na pas vu les conséquences de tout cela.

NICOLAS BEYTOUT
Il faut corriger ça ?

JACQUELINE GOURAULT
Il faut donner des souplesses dans tout cela.

NICOLAS BEYTOUT
Et c'est quoi des souplesses ? Il faut recréer des régions ou revenir sur le découpage qui avait été fait par François HOLLANDE ?

JACQUELINE GOURAULT
Je ne suis pas sûre qu'il faille revenir, parce qu'il ne faut pas non plus chambouler sans arrêt les choses, parce que ça coûte très cher, mais en tout cas il faut gérer autrement, en donnant des assouplissements possibles pour rapprocher le citoyen des centres de décisions.

NICOLAS BEYTOUT
Rapprocher le citoyen des centres de décisions, et de ses élus. Pas mal de gens, dans la majorité, commencent à remettre en cause l'idée du non cumul des mandats, cette espèce de règle absolue qui fait que lorsqu'on est député ou ministre, a fortiori, eh bien non, on ne peut pas être maire d'une commune, quelle que soit sa taille. Est-ce qu'il faut revenir là-dessus ?

JACQUELINE GOURAULT
Je ne sais pas bien, j'ose le dire, je ne sais pas bien. Alors on peut imaginer bien sûr que l'on puisse être maire d'une commune de 500, 1 000 habitants et être en même temps député ou sénateur, après tout c'est sûrement possible.

NICOLAS BEYTOUT
1 000, 2 000, 10 000.

JACQUELINE GOURAULT
Voilà. Après, si on revient, si on posait déjà la bonne question, on va avoir le débat sur à partir de quel niveau, etc. Moi j'ai été maire d'une commune de 4 500 habitants, en Loir-et-Cher, quand j'étais parlementaire, de base, tout allait bien, aussitôt que j'ai pris des responsabilités au sein du Sénat, que j'ai pris la présidence, par exemple, de la délégation collectivités territoriale, bon, je veux dire que beaucoup de choses reposaient sur mon Premier adjoint, qui est devenu maire après.

NICOLAS BEYTOUT
Mais vous gardiez un ancrage très fort avec le territoire et les vrais gens.

JACQUELINE GOURAULT
Oui. Alors nous ne sommes pas dans le cas de certains pays où il y a un mandat unique, on peut toujours être député et conseiller général, on peut être conseiller régional, mais on ne peut pas avoir d'exécutif.

NICOLAS BEYTOUT
En Angleterre, mères des démocraties, le ministre est forcément un élu et il garde sa circonscription. Ce n'est pas un bon exemple ?

JACQUELINE GOURAULT
Si, c'est un bon exemple, mais je crois qu'on peut le faire, mais on aura le débat, parce qu'on ne peut pas non plus quand même être maire de Toulouse et parlementaire.

NICOLAS BEYTOUT
D'accord.

JACQUELINE GOURAULT
Enfin, je ne fais pas de fixette sur Toulouse, mais je pourrais parler de Bordeaux…

NICOLAS BEYTOUT
Mais 10 000 ou 20 000 habitants, ça pourrait se faire, en tout cas certains plaident pour ça. Tous ces changements-là, il faut les mettre en forme comment ? Référendum, congrès, suggestion de loi, quelle est votre préférence ?

JACQUELINE GOURAULT
Ça peut se régler par la loi, ça peut se régler par le référendum. Le président de la République décidera et sentira…

NICOLAS BEYTOUT
Il y a eu pas mal de ballons d'essais, le référendum a été lancé en début de semaine, ça a créé, enfin il a été relancé en début de semaine, ça a créé beaucoup d'émotion, vous y croyez ?

JACQUELINE GOURAULT
Oui mais c'est… Ce qui a créé l'émotion, je ne crois pas que ça soit le référendum en soi, c'était la concomitance avec les élections européennes. Ça, c'est cela qui a créé l'émoi.

NICOLAS BEYTOUT
Ça vous êtes contre.

JACQUELINE GOURAULT
Plutôt, parce que vous savez que je suis d'une famille politique très pro-européenne…

NICOLAS BEYTOUT
Le MoDem.

JACQUELINE GOURAULT
Et nous avons une crainte, c'est que le débat européen qui est très important, soit déplacé, escamoté vers d'autres préoccupations. Et donc nous pensons dans notre famille politique que ce n'est pas forcément une bonne idée.

NICOLAS BEYTOUT
Donc référendum peut-être, mais sûrement pas le 26 mai prochain avec les élections. Il y a d'autres thèmes qui doivent sortir du Grand débat, je pense à des thèmes d'économie et de fiscalité, Gérald DARMANIN a dit par exemple aujourd'hui : il faut augmenter les impôts des plus riches, ceux en tout cas qui bénéficient de niches fiscales, pour baisser les impôts de ceux qui en paient et qui sont dans les premières tranches d'impôt sur le revenu. C'est une bonne idée de répondre à un ras le bol fiscal en augmentant quelques impôts ?

