Texte intégral
APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Nathalie LOISEAU.
NATHALIE LOISEAU
Bonjour.
APOLLINE DE MALHERBE
Merci d'être avec nous. Vous êtes la ministre des Affaires européennes. Emmanuel MACRON qui écrit donc une tribune ce matin dans 28 pays de l'Union européenne, ça s'appelle « Pour une renaissance européenne », mais avant même de regarder les propositions de fond, est-ce qu'il n'est pas en train de crier dans le désert, il va faire ça avec qui ? Il est quand même tout seul en Europe.
NATHALIE LOISEAU
Il est loin d'être seul, d'ailleurs, dès ce matin, il y a des réactions partout dans l'Union européenne au sujet de cette tribune, c'est un constat lucide, un constat sur l'état de l'Europe avec le Royaume-Uni qui quitte l'Union européenne, avec des nationalistes qui sont montés dans beaucoup de pays de l'Union européenne, on ne peut pas être dans le statu quo, dans le conservatisme, et on n'a jamais eu autant besoin d'Europe, cela beaucoup le partagent…
APOLLINE DE MALHERBE
Beaucoup le partagent, mais beaucoup le défient également, vous évoquiez à l'instant la montée des nationalismes, il y a quand même Angela MERKEL qui est en fin de parcours, il y a la Grande-Bretagne qui s'en va, il y a l'Italie qui parle même de nous comme d'ennemis.
NATHALIE LOISEAU
Alors ça dépend qui en Italie, on ne peut pas dire, il y a l'Italie qui a le président MATTARELLA qui va venir le 2 mai en visite…
APOLLINE DE MALHERBE
Disons que le gouvernement italien ne joue pas franchement les meilleurs amis de la France.
NATHALIE LOISEAU
Il y a un peu partout en Europe des gens qui veulent détruire le projet européen. Et face à cette situation, face à ces destructeur de l'Europe, il faut agir, on ne peut pas se contenter de commenter, de rester dans une espèce de mollesse, comme on le voit chez certains de nos adversaires ou au contraire d'aller dans le sens de cette destruction du projet européen alors qu'on a besoin de l'Europe…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais précisément, on ne peut pas le faire seul, on ne peut pas le faire contre eux, l'Europe, on ne peut pas la faire seul.
NATHALIE LOISEAU
Depuis deux ans, on a fait beaucoup de choses avec Emmanuel MACRON, le gouvernement, on a fait avancer les travailleurs détachés, qui étaient un vrai problème, aujourd'hui, ce problème est résolu, l'Europe de la défense qui manquait cruellement, aujourd'hui, elle existe, les universités européennes, j'en passe, beaucoup de choses ont avancé, mais pas assez, la réalité, c'est qu'il faut aller plus loin, parce que nous sommes face à une concurrence mondiale de la Chine, des Etats-Unis, de la Russie, qu'il faut être plus forts, plus unis, répondre à des interrogations des citoyens français et européens sur les questions migratoires, sur les questions…
APOLLINE DE MALHERBE
Alors, précisément, rentrons sur les propositions qu'il y a dans cette tribune, notamment l'une des promesses, c'est une nouvelle protection des frontières extérieures de l'Europe face aux migrations avec une police des frontières communes, mais là, ça existe déjà, c'est Frontex ?
NATHALIE LOISEAU
Alors Frontex aujourd'hui, savez-vous combien il y a d'hommes dans Frontex ?
APOLLINE DE MALHERBE
Ah non.
