Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur la Montagne d'or.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions et réponses. Je vous rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Nous débattons ce matin de la Montagne d'or, projet d'exploitation de l'or en Guyane. Chacun l'a bien compris ne serait-ce qu'à entendre les orateurs qui m'ont précédé, c'est un projet controversé, certains le soutenant et d'autres s'y opposant, en Guyane comme ici à l'Assemblée nationale.
Les enjeux sont importants, tant sur le plan environnemental que sur les plans économique, social et territorial. Il n'est pas question de considérer par avance que tel enjeu doit l'emporter totalement sur les autres.
De ce point de vue j'ai entendu des propos assez éloignés de la réalité. Madame Panot, vous avez attribué au Président de la République ou à d'autres responsables politiques des propos qui ne correspondent pas à la réalité. Pourtant Mme la députée Maina Sage avait rappelé juste avant votre intervention, mais sans doute ne l'avez-vous pas écoutée, ce qui a été dit vendredi dernier devant des centaines de témoins, élus d'outre-mer.
Je propose donc d'en revenir aux faits et d'essayer d'avancer ensemble, en tout cas celles et ceux qui souhaitent avancer et non pas simplement polémiquer, sur la question délicate, compliquée et qui ne date pas du projet « Montagne d'or » de l'exploitation de l'or en Guyane, ou plus exactement des différentes formes d'exploitation de l'or en Guyane.
Je vous avoue en effet être un peu étonné qu'on ne parle que d'une forme d'exploitation, des problèmes qu'elle pose et des risques qu'elle induit, qui sont bien réels, en gardant le silence sur les autres. J'entends bien ce qui est dit sur le cyanure, et je sais que certains députés ont la volonté d'interdire son usage dans l'exploitation de l'or. Mais ils ne disent rien du mercure, pourtant plus toxique.
M. Lénaïck Adam. Eh oui.
Mme Maina Sage. Son usage est déjà interdit !
M. François de Rugy, ministre d'État. C'est d'ailleurs à cause des problèmes posés par le mercure que le cyanure lui a été substitué.
Si cela n'est pas dit, soyons clairs, c'est parce qu'aujourd'hui le mercure est utilisé à grande échelle, par plusieurs centaines d'exploitants, sous une autre forme.
M. Gabriel Serville. Je l'ai dit.
M. François de Rugy, ministre d'État. Je souhaite, moi, qu'on essaie de régler tous les problèmes et de sortir par le haut d'une situation qui n'est pas satisfaisante, mais je n'oppose pas tel projet à tel autre. Il serait complètement idiot de penser que le projet de la Montagne d'or permettrait de mettre fin à l'orpaillage clandestin, et d'ailleurs personne ne l'a prétendu. La lutte contre l'orpaillage clandestin se poursuit, mais l'orpaillage légal et l'exploitation artisanale de l'or ne sont pas non plus sans poser des problèmes, notamment environnementaux.
Je voudrais maintenant vous dire concrètement où en est ce projet Montagne d'or. À ce stade, du point de vue juridique, administratif, procédural, ce projet n'a pas d'existence. Il y a une intention, un porteur de projet, mais celui-ci n'a pas encore enclenché de procédure. La compagnie Montagne d'or dispose d'un titre minier, dont les modalités de renouvellement sont celles en vigueur aux termes du code minier, qui rend ce renouvellement automatique. C'est une réalité juridique qui à mon sens n'est pas satisfaisante et qui illustre le caractère obsolète de notre code minier dans bien des domaines.
Cette situation, nous en avons hérité. Tant M. Bouillon, du groupe socialiste que M. Marleix, du groupe LR, ont rappelé les tentatives de réforme du code minier, restées inabouties. Vous le savez bien, madame Batho, puisque c'est vous qui avez ouvert ce chantier en 2012, quand vous étiez ministre de l'environnement.
Mme Delphine Batho. J'ai été limogée, monsieur le ministre !
M. François de Rugy, ministre d'État. Même la proposition de loi de M. Chanteguet n'a pas dépassé le stade de son adoption en première lecture.
La compagnie Montagne d'or devra déposer plusieurs demandes d'autorisation de travaux dès lors qu'elle voudra concrétiser le projet, ce dont elle a l'intention, mais à l'heure où je vous parle, ces procédures n'ont pas été engagées. En tant que ministre de la transition écologique et solidaire responsable de ces questions, je n'ai reçu aucune demande d'autorisation ni aucune étude d'impact.
M. Gabriel Serville. Tant mieux !
M. François de Rugy, ministre d'État. Nous sommes donc contraints d'apprécier les enjeux à partir des déclarations d'intention du porteur de projet, lequel, c'est une évidence, est inédit par son ampleur en Guyane – il est d'autres exploitations aurifères dans le monde beaucoup plus importantes. Il s'agit en effet d'un projet de mine d'or industrielle, à ciel ouvert, d'une surface d'environ 800 hectares. À ce propos, j'invite les orateurs à éviter des comparaisons un peu faciles : j'ai fini moi-même par m'y perdre, entre le Stade de France et la Tour Eiffel ! Certes, elles frappent les esprits mais je vous donnerai des chiffres encore plus parlants. Gardons le sens de la mesure !
Ce site de 800 hectares est situé entre deux massifs d'une biodiversité exceptionnelle, en Guyane et donc en France, et qui sont classés en réserve biologique intégrale. Il abrite des centaines d'espèces animales et végétales, dont certaines sont protégées, et les enjeux de conservation sont incontestablement considérables. Il abrite également des ressources en eau, dont deux sont rapportées au titre de la directive cadre sur la protection de la ressource en eau.
Les enjeux sont majeurs en termes de gestion des risques industriels, dont deux retiennent particulièrement mon attention : le risque de drainage minier acide et le risque de rupture de digue d'un bassin à résidus – certains d'entre vous l'ont rappelé, l'accident dramatique qui vient d'avoir lieu au Brésil montre qu'un tel risque est bien réel et doit être pris très au sérieux : il ne s'agit ni de fantasmes, ni d'un risque infinitésimal. Le risque de rupture de digue est extrêmement important.
Notre droit prévoit un certain nombre de mesures quant à l'ensemble de ces impacts, sur lesquelles je considère qu'il faudra revenir. La logique de la protection de la biodiversité a été définie dans la loi en 2016 : « éviter, réduire, compenser », pour garantir la meilleure protection. Qu'il s'agisse de risques ou de biodiversité, je sais d'expérience que la prise en compte des enjeux nécessite une vigilance absolue du ministre responsable de ces questions, en l'occurrence moi-même aujourd'hui. Je ferai donc preuve d'une vigilance absolue sur ce plan-là et je ne céderai pas, ce doit être très clair. Ce ne sont pas là des choses que l'on peut balayer d'un revers de la main et ce Gouvernement, c'est très clair, ne procède pas ainsi.
