Interview de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, à France 2 le 18 février 2019, sur la Justice face à l'antisémitisme, aux violences au cours des manifestations des "Gilets jaunes" et au retour des djihadistes français.

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Média : France 2

Texte intégral

CAROLINE ROUX
Bonjour Nicole BELLOUBET.

NICOLE BELLOUBET
Bonjour.

CAROLINE ROUX
Alors, une enquête a été ouverte pour injures publiques en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion, après les insultes dont a été victime Alain FINKIELKRAUT samedi en marge d'une mobilisation des gilets jaunes. Il n'a porté plainte, lui, est-ce que vous comprenez sa décision ?

NICOLE BELLOUBET
Je peux comprendre sa décision, en tout cas la respecte, la question n'est pas là, la question elle est liée aux faits qui se sont produits, à des vidéos qui ont été diffusées sur Internet, et c'est la raison pour laquelle le Parquet général a souhaité que soit ouverte cette enquête, qui a été confiée à la brigade de Répression de la délinquance des personnes.

CAROLINE ROUX
« Barre-toi sale sioniste de merde », ce sont les mots qu'on entend sur cette vidéo, « grosse merde sioniste », c'est rude de prononcer des mots comme ça le matin, mais ils les ont été dits et ils ont circulé sur l'ensemble des réseaux sociaux. Est-ce que ces mots-là, précisément, peuvent être sanctionnés par la justice ?

NICOLE BELLOUBET
Absolument. Nous avons toute une série d'incriminations qui existent, aujourd'hui, qui ont d'ailleurs été renforcés par une loi de 2017, et qui nous permettent d'incriminer ce type d'injures publiques, et donc d'avoir des sanctions réelles et fortes. J'ai d'ailleurs souhaité, il y a plusieurs mois déjà, et je l'ai écrit au Procureur de la République, qu'il y ait une réponse systématique à ce type de faits…

CAROLINE ROUX
Ce n'était pas le cas jusqu'à présent ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, écoutez, l'idée a toujours été celle-là, mais il est toujours important de le rappeler, et donc une réponse systématique, et une réponse ferme qui soit adaptée évidemment à la situation.

CAROLINE ROUX
Certains estiment qu'il faut rendre pénalement condamnable l'antisionisme, « je hais Israël » ça voudrait dire « je hais les juifs. »

NICOLE BELLOUBET
Alors actuellement, si vous voulez ce n'est pas exactement ce qui est rendu possible, le mot là, n'est pas celui-là, mais en tout cas toute injure qui est fondée sur l'antisémitisme, sur le racisme, est vraiment condamnable.

CAROLINE ROUX
Mais là-dessus il faut changer les règles ? Certains parlementaires La République en marche estiment qu'il faut condamner pénalement l'antisionisme. Qu'est-ce que vous en dites, vous ?

NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, là c'est aux parlementaires de réfléchir à ce sujet-là…

CAROLINE ROUX
Mais qu'en dit la ministre ?

NICOLE BELLOUBET
Il faut faire attention à ce que l'on veut condamner. Je crois en effet que, autant toute injure qui est, on l'a dit tout à l'heure, fondée sur la haine, sur la religion, l'appartenance à une ethnie, tout cela est évidemment condamnable, doit l'être, l'est très sévèrement, le reste mérite un débat au Parlement.

CAROLINE ROUX
Ces personnes ont été identifiées, alors elles agissent à visage découvert, on apprend ce matin que certains, l'un d'entre eux serait proche des mouvements salafistes.

NICOLE BELLOUBET
Oui, c'est possible, l'enquête le dira, et comme je le disais à l'instant, nous avons réellement des infractions qui sont punies, en l'occurrence pour une injure publique, cela peut être entre 6 mois et 1 an de détention, et jusqu'à 45.000 euros d'amende, donc, si vous voulez, il y a des sanctions sévères qui sont rendues.

CAROLINE ROUX
Mais il faut qu'elles soient davantage appliquées. Est-ce que vous nous dites ce matin la justice doit être plus sévère avec les propos, les actes antisémites ?

NICOLE BELLOUBET
Je crois que nous avons les instruments de la sévérité, je pense, en revanche, que nous devons absolument progresser sur les faits que nous allons pouvoir qualifier, et ça c'est important, et c'est la raison pour laquelle dans la loi pour la justice, que je porte et qui, je l'espère, sera adoptée cette semaine, il y a des éléments nouveaux comme la possibilité de porter plainte en ligne, comme, avec l'ordonnance pénale, qui est une technique juridique qui nous permet de répondre plus rapidement sur la base d'un dossier écrit, bref, nous nous dotons d'outils supplémentaires pour aller plus vite. Et de la même manière, j'ajoute juste cela, nous avons également la possibilité de faire des référés civils qui permettent réellement d'interdire à un site de publier sur Internet, d'aller beaucoup plus rapidement là-dessus, ça a été fait pour Démocratie participative, je crois que c'est dans ce sens-là que nous devons agir.

CAROLINE ROUX
Ils agissent à visage découvert, c'était la même histoire pour l'autre image choquante du week-end, un fourgon avec à son bord deux CRS qui a été caillassé à Lyon, là aussi le Parquet a ouvert une enquête. Est-ce que ça veut dire qu'ils ne redoutent, ni la police, ni la justice ?