NATHALIE LOISEAU
600. Alors, on ne peut pas demander à 600 hommes…
APOLLINE DE MALHERBE
Oui, ça ne fait pas grand monde…
NATHALIE LOISEAU
De protéger les frontières de l'Union européenne. Et vous avez raison, c'est une vraie réponse aux besoins de contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne, puisqu'on a fait Schengen, on a abattu les frontières intérieures, et nos prédécesseurs ont oublié de protéger l'Europe, donc aujourd'hui, il faut le faire vraiment, résolument, certains s'y opposent en mettant en avant le fait qu'il ne faudrait pas davantage d'intégration européenne. J'entendais Laurent WAUQUIEZ dire : je suis pour le renforcement des frontières, mais pas davantage d'intégration européenne, je ne sais pas comment il fait, il nous faut évidemment une police européenne des frontières, Emmanuel MACRON va plus loin…
APOLLINE DE MALHERBE
Il faudrait combien d'hommes, si on en reste justement à cette question de moyens, est-ce que les autres sont prêts à mettre des moyens, à mettre de l'argent, à mettre des hommes ?
NATHALIE LOISEAU
10.000, il faut 10.000 hommes, et vous avez – par exemple, quel est pour vous le pays en Europe qui a le plus de gardes-frontières et qui pourrait le plus contribuer ? La Pologne, la Pologne et ça l'intéresse – donc vous avez, là, un pays qui, sur les questions migratoires, a été un interlocuteur difficile…
APOLLINE DE MALHERBE
Oui, il faut dire que la Pologne est effectivement en pointe sur le refus effectivement de laisser le monde extérieur rentrer. Mais là-dessus, sur le fond, vous n'êtes pas forcément d'accord justement…
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez, j'y suis allée en Pologne, j'ai discuté, j'ai négocié avec mes interlocuteurs polonais, il y a des choses sur lesquelles on est en franc désaccord, mais il y a des points sur lesquels on peut avancer, c'est ce que nous faisons depuis deux ans. Nous parlons avec tout le monde, nous sommes dans le concret, il y a des propositions dans la tribune d'Emmanuel MACRON, mais il y a aussi de l'action au quotidien, nous savons de quoi nous parlons…
APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire que, si on va jusqu'au bout de cette question de la protection ou non et de l'accueil ou non, il y aurait un asile, une agence d'asile européen, ça veut dire aussi qu'il faudra qu'on prenne davantage notre part.
NATHALIE LOISEAU
Alors, il y a une formule très forte dans la tribune d'Emmanuel MACRON, qui dit : nous devons à la fois protéger nos valeurs et nos frontières, jusqu'à maintenant, nos prédécesseurs n'avaient, en fait, fait ni l'un, ni l'autre, les frontières étaient poreuses, et les demandeurs d'asile, ceux qui sont en besoin manifeste de protection, étaient mal accueillis, et surtout, d'un pays à l'autre de l'Union européenne, il y avait des critères différents pour accorder l'asile…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais nous, les Français, on n'a pas accueilli grand monde, en vérité, c'est d'ailleurs le reproche que nous fait l'Italie…
NATHALIE LOISEAU
Oui, l'année dernière, nous étions le deuxième pays européen en termes de demandes d'asile, on ne peut pas dire qu'on n'a pas accueilli grand monde, ça n'est pas vrai, nous sommes face à nos responsabilités, et à chaque fois qu'un bateau s'est heurté à la fermeture des ports italiens, cet été, vous vous en souvenez, que ce soit L'Aquarius, le Sea-Watch ou d'autres, la France a organisé la répartition des naufragés et a toujours pris sa part ; nos valeurs, nous ne céderons jamais, nous ne les abîmerons jamais. Mais s'agissant des migrations économiques illégales, l'Europe ne peut pas être une passoire et ne peut pas être un espace ouvert à tous vents…
APOLLINE DE MALHERBE
Sur la question…
NATHALIE LOISEAU
Nous, nous ne sommes pas dans l'idéologie, nous sommes dans l'action sur les questions migratoires…
APOLLINE DE MALHERBE
Sur la question des valeurs, vous êtes aujourd'hui en première ligne dans un combat face notamment au Rassemblement national de Marine LE PEN, le Rassemblement national a toujours voulu une préférence nationale, ça, vous estimez que ça n'est pas acceptable, et pourtant, dans ce texte, il y a la même idée, sauf qu'on change d'échelle, au lieu que ce soit la préférence française, c'est la préférence européenne, c'est exactement la même logique ?