Ce projet recouvre aussi des enjeux importants pour le territoire guyanais sur le plan économique et social. Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des défis auxquels la Guyane est confrontée, chacun les a bien à l'esprit : forte croissance démographique, en raison d'une natalité importante et d'une immigration parfois non régulée et clandestine, formation, emploi, niveau de chômage, développement économique, sécurité. Tous ces défis sont extrêmement importants et l'exploitation de l'or, artisanale – légale ou illégale – ou industrielle, s'inscrit parmi eux, nul ne peut le nier.
Ces défis, par ailleurs, doivent être appréhendés de manière transversale. Le rapport commandé par l'association WWF au cabinet Deloitte, sur lequel j'ai déjà eu l'occasion de me pencher, apporte un éclairage intéressant.
L'activité minière, je l'ai dit, fait partie du paysage économique local depuis très longtemps, si ce n'est depuis toujours. Nous ne pouvons ignorer cette composante, non plus que, là encore, la balayer d'un revers de la main. Je crois pouvoir dire – mais peut-être qu'une voix s'élèvera pour démentir, parmi les responsables politiques locaux et nationaux de cette assemblée – que personne n'appelle à l'interdiction totale de toute exploitation de l'or, malgré les problèmes environnementaux qu'elle pose. J'ai entendu quelques associations aller jusque-là, et encore… Je crois donc qu'il relève de notre responsabilité collective de créer et d'adopter un cadre clair, sécurisant, sur cette question sensible et particulière. C'est donc la question du code minier, que je souhaite réformer, qui est posée.
Aujourd'hui, du point de vue économique et social, vous le savez sans doute, la compagnie Montagne d'or estime que le projet permettrait de créer 750 emplois directs, dont 90 % seraient occupés par des travailleurs locaux. C'est aussi un sujet de débat, notamment soulevé par des associations. À ce stade, il est difficile de valider ou d'invalider ce chiffre mais le rapport d'inspection commandé par trois ministères – le ministère de la transition écologique et solidaire, le ministère de l'économie et des finances et le ministère de l'outre-mer – sera bientôt rendu. À l'époque, je n'étais pas ministre mais la continuité des travaux est là et je gage que ce rapport permettra d'éclairer aussi ce point puisqu'il s'agit d'un regard extérieur, pas de celui du porteur de projet.
Enfin, il faut bien le dire, ce projet est singulier en raison de la contestation et des tensions qu'il a suscitées localement, mais aussi nationalement, en raison de sa dimension symbolique. Le débat public qui a eu lieu au printemps 2018 a été extrêmement tendu et a soulevé de très nombreuses questions fondamentales, tant sur le plan environnemental que sur l'acceptabilité par les populations locales.
Les élus de la collectivité guyanaise ont également pris position. Ils semblent très majoritairement favorables au projet mais ont eux aussi demandé des garanties quant à la sécurité et à l'environnement. Quelques élus ont également fait part de leurs réserves ou de leur franche opposition – j'ai bien entendu les propos du député Serville tout à l'heure, nous en avons d'ailleurs déjà discuté ensemble – mais également des communautés autochtones et des associations locales ou nationales.
Malgré ces nombreuses questions et contestations, la compagnie Montagne d'or a confirmé le 26 novembre dernier son intention de poursuivre son projet, en y apportant des modifications sur lesquelles, à ce stade, nous ne disposons pas d'autres précisions qu'une plaquette affichant de simples intentions.
Il nous revient donc d'appréhender ce projet dans toutes ces dimensions et je propose de fixer un cadre, une méthode et un calendrier.
Le cadre a été esquissé par le Président de la République, lequel s'est exprimé sur ce projet à trois reprises depuis sa prise de fonction : lors de son déplacement en Guyane, lors des assises de l'outre-mer et, plus récemment, à l'occasion de la rencontre avec les élus ultramarins dans le cadre du grand débat national, la semaine dernière, à l'Élysée. Le Président a dit les choses clairement. Le projet sera soumis à trois critères : exemplarité environnementale, acceptabilité démocratique et retombées économiques et sociales pour le territoire.
En l'état, comme le Président l'a dit vendredi dernier, le projet n'est « pas au niveau » – je pourrais développer son propos, mais c'est là je crois un bon résumé. Les démarches que j'ai quant à moi entreprises m'amènent à dire exactement la même chose : ce projet n'est pas au niveau, en particulier quant à l'exemplarité environnementale. Ce qu'il en est de l'acceptabilité et des retombées est évidemment sujet à débat et à questionnements.
La méthode, à laquelle je suis particulièrement attaché, est celle du dialogue avec les acteurs du territoire pour définir une position éclairée à partir de l'ensemble des expertises produites. Depuis le mois de septembre, j'ai non seulement pris connaissance des conclusions du rapport remis par la commission nationale du débat public, mais aussi reçu individuellement le président de la collectivité territoriale de Guyane, les quatre parlementaires guyanais, députés et sénateurs, ainsi que les associations locales et nationales opposées au projet et le préfet de Guyane afin que chacun me donne son point de vue et me fasse part de ses arguments.
Dans les jours à venir, un rapport conjoint d'inspection sera rendu, je l'ai dit, concernant l'activité aurifère, ses impacts environnementaux et ses retombées économiques.
Enfin, je me rendrai prochainement en Guyane pour constater sur le terrain les enjeux, les attentes, les réserves, les oppositions bien sûr, et rencontrer un certain nombre d'acteurs que je n'ai pas pu voir à Paris, notamment le grand conseil coutumier.
Au terme de ce déplacement, à l'horizon de ce semestre, je serai amené à prendre position au nom du Gouvernement. Je le ferai en tant que ministre de l'écologie, garant de l'exigence et de la sécurité environnementales, et en tant que membre du Gouvernement garant du respect du territoire, de ses habitants et de ses élus. Je souhaite également que ce dossier soit l'occasion de porter un regard plus large sur l'activité minière en Guyane et sur le cadre juridique qui la régit, autrement dit le code minier, dont j'ai déjà parlé.
Les problèmes que pose ce projet doivent nous permettre de franchir une nouvelle étape. Il faut être clairs sur plusieurs questions : sommes-nous oui ou non favorables à l'exploitation de l'or en Guyane ? Sous quelle forme, dans quelles conditions ? Voulons-nous tirer vers le haut toutes les formes d'exploitation de l'or ? Les services de l'État combattent évidemment celles qui sont interdites, l'orpaillage illégal, et nous devons d'ailleurs nous demander s'il convient de se doter de moyens juridiques ou matériels supplémentaires. Mais s'agissant des exploitations légales aussi, nous devons réfléchir à la façon de les tirer toutes vers le haut d'un point de vue environnemental. Je tiens à le dire parce que, depuis les dix dernières années, 27 122 hectares ont été déforestés suite à l'activité d'orpaillage, avec ses techniques actuelles. En unités de terrains de foot, monsieur Serville, cela correspond à 37 300. (Rires sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Gabriel Serville. Effrayant.
