Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Nous recevons ce matin, avec Léa SALAME, le secrétaire d'Etat au Numérique. L'actualité qui concerne son secteur est extrêmement riche, on va le voir. Dialoguez avec lui au 01 45 24 7000, sur les réseaux sociaux et l'application mobile France Inter. Bonjour Mounir MAHJOUBI.
MOUNIR MAHJOUBI
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
La violence et la haine, le racisme et l'injure, le harcèlement en ligne, ne sont pas des phénomènes nouveaux sur Internet, mais ils prennent de l'ampleur à mesure que l'emprise du numérique progresse sur nos vies. Le gouvernement veut agir sur cette violence dont la régulation pour l'instant semble difficile voire impossible. Alors dites-nous, il va y avoir des annonces, dites-nous en quoi ce que vous préparez permettra de juguler l'insulte, le racisme, la violence en ligne ?
MOUNIR MAHJOUBI
Alors il faut le rappeler, aujourd'hui il n'y a jamais eu autant de Français connectés à Internet, et même de connectés à internet toute la journée. Sur les 18/25 ans on a dit qu'il y avait 100 % d'entre eux qui ont un Smartphone, ça veut dire qu'il y a le réseau social dans la poche de toute une génération toute la journée. Donc ça veut dire qu'à chaque fois qu'on laisse faire les choses, on impacte toute la société, et quand on agit, eh bien on impacte aussi toute la société. Qu'est ce qui se passe aujourd'hui ? On n'a jamais eu autant d'actes de harcèlement, d'actes antisémites, d'actes de racisme, d'actes homophobes, en ligne, qui ciblent une personne ou qui ciblent les communautés. Et là on a trois acteurs qui sont importants : il y a la plateforme, qui est l'accélérateur de tous ces contenus, le porteur de tous ces contenus. Il y a ceux qui sont les émetteurs de ces messages, qu'il faut retrouver, qu'il faut condamner, et à qui il faut rappeler que ce n'est pas possible. Et puis il y a les victimes, les victimes qui ont été les grands oubliés de tout ce dont on a parlé depuis plusieurs années, et dont il faut s'occuper. Ce qu'on propose aujourd'hui…
NICOLAS DEMORAND
Alors, voilà pour le constat, qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
MOUNIR MAHJOUBI
Il y a an, le président Emmanuel MACRON avait dit : il faut qu'on avance sur ces sujets, il faut qu'on puisse apporter des solutions. Une commission a été lancée autour de Laetitia AVIA, monsieur Gilles TAIEB et monsieur AMELLAL…
NICOLAS DEMORAND
Ils ont rendu un rapport.
MOUNIR MAHJOUBI
Ils ont rendu un rapport il y a un peu moins de 6 mois. Depuis on a travaillé avec tous les ministres concernés, la première Marlène SCHIAPPA avec qui nous travaillons au quotidien, le ministre de la Culture, le ministre de l'Intérieur, la ministre de la Justice, voyez, c'est un sujet complexe…
NICOLAS DEMORAND
Donc, on est d'accord.
MOUNIR MAHJOUBI
Il faut être tous ensemble.
NICOLAS DEMORAND
Et maintenant alors ?
MOUNIR MAHJOUBI
Et maintenant on a un plan d'action qui touche tout le monde, c'est-à-dire que la solution elle n'est pas simplement en disant : il faut que les plateformes retirent les contenus, sinon elles sont une grosse amende, ça en fait partie, mais il faut partir tout à fait à la base, il faut commencer par l'éducation et la formation, aujourd'hui il y a trop de gens qui ne savent pas. Ensuite il faut avancer et faciliter la façon de signaler et de détecter ces contenus. Aujourd'hui il y en a trop qui ne sont pas signalés. Après il faut qu'on puisse surveiller. Aujourd'hui, vous vous rendez compte, 100 % des clés sont entre les mains des plateformes, c'est elles qui décident ce qu'on supprime, c'est elles qui ont la maîtrise du tempo. Aujourd'hui on va pouvoir contrôler le temps qu'elles vont mettre à supprimer et s'assurer que les associations de victimes et les associations de liberté individuelle et l'Etat participent à la définition de ces règles de retrait.
