Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2019.
La parole est à Mme la secrétaire d'État, à qui je souhaite la bienvenue au Sénat.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse d'être parmi vous cet après-midi, de retour de Berlin et dans le cadre de mes toutes nouvelles fonctions, le Premier ministre et le Président de la République m'ayant accordé leur confiance pour porter au mieux les questions européennes dans ces heures agitées.
Je suis aussi très heureuse de pouvoir vous rencontrer dans le cadre de ce nouveau format de débat, postérieur au Conseil européen. J'espère que cela permettra des échanges riches, après un Conseil européen qui a été particulièrement commenté.
Celui-ci, qui s'est donc tenu les 21 et 22 mars dernier, a débouché sur des décisions importantes à plusieurs égards.
J'évoquerai, tout d'abord, le Brexit.
Le Conseil européen a effectivement été dominé par le retrait britannique et la demande de Mme May de reporter la sortie jusqu'au 30 juin. Je ne reviens que rapidement sur le résultat, que vous connaissez. Sous l'impulsion du Président de la République, un accord a été trouvé, avec deux options pour cette extension : jusqu'au 22 mai, si la Chambre des communes avait approuvé l'accord de retrait d'ici au 29 mars, ce qui aurait pu permettre au Royaume-Uni d'achever sa procédure interne de ratification ; jusqu'au 12 avril, en l'absence de soutien de la Chambre à l'accord de retrait.
Pourquoi le 12 avril ? C'est la date limite pour que Londres décide d'organiser des élections européennes afin de disposer de députés au Parlement européen, comme ceux que la France y enverra à la suite des élections du 26 mai prochain.
Il se trouve que la Chambre des communes a rejeté une troisième fois, le 29 mars, l'accord de retrait. Il a manqué 58 voix à Mme May, un nombre en nette réduction, puisqu'il lui en manquait 149 le 12 mars et 230 le 16 janvier. Pour autant, nous savons, dans cette assemblée comme dans d'autres, qu'un tel écart reste considérable.
Où en sommes-nous désormais ? À la suite, notamment, des échanges que j'ai pu avoir ce matin avec mon homologue allemand Michael Roth, je vois trois scénarios se dessiner.
Dans un premier scénario, que je qualifierais d'optimiste, Mme May l'emporte sur le plan tactique.
Les conservateurs favorables au Brexit peuvent encore réaliser qu'il y a un risque à voir passer une solution à leurs yeux bien pire que l'accord de retrait, comme une union douanière permanente, laquelle n'a échoué que de 3 voix hier soir. Dans ce cas, l'accord de retrait peut finalement faire l'objet d'un vote favorable avant le sommet européen du 10 avril. Une brève extension technique supplémentaire serait alors nécessaire pour permettre la ratification.
Ce scénario reste peu probable au vu des derniers mouvements à la Chambre, mais n'est pas impossible. Ce serait la meilleure solution.
Il pourrait se décliner dans une version un peu moins optimiste, avec un accord, non juridiquement contraignant, de la Chambre sur une union douanière, qui puisse permettre, très rapidement derrière, de se rattacher à l'accord négocié par Michel Barnier. Dans ce cas, aussi, on pourrait imaginer revenir « dans les clous » !
Dans une version ou une autre, le scénario optimiste repose donc sur le fait que la perspective d'une possible majorité sur un projet d'union douanière fasse finalement céder les conservateurs sur l'accord de retrait initial.
Le deuxième scénario est beaucoup plus clair et sans appel : Mme May se présente au Conseil européen, le 10 avril prochain, sans vote positif sur l'accord de retrait et ne souhaite pas organiser d'élections européennes.
Dans de telles conditions, si rien n'était fait, les actes pris par le Parlement européen seraient entachés de nullité, car on ne peut pas être État membre de l'Union européenne sans disposer de représentants au Parlement européen.
Dans un tel cas de figure, le Royaume-Uni doit donc sortir de l'Union européenne sans accord – c'est le no deal. Les pays membres appliqueraient alors les mesures de contingence européennes et nationales préparées à cette fin – en France, 7 ordonnances ont pu être élaborées grâce à la loi d'habilitation votée au Parlement.
Sur le terrain, les contrôles seront prêts. Ils monteront progressivement en puissance, avec, bien sûr, le soutien de la Commission européenne. Des recrutements ont été lancés, la construction des infrastructures est en voie d'achèvement et des campagnes de tests pour l'exercice des différents contrôles sont en cours.