M. François de Rugy, ministre d'État. Que les choses soient bien claires, il ne s'agit pas de dire que comme cela fait déjà beaucoup, on peut en rajouter ! Comprenons bien, toutefois, les enjeux. Ce débat est national. Je sais bien que l'on peut faire état d'images fortes, qui, en effet, peuvent facilement et légitimement faire peur aux Français, mais notre responsabilité, dans une assemblée où tous les points de vue sont exprimés, dont celui du Gouvernement, est d'envisager le problème dans sa globalité en essayant de trouver des solutions qui, encore une fois, permettent à la Guyane de trouver des activités économiques et de protéger son environnement particulièrement riche et précieux, celui d'un territoire lointain de notre pays mais qui est partie intégrante de notre politique de protection de la biodiversité, de l'environnement et des habitants contre les risques.
Voilà la stratégie que je propose face à ce projet d'exploitation de l'or en Guyane. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. Nous en venons aux questions.
La parole est à M. Hubert Wulfranc.
M. Hubert Wulfranc. Beaucoup a été dit ce matin sur ce dossier. Vous l'avez compris, votre décision politique sera cruciale et significative.
D'un côté, nous avons un territoire français, disons-le, loin des yeux et loin du coeur de la grande majorité de nos concitoyens, c'est une réalité. Un territoire souvent considéré comme oublié, ce qui est vrai, où la population est en proie aux pires difficultés économiques et sociales et pour une partie de laquelle tout projet de création d'emplois peut être une bouffée d'oxygène à court terme – mais à effet nul à terme s'agissant du secteur extractif, comme le montre l'étude du cabinet Deloitte.
De l'autre côté, il y a des hommes et des femmes qui vivent au coeur d'un territoire d'une richesse mémorielle, culturelle et patrimoniale parmi les plus denses et les plus remarquables de la planète. En somme, un vivier du vrai vivant.
C'est là que les Guyanais, du moins une majorité d'entre eux, identifient leur voie de développement économique et social. C'est là que le Gouvernement, dans la concrétisation d'une priorité affichée, pourrait trancher en faveur du développement durable et contre ce qu'il faut bien appeler un capitalisme prédateur et court-termiste.
J'ai lu récemment que jusqu'à une période récente, les scientifiques n'avaient pu identifier les vestiges archéologiques des remarquables champs de cultures vivrières sur butte des paysans précolombiens : pour cela, il a fallu procéder à une exploration aérienne. Monsieur le ministre d'État, prenons de la hauteur et évitons cette gigantesque extraction pour préserver la terre de Guyane au bénéfice des hommes et de femmes de là-bas et d'ici – qui sont finalement les mêmes.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. François de Rugy, ministre d'État. Monsieur le député, votre question d'ordre général me permet d'évoquer une contradiction que l'on retrouve souvent – je suis sûr que vous en auriez de nombreux exemples dans votre propre territoire d'élection – entre deux impératifs que nous devons concilier, à savoir d'une part l'activité économique, qui se fait au service de l'humain – bref l'activité humaine tout court, car en fait, et même pour ceux qui proclament « l'humain d'abord ! », les humains doivent travailler pour vivre –…
Mme Delphine Batho. Sans forêt, ils ne le peuvent pas non plus.
M. François de Rugy, ministre d'État. …et d'autre part la protection de l'environnement. Cette conciliation est précisément l'objet de la notion de développement durable. Je me donne systématiquement pour mission d'essayer de concilier économie et écologie. Ce n'est jamais facile, mais il faut reconnaître qu'avec ce projet Montagne d'or, avec l'exploitation de l'or en Guyane, nous sommes en plein coeur de cette contradiction et que la tâche se révèle donc particulièrement ardue.
M. Alexis Corbière. C'est clair.
M. François de Rugy, ministre d'État. Nous devons en être pleinement conscients.
On peut toujours dire que l'exploitation de l'or est une activité exercée par des compagnies mondiales capitalistes et prédatrices.
M. Alexis Corbière et Mme Mathilde Panot. On peut le dire.
M. François de Rugy, ministre d'État. Mais il ne faut pas perdre de vue que l'or est utilisé à 90 % pour la fabrication de bijoux. Je ne sais pas si, parmi vous, nombreuses sont les personnes déterminées à ne plus porter le moindre bijou en or, mais c'est cette utilisation essentiellement qui rend l'or rare et précieux ; c'est ce qui fait que certains sont prêts à aller le chercher même si c'est compliqué, même si les problèmes en termes de sécurité et d'environnement sont considérables.
Ce que je vous dis aujourd'hui très clairement, c'est que s'il se révèle impossible de concilier les deux impératifs que j'ai évoqués, à un moment donné il faudra trancher. C'est ce que nous serons amenés à faire prochainement au sujet du dossier de la Montagne d'or.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Djebbari.
M. Jean-Baptiste Djebbari. Monsieur le ministre d'État, vous avez bien rappelé tous les enjeux d'un projet représentant à la fois une opportunité socio-économique et d'importants risques environnementaux et qui pose la question de son acceptabilité sociale. J'ai une question technique qui porte sur le mode d'exploitation envisagé. Vous avez déjà parlé du cyanure et du mercure. Je sais que la piste d'autres substituts pourrait être explorée, notamment celle du thiosulfate de calcium ou de sodium, et j'aimerais savoir si vos services ou vous-même avez engagé un dialogue sur ce point avec les porteurs de projet de la compagnie Montagne d'or. Le cas échéant, la soutenabilité sur le plan économique du projet ainsi amendé a-t-elle été étudiée ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. François de Rugy, ministre d'État. Je n'ai pas eu l'occasion de discuter directement avec le porteur de projet, mais je le ferai s'il en fait la demande, puisque j'ai pris le parti de discuter avec tout le monde. Pour l'instant, j'ai déjà reçu des élus et des associations, des deux bords.
Pour répondre à votre question technique, sans être un spécialiste de la chimie ni de l'exploitation de l'or, je rappelle que le cyanure est utilisé pour l'exploitation minière, ainsi que pour d'autres applications industrielles, en substitut du mercure. La dissémination du mercure dans l'environnement est en effet très nocive non seulement pour la flore et la faune, mais aussi pour l'homme. En d'autres temps, nous avons par exemple débattu dans cet hémicycle des problèmes posés par la présence de déchets de mercure dentaire dans les eaux usées, qu'il est impossible de traiter.