LEA SALAME
Dites-nous ce qui va changer, ce qui va se passer, et que doit-on faire quand on lit des horreurs sur Facebook ou sur Twitter ? Qu'est-ce qu'on fait ? On bloque la personne, on la signale mais très souvent ça ne suffit pas.
MOUNIR MAHJOUBI
Le premier objectif, il faut le rappeler, c'est que ces contenus disparaissent le plus vite possible, parce que plus le contenu est en ligne, plus il touche de nouvelles personnes, plus il blesse de personnes et plus les victimes, les victimes sont atteintes. Ce matin on va parler beaucoup de technique, il faut vraiment qu'on parle des victimes ? Tout ce dont vous venez de parler, là aujourd'hui derrière il y a des femmes et des hommes qui se sont fait insulter, qui se sont sentis seuls.
NICOLAS DEMORAND
Alors qu'est-ce qu'elles font ces femmes et que font les hommes ? Dites nous !
LEA SALAME
Qu'est-ce qu'elles font, répondez-nous !
MOUNIR MAHJOUBI
Signalez. Il faut signaler.
LEA SALAME
Vous savez ce qu'il se passe quand on signale ?
MOUNIR MAHJOUBI
Je sais très bien…
LEA SALAME
Quasiment systématiquement vous recevez un message de Twitter qui vous dit : « Ça n'est pas une insulte, ça ne vient-elle pas nos conditions d'utilisation, merci au revoir ».
MOUNIR MAHJOUBI
Je sais, je signale à titre personnel plus d'une centaine de messages chaque mois, et je reçois très souvent ces messages. C'est exactement pour répondre à cette impunité là qu'on va aujourd'hui créer, autour de ces plateformes, une régulation intelligente qui va les obliger à être plus transparentes. Vous savez, le chiffre qu'on donne là, c'est notre expérience personnelle. Aujourd'hui Twitter il n'est pas obligé de nous dire combien d'alertes il a reçues et à combien il a répondu. Ça, ça va changer.
LEA SALAME
Qu'est-ce qui va changer ? Si j'écris ce qu'on a pu lire…
MOUNIR MAHJOUBI
Allez-y.
LEA SALAME
… ces horreurs à propos d'Emmanuel MACRON par exemple, sur un graffiti du journal Le Monde, « Emmanuel MACRON putain de la juiverie internationale », oui si j'écris sur Kylian MBAPPE « Enculé de nègre enjuivé »…
NICOLAS DEMORAND
Ce qu'on a lu sur le mur d'un RER.
LEA SALAME
… qu'est-ce que je risque ? Si j'écris ça sur Facebook, qu'est-ce que je risque, qu'est ce qui se passe ?
MOUNIR MAHJOUBI
Alors, vous avez raison de le rappeler, parce qu'on est en train de…
LEA SALAME
Sur un compte anonyme, je précise.
MOUNIR MAHJOUBI
On est en train de faire comme si tout cela n'existait pas aujourd'hui. Ça existe, chaque année il y a plusieurs centaines de personnes qui sont attrapées, condamnées pour ce type d'actes. Rappelons-le, ces actes ils sont illégaux et ils sont aujourd'hui condamnés. Le plan d'action qu'on a lancé c'est pour qu'on puisse les retrouver plus souvent. Vous avez parlé de l'anonymat, il se trouve qu'aujourd'hui à chaque fois qu'on a mené une enquête on a retrouvé les personnes, c'est très rare qu'on ne retrouve pas la personne, il faut se le dire aujourd'hui, quand quelqu'un publie ça il faut qu'il sache que nous le retrouverons.
LEA SALAME
En combien de temps vous le retrouvez, entre le moment où il a écrit ce message et le moment où vous le retrouvez ?
MOUNIR MAHJOUBI
Eh bien vous soulignez le problème qu'il y a aujourd'hui. Dans la situation d'aujourd'hui, le problème c'est que ça met plusieurs mois, le problème c'est qu'entre le moment où la personne insulte, le moment où le contenu est signalé, le moment où la police obtient les éléments de la part de la plate-forme pour identifier la personne, eh bien il s'écoule plusieurs semaines, plusieurs mois.
LEA SALAME
Et après, la condamnation en justice ça met encore plusieurs mois.