Nous sommes donc prêts s'il faut nous orienter, le 10 avril prochain, lors du sommet exceptionnel, vers un scénario de no deal, Mme May se présentant alors, je le rappelle, sans avoir ni le soutien des députés sur l'accord de retrait ni l'intention d'organiser des élections européennes.
Le troisième scénario, plus complexe et mouvant, serait celui où la Première ministre britannique demande une extension longue et organise des élections européennes.
Il créerait une difficulté politique au Royaume-Uni, évidemment, mais aussi, plus largement, en Europe, car nombreux sont ceux qui ne comprendraient pas cette décision après le référendum de 2016 sur la sortie.
Cette hypothèse devrait par ailleurs être soigneusement encadrée afin que le Royaume-Uni soit traité comme un État membre pas tout à fait comme les autres : il ne serait pas acceptable que Londres puisse peser sur le choix de la future Commission européenne ou sur des décisions de substance produisant des effets après son départ. Je pense, en particulier, à la négociation du cadre financier pluriannuel.
Nous sommes donc toujours dans une période très incertaine.
Il revient au Royaume-Uni de faire ses propres choix – des votes ont de nouveau lieu au Parlement demain et, aujourd'hui, se tiennent des réunions du cabinet extrêmement importantes. Il est clair que l'Union européenne doit continuer à manifester son unité et sa détermination à défendre les intérêts des Européens, notamment, comme le répète Michel Barnier, notre négociateur, en refusant de rouvrir l'accord de retrait et d'accepter une extension du délai si nous manquons de clarté sur une solution durable et crédible.
Ces discussions sur le retrait du Royaume-Uni ne doivent pas nous faire perdre de vue notre objectif central de relance du projet européen.
L'ordre du jour du Conseil européen des 21 et 22 mars nous a permis, et c'est heureux, de présenter plusieurs des idées exposées par le Président de la République dans sa tribune pour une renaissance européenne pour défendre notre liberté, protéger notre continent et retrouver l'esprit de progrès.
Un débat approfondi s'est tenu sur l'avenir du marché unique dans la perspective du prochain programme stratégique. Les chefs d'État et de gouvernement ont abordé tant l'avenir du marché intérieur que les politiques qui y sont liées, notamment l'économie numérique, la politique industrielle et, bien sûr, la recherche et l'innovation.
En particulier, le Conseil européen a engagé une discussion sur la nécessité d'une véritable politique industrielle européenne. Comme nous le souhaitions, le Conseil européen a invité la Commission à présenter, dès la fin de 2019, une vision stratégique de long terme sur l'avenir de l'industrie européenne, soutenue par des mesures concrètes.
Conformément aux propositions formulées par la France et l'Allemagne, cette stratégie devra en particulier soutenir les nouvelles technologies et s'assurer des financements nécessaires, notamment en ayant recours au Conseil européen de l'innovation. Il s'agira également de passer en revue l'ensemble des politiques contribuant à cet objectif, notamment la politique de la concurrence ; il faut, nous le savons, améliorer la cohérence entre les deux axes de la politique européenne que constituent la politique industrielle et la politique de la concurrence.
La Commission doit étudier d'ici à la fin de l'année les évolutions nécessaires pour répondre aux défis des évolutions technologiques et de la concurrence mondiale. L'enjeu est de mieux défendre nos technologies, nos entreprises et nos marchés, en utilisant pleinement le nouveau cadre de filtrage des investissements, en exigeant une plus grande réciprocité dans les marchés publics avec les pays tiers et en défendant à tout prix le multilatéralisme, tout en le modernisant chaque fois que c'est nécessaire – je pense notamment à l'Organisation mondiale du commerce.
Deuxième sujet au-delà du Brexit, les chefs d'État et de gouvernement ont échangé sur les orientations proposées par la Commission dans le cadre de sa stratégie climatique de long terme, en particulier sur le scénario de neutralité carbone en 2050, que nous souhaitons voir adopter dans la perspective du sommet Action climat de l'ONU en septembre 2019.
Comme le Président de la République l'a souligné, les conclusions du Conseil européen sur le climat sont décevantes. Alors que les signaux d'alarme lancés par la communauté scientifique et la société civile se multiplient, l'Europe doit agir de façon plus déterminée face à l'urgence climatique. La France et bon nombre de ses partenaires européens se sont engagés résolument en faveur de l'objectif de neutralité carbone en 2050 ; ce point figure dans le projet de loi sur la programmation pluriannuelle de l'énergie qui sera présenté très prochainement en conseil des ministres.