Les exploitants aurifères considèrent, pour leur part, qu'il n'existe pas de substitut valable au cyanure et au mercure. Ils se basent sur des études du Bureau de recherches géologiques et minières et d'autres instituts publics, qu'on ne peut soupçonner d'être à la solde du « capitalisme prédateur » et qui effectuent leur travail en toute objectivité et en toute indépendance.
J'ai en ma possession un tableau de synthèse récapitulant les différents produits susceptibles d'être mis en oeuvre ainsi que leur efficacité supposée – qui, pour l'or, n'est pas encore démontrée. La recherche doit se poursuivre, et par ailleurs, si jamais le projet aboutissait, cela ne pourrait se faire qu'avec des techniques de sécurité appropriées. Le cyanure serait évidemment utilisé en circuit fermé, sans rejets dans l'environnement.
M. Lénaïck Adam. Bien sûr !
M. François de Rugy, ministre d'État. Je rappelle que l'utilisation du mercure, elle, donne lieu à de nombreuses pollutions environnementales.
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Tuffnell.
Mme Frédérique Tuffnell. Sans revenir sur la démesure des chiffres, il faut quand même garder à l'esprit l'ampleur du projet : une fosse de 2,5 kilomètres de long et de 400 mètres de large, sur une surface de 1 500 hectares de forêt primaire où évoluent plus de 2 000 espèces animales et végétales, dont de nombreuses espèces protégées. Au regard de ces éléments, on prend bien la mesure des risques que la Montagne d'or fait courir aux populations locales, à leur santé, à la ressource en eau et à la biodiversité.
Pour ce qui est des risques liés à l'utilisation du cyanure, la pollution des nappes phréatiques et les conséquences désastreuses sur le vivant seraient une réalité qui pourrait affecter la Guyane pour les décennies à venir. Si ce territoire bénéficie actuellement de ressources naturelles exceptionnelles, notamment l'eau et le bois, et présente une biodiversité parmi les mieux préservées au monde, il fait face à un taux de chômage de 22 %, dont 46 % chez les jeunes : la Guyane a donc désespérément besoin de solutions.
Monsieur le ministre d'État, je vous ai entendu, mais j'insiste : pensez-vous qu'il soit utopique d'envisager un autre projet, plus respectueux de l'environnement et de sa diversité biologique, dans l'esprit du principe « éviter, réduire, compenser » ? Un projet plus vertueux, qui prévoirait l'utilisation du thiosulfate de sodium comme alternative au cyanure ? Un projet également plus ambitieux, qui préfigurerait la structuration d'une filière aurifère pourvoyeuse d'emploi et de richesse pour la Guyane et qui permettrait de lutter contre le fléau du mercure et de l'orpaillage illégal ?
Dans tous les cas, l'investissement dans l'industrie extractive ne doit pas limiter le développement de filières locales durables à forte valeur ajoutée comme celles du bois, des énergies renouvelables, de l'agriculture et de l'aquaculture durables, ou encore de l'économie sociale et solidaire. Il est de notre responsabilité d'explorer ces pistes en concertation avec les Guyanais, pour un avenir durable de la Guyane. (Mme Sandra Marsaud applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. François de Rugy, ministre d'État. Madame la députée, je profite de cette occasion pour saluer votre engagement et le travail que vous accomplissez sur la biodiversité en général et les zones humides en particulier – ce que vous appelez les « terres d'eau ». De ce point de vue, la Guyane est évidemment un territoire présentant un intérêt particulier en raison de la richesse exceptionnelle de la forêt amazonienne, notamment en termes de biodiversité – ce qui, en contrepartie, impose des contraintes extrêmement fortes à toute activité humaine pratiquée dans cet environnement.
Je suis d'accord avec vous pour considérer que, sur un tel territoire, il faut chercher à mettre en oeuvre des activités qui profitent des ressources présentes sans les détruire, si possible dans le cadre d'une gestion durable. Je rappelle au passage que, pour ce qui est de l'or, certains modes d'exploitation actuels, qui ne sont pourtant pas industriels, occasionnent des dégâts considérables à l'environnement : les terrains sont déforestés, et surtout la forêt n'y repousse pas. Si ce n'est pas ce dont nous parlons aujourd'hui, c'est un sujet majeur qu'il faudra traiter.
Comme vous l'avez dit, différents rapports ont mis en évidence le potentiel représenté par les ressources disponibles en Guyane : je pense au bois, et à la biomasse en général. Nous travaillons, au sein du ministère de la transition écologique et solidaire mais aussi avec le ministère de l'outre-mer, afin de déterminer si une filière durable et respectueuse de la forêt pourrait permettre d'exploiter ces ressources, notamment pour la production d'énergie – une démarche qui aurait d'ailleurs vocation à s'appliquer à d'autres territoires d'outre-mer français, notamment dans les Antilles. Enfin, la question de la pêche doit également être posée, les acteurs de la filière reconnaissant eux-mêmes que l'organisation de cette filière en Guyane est loin d'être optimale.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Monsieur le ministre d'État, je vous avais posé trois questions dans ma première intervention. Pour ce qui est de la deuxième, portant sur l'ambition du Gouvernement, je note avec intérêt que vous ne renoncez pas, par a priori idéologique, à tout projet d'exploitation minière.
En revanche, en en venant à ma question sur la réforme du code minier, vous avez évoqué simultanément d'autres sujets importants, tels que l'exploitation des hydrocarbures, ce qui fait que je n'ai pas vraiment obtenu de réponse. Pourtant, en termes de débat public, de protection de l'environnement, de sécurisation des titres et de simplification des démarches, la réforme du code minier qui avait été engagée semblait permettre des avancées intéressantes. Pouvez-vous nous indiquer si cette démarche est dans une impasse, ou si le Gouvernement a l'intention de lui donner une suite ?
En ce qui concerne l'initiative « Mine responsable » lancée par Emmanuel Macron en 2015 alors qu'il était ministre de l'économie – une démarche ambitieuse, déjà fondée sur la philosophie du « en même temps » – on se souvient que les discussions avec les associations de défense de l'environnement n'avaient pas été très fructueuses. Avez-vous l'intention de relancer ces discussions, ou privilégiez-vous une approche au cas par cas ? En tout état de cause, l'idée d'un label « mine responsable » délivré par l'État me semble constituer une démarche intéressante.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. François de Rugy, ministre d'État. Pour ce qui est de la réforme du code minier, nous n'allons effectivement pas repartir de zéro : nous reprendrons les travaux qui ont été conduits au cours des dernières années. Les services de mon ministère, qui est chargé de cette compétence, ont déjà commencé à le faire : s'il n'existe pas à l'heure actuelle un projet de loi tout ficelé, nous ne partons pas de rien, tant s'en faut. Pour ma part, je souhaite que les députés intéressés soient associés à ce travail en amont, c'est-à-dire dès les semaines qui viennent, car on sait que ce ne sera pas simple et que le dossier soulèvera un grand nombre de questions, mais aussi d'oppositions.
