Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à Europe 1 le 6 mars 2019, sur la taxation des géants de l'internet et la politique fiscale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

AUDREY CRESPO-MARA
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Audrey CRESPO-MARA.

AUDREY CRESPO-MARA
Tout à l'heure, en Conseil des ministres, vous allez présenter un projet de loi qui vise à taxer les géants du numérique sur leurs chiffres d'affaires réalisés en France, ça va rapporter 500 millions de recettes supplémentaires. Si on compare à la suppression de l'ISF, qui a fait perdre trois milliards à l'Etat, en 2018, c'est une mesure symbolique ?

BRUNO LE MAIRE
Non, c'est une mesure forte qui, je crois, est attendue par les Français, qui vise à rétablir de la justice fiscale, de l'efficacité fiscale, et à construire la fiscalité du 21ème siècle. On ne peut pas avoir au 21ème siècle…

AUDREY CRESPO-MARA
Mais 500 millions, est-ce assez ?

BRUNO LE MAIRE
Une taxation de l'économie qui est la même qu'au 20ème siècle alors que chacun sait que ce sont les données, c'est l'immatériel, c'est le digital qui créent aujourd'hui le plus de valeurs, il est normal, il est légitime qu'ils soient aussi taxés.

AUDREY CRESPO-MARA
500 millions, c'est peu.

BRUNO LE MAIRE
C'est un point de départ, après, nous verrons progressivement, parce que cette taxe, nous la faisons au niveau national, j'ai bon espoir qu'ensuite, ça devienne une taxe internationale, et que tous les pays développés se rallient à cette idée.

AUDREY CRESPO-MARA
Eh oui, à propos de symbole, les autres pays européens ne sont pas tous d'accord pour taxer les géants du numérique. C'est symbolique de la faiblesse de l'Union européenne ?

BRUNO LE MAIRE
Quand on a ouvert cette voie avec le président de la République, il y a deux ans, c'était dans le projet du président de la République, nous avons dit : il faut une taxation des géants du numérique qui aujourd'hui paient – c'est la Commission européenne qui le dit – 14 points d'impôts de moins que n'importe quelle PME en France. C'est totalement inacceptable. Nous étions seuls, progressivement, nous sommes devenus cinq, avec l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la France évidemment qui était là au premier rang. Et puis, maintenant, nous sommes 23 sur 27, il reste quatre Etats qui bloquent. Dont acte. Nous allons adopter cette taxe nationale, mais ce n'est que le début du combat. Moi, je souhaite que la semaine prochaine, lorsque nous nous réunirons avec les ministres des Finances, puisque nous n'avons pas d'accord pour adopter une directive européenne, nous ayons au moins une position commune à défendre à l'OCDE, pour que d'ici la fin de l'année 2019, cette taxe nationale, qu'adoptent la France, mais aussi la Grande-Bretagne, l'Italie ou l'Autriche, devienne une vraie fiscalité internationale sur le digital.

AUDREY CRESPO-MARA
Mais vous avez beaucoup discuté pendant dix-huit mois, et finalement, aucune décision commune, c'est le message envoyé par l'Europe à deux mois des élections européennes…

BRUNO LE MAIRE
Je le regrette, je regrette que l'Europe n'ait pas le courage de définir ce que doit être la fiscalité du 21ème siècle…

AUDREY CRESPO-MARA
Quel message envoyé !

BRUNO LE MAIRE
Je regrette que quatre Etats aient décidé de bloquer cette taxation, mais quelle conclusion, j'en tire ? La première, c'est qu'il faut passer de la règle de l'unanimité en matière fiscale à la règle de la majorité qualifiée, si aujourd'hui, nous avions la majorité qualifiée sur les décisions fiscales, cette taxation des géants du numérique serait adoptée par l'immense majorité des pays européens, les 23 sur 27 qui sont d'accord. La deuxième conclusion que j'en tire, c'est qu'il faut poursuivre le combat pour qu'à l'OCDE, nous ayons une taxation adoptée par tous les pays développés, il y a de ce point de vue-là un changement majeur qu'il faut noter, c'est que le secrétaire américain au Trésor, le ministre des Finances américain, qui est venu à Paris, la semaine dernière, que j'ai rencontré, qui a rencontré le président de la République, pour la première fois, a dit ouvertement : les Etats Unis sont favorables à une taxation du digital au niveau de l'OCDE. Donc nous avons décidé avec mon homologue américain, Steven MNUCHIN, de travailler étroitement ensemble pour définir cette taxation au niveau de l'OCDE, et dès que nous aurons une taxation internationale, elle se substituera à cette taxe nationale.