NATHALIE LOISEAU
Ça n'est pas du tout la même logique, le Front national n'a pas compris qu'aujourd'hui, pour être fort face aux Etats-Unis, face à la Chine, face à la Russie, la taille nationale n'avait pas de sens pour beaucoup de ce sujet, pas pour tous, et moi, je ne suis pas fédéraliste, et Emmanuel MACRON n'est pas fédéraliste.
APOLLINE DE MALHERBE
Et c'est exactement ce que je dis, au fond, vous êtes d'accord sur le principe, simplement, vous changez l'échelle…
NATHALIE LOISEAU
Non, ce que nous disons, c'est que par exemple, en matière spatiale, depuis des années, nous avons des lanceurs, nous avons la base de Kourou et nous avons des Européens qui choisissent, le cas échéant, de faire lancer leurs satellites par des lanceurs russes ou par des lanceurs américains, on se fait mal tous seuls, alors que nos grands partenaires qui sont aussi nos grands concurrents ont la préférence européenne en matière de défense, en matière d'armement, ce que nous avons commencé à mettre en place avec l'Allemagne, travailler ensemble à l'avion du futur, aux chars du futur en franco-allemand, c'est ça la préférence européenne, c'est se dire qu'une Europe de la défense, ça passe par des armements européens, nous sommes des alliés des Etats-Unis, nous sommes des partenaires des Etats-Unis, mais nous n'avons pas nécessairement besoin d'être des clients des Etats-Unis.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous parliez de la question justement de l'armée, dans ce texte, Emmanuel MACRON prône l'avancée vers davantage de défense européenne. Jacques CHIRAC en parlait, Nicolas SARKOZY en parlait, François HOLLANDE en parlait, pourquoi est-ce qu'Emmanuel MACRON y arriverait, alors que ça fait des années qu'on parle de ça, et que ça ne marche pas ?
NATHALIE LOISEAU
Parce qu'on a fait en deux ans plus qu'en six décennies, en deux ans, on a fait le Fonds européen de défense, c'est-à-dire que ce qu'on avait entendu pendant longtemps, c'est-à-dire l'Europe ne peut pas financer des projets de défense communautaire, c'était faux, c'était la volonté politique qui manquait, nous l'avons demandée, nous l'avons obtenue, nous avons rassemblé 25 Etats membres de l'Union européenne pour coopérer ensemble en matière militaire, savez-vous par exemple que jusqu'à récemment, il était impossible de faire circuler librement des troupes et des matériels militaires à l'intérieur de l'espace européen, a été créé ce qu'on a appelé un Schengen militaire…
APOLLINE DE MALHERBE
Ça paraît complètement absurde ça, on se dit, il y a un Schengen où tout le monde peut se promener…
NATHALIE LOISEAU
Ça paraît absurde…
APOLLINE DE MALHERBE
Sauf…
NATHALIE LOISEAU
Peut circuler sauf les troupes et sauf les matériels militaires, ça, c'est réglé. En deux ans, on a fait beaucoup, il faut faire davantage, ce que nous proposons, c'est un traité d'assistance mutuelle des Européens, c'est quand même curieux qu'on l'ait à l'intérieur de l'OTAN, mais qu'on n'ait pas été capable de le mettre vraiment en place au niveau européen, et ce que nous proposons, et ça, c'est audacieux, mais utile, nécessaire, c'est le fait que le Royaume-Uni puisse continuer à discuter des questions de défense avec l'Union européenne dans un conseil de sécurité européen, parce qu'on le sait, quelles sont les grandes armées qui sont capables de partir en opération extérieure, y compris pour frapper…
APOLLINE DE MALHERBE
Pour le coup, l'Angleterre a une armée…
NATHALIE LOISEAU
Pour le coup, la France et le Royaume-Uni, et à ce stade, aucune autre.