Or, je sais d'expérience que l'existence de points de crispation sur le territoire, fût-ce dans une seule exploitation minières, qu'il s'agisse de l'or en Guyane ou d'autres ressources ailleurs, peut conduire à une opposition généralisée à la réforme, ce qui aboutirait à maintenir un code minier dont pourtant chacun considérerait qu'il est obsolète. Pour sortir de ce dossier par le haut, nous devrons non seulement en passer par le travail préalable que j'ai évoqué, mais aussi savoir faire preuve, dans différents groupes, d'un esprit de responsabilité, pour éviter que le débat ne tourne à un affrontement général sur la question des mines – tout cela en sachant que le problème du gaz et du pétrole de schiste, sujet à polémique depuis une dizaine d'années, a été résolu par la loi que mon prédécesseur a fait adopter dès la fin 2017. Ces deux sujets ne se télescoperont plus.
Nous ne sommes plus dans la logique qui prévalait à l'époque où Arnaud Montebourg était ministre du redressement productif, et qui consistait à convaincre les Français que nous allions redresser les mines, comme si la France allait redevenir un grand pays d'extraction minière. Cela étant, nous n'avons pas l'intention non plus de nous opposer à toute exploitation minière. Ces activités doivent être encadrées et entourées de garanties.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maud Petit.
Mme Maud Petit. Plus tôt dans la matinée, Bruno Millienne vous l'a rappelé, dans un exposé clair et sans appel : aujourd'hui, en 2019, à l'heure où le réchauffement climatique s'accélère, où les températures extrêmes des deux côtés du globe inquiètent, notre responsabilité est entière. Chaque choix, chaque décision doit être motivé par le souci des intérêts environnementaux.
Le projet de la Montagne d'or déchaîne les passions depuis plusieurs mois déjà, à juste titre. Successivement, en décembre 2017, puis en juillet dernier, je vous ai interrogé à ce sujet, rappelant qu'aucune solution économique ne peut sauver notre planète si nous n'agissons pas réellement pour sa protection. Je ne suis pas la seule à l'avoir fait et je remercie Gabriel Serville pour son engagement et sa détermination qui nous permettent aujourd'hui de débattre au sein de l'hémicycle.
Ma question ne concerne pas directement l'enjeu environnemental, mais l'enjeu démocratique qui se glisse entre les lignes : qu'en est-il de la décision d'adoption du projet Montagne d'or ?
Selon un sondage IFOP, 81 % des Guyanais considèrent qu'il présente un risque important pour l'environnement et 69 % y sont opposés. Deux pétitions contre le projet industriel recueillent 384 000 signatures pour l'une, 114 000 pour l'autre. S'il faut saluer l'organisation d'un débat public, qui a eu lieu du 7 mars au 7 juillet 2018, cette initiative ne signifie pas une adhésion, ni son contraire, de la part de la population locale.
En janvier dernier, l'ONU, par le biais du comité pour l'élimination de la discrimination raciale, a sommé la France de considérer l'avis, sur ce sujet, des populations autochtones qui y sont opposées. (Mme Delphine Batho applaudit.) Le comité onusien estime que le projet Montagne d'or violerait les droits des populations indigènes de Guyane française, qui sont protégés par la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Mme Mathilde Panot. Eh oui !
Mme Maud Petit. Face à la gravité de ces propos mais aussi au besoin d'écoute et de dialogue, notre pays se doit d'agir dans le respect de nos valeurs démocratiques. Alors que, dans l'hexagone et nos territoires ultramarins, la crise des gilets jaunes a mis en exergue la nécessité de coconstruire un nouveau pacte social, le projet de la Montagne d'or ne peut voir le jour sans l'aval de la population locale, première concernée.
Mme Delphine Batho. Très bien.
Mme Maud Petit. Le Gouvernement envisage-t-il de recourir au référendum local concernant l'adoption du projet industriel minier de la Montagne d'or, afin que le peuple, souverain, puisse être partie prenante de son avenir ? (Mme Maina Sage applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. François de Rugy, ministre d'État. Vous avez raison de poser la question de l'enjeu démocratique, car nous voyons bien qu'il n'est pas possible ici d'apporter une réponse qui convienne à tous. Le problème se retrouve assez souvent et il me semble d'ailleurs que cela devrait être l'un des sujets du grand débat national. La majorité des élus de la collectivité, que l'on peut considérer comme légitimes puisqu'ils ont été élus, sont favorables au projet. La commission nationale du débat public a eu les plus grandes difficultés à organiser le débat tant les oppositions étaient vives, fortes, allant jusqu'à empêcher les uns et les autres de s'exprimer.
Mme Mathilde Panot. Mais la majorité des avis étaient contre !
M. François de Rugy, ministre d'État. Ce fut un moment très douloureux, mais on ne peut en déduire si les Guyanais sont majoritairement pour ou contre le projet…
Mme Mathilde Panot. Si !
M. François de Rugy, ministre d'État. …puisque nous n'avons là que l'opinion de ceux qui ont participé au débat.
Un sondage a été réalisé – mais je sais que certains responsables politiques, dans d'autres domaines en tout cas, peuvent appeler à ne pas les suivre… Un sondage n'est pas un suffrage mais il apporte une indication.
Mme Mathilde Panot. Le nombre de commentaires par exemple.
M. François de Rugy, ministre d'État. Si le nombre de commentaires sur un site fait un vote, nous n'avons pas fini ! Et je ne pense pas que la démocratie en sortirait grandie. On pourrait envisager d'organiser un référendum, il y a des précédents – je suis bien placé pour le savoir – mais même si une majorité se dégageait, cela suffirait-il à considérer que les droits des minorités sont respectés ? Sans parler de la question des peuples autochtones, que vous avez rappelée et qui a été posée par le comité pour l'élimination de la discrimination raciale de l'ONU.
Soyons clairs : le comité n'a pas déclaré que ce projet violait les droits des peuples autochtones, mais que si les allégations étaient corroborées, c'est-à-dire si les peuples autochtones n'avaient pas été consultés, alors le projet enfreindrait la règle. J'ai reçu la lettre de M. Noureddine Amir, président de ce comité, qui demandait à l'État français de lui répondre avant le 8 avril 2019, ce que nous ferons. Il demande que soit garanti le droit de consultation et de consentement libre, préalable et informé de tous les peuples indigènes affectés par le projet Montagne d'or. Le droit à l'information a été respecté et pour ce qui est de la consultation, je souhaite rencontrer le grand conseil coutumier. Au-delà, j'aimerais que la réforme du code minier intègre des dispositions spécifiques à certains territoires, en particulier la Guyane, pour laquelle la consultation du grand conseil coutumier pourrait devenir obligatoire.
