Texte intégral
YVES CALVI
Elizabeth MARTICHOUX, vous recevez donc ce matin Didier GUILLAUME, ministre de l'Agriculture et de l'alimentation, qui sera lui-même aujourd'hui aux côtés d'Emmanuel MACRON pour accueillir les syndicats d'agriculteurs.
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, et à l'Elysée, tout à l'heure, il va parler de ces gros sujets. Bonjour Didier GUILLAUME.
DIDIER GUILLAUME
Bonjour.
ELIZABETH MARTICHOUX
Par exemple, la loi Alimentation, la question, c'est de savoir si elle va tenir ou pas ses promesses, parce que, pour l'instant, c'est vrai qu'elle fait valser les étiquettes plutôt à la hausse sur certains produits courants, on en a parlé largement sur RTL, RICARD, COCA, CAMEMBERT PRESIDENT, etc, sur lesquels les distributeurs faisaient moins de 10 % de marges. Votre pari, c'est que sur d'autres produits, ça baisse ? Est-ce que c'est le cas, est-ce que vous avez des relevés, est-ce que vos services ont fait des constatations qui vont dans ce sens ?
DIDIER GUILLAUME
Oui, d'abord, la loi Alimentation avait un objectif, c'est de mieux répartir la valeur et qu'il n'y a pas de raison que les grandes surfaces, les industriels agroalimentaires fassent des marges, et que les agriculteurs n'en fassent pas, voire même vendent leurs produits en dessous du prix de revient, ce qu'est un scandale absolu, c'est la seule profession qui vend un produit en dessous de ce que ça lui coûte. Donc les négociations commerciales en cours, grâce à la loi Alimentation, font que, aujourd'hui, les prix sont relevés au niveau des agriculteurs, notamment dans le lait, tous les produits laitiers sont en train d'être levés, et nous sommes en discussion aujourd'hui sur la viande et les céréales.
ELIZABETH MARTICHOUX
Sur le lait, ça fonctionne ?
DIDIER GUILLAUME
Sur le lait, ça a commencé à fonctionner. C'est la première année, nous sommes en l'an 1 des nouvelles négociations commerciales, dans les jours qui viennent avec Bruno LE MAIRE…
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc ça veut dire que sur les autres produits, ce n'est pas aussi évident que sur le lait, c'est ça que vous êtes en train de nous dire ?
DIDIER GUILLAUME
Eh bien, pour l'instant, non, mais, ça a pris effet le 1er février.
ELIZABETH MARTICHOUX
Sur la viande par exemple ?
DIDIER GUILLAUME
Sur la viande, pas encore. Mais il faut que dans le mois qui vient, eh bien, les prix remontent chez le producteur et chez l'éleveur, c'est tout le travail de cette loi, c'est pour ça qu'avec Bruno LE MAIRE, nous réunissons dans les jours qui viennent le comité de suivi des négociations commerciales, nous allons mettre autour de la table toute la grande distribution, tous les syndicats agricoles…
ELIZABETH MARTICHOUX
… Vous avez un rendez-vous précis ?
DIDIER GUILLAUME
Jeudi, je crois. Et nous allons discuter de ce qu'il en est, parallèlement, nous allons demander au médiateur des relations commerciales de regarder les choses, et la direction, la directrice générale de la consommation de la répression des fraudes va aller le constater dans les magasins.
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que, à ce stade, vous dites, on commence les négociations commerciales, mais est-ce que les distributeurs jouent le jeu ?
DIDIER GUILLAUME
Oui, ils commencent à jouer le jeu aussi…
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, tous, de façon équivalente ?
DIDIER GUILLAUME
Oui, globalement, oui, je vous disais, sur le lait, ils l'ont tous joué, c'est une bagarre qui est en train de se jouer, c'est une négociation commerciale, nous ne sommes pas dans une économie administrée, mais les choses avancent…
ELIZABETH MARTICHOUX
Justement…
DIDIER GUILLAUME
Je veux simplement préciser que…
ELIZABETH MARTICHOUX
Qu'est-ce que vous avez comme leviers, vous dites, effectivement, on n'est pas dans une économie administrée, à part des incantations, des prières presque, qu'est-ce que vous avez comme leviers ?
DIDIER GUILLAUME
Ah, non, moi, je ne fais pas de prières, mais j'ai rencontré tous les patrons des grandes surfaces, tous les PDG, j'ai rencontré l'ensemble de la profession, j'ai rencontré les industries agroalimentaires, et aujourd'hui, ce que nous avons, c'est de mettre cela sur la table. Moi, je ne prends pas les Françaises et les Français pour des idiots, les consommateurs…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous voulez dire quoi ?