APOLLINE DE MALHERBE
Nathalie LOISEAU, vous parlez de cette défense européenne, et pourtant, vous avez bien vu que l'une des plus fortes levées de boucliers récentes contre l'Union européenne, c'était sur ce traité d'Aix-la-Chapelle, et notamment sur la question, alors, certes, un peu fantasmée, mais malgré tout, d'un rapprochement au minimum entre la France et l'Allemagne au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, alors certains avaient brandi, notamment du côté de Marine LE PEN ou de Nicolas DUPONT-AIGNAN, l'idée qu'on aurait un seul siège et qu'on allait le partager avec l'Allemagne, ça n'est pas le cas…
NATHALIE LOISEAU
Ça n'est évidemment pas le cas…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais pour autant, on voit bien qu'il y a un rapprochement de plus en plus, a été le cas d'ailleurs les derniers jours au sein de l'ONU de notre ambassadeur qui s'est rapproché beaucoup de l'ambassadeur d'Allemagne, sentait bien que là-dessus, il y a une forme de crainte du peuple français ?
NATHALIE LOISEAU
Il n'y a pas de crainte du peuple français, quand vous interrogez les Français, et on l'a fait au moment du traité d'Aix-la-Chapelle, ils souhaitent que nous ayons des liens forts avec l'Allemagne et avec le reste de l'Union européenne, la France et l'Allemagne, c'est le moteur qui permet à l'ensemble de l'Union européenne d'avancer, mais vous avez raison de rappeler que Nicolas DUPONT-AIGNAN, Marine LE PEN se sont vautrés dans les mensonges, ils ont raconté que l'on vendait l'Alsace et la Lorraine à l'Allemagne, ils ont raconté que l'Allemand allait devenir la langue obligatoire en Alsace, ils ont raconté que nous céderions notre siège de membre permanent du Conseil de sécurité, est-ce que ces gens sont des gens responsables, est-ce qu'ils prennent les Français au sérieux, est-ce qu'ils respectent les Français à mentir à ce niveau-là ? C'est sûr que non, ils n'ont pas de projet, et donc, ils inventent n'importe quoi.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais est-ce que votre responsabilité à vous, ce n'était pas de ne pas leur laisser un vide, je m'explique, sur ce traité d'Aix-la-Chapelle, alors, certes, on a vu Marine LE PEN et Nicolas DUPONT-AIGNAN brandir un certain nombre de fantasmes, mais la réalité aussi, c'est que vous en avez parlé très peu, vous l'avez fait un peu en catimini, quand on regarde Angela MERKEL, elle en a parlé énormément au peuple allemand, elle a beaucoup parlé, elle a utilisé un certain nombre de discours, de moments où elle s'adressait au peuple allemand pour en parler, vous, on a l'impression qu'il fallait vraiment aller chercher le traité sur Internet, pourquoi vous ne vous en êtes pas emparée, pourquoi vous n'aviez pas l'Europe glorieuse ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, je ne suis pas d'accord avec vous. Je ne pouvais pas prévoir, nous ne pouvions pas prévoir que quand on a aussi peu d'idées que Marine LE PEN ou Nicolas DUPONT-AIGNAN, on se met à ce point à inventer n'importe quoi, nous avions tort, et c'est une leçon que nous avons apprise, maintenant, nous savons tous les jours que Marine LE PEN invente un mensonge par jour, elle l'a refait…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais quand vous dites que vous avez tort, est-ce que vous n'aviez pas tort justement de ne pas davantage vous adresser aux Français et leur expliquer ce qui se passe ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, nous n'avons pas eu tort de ne pas nous abaisser au niveau des machines à fake news que sont une partie de l'opposition.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais, est-ce que c'est s'abaisser que d'aller parler aux Français et de leur dire ce qui se passe ?