MOUNIR MAHJOUBI
Ça met encore plusieurs mois. Donc d'un plan d'action, vous verrez, c'est les deux dernières actions, l'action 9 et l'action 10, c'est comment on accélère très rapidement, un, la transmission de l'information sur l'identité de la personne et deux, comment on accélère la collaboration avec la justice pour bloquer effectivement le compte bloqué effectivement, le site et les sites miroirs à venir. Ce qui est très important aujourd'hui c'est le temps, à chaque fois qu'on donne du temps à ces harceleurs, à ces personnes de haine, on leur donne les clés de l'Internet, et ça il faut vraiment se dire que c'est très grave. On a toute une génération qui passe plusieurs heures par jour dans un espace…
NICOLAS DEMORAND
Eh bien il ne va pas falloir tarder alors à avancer sur le plan législatif.
MOUNIR MAHJOUBI
Et c'est pour ça qu'on avance.
NICOLAS DEMORAND
Une question Mounir MAHJOUBI, Léa citait deux horreurs qu'on a pu lire sur des murs bien concrets, un journal qui publierait ça ou le laisserait écrire sur son site, via des commentaires d'internautes, eh bien ça se termine au tribunal. Sur Internet non ? Qu'est-ce qui se passe ? Un journal c'est un éditeur, un réseau c'est un hébergeur, l'hébergeur dit « ce n'est pas de ma faute, les gens écrivent, moi je suis qu'un tuyau ».
MOUNIR MAHJOUBI
C'est justement pour répondre à cette question qu'on a avancé depuis un an. Il y a deux personnes qui sont responsables…
NICOLAS DEMORAND
Alors, qu'est-ce que vous allez faire ? Ils vont devenir éditeur ou pas ?
MOUNIR MAHJOUBI
Il y a deux personnes qui sont responsables, ne l'oublions pas, il y a celui qui a écrit le…
NICOLAS DEMORAND
Oui.
MOUNIR MAHJOUBI
Celui-là on en chope plusieurs centaines par an et il faut qu'ils sachent que maintenant avec les outils qu'on va mettre en place, c'est plusieurs milliers qu'on attrapera par an, et qu'il n'y a pas d'impunité. Mais il y a un autre responsable, vous avez raison…
NICOLAS DEMORAND
C'est l'hébergeur.
MOUNIR MAHJOUBI
C'est la plate-forme, la plate-forme qui est cet accélérateur. On l'a rappelé, maintenant on va se diriger vers un régime de responsabilités nouveau, qui sera ni celui de l'hébergeur ni celui de l'éditeur. J'étais hier avec le ministre allemand en charge de ce sujet en Allemagne, celui qui a porté la loi allemande qui a permis de sanctionner les hébergeurs, pardon, de sanctionner les plates-formes du fait du non-retrait, c'est-à-dire qu'elles devaient le retirer, elles ne l'ont pas fait, une amende. Mais j'ai aussi parlé avec le ministre allemand et il était d'accord avec le fait qu'aujourd'hui en Allemagne il n'y a pas de solution sur l'avant et sur l'après.
NICOLAS DEMORAND
Les hébergeurs vont-t-il devenir des éditeurs ? Vous dites que vous travaillez sur un autre statut, lequel, comment ça s'appelle, et quelle est sa vertu ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ce troisième statut, il va permettre d'identifier une plus grande responsabilité pour celui qui aurait dû mettre en place tous les moyens pour qu'on puisse retirer ce contenu en quelques minutes, en quelques heures. Aujourd'hui nous n'avons rien, ni pour les contrôler, ni pour les sanctionner. Donc demain on pourra, il y aura une obligation pour eux d'être transparents sur les moyens qu'ils ont mis en place et des sanctions très importantes, si c'est moyens ne sont pas mis en place et que ces contenus ne sont pas retirés.
LEA SALAME
Jack DORSEY, le patron de TWITTER, a parlé hier, il a donné une interview hier, et il a reconnu, il a dit : on n'y arrive pas, on peine à lutter contre le harcèlement en ligne. Et il donne ce chiffre : plus d'un tiers des Américains disent avoir été victimes d'une forme sévère de harcèlement ou de haine en ligne en 2018. Un tiers des Américains, c'est-à-dire des millions et des millions de personnes, et le patron TWITTER dit « on y arrive pas en fait ».
NICOLAS DEMORAND
On ne sait pas faire ?