Nous avons obtenu que le Conseil européen revienne sur ce sujet dès le mois de juin, de telle façon que l'Union européenne soit pleinement préparée en vue de ce sommet sur le climat.
Renouer avec l'esprit de progrès qui caractérise le projet européen, c'est aussi, comme le propose le Président de la République, créer une banque européenne du climat pour mieux financer la transition énergétique dans l'ensemble des pays de l'Union européenne. C'est enfin se fixer des objectifs ambitieux concernant le cadre financier pluriannuel, dont l'objectif de dépenses en faveur du climat doit être revu à la hausse par rapport à la proposition de la Commission.
Troisième sujet, les conclusions du Conseil européen font également état des progrès accomplis dans la lutte contre la désinformation et la nécessité de protéger l'intégrité démocratique des élections européennes et nationales dans l'ensemble de l'Union européenne. Ce sont des enjeux essentiels pour notre liberté démocratique.
Le Président de la République a ainsi proposé que des experts européens puissent être déployés immédiatement en cas de cyberattaques ou de campagnes de désinformation. Dans le prolongement des derniers rapports publiés par la Commission, le 20 mars, sur les progrès réalisés par les plateformes en ligne, les conclusions du Conseil européen appellent ces plateformes à renforcer leurs efforts dans la mise en oeuvre du code de bonnes pratiques contre la désinformation et à garantir des normes plus élevées de responsabilité et de transparence.
Quatrième sujet, nous restons déterminés à oeuvrer pour renforcer la convergence économique et sociale au sein de l'Union, qui est au coeur du projet européen, pour nous doter de ce que le Président de la République appelle un « bouclier social ».
C'est le sens de l'action que nous avons menée avec la création d'une autorité européenne du travail, ou encore de nos efforts pour lier solidarité financière et convergence sociale dans le prochain budget européen.
Les chefs d'État et de gouvernement reviendront sur tous ces sujets – hormis, bien sûr, celui du Brexit – lors du sommet informel de Sibiu le 9 mai prochain, puis à l'occasion de l'adoption, en juin prochain, du programme stratégique pour la période 2019-2024, qui fixera les orientations et priorités politiques pour le prochain cycle institutionnel.
Sur la méthode, nous voulons nous appuyer, pour définir les priorités de l'Union, sur les principales préoccupations et attentes des citoyens, telles qu'elles ont été exprimées, en France et au-delà, dans les consultations citoyennes sur l'Europe qui se sont tenues au second semestre de 2018, et sur une conférence sur l'Europe, qui réunira tous les acteurs nécessaires d'ici à la fin de l'année, pour définir les changements nécessaires à mettre en oeuvre.
Au fond, en France, nous avons eu le grand débat national ; en Europe, les consultations citoyennes sont également là pour alimenter cette feuille de route stratégique 2019-2024, pour s'assurer que l'Europe parle bien des préoccupations concrètes des citoyens à travers l'Union.
Dernier point pour conclure : le Conseil européen a échangé sur les relations avec la Chine afin de préparer le sommet Union européenne-Chine du 9 avril.
La discussion a donné lieu à un constat largement partagé sur le fait que la Chine est à la fois un partenaire et un concurrent pour l'Union européenne. Il est essentiel que les Vingt-Sept restent unis et défendent leurs intérêts économiques et stratégiques face à la Chine. L'Union doit être ferme et exiger de la réciprocité, notamment dans l'accès aux marchés.
Le Président de la République a résumé les discussions en estimant que, malgré certaines divergences de vue, « le temps de la naïveté de l'Union envers la Chine était révolu ». C'est dans cet esprit qu'a été organisée quelques jours plus tard à Paris, sur son initiative, une rencontre avec le Président Xi Jinping, la Chancelière Merkel et le Président Juncker.
La signature par le vice-Premier ministre italien et les autorités chinoises d'un accord de participation au projet des nouvelles routes de la soie souligne à quel point il est indispensable de renforcer encore davantage la coopération européenne dans ce domaine avant le sommet « 16+1 » du 12 avril en Croatie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre accueil et je me réjouis maintenant d'entendre vos commentaires et vos questions. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
(…)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Monsieur Courtial, je vous rassure, j'ai bien des objectifs : ce sont ceux qu'a fixés le Président de la République, et ils sont nombreux !
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie toutes et tous de votre accueil, très républicain et chaleureux. Je répondrai successivement à vos différentes interventions.