NATHALIE LOISEAU
Mais, ça a été dit, le président l'a dit, j'en ai parlé, il y a eu une audition à l'Assemblée nationale, exclusivement sur ce sujet, il y avait eu un certain nombre d'interviews, de papiers. Ensuite, vous le savez, en France parfois les bonnes nouvelles ne sont pas des nouvelles, et on a tendance à traiter des événements différents, souvenez-vous aussi qu'on était dans une séquence un peu différence en France.
APOLLINE DE MALHERBE
C'est évident, il y avait la question des gilets jaunes, mais du coup on a envie de vous dire que c'est d'autant plus crucial que vous disiez, ce qui se passe, quand on regarde précisément, restons sur ce sujet-là, qu'aujourd'hui quand il y a des sondages au sein du mouvement des gilets jaunes, c'est plutôt que le vote pour ASSELINEAU qui remonte, ce qui veut dire que la question européenne, puisque c'est une des questions sur lesquelles ASSELINEAU s'est beaucoup positionné, cette question européenne est une des questions qui fédère au sein des gilets jaunes.
NATHALIE LOISEAU
Alors, écoutez, je ne sais pas bien ce qui fédère au sein des gilets jaunes et je m'aventurerai pas sur un terrain aussi escarpé. Pour autant, évidemment que certains jouent du simplisme, certains ne prennent pas les Français au sérieux, c'est le cas de monsieur ASSELINEAU qui nous dit tous les matins : Frexit, Frexit. Je l'invite à traverser la Manche et à voir ce qui se passe aujourd'hui au Royaume-Uni, un pays désemparé, une classe politique perdue, qui sait nous dit où ils ne veulent pas aller mais qui ne savent pas nous dire quel est leur projet. Je crois que les Français ont parfaitement compris qu'aujourd'hui il y a beaucoup plus à perdre qu'à gagner à vouloir sortir de l'Union européenne.
APOLLINE DE MALHERBE
Dans ce texte il y a également des échos, là encore à ce qui se passe ici, et à ce questionnement de la démocratie en France depuis quelques semaines. Emmanuel MACRON propose la création d'une conférence citoyenne, c'est-à-dire une sorte de grand débat…
NATHALIE LOISEAU
Exactement.
APOLLINE DE MALHERBE
... comme on fait ici, au niveau européen. Comment ça peut marcher ? D'abord est-ce que vous n'avez pas peur de l'usine à gaz ? C'est déjà compliqué quand même au niveau national, réussir à traiter, écouter, entendre, et ensuite prioriser les questions des Européens ?
NATHALIE LOISEAU
Ce qui se passe au niveau national est d'abord enthousiasmant. Moi je participe au Grand débat, j'en fais à peu près deux par semaine, et c'est un moment démocratique fantastique. Ça vient à côté, ça vient s'ajouter à la démocratie représentative et c'est indispensable, et je vais vous dire, tous nos partenaires européens regardent ce qui se passe, nous interrogent, s'y intéressent, nous sommes dans une époque où les citoyens ont besoin de délibérer, ont besoin de se retrouver, de s'exprimer, et cette attente il faut l'entendre, il faut l'entendre au niveau national, c'est ce que nous faisons, mais il faut l'entendre au niveau européen.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais il faut ensuite la traduire. Comment on fera pour la traduire ?
NATHALIE LOISEAU
Mais bien sûr la traduire.
APOLLINE DE MALHERBE
C'est-à-dire que vous savez déjà du mal à convaincre vos partenaires européens, comment pouvez-vous ensuite convaincre tous les peuples et faire entendre et traduire ces aspirations en mesures concrètes ?