MOUNIR MAHJOUBI
Alors, il ne sait pas faire, mais vous savez que j'ai moi-même écrit au patron de TWITTER et je lui ai dit : « Vous ne pouvez pas faire seul », parce qu'aujourd'hui, comment fonctionne Twitter pour décider de retirer un contenu ou pas ? Eh bien il y a les community rules, les règles de la communauté, ces règles elles sont définies avec l'Etat, avec les associations ? Pas du tout, c'est Jack que les définie tout seul, et qui les publie 2 fois par an et qui fait : « Hey, salut tout le monde, vous trouverez en pièce jointe les nouvelles règles de la communauté ». Et je lui ai dit : vous ne pouvez pas décider seul. Quand il y a un tiers d'une génération qui est sur votre réseau, c'est ensemble qu'on doit définir ces règles, et aujourd'hui si on veut lutter contre le harcèlement, la responsabilité des plateformes c'est de mettre des moyens, et si on se dit les choses, aujourd'hui toutes les plateformes ne sont pas à égalité, certaines ont mis des moyens, certaines n'ont rien mis. Aujourd'hui Twitter n'est pas exemplaire dans sa façon de traiter les demandes et ça il faut que monsieur DORSEY, puisque maintenant il a pris conscience, et j'en suis très heureux, nous rejoigne.
NICOLAS DEMORAND
Et les Américains demandent à l'Etat de prendre ses responsabilités et d'avancer par la loi. Mounir MAHJOUBI, la levée de l'anonymat sur Internet, Emmanuel MACRON ne cache pas qu'il est pour, ça a suscité depuis qu'il l'a dit, beaucoup de débats, beaucoup de critiques, ce serait une atteinte à la liberté d'expression. Juridiquement d'abord, est-ce que ça tient la route de demander la levée de l'anonymat, ce qui revient à mettre une condition à l'exercice de la liberté d'expression ?
MOUNIR MAHJOUBI
Vous savez que le président de la République répondait à une question et qu'il n'a pas eu près d'une heure pour expliciter ce qu'il y avait derrière cette levée de l'anonymat.
NICOLAS DEMORAND
Et donc c'est possible ou pas ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ça dépend. Ça dépend pas…
NICOLAS DEMORAND
De quoi ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ce n'est pas une levée de l'anonymat général sur Internet, c'est impossible, qu'on n'a pas avoir un multipass, quand on allume l'ordinateur, attention il faut vous identifier avec votre carte d'identification citoyenne. Non, par contre il y a des usages sur lesquels on ne peut plus continuer à fonctionner de façon anonyme. Par exemple on parle beaucoup de démocratie participative en ligne, eh bien aujourd'hui on ne va pas continuer à avoir des pétitions qui sont signées par des comptes anonymes, si on veut que cette pétition elles soient fortes, il faut qu'elles soient signées par des citoyens, et il faut qu'on puisse mettre en place un dispositif qui oblige les gens à s'authentifier. Ça je pense que c'est très important et que ça va donner plus de force aux consultations citoyennes.
NICOLAS DEMORAND
Il est bidonné le Grand débat national ?
MOUNIR MAHJOUBI
Il n'est pas bidonné, parce que vu le volume des participations, et vu le nombre d'événements physiques qui ont lieu partout en France, alors on est sûr qu'il ne sera pas bidonné. Ce qui aurait est dangereux c'est que ce grand débat national ne se passe que sur Internet, et donc c'est parce qu'il a lieu physiquement que l'on peut donner plus de questions de sécurité.
LEA SALAME
Donc, pardon, pour vous faire préciser, ce que l'idée du président de la République, c'est que dans la prochaine loi qui arrive avant l'été, la levée de l'anonymat, c'est uniquement quand on signe des pétitions ?
MOUNIR MAHJOUBI
Vous ne m'avez pas laissé jusqu'au bout, vous ne caricaturez un petit peu ce matin.
LEA SALAME
Oh non, au contraire ! Alors là vraiment pas, c'est des questions qui sont extrêmement factuelles et néophytes.