DIDIER GUILLAUME
Eh bien, je veux dire que les consommateurs savent à quoi s'en tenir, aujourd'hui, l'augmentation…
ELIZABETH MARTICHOUX
S'ils veulent boycotter certaines marques, vous vous dites qu'ils ne veulent pas rémunérer certains producteurs à leur juste valeur ?
DIDIER GUILLAUME
Eh bien exactement, eh bien exactement…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous les encouragez à le faire ?
DIDIER GUILLAUME
Eh bien, ils feront ce qu'ils veulent, mais le consommateur est intelligent, et moi, je ne veux pas prendre le consommateur en otage par rapport à l'agriculteur, quand vous dites : la valse des étiquettes, ça concerne les produits d'appel, ceux sur lesquels les grandes surfaces se tirent la bourre, on l'a évoqué, le PASTIS, les pâtes à tartiner, etc., etc., etc., bon, ça, c'est une chose, sauf que le panier moyen, sur 100 euros que l'on achète tous les jours, l'augmentation est beaucoup plus faible, c'est 80 centimes, 80 centimes, l'augmentation de 100 euros, sauf si dans son panier, on achète que ces produits d'appel, que le PASTIS, que la pâte à tartiner, que le COCA-COLA, etc. donc globalement, certes, c'est une petite augmentation 80 centimes…
ELIZABETH MARTICHOUX
Sur une minorité de produits, dites-vous…
DIDIER GUILLAUME
Sur un produit moyen, c'est 0,8 %…
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, mais de consommation très courante, c'est pour ça que la grande distribution en fait des produits d'appel…
DIDIER GUILLAUME
Mais bien sûr, mais évidemment, et c'est cela que nous voulons changer aujourd'hui, parce qu'il faut bien que nous nous disions que, certes, les gens ont un problème de pouvoir d'achat, et certes, il faut payer le moins cher possible, mais ce n'est pas tant ce que ça coûte, mais c'est-ce que ça vaut, et aujourd'hui, acheter de la viande, acheter du poisson, acheter des légumes, des fruits, ça vaut quelque chose, et on ne peut pas le payer moins cher. Quand…
ELIZABETH MARTICHOUX
Les consommateurs doivent savoir que s'ils veulent que leurs agriculteurs s'en sortent bien, il faut qu'ils acceptent de payer plus cher, et vous dites ça au moment des gilets jaunes…
DIDIER GUILLAUME
Non, non, mais moi, je tiens le discours de vérité, si on est par exemple sur le lait, le litre de lait revient à un éleveur laitier, en gros, à 38, 39 centimes, jusqu'à maintenant, on leur payait 30, 32 centimes, et on le trouvait à 1 euro dans une grande surface, c'est inacceptable. Eh bien, je pense qu'on peut baisser le 1 euro, et augmenter le 30 centimes
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous n'êtes pas naïf quand vous demandez à la grande distribution, vous obligez la grande distribution à relever des prix en espérant qu'ils les baissent sur d'autres, il y a un peu de naïveté…
DIDIER GUILLAUME
Mais non, mais je dis simplement – non, pas du tout – je dis simplement qu'il faut qu'ils répartissent différemment leurs marges, c'est-à-dire, quand ils font 40 centimes de marge sur les produits agricoles, et quand ils ont zéro centime de marge sur les produits d'appel, eh bien, il y a peut-être possibilité de bouger cela. Moi, je préfère que les gens essayent de se nourrir avec des produits de bonne qualité, les produits agroalimentaires français sont de très bonne qualité.
ELIZABETH MARTICHOUX
En tout cas, réunion jeudi, c'est ça ?
DIDIER GUILLAUME
Oui…
ELIZABETH MARTICHOUX
Jeudi avec Bruno LE MAIRE, de tous les acteurs pour essayer de faire avancer ces négos…
DIDIER GUILLAUME
Je ne sais plus si c'est jeudi ou la semaine prochaine. Mais c'est dans les jours qui viennent…
ELIZABETH MARTICHOUX
Les négociations dans les jours qui viennent, prudence, on verra votre agenda après…
DIDIER GUILLAUME
Non, non, mais la date est fixée, mais, je crois que c'est le 13…
ELIZABETH MARTICHOUX
Bon, je voulais vous interpeller sur une déclaration de votre collègue du gouvernement, Brune POIRSON, qui au cours d'un débat ce week-end, au débat du grand débat, a parlé – je cite – du glyphosate comme un outil de travail, elle a dit : le glyphosate, c'est comme le téléphone portable, c'est un outil de travail, dites donc, en entendant ça, les agriculteurs, ils ont dû sabler le champagne…
DIDIER GUILLAUME
Non…
ELIZABETH MARTICHOUX
Parce qu'un outil de travail aussi important que le portable, on ne s'en passe pas en deux ans ?