Monsieur le président Cambon, en matière de défense, il y a au moins un point positif : le fonds européen de défense, qui sera doté de 4 milliards d'euros pour la recherche et de 9 milliards d'euros pour le développement et les acquisitions de matériel entre 2021 et 2027. Il s'agit là d'un grand succès du Président de la République, car c'est une initiative qu'il a défendue.
Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, en matière de fiscalité, on ne peut pas dire que rien n'a été fait : des progrès indéniables ont été accomplis face à la fraude fiscale ; en faveur de la coordination, à l'échelle de l'OCDE, au titre des accords dits « BEPS » ; et, plus largement, pour ce qui concerne la liste des juridictions non coopératives. Dans ces domaines, l'Union européenne a fait de vrais progrès.
En outre, au sujet de la TVA, la directive relative aux droits voisins apporte une simplification entre le numérique et le papier. À mon sens, il s'agit également d'un véritable progrès.
Bien sûr, ces mesures ne vont pas encore assez loin. Vous le savez, le Président de la République soutient la proposition présentée en janvier dernier par la Commission européenne. Il s'agit d'instituer une majorité qualifiée afin de pouvoir avancer sur les sujets fiscaux. À ce titre, vous avez l'entier soutien du Gouvernement ! Vous savez que, sur tous ces sujets, il faut être nombreux : chaque jour, nous nous efforçons de construire cette majorité.
Face aux enjeux numériques, 23 des 27 pays européens ont désormais adopté la position française : l'OCDE dispose ainsi d'une véritable perspective d'accord politique. Bruno Le Maire présentera bientôt à l'Assemblée nationale le projet de loi portant création d'une taxe sur les services numériques. Grâce à un amendement présenté par la majorité, on pourra regarder comment sécuriser dès maintenant les acteurs économiques : si un accord est trouvé à l'OCDE, il remplacera bien la taxe temporaire présentée par Bruno Le Maire.
Monsieur Reichardt, dans les relations avec la Chine, nous avons également accompli des avancées indéniables, qu'il s'agisse d'Airbus, du secteur agroalimentaire ou encore du domaine culturel. Une position très forte a été prise en faveur d'un multilatéralisme effectif, que ce soit pour préparer le G20 ou le sommet sur le climat. L'Europe, la France et la Chine ont pu avancer de manière positive.
Monsieur Bonnecarrère, vous m'avez interrogée au sujet de l'impact budgétaire du Brexit. Son montant consolidé est estimé annuellement entre 28 et 37 milliards d'euros jusqu'en 2020. La France devra donc augmenter sa contribution de 1,8 milliard d'euros en 2019 et en 2020. Nous devons avoir ces chiffres en tête : il ne s'agit pas d'apeurer les Français, mais il faut être extrêmement clair.
Vous l'avez rappelé, le Brexit a beaucoup occupé l'agenda européen. Je m'en suis précisément entretenue ce matin avec mon homologue allemand Michael Roth : nous le savons, il faut tenir compte des immenses priorités pour l'Europe. Le Président de la République les a d'ailleurs rappelées dans les quarante-neuf propositions de sa lettre aux citoyens d'Europe. La cybersécurité, la défense, les frontières, le droit de la concurrence, le droit de l'innovation, le climat, ou encore le bouclier social : nous tous ici, moi la première, aimerions pouvoir faire avancer concrètement chacun de ces projets.
Madame Mélot, vous avez souligné combien il importait de protéger le débat démocratique, au vu des échéances qui arrivent. Le Conseil européen a réuni une série de propositions au sujet du droit des plateformes numériques. En outre, l'Assemblée nationale examinera bientôt la proposition de loi visant à lutter contre la cyber-haine. Ce texte permettra le retrait des contenus offensants, appelant à la violence, propageant des propos racistes ou discriminatoires. Les deux assemblées ont également voté la loi anti-fake news : ce texte contient des dispositions extrêmement intéressantes, qui peuvent guider une partie de l'action européenne – vous avez vu la mobilisation collective à laquelle ce sujet a donné lieu.
Monsieur Haut, vous évoquez les débats relatifs à Huawei. La France estime que l'approche concertée de la Commission sur la protection des réseaux est une bonne initiative, positive. Mais, comme toujours en pareil cas, tout est affaire de mise en oeuvre.
Une proposition de loi, reprenant une suggestion formulée par le Sénat au cours de l'examen du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, ou projet de loi Pacte, sera prochainement discutée : elle permettra de s'assurer que les matériels déployés sur notre territoire, notamment au titre de la 5G, répondent à un certain nombre de critères de protection de notre sécurité nationale. Il faudra voir comment l'initiative européenne pourra s'articuler avec cette proposition de loi.