MOUNIR MAHJOUBI
Je vous donne tous les grades. Démocratie en ligne, zéro anonymat, il faut que les gens parlent en tant que citoyens, ils disent qui ils sont. Quand je joue à Fortenite ou que je suis sur un site de rencontres, si j'ai envie de m'appeler « Bisounours 2020 » « Tête d'enclume », heureusement que j'ai le droit d'avoir mon compte comme je le souhaite. Et puis vous savez, techniquement il est impossible d'imposer aux personnes de donner une pièce d'identité pour aller sur Internet en général. Maintenant il faut redire quelque chose, à chaque fois, à chaque fois qu'on a enquêté sur une personne, on a retrouvé ces personnes. Parce qu'aujourd'hui sur internet on est dans un régime qu'on appelle « le pseudonyma ». Quand quelqu'un insulte sur les réseaux sociaux, grâce à des procédures qui existent mais qui sont trop lentes, et c'est ça qu'on va accélérer…
NICOLAS DEMORAND
On les retrouve.
MOUNIR MAHJOUBI
Qui sont trop lentes, on les retrouve. Il n'y a pas d'anonymat absolu et c'est ça qu'il faut qu'on facilite, et c'est ça qu'il faut qu'on protège, la capacité à retrouver quand il y a l'action d'un juge ou d'une enquête, et la capacité à protéger le reste du temps.
NICOLAS DEMORAND
Et ce sera dans la loi donc, c'était ça la question de Léa.
MOUNIR MAHJOUBI
Alors dans la loi il y aura les dispositifs pour accélérer la levée de l'anonymat à chaque fois qu'une enquête est lancée, à chaque fois qu'un juge le demande.
NICOLAS DEMORAND
En tout cas eux n'ont pas agi de manière anonyme, mais sous leur vrai nom, à visage découvert, l'affaire de la Ligue du Lol, Mounir MAHJOUBI, du nom de ce groupe de journalistes Web qui ont harcelé de nombreuses consoeurs journalistes sur plusieurs années, cette affaire a explosé vendredi dernier, elle a suscité une vague de sidération d'abord et de colère. Avez-vous été vous-même effaré ?
MOUNIR MAHJOUBI
J'ai été effaré, sidéré, et ces hommes, parce que c'est quand même très majoritairement des hommes, ont eu, quand on voit ce qui ressort, un comportement méprisable, dangereux. J'ai dit loosers, mais en fait looser c'était beaucoup trop bas, j'ai dit looser parce que je ne voulais pas utiliser une insulte. Là ce qui me sidère c'est les témoignages des femmes et des hommes aussi, et notamment souvent homosexuels, qui décrivent un harcèlement ciblé, intelligent, organisé. Ces gens, la plupart d'entre eux sont surdiplômés, ils maîtrisent parfaitement le langage, ils maîtrisent parfaitement ce qui peut être douloureux pour une personne. Encore ce matin une journaliste qui décrivait comment son intimité était violée en ligne, comment ces hommes ce sont en meute organisés au nom du Lol, au nom du Lol, c'est-à-dire non de la blague qui ne sert à rien, pour harceler ces personnes. Le plus dur c'est d'entendre ces femmes qui disent « Pendant 5 ans je n'ai pas pu bosser, j'ai fait 3 ans de psychothérapie pour me relever de tout ça », c'est ignoble.
LEA SALAME
Mounir MAHJOUBI, vous n'étiez pas au courant ? Vous ne connaissiez pas la Ligue du Lol ?
MOUNIR MAHJOUBI
Et je vais vous dire pire que ça, non je ne connaissais pas leur comportement mais je connaissais beaucoup des hommes qui sont à l'intérieur. Parce qu'il faut rappeler que ces gens-là étaient dans les circuits de la gauche française, moi j'ai toujours été un militant sur Internet, donc je les voyais, ils sont à Télérama, ils sont à Technica, ils sont dans tout ce que nous lisons, dans tout ce que nous faisons au quotidien, et évidemment que, moi j'étais un utilisateur mais je vais vous dire, j'ai toujours été un peu le gentil sur Twitter, moi j'ai jamais été dans ces bandes-là, et ces gens-là étaient plutôt des gens qui intimidaient les gens sur Internet, il y a 10 15 ans, par leur présence, leur force leur impression d'être les maîtres du monde. Et il y avait une autre génération, puisque je veux le rappeler, aucun de ceux-là n'étaient des entrepreneurs, aucun de ceux-là n'étaient des personnes engagées, tout ceux-là étaient les commentateurs du Web de l'époque.