DIDIER GUILLAUME
Non, les agriculteurs ne sablent pas le champagne, les agriculteurs travaillent, travaillent fortement, ils ont les pieds dans la terre, et ils ne veulent pas empoisonner les sols, aujourd'hui, la transition agro-écologique, elle se fait dans l'agriculture, on utilise moins d'intrants, beaucoup moins d'intrants, il y a eu le symbole du glyphosate, et le président de la République a dit : 1er janvier 2021, plus de glyphosate en France, alors que l'Europe voulait le faire durer encore pendant 5 ans ou 10 ans, aujourd'hui, en Europe, la règle, c'est 5 ans, nous, nous disons 3 ans, mais nous savons très bien que dans les 3 ans, toutes les filières ne pourront pas se passer du glyphosate…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vers les 3 ans, à partir du moment où le président l'avait dit…
DIDIER GUILLAUME
1er janvier 2021, 1er janvier 2021…
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais c'est vrai que la question, parce que, on a entendu Emmanuel MACRON dire, justement dans le cadre du grand débat des agriculteurs : on ne peut pas interdire à 100 %, est-ce que vous vous dirigez vers des dérogations importantes ?
DIDIER GUILLAUME
Non, non, pas importantes du tout…
ELIZABETH MARTICHOUX
A la date que vous citez…
DIDIER GUILLAUME
Non, mais il n'y a pas de dérogation. L'objectif fixé par l'Europe, c'est 5 ans, dans 5 ans, en Europe…
ELIZABETH MARTICHOUX
Non, mais moi, je vous parle des 3 ans qu'avait donné comme borne Emmanuel MACRON…
DIDIER GUILLAUME
Mais je vais vous répondre, en Europe, c'est 5 ans, dans 5 ans, il y aura zéro glyphosate. Le président de la République a souhaité que la France soit leader en Europe sur la baisse des phytosanitaires, et donc il a annoncé 3 ans. Donc dans 3 ans, en France, 80 %, en gros, l'utilisation des produits de glyphosate sera terminée, mais il va peut-être rester 20 % pour lesquels nous n'avons pas de solution, c'est la raison pour laquelle, il ne fallait pas mettre cela dans la loi, parce que nous aurions mis cela dans la loi, ça veut dire que dans 2 ans, on avait des filières qui n'a n'avaient aucune solution…
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais à ce jour, est-ce que vous savez quelle proportion de viticulteurs a déjà trouvé une alternative, ou est-ce que vous êtes complètement à l'aveugle dans cette affaire ?
DIDIER GUILLAUME
Pas que…
ELIZABETH MARTICHOUX
Une alternative au glyphosate…
DIDIER GUILLAUME
Mais pas du tout…
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce qu'on sait déjà où on en est…
DIDIER GUILLAUME
Mais bien sûr, nous suivons …
ELIZABETH MARTICHOUX
Votre tableau de bord…
DIDIER GUILLAUME
Nous suivons tous les jours, il y a une plateforme glyphosate qui a été mise en place, qui est sur un site, un site Internet, qui est géré par le ministère de l'Agriculture, je vais signer lors du Salon de l'agriculture dans 15 jours, le contrat de solution avec la FNSEA pour avancer dans cette direction, à marche forcée, la transition agro-écologique se fera, et à marche forcée, nous quitterons la dépendance aux produits phytosanitaires.
ELIZABETH MARTICHOUX
80 % d'ici à 2 ans, dites-vous, et sans doute, 20 %, donc, qui auront encore un délai…
DIDIER GUILLAUME
Eh bien, là, ça sera la loi, pour le coup, dans 5 ans…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous êtes toujours favorable à l'idée d'un référendum couplé aux européennes le 26 mai, pour sortir du grand débat ?
DIDIER GUILLAUME
Moi, je pense, pour sortir du grand débat, il y a plusieurs solutions, mais il y a une solution, moi, qui me semble importante, c'est de redonner la parole à la population, au peuple, alors que ce soit le 26 mai, la semaine d'après ou celle d'après, peu m'importe, mais je pense que…
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, vous aviez dit que c'est une bonne idée avec les européennes…
DIDIER GUILLAUME
Oui, oui, mais moi, quand on me pose des questions, je réponds…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous maintenez ?