La seule chose qui soit sûre, c'est que nous ne trouverons pas une solution qui fasse consensus.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maina Sage.
Mme Maina Sage. Merci, monsieur le ministre d'État, pour ces premières réponses. Vous avez raison de rappeler l'ampleur de l'orpaillage illégal et clandestin : nous ne voulons pas que l'opposition à ce projet soit l'arbre qui cache la forêt. Mais on nous explique que ce projet servirait à lutter contre l'orpaillage illégal. C'est fortement contesté par les opposants, car beaucoup considèrent que la concrétisation du projet serait plutôt un appel d'air.
Si l'on veut imposer demain des règles environnementales plus exigeantes et durables, dépassant les seules frontières de la Guyane et de la France pour servir de modèle au niveau mondial, l'on ne pourra pas faire l'économie d'un débat autour des intérêts géostratégiques de la France et réfléchir honnêtement aux enjeux cachés.
Rappelons quelques chiffres. La consommation mondiale de métaux augmentera de 5 % chaque année d'ici 2050. Nous aurons extrait en trente ans plus de métaux que dans toute l'histoire de notre humanité : pas moins de 7,5 milliards d'humains consommeront autant de minerai que les 108 milliards qui ont vécu sur Terre. Nous sommes ici au coeur de la stratégie minière de la France. Menons un dialogue franc avec les Guyanais, les Français, car nous avons le sentiment que l'État, en réalité, cherche à concilier les intérêts stratégiques de la souveraineté dite minérale de la France avec les enjeux environnementaux. Pourtant, il faudra bien choisir. On ne peut poursuivre un objectif au détriment de l'autre et j'ai apprécié que vous soyez clair, à ce sujet, monsieur le ministre.
Je réitère la question : pouvons-nous bâtir le projet autrement, pour qu'il soit durable et pas seulement de convenance, afin de répondre aux ambitions internationales ?
Je ne souhaite pas que la Guyane soit sacrifiée sur l'autel des intérêts géostratégiques internationaux. Nous avons le devoir, parallèlement aux concertations, d'étudier sérieusement les alternatives de développement à ce projet, qui ne me semble pas, par ailleurs, à la hauteur des enjeux économiques, sociaux, et de développement du territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. François de Rugy, ministre d'État. Il ne semble pas exister de lien direct entre l'orpaillage illégal et une exploitation légale de l'or, qu'elle soit artisanale, par des PME ou à un niveau industriel – sachant qu'il n'existe pas aujourd'hui d'exploitation industrielle en Guyane. Certains ont pu faire croire, à une époque, que le développement d'une activité industrielle permettrait de lutter contre l'orpaillage illégal mais il n'y pas de lien, dans un sens comme dans l'autre : l'exploitation industrielle n'attirera pas non plus les orpailleurs clandestins – d'autant plus que les techniques d'exploitation sont très différentes : soit on creuse profondément le sol, soit c'est de l'or alluvionnaire.
Mme Mathilde Panot. Mais on creuse les routes !
M. François de Rugy, ministre d'État. En revanche, il existe sans doute un lien entre le développement de l'orpaillage illégal en Guyane et la politique menée au Brésil voisin, où l'orpaillage illégal est beaucoup plus sévèrement réprimé que chez nous, et les droits de la personne moins respectés. De ce fait, les orpailleurs clandestins déplacent leur activité en Guyane.
S'agissant des alternatives, je partage vos préoccupations. Pouvons-nous faire autrement ? C'est toute la question. Pouvons-nous prévoir des garanties ? Pour le moment, ce n'est pas fait, et le projet n'est pas au niveau en matière de protection de l'environnement.
Quant aux autres projets de développement, j'ai déjà répondu que nous souhaitions agir en ce sens. Certes, il y a des retombées économiques ou sociales, en termes d'emplois, mais aussi fiscales ou en termes de cotisations sociales, ne le nions pas. Mais je tiens à dire que pour un tel projet, les retombées fiscales profitent à la collectivité et non à l'État français, en raison du mécanisme de défiscalisation des investissements.
Mme la présidente. La parole est à Mme Danièle Obono.
Mme Danièle Obono. Les données du problème sont simples et claires, ce qui devrait vous permettre de trancher, monsieur le ministre d'État, sans vous abriter derrière l'excuse de la complexité.
Le projet de mine aurifère de la Montagne d'or, c'est une fosse de 2,5 kilomètres de long, 500 mètres de large et 400 mètres de profondeur en pleine forêt équatoriale, à proximité de deux réserves biologiques intégrales, dans le nord-ouest de la Guyane.
C'est aussi 420 millions d'euros d'investissement public, dont l'impact économique apparaît bien incertain et dérisoire – 750 emplois directs en douze ans, dans un département où le chômage concerne 19 000 personnes –, et encore plus au regard de ses conséquences écologiques et sociales désastreuses – 47 000 tonnes de cyanure déversées, 57 000 tonnes d'explosifs employées et 2 000 hectares de forêt tropicale détruits.
C'est une « consultation de façade », selon les termes employés par la Commission nationale consultative de droits de l'homme dans son avis de 2017, qui a été organisée, au mépris des populations, qui sont les premières concernées et furent les premières à se mobiliser, aux côtés de la centaine d'associations guyanaises, nationales et internationales réunies au sein du collectif « Or de question » qui s'oppose au projet depuis 2016. Nous saluons leur action.
En résumé, l'État accorderait des droits d'exploitation, de prédation et de spoliation au consortium russo-canadien Nordgold-Columbus Gold, contre les droits des populations, leur parole, leur santé, leur lieu de vie et la préservation de l'environnement.
Dans une décision rare, le comité onusien pour l'élimination de la discrimination raciale, alerté par l'Organisation des nations autochtones de Guyane, s'est dit préoccupé par le manque de consultation des peuples autochtones de Guyane. Il a appelé la France à suspendre le projet en l'absence du consentement libre, préalable et éclairé de tous les peuples autochtones concernés.
Vous pourriez lui donner votre réponse dès aujourd'hui, monsieur le ministre d'État : il n'y a aucun intérêt environnemental à ce grand projet inutile et dangereux. Le seul bénéfice économique substantiel sera tiré par des multinationales. Aujourd'hui, sept Guyanais sur dix déclarent ne pas avoir été convaincus des bienfaits du projet ; 69 % d'entre eux s'y disent opposés.