NATHALIE LOISEAU
Eh bien justement c'est exactement la démarche qui a été celle d'Emmanuel MACRON depuis la grande marche. Souvenez-vous comment il a commencé à monter son mouvement politique, c'est en s'adressant aux Français, en les écoutant, et en synthétisant…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais il y a des trucs qu'il n'avait pas entendu, visiblement, parce que justement il avait dit : je viens après avoir écouté les Français, avoir fait une sorte de grand débat, et pour autant personne n'a vu venir ou n'a entendu cette colère. Peut-être qu'il n'avait pas frappé aux bonnes portes.
NATHALIE LOISEAU
La colère, nous l'avions entendue, et le mécontentement nous l'avions mesuré. Mais ce que nous avons fait, c'est que nous sommes allés vers l'urgence, et nous continuons à nous en occuper, c'est le chômage de masse. Vous aurez sans doute été frappé comme moi du fait que le mouvement des gilets jaunes ne parle pas du chômage. A un moment où certes il a baissé, et c'est une bonne nouvelle, mais il est encore à plus e 8 %.
APOLLINE DE MALHERBE
C'est plutôt le mouvement, effectivement, au départ, de ceux qui travaillent et qui on le sentiment…
NATHALIE LOISEAU
C'est le mouvement des travailleurs précaires.
APOLLINE DE MALHERBE
Voilà, qui ne peuvent pas vivre décemment de leur travail.
NATHALIE LOISEAU
Nous avons considéré que l'urgence était à s'adresser aux plus fragiles et aux chômeurs. Et se faisant, il y a ceux qui ont vu revenir la croissance et n'en ont pas vu les fruits directement dans leur pouvoir d'achat, ce sont les travailleurs pauvres. C'est vrai en France, c'est vrai partout en Europe, et je peux vous assurer que d'une part les mesures qui ont été prises en décembre et que le Parlement à su voter dans l'urgence, étaient une vraie réponse à cette préoccupation, et que derrière, le Grand débat national permet d'entendre tout le monde, et il y aura des synthèses, des restitutions et des décisions. Je pense qu'en Europe c'est la même chose, on ne peut pas confisquer la décision européenne à l'entre soi de ceux qui se réunissent à Bruxelles ou à Luxembourg ou à Strasbourg.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous voulez aussi proposer une Agence européenne de protection des démocraties. Est-ce que ce n'est pas un machin ?
NATHALIE LOISEAU
Ah non, il y a urgence ! On l'a vu…
APOLLINE DE MALHERBE
Non, mais qu'il y ait urgence, oui, mais, enfin, une réponse par une Agence européenne, encore un bidule quoi.
NATHALIE LOISEAU
Non, qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire pouvoir envoyer des experts, très rapidement, dans n'importe lequel les pays européens, qui fait face à des cyber-attaques, et il y en a en permanence, qui fait face à de la manipulation, à de l'ingérence étrangère, et 'est une préoccupation qui est partagée par tous les Européens. Nous avons besoin nous organiser, une autre…
APOLLINE DE MALHERBE
C'est une autre manière de se protéger là encore.
NATHALIE LOISEAU
Bien sûr, parce qu'il n'y a aucune raison que notre destin soit manipulé par d'autres.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais est-ce que l'Europe ne meurt pas de trop d'agences, justement, des agences européennes, on a l'impression qu'il y a des agences européennes pour tout.
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez, ce qu'on voit sur un autre sujet, celui de la sécurité alimentaire et celui de la sécurité des produits chimiques, quand on fait le tour de France, comme je le fais toutes les semaines, on voit nos concitoyens préoccupés, ils veulent être sûrs que l'Europe reste l'espace le plus sûr au monde. Eh bien pour cela, il y a déjà des agences mais elles ne sont pas suffisamment indépendantes, elles n'ont pas assez de moyens. Ce que nous disent nos compatriotes : on veut des évaluations scientifiques indépendantes, on veut savoir ce que les produits ont comme toxicité ou comme innocuité, on veut avoir confiance dans ce qu'on consomme, dans ce qu'on achète, c'est ça ce que permet et ce que doit promouvoir un espace de 500 millions d'habitants.