DIDIER GUILLAUME
Mais je ne vais pas mettre le débat du référendum dans le débat, le sujet n'est pas là. C'est comment nous sortons de ce grand débat. Il faut sortir par des mesures très fortes, des mesures notamment qui touchent les classes moyennes…
ELIZABETH MARTICHOUX
Par exemple ?
DIDIER GUILLAUME
Des mesures qui touchent par exemple les classes moyennes qui ont été les vaches à lait de la fiscalité ces deux derniers quinquennats, parce qu'il y en a marre de cette fiscalité qui parfois est beaucoup trop forte, nous sommes le pays qui a le plus d'impôts et taxes pour les classes moyennes, donc je pense qu'il faut rendre du pouvoir d'achat aux classes moyennes, comme nous venons de le faire…
ELIZABETH MARTICHOUX
En plus des 10 milliards qui ont été mis sur la table en décembre…
DIDIER GUILLAUME
Bien sûr, bien sûr…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous dites : il faut une mesure ou des mesures très fortes…
DIDIER GUILLAUME
Oui, ça fait partie du débat, mais, moi, je ne vais pas vous le…
ELIZABETH MARTICHOUX
Dans la foulée du grand débat, mais par exemple…
DIDIER GUILLAUME
Non, je ne vais pas vous donner d'exemple, parce que je ne vais pas clore le grand débat avant qu'il ne soit terminé lui-même, il y a aujourd'hui…
ELIZABETH MARTICHOUX
Enfin, vous avez un ministre, Gérald DARMANIN, qui, lui, ne se gêne pas de donner des exemples…
DIDIER GUILLAUME
D'accord, mais…
ELIZABETH MARTICHOUX
Par exemple, sur les niches fiscales…
DIDIER GUILLAUME
Moi, je ne vous donne pas d'exemple, je vous dis simplement que ce qui a été annoncé par le président de la République en décembre, les dix milliards portent leurs fruits, là, quand on touche 100 euros de plus ou 200 euros de plus pour une famille par mois, ça compte, c'est une augmentation du pouvoir d'achat très forte pour les classes moyennes inférieures, maintenant, je pense, moi, qu'il faut quelque chose de très fort pour les classes moyennes…
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais un big bang fiscal, une réforme qui mette toute la fiscalité française sur la table…
DIDIER GUILLAUME
Une immense, une immense réforme. Vous savez, les Français…
ELIZABETH MARTICHOUX
Une immense réforme…
DIDIER GUILLAUME
Oui, les Français, il y a plusieurs choses que j'entends, moi, dans les ronds-points, ou que j'entends de mes compatriotes, de mes concitoyens, dans la Drôme, 1°) : c'est le sentiment d'être délaissés, c'est la différence entre le peuple et les élites, entre le rural et l'urbain, entre Paris et la province, ça, c'est très fort, et depuis des années et des années, on considère, on s'essuie parfois les pieds sur la ruralité, et il faut que la ruralité redevienne quelque chose de fort, ce ne sont pas des sous-Français, ce sont des vrais Français. Donc il y a ce sentiment-là. Le deuxième sentiment, il faudra sûrement changer la méthode de gouverner et de gouvernance, la façon de se comporter avec nos institutions, ce n'est pas essentiel pour la vie quotidienne des Français, mais c'est essentiel pour…
ELIZABETH MARTICHOUX
Ça, ça veut dire quoi, ça ?
DIDIER GUILLAUME
Eh bien, ça veut dire qu'il faut associer les citoyens à l'élaboration de la loi. Il faut qu'ils aient plus souvent leur mot à dire, nous avons commencé à le faire, mais il faut aller encore plus dans cette direction.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ça, c'est votre objectif, donc changer de méthode, un grand big bang fiscal, si c'est possible, c'est ce que vous souhaitez, et un référendum, ce sont les propositions fortes de Didier GUILLAUME, qui sera tout à l'heure à l'Elysée et au Salon de l'agriculture, à partir du 23 février avec des débats d'ailleurs sur le stand du ministère tous les jours. C'est ça ?
DIDIER GUILLAUME
C'est ça, tous les jours, il y aura un débat national.
ELIZABETH MARTICHOUX
Un débat national pendant tout le Salon. Merci à vous.
DIDIER GUILLAUME
Citoyen.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 février 2019