LEA SALAME
Plusieurs membres de cette Ligue du Lol ont été mis à pied par leur entreprise. Est-ce que la sanction vous semble justifiée ou excessive ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ces personnes, si à l'époque les gens avaient osé parler, elles auraient pu aller beaucoup plus loin. Les condamnations auraient été beaucoup plus graves. Aujourd'hui le problème c'est le temps, c'est le temps qui a passé, parce que les faits, tels qu'ils sont décrits aujourd'hui, ils sont très graves, mais malheureusement ils sont prescrits, et donc les employeurs qui ont décidé cela, ils ne l'ont pas fait la demande ni de l'état, ni des victimes, ils l'ont fait parce qu'ils se sont dit, je ne sais pas, que peut être la voix de leurs journalistes ou la voix de leur … ne pouvait plus être crédible dans les temps que nous étions en train de vivre. Donc j'ai pas (micro coupure son) ce que je pense de ça, mais je pense que leur comportement était méprisable, et j'aurais espéré, j'espère que plus maintenant, plus jamais on aura ce type de comportement et que les victimes parleront plus tôt.
LEA SALAME
Marlène SCHIAPPA s'inquiète dans Le Point, du climat produit par cette affaire. « On ne répare pas un harcèlement par un autre harcèlement, dit-elle, on ne s'en sortira pas si les harceleurs deviennent la cible d'insultes à leur tour. Ce qui se passe depuis quelques jours maintenant pour ces hommes-là ». Est-ce que ce n'est pas problématique en démocratie que la justice se rende sur Twitter et pas dans un tribunal ?
MOUNIR MAHJOUBI
Je pense que la justice ne se rend pas sur Twitter, il aurait fallu qu'elle se rende dans un tribunal…
LEA SALAME
Enfin en l'occurrence, c'est un bannissement social et une mise à pied de leur travail.
MOUNIR MAHJOUBI
Vous dites cela aujourd'hui, vous voyez très bien que si ces personnes avaient été identifiées il y a 6, 7 ans, dans la période de non-prescription, de façon très normale, on aurait tous regardé ces personnes se faire juger, se faire condamner et on aurait tous trouvé ça très juste. Donc vous n'allez pas me demander de commenter aujourd'hui si je trouve ça très injuste que ces personnes se fassent morigéner sur les réseaux sociaux…
LEA SALAME
Je vous pose la question…
NICOLAS DEMORAND
Mais c'est un vrai problème, c'est une vraie question de droit.
MOUNIR MAHJOUBI
Je veux juste vous dire une chose. Regardez ce qu'ils vivent aujourd'hui sur les réseaux sociaux, je n'ai pas l'impression qu'ils vivent ce qu'ils ont fait vivre auparavant et qu'il ne s'agit pas d'une sanction. C'est très grave ce qu'ils ont fait, c'est très grave les conséquences qu'il y a sur ces victimes, les témoignages que j'ai lu de gens qui ont foiré leur carrière, foiré leur vie, à cause d'eux. Eux sont dans des situations très graves.
LEA SALAME
Et justement, vous dites « les gens », vous dites « les gens, c'est souvent des femmes ». Loin de moi l'idée d'avoir une vision manichéenne de la société avec les femmes qui seraient toutes des blanches colombes et les hommes des affreux harceleurs, mais tout de même c'est quand même étonnant, et j'en parle souvent, je pose la question souvent aux femmes politiques, elles prennent beaucoup plus cher les femmes, que ce soit ces journalistes harcelées ou les femmes en général, pourquoi, comment ? Elles prennent sur leur physique, elles prennent extrêmement cher, comment vous l'expliquez que les femmes sont particulièrement ciblées ?
MOUNIR MAHJOUBI
Malheureusement elles prennent extrêmement cher sur Internet, mais extrêmement cher dans la vie, on n'a pas fini le grand combat culturel, l'égalité femmes/hommes, vous voyez bien qu'elle passe par une prise de conscience collective et culturelle, et que dans les milieux du travail, dans les milieux politiques et sur internet, où on a l'impression qu'on est plus protégé pour dire des horreurs, elles sont la première cible, elles sont sexualisées, elles sont désignées comme des objets, elles sont utilisées à d'autres fins, enfin vous vous rendez compte, c'est le pire de la société accéléré par les réseaux sociaux. Donc là le combat il est collectif, et malheureusement il prendra encore du temps.