NICOLE BELLOUBET
Alors je ne sais pas quel est le fruit du hasard de la rencontre avec Monsieur FINKIELKRAUT en l'occurrence, et qui entraîne finalement ces gens sur le chemin de l'infraction, en tout cas c'est vraiment, pour nous, ce que je veux dire ici, c'est que toutes les images sont exploitées, nous permettent de retrouver les personnes qui, soit ont agressé, soit ont commis ce type d'infraction, ça a été le cas pour le Puy-en-Velay, ça a été le cas pour l'Arc de Triomphe, ça a été le cas pour la porte enfoncée de mon collègue Benjamin GRIVEAUX, nous retrouvons les personnes qui ont commis ce type d'infraction.

CAROLINE ROUX
Et ils sont jugés avec une grande sévérité ?

NICOLE BELLOUBET
Ils sont jugés avec ce que la loi pénale propose, et ils sont jugés avec sévérité, vous le savez, il y a eu beaucoup de jugements qui ont conduit à des peines de prison.

CAROLINE ROUX
7500 gardes à vie depuis le début du mouvement, 1800 condamnations ont déjà été prononcées, est-ce que vous pensez que la frontière entre les casseurs et les gilets jaunes est étanche ?

NICOLE BELLOUBET
Alors je pense qu'il ne faut pas mêler les uns et les autres, c'est-à-dire que, il me semble qu'il y a parmi les gilets jaunes des gens qui, dès le début du mouvement, avaient des protestations, des revendications, qui doivent être considérées avec grand sérieux, c'est la raison pour laquelle le débat national, qui a lieu en ce moment, permet une expression. Il y a à côté de cela, une frange de casseurs, qui sont soit des professionnels, et c'est inadmissible, et nous ferons tout…

CAROLINE ROUX
Et qui sont là tous les samedis, Nicole BELLOUBET.

NICOLE BELLOUBET
Et qui sont là tous les samedis, et nous ferons tout pour que…nous faisons tout pour que ces gens-là cessent, parce que c'est vraiment honteux pour notre République. Et d'ailleurs, si vous voulez, sur les injures qui ont été prononcées à l'égard de Monsieur FINKIELKRAUT, comme d'autres, si vous voulez, quand on voit le visage de Simone VEIL qui est vraiment taggué, je trouve ça, mais scandaleux, et vous savez que l'article 1er de notre Constitution précise que l'égalité entre les citoyens s'effectue indépendamment de toute…

CAROLINE ROUX
C'est la difficulté Nicole BELLOUBET, je vous écoute très attentivement, on peut s'indigner, on peut condamner, mais ensuite est-ce qu'il faut s'adapter, est-ce qu'il faut adapter par exemple nos dispositifs législatifs à cette nouvelle haine qui s'exprime, notamment sur les réseaux sociaux ? Par exemple l'Allemagne a changé les règles du jeu.

NICOLE BELLOUBET
Oui, oui, absolument. Ce que je vous Madame ROUX c'est que, un, dans la loi que je porte il y a des dispositifs nouveaux, deuxièmement il y en aura encore d'autres, pour lutter sur la haine sur Internet, pour lutter contre la haine sur Internet, au niveau européen et au niveau français.

CAROLINE ROUX
Alors, on vient d'en parler dans le journal à l'instant, le film de François OZON « Grâce à Dieu », la justice rendra aujourd'hui sa décision sur la sortie du film. La défense du Père PREYNAT demande le report de la sortie du film estimant que l'affaire n'est pas encore jugée et que c'est une atteinte à la présomption d'innocence. Est-ce qu'un film peut être une atteinte à la présomption d'innocence sur une affaire en cours ?

NICOLE BELLOUBET
On aura un jugement cet après-midi, je ne veux pas prendre position là-dessus à ce stade.

CAROLINE ROUX
Pourquoi, le sujet est délicat ?

NICOLE BELLOUBET
Non, ce n'est pas que le sujet soit délicat, c'est que…

CAROLINE ROUX
Interdire un film quand même…

NICOLE BELLOUBET
Le jugement aura lieu cet après-midi, en tant que garde des Sceaux je ne peux pas prendre position là-dessus.

CAROLINE ROUX
Dernière question très rapidement. Donald TRUMP demande à la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, de reprendre plus de 800 combattants de l'Etat islamique, que les Etats-Unis ont capturé en Syrie, afin de les faire passer en jugement dans leur pays, donc ça veut dire en France. Que répondez-vous ?

NICOLE BELLOUBET
Je réponds que, à ce stade, nous avons toujours eu une politique qui était celle du cas par cas, il y a une situation géopolitique nouvelle qui vient d'être établie avec le retrait des Américains, pour le moment nous ne changeons pas de politique. Nous nous sommes préparés, nous nous sommes préparés, au cas où quelque chose adviendrait de nouveau, mais à ce stade la France ne répond pas à ces injonctions et garde la politique qu'elle avait, c'est-à-dire d'un accueil au cas par cas, ce que j'avais déjà eu peut-être l'occasion de vous expliquer ici. Lorsque des personnes de retour des terrains de combat arrivent, nous les judiciarisons, pour le moment nous restons sur cette politique-là.

CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Nicole BELLOUBET.

NICOLE BELLOUBET
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 février 2019