AUDREY CRESPO-MARA
Alors, Bruno LE MAIRE, GOOGLE, APPLE, FACEBOOK, ont leur siège social en Irlande, ce qui leur permet de payer moins d'impôts, est-ce que vous ne trouvez pas anormal que l'Irlande, qui est membre de l'Union européenne, fasse du dumping fiscal pour attirer les multinationales ?

BRUNO LE MAIRE
Je suis totalement opposé au dumping fiscal…

AUDREY CRESPO-MARA
Au sein de l'union…

BRUNO LE MAIRE
Je pense – au sein de l'Union européenne – je pense que ça nous affaiblit tous, je pense qu'il faut bien une fiscalité pour payer nos crèches, nos hôpitaux, nos services publics. Et donc le deuxième point de cette fiscalité du 21ème siècle, que nous souhaitons bâtir, le premier, c'est cette taxation des géants du numérique, question de justice, question d'efficacité. Mais le deuxième point sur lequel je vais aussi me battre avec beaucoup de détermination, c'est une taxation minimale pour l'impôt sur les sociétés, pour qu'il n'y ait plus cette évasion fiscale, ces grandes multinationales qui font des bénéfices en France avec le consommateur français avec vos données, Audrey CRESPO-MARA, avec les millions de données de vos auditeurs, et qui, ensuite, une fois qu'elles ont fait des bénéfices avec ces consommateurs français, les rapatrient dans un paradis fiscal pour éviter l'impôt en France, c'est totalement inacceptable, donc cette taxation minimale à l'impôt sur les sociétés, c'est la priorité numéro un du G7 français dont nous avons la présidence, et là, encore, bonne nouvelle les États-Unis viennent d'annoncer qu'ils étaient favorables eux aussi à une taxation minimale de l'impôt sur les sociétés.

AUDREY CRESPO-MARA
Alors, la moitié des géants du numérique visés par votre taxe sont des entreprises américaines justement, vous ne craignez pas que Donald TRUMP prenne des mesures de rétorsion et taxe les produits français, le vin par exemple ?

BRUNO LE MAIRE
C'est un argument que j'ai beaucoup entendu de la part des pays européens, mais je leur ai répondu très souvent : n'ayez pas peur de votre ombre…

AUDREY CRESPO-MARA
N'ayez pas peur de Donald TRUMP ?

BRUNO LE MAIRE
Non, n'ayez pas peur de votre ombre, enfin, affirmez votre puissance…

AUDREY CRESPO-MARA
Et de ses réactions…

BRUNO LE MAIRE
Nous sommes le continent économiquement le plus puissant aujourd'hui, nous sommes le premier marché de consommateurs au monde, les GOOGLE, FACEBOOK, AMAZON, qui sont de très belles entreprises qui ont remarquablement réussi, qui créent d'ailleurs des emplois en France et qui sont les bienvenues en France, ont besoin des consommateurs européens qui représentent une véritable richesse avec leurs données, avec leur savoir-faire. Affirmons notre puissance, n'ayons pas peur ni des Etats-Unis ni de la Chine, mais on pourra affirmer cette puissance du marché européen des consommateurs européens avec d'autant plus de force qu'on sera rassemblé et pas divisé.

AUDREY CRESPO-MARA
Bruno LE MAIRE, votre ancien collègue Nicolas HULOT et le patron de la CFDT, Laurent BERGER ont publié hier 66 propositions qui visent à concilier transition écologique et progrès social, selon eux, il y a nécessité à relancer la taxe carbone, à condition que l'argent qu'elle rapporte ne soit pas versé au budget de l'Etat, mais affecté à un but social. Vous êtes prêt à soutenir cette proposition ?

BRUNO LE MAIRE
Je suis très réservé sur toute augmentation d'impôts, chacun le sait, et je crois que l'urgence, c'est de baisser les impôts des Français, cela étant, je veux saluer la contribution de Laurent BERGER et de Nicolas HULOT, parce que je trouve que c'est une contribution utile au grand débat national. Il y a plein de propositions – par exemple sur la refondation du capitalisme – qui rejoignent certaines propositions sur lesquelles nous sommes en train de travailler à l'Assemblée nationale, avec le projet de loi Pacte, qui vient d'ouvrir le conseil d'administration aux salariés…

AUDREY CRESPO-MARA
Et pas seulement, Nicolas HULOT…

BRUNO LE MAIRE
De donner une raison d'être aux entreprises pour qu'elles affirment leur ambition écologique et environnementale. Tout ça, j'y suis favorable, et nous le faisons…

AUDREY CRESPO-MARA
Nicolas HULOT estime qu'il ne faut plus, qu'il ne faut pas respecter forcément les critères de Maastricht, qui imposent que le déficit ne dépasse pas les 3 % du PIB, est-ce que la survie de la planète passe avant la rigueur budgétaire ?