APOLLINE DE MALHERBE
Nathalie LOISEAU, vous disiez tout à l'heure : l'Europe ne peut pas être confisquée par un petit groupe technocratique. Vous avez été directrice de l'ENA, au niveau national c'est la même question : est-ce que le pouvoir n'est pas confisqué par un petit groupe ? Vous n'avez pas vraiment réussi à changer l'image de l'ENA, là-dessus, l'élite c'est devenu un gros mot.
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez, ma préoccupation ce n'est pas de changer l'image, ça a été de changer le fond. Pendant 5 ans j'ai réformé cette école, j'en ai changé le recrutement, j'en ai changé les cours, la scolarité, et je pense qu'il reste encore du travail et que d'une manière générale on a besoin de Hauts fonctionnaires qui savent conduire des politiques publiques, c'est plutôt plus compliqué aujourd'hui qu'il y a 20 ou 30 ans, donc il faut davantage les former, pas seulement les énarques, moi-même je ne suis pas issue de l'ENA, et je ne suis pas là pour défendre les intérêts d'une école, par rapport aux autres , mais là où vous avez raison…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous savez bien qu'elle symbolise…
NATHALIE LOISEAU
Oui mais il faut se méfier des abcès de fixation qui empêchent de traiter les vrais sujets. Ce dont on a besoin aujourd'hui c'est d'une administration proche des gens, proche des citoyens, c'est ce que nous avons très largement, les Français sont fiers de leur service public, et ils ont raison, nous avons la chance d'avoir des agents publics qui sont au service de leurs concitoyens, mais il faut en permanence se remettre en question. Et ce que nous faisons, ce que fait le président de la République…
APOLLINE DE MALHERBE
Au niveau national et au niveau européen du coup.
NATHALIE LOISEAU
Ce que font les membres du gouvernement, aller à la rencontre des Français, les écouter dans ces grands débats, moi personnellement j'aimerais beaucoup que certains Hauts fonctionnaires fassent la même chose, entendent ce qui se passe, répondent aux questions et reviennent un peu bouleversés.
APOLLINE DE MALHERBE
Aller écouter le pays. Vous avez été reçue par le président de la République hier, il vous a demandé d'être candidate ?
NATHALIE LOISEAU
Je n'ai pas été reçue par le président de la République hier…
APOLLINE DE MALHERBE
Ah, il vous a boulée ? Vous deviez le voir !
NATHALIE LOISEAU
... parce qu'il avait autre chose à faire, il devait être One Planet Lab qui a été monté par Brune POIRSON et qui est une nécessité pour réfléchir sur le changement climatique…
APOLLINE DE MALHERBE
Il n'y a donc pas urgence sur le fait de trouver la tête de liste pour la République En Marche ?
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez, je pense que le président à l'embarras du choix, je suis sûr qu'il fera un bon choix.
APOLLINE DE MALHERBE
S'il vous demande d'être candidate, vous direz oui ?
NATHALIE LOISEAU
Je suis passionnée de ce que je fais aujourd'hui, on a parlé très brièvement... je vous ai parlé du Brexit…
APOLLINE DE MALHERBE
Eh bien c'est la même chose, c'est l'Europe.
NATHALIE LOISEAU
Evidemment que je suis passionnée par l'Europe je ne vous dirai pas autre chose, j'espère être utile là où je suis, mais j'essaierai d'être là où je peux être utile.
APOLLINE DE MALHERBE
S'il vous demande, vous direz oui.
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez, avec des si on aurait mis Paris dans une bouteille, il ne me l'a pas demandé.
APOLLINE DE MALHERBE
Il ne vous l'a pas demandé, mais s'il vous le demande, on sent bien que vous ne direz pas non. Merci beaucoup Nathalie LOISEAU d'avoir été notre invitée ce matin. Je rappelle que vous êtes la ministre des Affaires européennes.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 mars 2019