JACQUELINE GOURAULT
En tout cas il faut poser le sujet. Je crois qu'on ne peut pas vouloir réformer et ne pas poser les sujets. Ça c'est très important ? C'est peut-être nouveau parce que parfois certains commentateurs peuvent dire : ah mais alors il parle d'un sujet, tout le monde n'est pas d'accord. Eh bien oui, tout le monde n'est pas d'accord, mais je pense que c'est bien de poser les sujets.

NICOLAS BEYTOUT
Mais vous, de votre point de vue, très bien, une fois que c'est posé, votre point de vue : est-ce qu'il faut augmenter certains impôts sur le revenu pour ceux qui gagnent plus ?

JACQUELINE GOURAULT
Moi je suis très prudente sur l'augmentation des impôts, parce qu'il y a 43 % des Français aujourd'hui qui ne paient pas d'impôt.

NICOLAS BEYTOUT
43 % seulement qui paient l'impôt.

JACQUELINE GOURAULT
Oui, pardon, excusez-moi, vous avez raison. Et donc je pense que l'impôt se concentre sur au fond la classe moyenne et la classe moyenne supérieure. Donc je pense qu'il faut faire très attention de ne pas alourdir cette classe moyenne ou cette classe moyenne supérieure. Alors après, qu'on touche à la tranche des gens qui sont, allez, les 2 ou 3 % les plus riches en France, c'est un autre sujet.

NICOLAS BEYTOUT
C'est un symbole ?

JACQUELINE GOURAULT
Eh bien ça s'est posé pour la taxe habitation.

NICOLAS BEYTOUT
Il faut un symbole ?

JACQUELINE GOURAULT
Je ne suis pas populiste, donc je n'aime pas beaucoup les symboles, il faut faire payer les riches, etc. Mais il y a une question de justice sociale, c'est comme ça qu'il faut le prendre, la justice sociale c'est ceux les plus aisés qui paient davantage.

NICOLAS BEYTOUT
Alors ça y est, Emmanuel MACRON a ses insoumis. 50 députés qui s'abstiennent et qui le font savoir sur la loi anticasseurs et puis un député qui quitte le groupe parce que la politique de transition écologique ne le satisfait pas. Ça commence à, ne pas fracturer mais se fêler un petit peu.

JACQUELINE GOURAULT
Oui, alors on est sur un sujet qui était le sujet de la sécurité. Je me souviens bien quand j'ai été numéro 2 de Gérard COLLOMB, que quand il y a eu la loi sécurité de Gérard COLLOMB, déjà on avait senti dans le groupe En Marche, de grandes interrogations.

NICOLAS BEYTOUT
Oui mais ils votaient.

JACQUELINE GOURAULT
Ah mais ils ont voté à ce moment-là.

NICOLAS BEYTOUT
Et ils ne veulent plus.

JACQUELINE GOURAULT
Oui mais alors le vote ça dépend de beaucoup de circonstances, et peut-être, je le disais ce matin dans la Presse, que certains disaient qu'ils n'avaient pas assez débattu en interne du sujet ? C'est toujours l'intérêt dans un groupe de débattre, et d'apaiser aussi les opinions si je puis dire, et d'amener sur des positions médianes.

NICOLAS BEYTOUT
Et est-ce que ça vous rend plus attentive, est-ce que ça vous oblige à être plus attentive, plus prudente dans votre relation avec ce groupe qui commence à être un peu moins un groupe en bloc ?

JACQUELINE GOURAULT
Ah je crois que les ministres doivent s'impliquer au maximum. Par exemple moi j'ai passé une journée et une nuit, quand je dis une journée et une nuit, plus la nuit, dans une commission, parce que là nous avons un texte, enfin j'ai un texte qui arrive, la création de l'Agence nationale de cohésion des territoires, justement pour faciliter l'aide de l'Etat auprès des territoires, j'y ai passé beaucoup d'heures, parce qu'il faut donner beaucoup d'explications et on arrive à regagner, je dirais la confiance sur un certain nombre de sujets.

NICOLAS BEYTOUT
Donc ce ne sont pas des frondeurs, ce sont des râleurs.

JACQUELINE GOURAULT
Ce sont des râleurs, mais ce sont des gens aussi pour certains qui sont nouveaux en politique, et donc il faut beaucoup travailler, beaucoup expliquer avec eux.

NICOLAS BEYTOUT
Merci beaucoup Jacqueline GOURAULT.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 février 2019