BRUNO LE MAIRE
Là-dessus, sur tout ce qui est refondation du capitalisme, affirmation de l'objet social de l'entreprise, place des salariés dans l'entreprise, là, je rejoins Laurent BERGER et Nicolas HULOT. En revanche, cette idée qu'il faudrait augmenter les impôts ou redistribuer davantage alors que nous avons déjà un système très redistributif, là, je suis beaucoup plus sceptique, parce que je considère que le premier problème économique français, ça n'est pas la redistribution, c'est la création de richesses, si nous voulons que ça aille mieux pour nous, pour nos enfants, pour les générations qui viennent, il faut que la France, que nos PME, que nos entreprises créent plus de richesses. Pour moi, c'est ça la priorité absolue, et je pense qu'on peut avoir un très beau débat sur ce sujet, moi, j'affirme que la création de richesses, c'est aujourd'hui la priorité absolue pour notre économie.

AUDREY CRESPO-MARA
Et alors, Laurent BERGER estime qu'on pourrait créer une tranche d'impôt supplémentaire pour les plus hauts revenus, afin de financer la transition écologique, que les riches doivent payer plus pour sauver la planète ou pour améliorer la justice sociale.

BRUNO LE MAIRE
Oui, je me méfie toujours de cette expression : les riches, les plus riches, les 20 % les plus riches, je rappelle que les 20 % les plus riches en France, ça commence à 2.500 euros de revenus…

AUDREY CRESPO-MARA
Vous n'envisagez pas de tranche d'impôt supplémentaire ?

BRUNO LE MAIRE
Donc si certains veulent augmenter les impôts de 20 % des Français qui touchent 2.500 euros par mois, moi, j'y suis totalement opposé, parce que…

AUDREY CRESPO-MARA
Pas de tranche d'impôt supplémentaire donc en vue ?

BRUNO LE MAIRE
Parce que je considère qu'il faut baisser les impôts des Français, pour cela, baisser la dépense publique, et j'en reste à cette ligne forte qui est celle du gouvernement depuis deux ans, nous avons commencé à baisser les impôts des Français, nous avons commencé à baisser les impôts des entreprises pour qu'elles créent plus de richesses, regardons où nous acceptons tous ensemble de réduire la dépense publique pour redonner l'argent aux Français et baisser leurs taxes et baisser leurs impôts, c'est la ligne que je continuerai à défendre.

AUDREY CRESPO-MARA
Bruno LE MAIRE, Carlos GHOSN va sortir de prison aujourd'hui. A l'annonce de sa libération, il a remercié un certain nombre de personnes qui lui ont apporté un soutien, mais dans cette liste, il n'a pas cité le gouvernement français, faut-il en déduire que vous l'avez abandonné ?

BRUNO LE MAIRE
Mais nous n'abandonnons personne, mais le rôle du gouvernement n'est pas de s'immiscer dans une procédure judiciaire en cours.

AUDREY CRESPO-MARA
C'est un citoyen français…

BRUNO LE MAIRE
Carlos GHOSN est libéré. Il est citoyen français, il va pouvoir se défendre et se défendre beaucoup plus sereinement, tant mieux. Et je dis ce matin tant mieux. Mais ma responsabilité de ministre de l'Economie et des finances, c'est surtout de m'assurer que les centaines de milliers d'emplois de RENAULT, de l'alliance entre RENAULT et NISSAN sont protégées dans un moment où l'industrie automobile est confrontée à un des bouleversements les plus importants depuis le début du 20ème siècle, ça fait plus d'un siècle que l'industrie automobile n'avait pas été confrontée à des transformations aussi importantes, ma responsabilité, c'est de m'assurer que RENAULT réussisse dans ce nouvel environnement, c'est ça, ma priorité.

AUDREY CRESPO-MARA
Merci Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Merci Audrey CRESPO-MARA

PIERRE DE VILNO
Monsieur le ministre, un pronostic pour PSG-Manchester ce soir, vous allez suivre le match ?

BRUNO LE MAIRE
Alors, je serai malheureusement en commission à l'Assemblée nationale, donc j'aurai du mal à suivre le match, sauf à ouvrir mon iPhone pendant la Commission, ce qui ne se fait pas, mais victoire PSG.

PIERRE DE VILNO
Victoire PSG sur Europe 1. Merci beaucoup Bruno LE MAIRE. Merci Audrey CRESPO-MARA pour l'interview politique de la matinale.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 mars 2019