Monsieur Ouzoulias, à ma connaissance, il n'a jamais été question de pénaliser les Britanniques au motif qu'ils ont voulu quitter l'Union européenne.
M. Pierre Ouzoulias. Si !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. En tout cas, la France n'a jamais cherché à pénaliser ou à récompenser l'un ou l'autre des États membres de l'Union européenne !
De plus, vous regrettez que l'Europe ne soit pas plus démocratique. Or un grand effort a été accompli avec les consultations citoyennes, organisées dans l'intégralité des pays membres. Le plan stratégique 2019-2024 s'appuie sur le résultat de ces consultations : c'est, en soi, un progrès.
On ne peut pas dire pour autant que la participation citoyenne est à son apogée dans l'Union européenne… D'ailleurs, l'un des enjeux de la lettre du Président de la République aux citoyens d'Europe, c'est de nous assurer que l'Union européenne travaille bien sur les sujets concrets de la vie des Européens ; qu'elle apporte des réponses à un certain nombre de questions pour lesquelles les États membres, chacun avec ses prérogatives nationales, ne trouvent pas seuls les solutions.
Ce travail demande, effectivement, davantage de démocratie, et je suis très heureuse de prendre mes fonctions en débattant au Parlement de ces sujets européens : cette discussion traduit une ambition que nous devons poursuivre.
Monsieur Sutour, vous m'avez particulièrement interrogée sur les fonds de cohésion et sur la PAC.
Sur le fondement des propositions initiales de la Commission, les discussions portent sur des baisses de 15 % ou de 4 % ; en effet, certains expriment les variations en volume, tandis que d'autres les formulent en valeur. La France a en la matière une position très claire : nous voulons la stabilité en valeur des montants – 52 milliards d'euros pour la politique des aides directes et une dizaine de milliards d'euros pour le développement rural. Dans un budget en expansion, cette demande nous semble légitime, vous l'imaginez bien. C'est donc la position que je défendrai au nom de notre pays dès le prochain conseil Affaires générales, qui aura lieu mardi prochain.
Pour ce qui est de la politique de cohésion, il y a deux enjeux, et je ne peux pas m'empêcher de faire un peu de politique… Bien évidemment, nous aimerions conserver une politique de cohésion extrêmement ambitieuse – nous voulons financer de nouvelles priorités, stabiliser la PAC, etc. –, mais compte tenu des budgets y afférents, à un moment donné, des arbitrages devront avoir lieu.
Le Président de la République pense qu'il faut absolument conserver cette politique ; ainsi, nous nous réjouissons que la région en transition soit définie plus largement, ce qui peut concerner de nouvelles régions en France – c'est un point intéressant à partager avec la Haute Assemblée.
Quant à la conditionnalité des aides, ne nous méprenons pas ; derrière les conditions proposées figure le respect de l'État de droit. Je pense que l'on aurait du mal, ici, à s'opposer à la conditionnalité liée au respect de l'État de droit et des valeurs démocratiques fondamentales de l'Union européenne, et le Président de la République cherche même à ajouter des conditions d'ordre social.
M. Simon Sutour. Ce sont donc les citoyens européens de ces pays qui en seront victimes. Or ils n'ont pas toujours voté pour leurs dirigeants actuels…
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Lors du prochain conseil Affaires générales, mon homologue allemand et moi-même insisterons sur le respect de l'État de droit. C'est un point fondamental. Nous le savons, un certain nombre de pays ne respectent pas, sur des sujets très spécifiques, le cadre européen, celui de nos valeurs, de nos traités. La conditionnalité des aides est faite non pas pour pénaliser les citoyens, mais pour affermir les règles – une règle sans sanction n'a pas de valeur, vous le savez très bien. Il faut donc avoir une vision fondée sur les sanctions, mais nous pourrons en débattre plus longuement, j'en suis certaine.
Monsieur Menonville, vous avez évoqué des sujets sur lesquels le partenariat stratégique entre la France et le Royaume-Uni doit être préservé. Je suis totalement d'accord avec vous ; la sécurité et la défense, notamment, sont des priorités essentielles, et nous avons la chance d'avoir signé des accords bilatéraux, celui du Touquet et bien d'autres. Sur ces sujets, la position que nous défendons au Conseil de sécurité de l'ONU – je pense aux échanges extrêmement importants menés par Jean-Yves Le Drian – est soutenue par le Royaume-Uni. Notre relation bilatérale, sur ces points comme sur le renseignement – on peut faire beaucoup de choses dans un cadre bilatéral –, est de l'intérêt tant du Royaume-Uni que de la France.