NICOLAS DEMORAND
Deux questions avant d'aller au standard Mounir MAHJOUBI. Emmanuel MACRON n'a pas exclu l'idée de créer une instance de vérification, de certification des informations des journalistes, instance qui serait composée de journalisme et financée par l'Etat. Que répondez-vous à ceux qui appellent ça tout simplement une mise sous tutelle des médias ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ce n'est pas très exactement la proposition du président de la République. Il propose qu'entre pairs, c'est-à-dire entre…
NICOLAS DEMORAND
Vous allez nous expliquer alors.
MOUNIR MAHJOUBI
Il propose que, entre journalistes, pas avec l'Etat, ce n'est pas l'Etat qui va dire ce qui est vrai, ce qui n'est pas vrai, ça on sait comment ça s'appelle.
LEA SALAME
Financé par l'Etat.
NICOLAS DEMORAND
Financé par l'Etat a-t-il dit.
MOUNIR MAHJOUBI
Oui, enfin je vous rappelle que c'est plutôt une bonne chose quand les choses sont financées par l'Etat et quand elles permettent d'augmenter l'intérêt général. Là c'est entre pairs.
NICOLAS DEMORAND
Oui, enfin, c'est des journalistes. Bon, allons-y.
MOUNIR MAHJOUBI
Entre pairs et pas un organisme certificateur de la vérité où chaque rédaction seraient amenée à envoyer chaque heure ses articles pour savoir ce qui est vrai ou ce qui n'est pas vrai.
NICOLAS DEMORAND
Expliquez-moi la logique d'une telle proposition, parce qu'on a affaire avec des journalistes à des gens dont le métier de base est de produire des faits vérifiés, et aujourd'hui de faire du fact-checking pour lutter contre le flot de fausses nouvelles, d'intox, de théorie du complot, et donc ce sont les journalistes vérificateurs dont il faut s'occuper en premier. Enfin on marche sur la tête, non ?
MOUNIR MAHJOUBI
C'est le contraire monsieur DEMORAND. Je partage votre indignation mais…
NICOLAS DEMORAND
Non mais dites-moi, moi j'aimerais comprendre, ce n'est pas une indignation, c'est une sincère incompréhension.
MOUNIR MAHJOUBI
Je vous dis que ce dont parle le président de la République c'est très exactement ce dont vous parlez, c'est comment on permet aux journalistes entre eux, de définir quelles sont les meilleures pratiques, entre eux, que devrait être celle de l'information. Ce n'est pas de dire « il faut contrôle les journalistes », c'est comment les journalistes entre eux peuvent dire quelles sont les pratiques du journaliste en 2018.
NICOLAS DEMORAND
Mais ils le font déjà, de fait, non ?
MOUNIR MAHJOUBI
Quand a eu lieu la dernière discussion que vous avez eue avec vos pairs pour discuter ensemble de vos pratiques ces derniers…
LEA SALAME
En permanence. Sur les Gilets jaunes tout le temps !
NICOLAS DEMORAND
C'est tout le temps.
MOUNIR MAHJOUBI
Sur les Gilets jaunes, vous vous rendez compte, c'est notamment à cette occasion-là que beaucoup de journalistes se sont posé la question sur : et ceux-là sont-ils journalistes ? Et là ça pose cette question. Moi je souhaite que ce soit des journalistes qui se posent la question de : qui sont ces producteurs d'informations, qui ne sont pas des journalistes ? Qu'est-ce que c'est que ces personnes qui sont journalistes mais dont on se demande si elles sont vraiment producteurs d'informations ?
NICOLAS DEMORAND
Non mais il faut peut-être, la question en fait Mounir MAHJOUBI, il faut peut-être s'occuper du moment où les tuyaux d'Internet deviennent parfois des égouts, avant de s'occuper des gens qui viennent les nettoyer, non ?
MOUNIR MAHJOUBI
Encore une fois c'est à leur service que le président prépare ça, il n'y a pas une volonté de mettre les journalistes sous contrôle, au contraire.
NICOLAS DEMORAND
Merci de nous l'apprendre et de le démentir.
MOUNIR MAHJOUBI
Je vous le redis et je le redis très très fort, jamais et pas notre majorité ne proposerait un organisme certificateur de la vérité, tout de même, c'est la pire des sciences fictions possibles.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 février 2019