Il n'est plus temps de tergiverser, monsieur le ministre d'État, il faut trancher. Quand allez-vous enfin entendre raison ? Quand ferez-vous primer la préservation de l'environnement et la vie des gens sur les profits ? Quand allez-vous, enfin, suspendre définitivement ce projet néfaste ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. François de Rugy, ministre d'État. Je ne sais trop comment utiliser les deux minutes qui me sont imparties pour vous répondre, madame Obono. Que vous arriviez à la fin du débat sans avoir suivi le début, c'est votre droit, mais toutes les questions que vous posez, j'y ai répondu.
Mme Danièle Obono. J'ai bien suivi le débat. Si je pose ces questions, c'est parce qu'elles n'ont pas reçu de réponse.
M. François de Rugy, ministre d'État. Il est dommage que vous ne les ayez pas entendues.
Je vous répondrai uniquement sur un point, parce que je crois que c'est le fond du problème : avec vous, tout est toujours simple. C'est le bien contre le mal.
Mme Danièle Obono. C'est un choix !
M. François de Rugy, ministre d'État. Il suffit de choisir le bien pour qu'il triomphe du mal. Toutes vos expressions vont en ce sens, je les ai notées. Voyez la première phrase : « Les données du problème sont simples et claires, ce qui devrait vous permettre de trancher ». Ensuite, vous égrenez les facteurs du mal, et il suffit que les forces du bien se lèvent pour triompher des forces du mal, à commencer par les capitalistes prédateurs…
Les 750 emplois, vous les citez quand même, pour mémoire, mais en ayant l'air de considérer que ce n'est rien du tout, puisqu'il y a 19 000 chômeurs. Il y a d'autres endroits, voyez-vous, où l'on ne prend pas à la légère 750 emplois.
Pendant que nous parlons, une dépêche de l'Agence France-Presse – une agence de l'État, non du capitalisme prédateur – vient d'annoncer qu'une aciérie de Fos-sur-Mer faisait l'objet d'une amende, infligée par l'administration de mon ministère, parce qu'elle ne respecte pas les normes de rejet.
Mme Danièle Obono. Ben c'est votre travail, non ?
M. François de Rugy, ministre d'État. Vous voyez, ce n'est pas en Guyane, mais en France, et il ne s'agit pas d'or, mais d'acier. Faut-il donc, madame Obono, que je fasse fermer immédiatement cette aciérie ? Est-ce là ma responsabilité, fermer cette usine parce qu'elle ne peut réduire immédiatement ses rejets ?
Mme Mathilde Panot. Non, c'est de créer des emplois écologiques !
M. François de Rugy, ministre d'État. Vous pourrez en parler avec ceux vos collègues députés qui, eux, travaillent sérieusement, depuis des années, sur le sujet de la pollution. Ils vous diront que notre responsabilité, c'est toujours de rechercher la bonne voie, et elle n'est pas simple à trouver, quoi que vous racontiez.
Mme Mathilde Panot. Arrêtez ! Ce que vous faites, c'est donner des permis de tuer aux multinationales !
M. François de Rugy, ministre d'État. Je l'ai dit tout à l'heure, alors que vous n'étiez pas là. Vous avez souvent dit « l'humain d'abord ». Eh bien, c'est entre l'activité par laquelle les humains gagnent leur vie, le travail qui les fait vivre dignement, eux-mêmes et leurs familles,…
Mme Danièle Obono. Ils s'empoisonnent !
M. François de Rugy, ministre d'État. …et la protection de l'environnement qu'il faut trouver une voie.
Moi, je n'oppose pas les enjeux.
Mme Mathilde Panot. Vous avez choisi votre modèle.
M. François de Rugy, ministre d'État. Mais quand il faudra faire un choix, même s'il n'est pas possible de les concilier, nous le ferons. Nous, nous prenons nos responsabilités, nous ne sommes pas dans la protestation, la contestation ou l'opposition permanente.
Mme Danièle Obono. Vous êtes dans la trahison écologique ! La trahison permanente !
M. François de Rugy, ministre d'État. Je le fais tous les jours, toute l'année, sur tous les sites industriels de France, bien loin de votre simplisme. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
Mme Mathilde Panot. Au travail, monsieur de Rugy !
Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho. Trouvez-vous normal, monsieur le ministre d'État, qu'un ancien directeur de cabinet du ministère de l'écologie, en l'occurrence Pierre Cunéo, qui a exercé ses fonctions lorsque j'étais au gouvernement, soit membre du comité consultatif français de la compagnie Colombus Gold, qui porte et défend le projet de la Montagne d'or ? Trouvez-vous normal qu'il mette ses connaissances des arcanes de l'État et des administrations du ministère de l'écologie au service de ce projet destructeur, et qu'un serviteur de la République se retourne ainsi contre elle ?
Deuxième question : vous avez dit tout à l'heure que vous n'aviez pas rencontré le porteur de projet, mais celui-ci a-t-il rencontré votre cabinet ou votre administration ? C'est le problème que j'ai soulevé tout à l'heure : le registre des représentants d'intérêts recense aussi tous les contacts avec les ministres et leurs équipes.
Troisième question : y a-t-il dans ce dossier un autre argument que l'argent et que les intérêts économiques, qui sont toujours plus puissants que la nature ?
Car, au fond, quelle est la valeur de la forêt amazonienne, de ces 2 500 hectares, entre deux réserves biologiques intégrales, d'un territoire qui compte 2 000 espèces, parmi lesquelles 127 espèces protégées, un territoire important pour les peuples autochtones ?
Je vais vous le dire : sa valeur, pour l'humanité, est vitale. La forêt amazonienne est extrêmement importante pour la régulation mondiale du climat ; c'est un puits de carbone, un endroit extrêmement important pour la biodiversité.
Que dira la France, face au Brésil de Bolsonaro, sur la destruction de la forêt amazonienne, si nous faisons la même chose ?
Mme Mathilde Panot. Bien sûr !
Mme Delphine Batho. Je crois donc, monsieur le ministre, que ce projet n'est ni modifiable ni amendable, et je m'inquiète de ce que vous nous avez annoncé aujourd'hui, c'est-à-dire que l'examen de ce projet continue, alors qu'il devrait être proclamé destructeur et donc abandonné. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. François de Rugy, ministre d'État. Vous le savez, madame la députée, nous sommes d'accord sur le fait que la forêt amazonienne joue un rôle majeur en termes de biodiversité et en termes de climat. Vous êtes également bien placée pour savoir, puisque vous êtes députée depuis longtemps et que vous vous préoccupez fortement de ces questions, notamment depuis que vous avez été ministre, que la protection de la forêt amazonienne est bien plus développée en France, donc en Guyane, qu'au Brésil. C'est un fait – et heureusement !