Bien que M. Masson ait quitté l'hémicycle, je lui répondrai que j'exprime, au nom du Gouvernement et, je l'espère, au nom de la Haute Assemblée, un profond respect pour le travail que Michel Barnier a conduit pendant des mois et adresse à ce dernier d'immenses remerciements. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi qu'au banc des commissions. – M. Simon Sutour applaudit également.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Tout à fait !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Sa tâche était extrêmement difficile à assumer dans une situation que personne n'avait envisagée après des décennies de construction européenne, et je ne pense pas que l'on puisse évoquer son travail dans les termes qui ont été ceux de M. Masson.
Sur le nombre de députés, je suis certaine que Nathalie Loiseau a répondu avec les éléments factuels les plus limpides, mais je le répète ici : l'acte européen, adopté d'ailleurs par la Haute Assemblée, pose un principe très clair : si le Royaume-Uni sort de l'Union européenne, le nombre de sièges sera redistribué par pays de manière proportionnelle – cela signifie donc que la France aura plus de députés européens ; en revanche, si le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne, ce sera le statu quo. La règle est très simple.
Messieurs Courtial, Priou et Allizard, vous avez fait part de réflexions sur la route de la soie et sur le contrôle des investissements. Ce qui a été proposé – la capacité à filtrer, à échanger des informations entre pays et à autoriser ou non des investissements selon le risque qu'ils présentent pour les activités de plusieurs États membres ou pour un programme d'intérêt européen – est un bon début.
Est-ce suffisant ? Je ne vous affirmerai pas que cela répond à tous les enjeux, mais cette étape – le fait d'inclure dans notre droit, qui est un droit de liberté des investissements, la possibilité d'opposer des restrictions si des intérêts stratégiques, notamment européens, sont en jeu – représente une avancée qu'il faut soutenir. Je lirai votre travail avec beaucoup d'intérêt. Cette vigilance collective sur nos points d'entrée et sur la politique maritime et de rayonnement doit être maintenue.
Pour conclure, j'aimerais apporter, madame Fournier, une note plus personnelle, dans ce débat parfois technique. Je suis extrêmement sensible à la situation que vous décrivez pour la simple et bonne raison que j'ai passé une partie de mon enfance à Calais, à côté du magnifique théâtre italien. C'était avant l'ouverture du tunnel sous la Manche ; j'ai donc bien en tête la réalité de Calais quand tout transitait par bateau et par camion.
Nous le savons, il y a effectivement un risque d'engorgement ; 60 % des flux de marchandises qui entrent dans la zone euro depuis le Royaume-Uni passent par Calais, telle est la réalité. Il s'agit donc d'un point très stratégique, tant pour la France que pour le Royaume-Uni. Des douaniers ont été envoyés en renfort dans la région, et près de trois cent cinquante agents, dans le domaine agricole et douanier, sont préparés au Brexit.
C'est évidemment un sujet que tout le Gouvernement, en particulier Gérald Darmanin, s'engage à suivre de près, de même que Rodolphe Gintz, qui dirige la Direction générale des douanes et droits indirects. Nous devons être crédibles quant à notre engagement à assumer une sortie sans accord. L'intégralité du Gouvernement est mobilisée à ce sujet.
Je veux aussi vous informer des efforts de notre ambassade au Royaume-Uni vis-à-vis des citoyens français présents sur le sol britannique, que ce soit pour les formalités visant à devenir résidents sous le régime du settled status, qui permet de rester sur le territoire du Royaume-Uni, ou pour l'information auprès des entreprises, dans le domaine sanitaire ou douanier.
Nombre d'actions se déroulent donc actuellement pour faciliter les discussions du Conseil européen de la semaine prochaine, qui seront difficiles. Le Président de la République l'a répété, le Royaume-Uni doit formuler des propositions pour partir d'un scénario autre que celui d'une sortie sans accord. Notre engagement est fort pour obtenir, concrètement, le suivi d'un accord diplomatique, que nous espérons, et, à défaut, pour assumer nos décisions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cet échange et de votre écoute. J'espère vous retrouver très prochainement, probablement lors de questions d'actualité au Gouvernement, qui émailleront nos relations au cours des mois à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste, ainsi qu'au banc des commissions.)
source http://www.senat.fr, le 17 avril 2019