Ce ne sont pas des déclarations d'intention, mais une réalité : heureusement, nous protégeons plus la forêt amazonienne en Guyane que ne l'a fait le Brésil, y compris du temps du président Lula ! Je l'appréciais, comme d'autres, à titre personnel, mais vous savez que, lorsqu'il était président du Brésil, il a développé à outrance les cultures, y compris d'OGM, sur des territoires déforestés,…
Mme Danièle Obono. Et donc ?
M. François de Rugy, ministre d'État. …notamment pour exporter ensuite des produits agricoles y compris vers l'Europe, et en particulier vers la France.
Mme Mathilde Panot. Répondez plutôt à la question !
M. François de Rugy, ministre d'État. Le monde n'est jamais simple. Il n'est pas noir ou blanc, et même ceux qui soutenaient le président Lula n'ont pas prétendu que l'on doive s'inspirer de sa politique agro-environnementale au Brésil.
Quant aux motivations du projet, vous dites qu'elles ne sont que financières. On est certes en présence d'arguments économiques : oui, on parle d'entreprises qui développent une activité, qui gagnent de l'argent de cette manière, et qui font travailler des gens. C'est cela, l'activité économique. Mais selon moi, ce n'est pas parce qu'on développe une activité économique qu'on a tous les droits. Ce n'est pas parce qu'il y a des créations d'emplois qu'on doit tout abdiquer. J'ai démontré depuis le début du débat que je serai, pour ma part, le défenseur de l'exigence environnementale.
Quant à votre question touchant votre ex-directeur de cabinet, j'avoue qu'elle n'est pas de mon ressort.
Mme Danièle Obono. Vous êtes ministre, tout de même !
M. François de Rugy, ministre d'État. Sa fonction dans la société est un fait. Je pense d'ailleurs que vous n'y êtes pour rien, et moi non plus, c'est clair.
Mme Delphine Batho. Mais est-ce normal ?
M. François de Rugy, ministre d'État. Quant à la question de savoir si des porteurs de ce projet ont rencontré mon cabinet, c'est quelque chose de parfaitement normal. Je vous l'ai dit, puisque vous avez assisté à l'ensemble de ce débat : si des porteurs de ce projet demandent à me voir, je les rencontrerai, parce que je souhaite rencontrer toutes les parties prenantes, dans ce cas de ce projet comme dans les autres.
Mme Delphine Batho. Ils ne respectent pas la loi !
Mme la présidente. La parole est à M. François-Michel Lambert.
M. François-Michel Lambert. Étant le dernier orateur, je serai direct, mais je rappelle d'abord, monsieur le ministre d'État, que vous disiez vous-même, au mois de septembre, que le projet de la Montagne d'or ne pouvait en l'état être mené à son terme. C'est, grosso modo, ce que nous avons pu tirer des réponses que vous nous avez apportées toute la matinée.
Vous reconnaissez que ce projet suscite des tensions fortes en Guyane, mais que notre responsabilité n'est pas de le repousser, ni de repousser l'exploitation aurifère. Nous consommons ce produit, c'est-à-dire l'or, qui vient d'autres pays où les règles sociales et environnementales ne seront jamais au niveau des nôtres. Vous avez rappelé le cas du Brésil, mais il y en a de bien pires.
Nous sommes sur une planète unique, et les structures de notre société rendent l'or indispensable. Il n'y a pas aujourd'hui d'alternative à son usage, contrairement à d'autres minéraux extraits de la terre, comme le diamant, qui peut aujourd'hui être produit artificiellement de manière industrielle. Pour l'or, cette alternative n'existe pas. Repousser son extraction sur d'autres territoires serait d'une indécence totale vis-à-vis des populations des pays qui en subiront les conséquences environnementales et sociales.
Notre responsabilité est tout autre : elle est de reprendre ce projet à la base. C'est la volonté du groupe Libertés et territoires. Nous voulons que ce projet soit à la hauteur des enjeux.
Pardon d'avoir fait des allers-retours dans ce débat, monsieur le ministre d'État, mais je devais conclure ce matin, dans une salle voisine, un colloque sur la comptabilité extra-financière – celle qui peut compter ce qui ne l'est pas dans les bilans financiers, qui est capable de mesurer le social et l'environnemental. Alors, êtes-vous prêt à reprendre ce projet pour en faire la référence planétaire de l'exploitation de l'or, en y intégrant une exigence de comptabilité extra-financière traduisant le niveau de vigilance sociale et environnementale le plus élevé du monde ? Êtes-vous prêt à faire de ce projet la COP 21 de l'exploitation aurifère et minière, pour que la France redonne du sens à cette exploitation au niveau planétaire ? Car ce n'est pas seulement un sujet guyanais, ou français, mais c'est un sujet qui intéresse toute l'humanité.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. François de Rugy, ministre d'État. Non, je ne crois pas que nous ferons de ce projet la COP 21 de l'exploitation aurifère ! (Sourires.) Vous avez eu le mérite de faire apparaître la complexité du projet, plutôt que de le simplifier à outrance, et avez élargi notre réflexion sur l'exploitation de l'or en Guyane – je ne parle pas de cette exploitation dans le reste du monde, n'en étant pas responsable, même si l'on peut aussi mener des négociations internationales pour exiger de meilleures garanties.
Je préfère le dire franchement : non, on ne fera pas de ce projet un projet exemplaire. Tel qu'il est parti, pour de nombreuses raisons, c'est un projet d'exploitation industrielle de l'or comme il en existe ailleurs dans le monde. Ces deux compagnies oeuvrent d'ailleurs dans le reste du monde, sur d'autres territoires.
Il ne faut donc pas se payer de mots, mais trouver une voie. Elle sera très étroite, très escarpée, souvent chaotique d'un point de vue démocratique et politique. Mais il est de notre responsabilité, en tout cas de la mienne, de trouver une voie pour gérer l'exploitation de l'or en Guyane tout en protégeant de manière précise, sérieuse et vigilante l'environnement, la biodiversité et la sécurité des populations. Car les risques, comme l'acidification des sols ou la rupture des digues que j'ai évoqués, sont des risques bien réels, et suffisamment graves pour que nous les examinions attentivement avant de prendre une décision.
Je rappelle cependant qu'il n'y a pas actuellement de demande concrète : il ne s'agit encore que d'intentions, d'un projet. Les procédures s'engageront lorsque la demande sera faite. Je souhaite pour ma part que le Gouvernement définisse en amont sa position sur l'exploitation de l'or en général et sur le code minier. J'y travaille, et si certains d'entre vous veulent travailler à la réforme du code minier, je les y inviterai dans les semaines qui viennent.
Mme la présidente. Merci, monsieur le ministre. Le débat est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 13 février 2019