Texte intégral
LEA SALAME
Bonjour Nicole BELLOUBET.
NICOLE BELLOUBET
Bonjour.
LEA SALAME
Merci d'être avec nous ce matin. Madame la Ministre, y a-t-il une justice politique en France ?
NICOLE BELLOUBET
En aucun cas.
LEA SALAME
Jean-Luc MELENCHON a signé une tribune avec le Brésilien LULA, l'Espagnol IGLESIAS et 200 personnalités pour dénoncer les procès politiques, et le « lawfare », c'est-à-dire, l'instrumentalisation de la justice pour éliminer les concurrents politiques. Jean-Luc MELENCHON se dit victime de cela : je serai en procès politique à la fin septembre, dit-il, alors qu'il est convoqué au tribunal correctionnel de Bobigny pour intimidation, rébellion et provocation contre l'autorité judiciaire. Ce sera un moment très triste pour mon pays parce qu'il n'y avait pas eu de procès politique en France depuis la période de la guerre d'Algérie. Qu'est-ce que vous lui répondez ?
NICOLE BELLOUBET
Je réponds sur deux plans, d'abord, il est vrai que dans un certain nombre d'Etats, la justice est, je dirais, le maillon qui est le premier attaqué quand on veut mettre fin à l'Etat de droit, regardez ce qui se passe au Brésil, où effectivement, j'ai le sentiment – je ne connais pas tous les dossiers dans le détail – mais j'ai le sentiment qu'il y a quelque chose qui relève de cet ordre-là, regardez ce qui se passe en Europe, en Pologne ou en Hongrie, où, dès qu'il y a des atteintes à l'Etat de droit, c'est par la justice et les médias d'ailleurs que l'on commence à s'attaquer. En revanche, j'ai lu évidemment la tribune hier dans le JDD, j'ai été assez stupéfaite, franchement…
LEA SALAME
Pourquoi ?
NICOLE BELLOUBET
Eh bien, parce que quand vous regardez, vous trouvez la France avec MELENCHON, placée exactement à côté de la Russie et du Cambodge, alors moi, je veux bien, mais tout de même, il me semble qu'il y a une petite nuance entre l'indépendance, qui est réelle, en France, et ce qui se passe en Russie ou ce qui se passe dans d'autres pays. Donc je trouve cet amalgame insupportable et inacceptable.
LEA SALAME
Vous disiez en octobre dernier ne pas vouloir rentrer dans le jeu paranoïaque de Jean-Luc MELENCHON, vous diriez aujourd'hui qu'il est paranoïaque d'imaginer que la justice est aux ordres, que la manipulez, vous, pour l'affaiblir lui ?
NICOLE BELLOUBET
Mais bien sûr, je le répète, je ne cesse de le répéter, d'abord, je ne donne, mais strictement aucune instruction sur les affaires individuelles, aucune instruction, ça ne me viendrait même pas à l'esprit, et d'autre part, je voudrais vous dire que Jean-Luc MELENCHON, lui-même, d'une certaine manière, est contradictoire, puisque je me souviens un jour – il n'y a pas très longtemps – d'une altercation à l'Assemblée nationale, non pas dans l'hémicycle, mais juste à côté, où il me disait : mais, tu ne contrôles pas ta justice, je lui disais : non, je ne la contrôle pas, et il me dit : alors à quoi tu sers ? Eh bien, évidemment, le Garde des sceaux n'a absolument pas à contrôler la justice…
LEA SALAME
Donc en l'espèce, il y a de la paranoïa ? Vous reprenez vos mots ?
NICOLE BELLOUBET
Oui, oui, oui, bien sûr, sur cette affaire-là, je reprends mes mots, et je ne vais pas au-delà, je ne vais pas au-delà…
LEA SALAME
C'est déjà pas mal parano. Si le Parquet est indépendant, comme vous le dites, Madame la Ministre, il ne reçoit aucune instruction de vous, pourquoi ne pas franchir le pas en donnant toutes les garanties statutaires et effectives de son indépendance totale en inscrivant l'indépendance du Parquet ?
NICOLE BELLOUBET
Mais, Léa SALAME, c'est ce que nous voulons faire, et dans le projet de révision constitutionnelle, que j'ai présenté en Conseil des ministres, il y a quelques jours, nous franchissons un pas supplémentaire sur le statut du Parquet en disant que les procureurs ne seront plus nommés que sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, lequel aura l'entièreté du pouvoir disciplinaire ; je trouve que c'est un pas extrêmement important, et c'est la raison pour laquelle je suis aussi attachée à ce que cette révision constitutionnelle aille à son terme.
LEA SALAME
Vous êtes attachée à ce qu'elle aille à son terme, mais manifestement, elle a été repoussée plusieurs fois, elle va…
NICOLE BELLOUBET
Je ne désespère pas…
LEA SALAME
Vous ne désespérez pas, mais pardon de vous dire, elle arrive quand au Parlement cette grande réforme, qui était quand même la première grande annonce d'Emmanuel MACRON quand il est arrivé au pouvoir ?
NICOLE BELLOUBET
Au moment où nous parlons, le travail parlementaire – vous le savez – et le calendrier parlementaire est totalement plein jusqu'à la fin de l'année civile, puisque nous avons la PMA, nous avons, là, vraiment beaucoup de textes, il n'est pas possible de l'intégrer là, nous avons par ailleurs encore des discussions à conduire avec le Sénat, c'est ce à quoi nous allons nous attacher.
LEA SALAME
Si vous n'obtenez pas l'accord du Sénat, il n'y aura pas de révision constitutionnelle ?
NICOLE BELLOUBET
Vous savez très bien que ce n'est pas possible…
LEA SALAME
Vous pourriez passer par référendum ?
NICOLE BELLOUBET
Pas pour tout, et en aucun cas pour les révisions constitutionnelles, sur lesquelles nous ne pouvons pas mettre en place le référendum.
LEA SALAME
Donc s'il n'y a pas de révision constitutionnelle, c'est la faute du Sénat ?
NICOLE BELLOUBET
Il y a des dispositions, si vous voulez, institutionnelles sur le nombre de parlementaires ou des choses comme ça, que nous pourrions faire adopter par référendum, mais les dispositions conventionnelles, elles-mêmes, en aucun cas.
LEA SALAME
Encore une dernière question sur ces sujets-là, à chaque fois que le Parquet a ouvert une enquête contre un homme politique, que ce soit Jean-Luc MELENCHON ou d'autres, Richard FERRAND, François FILLON, Alexis KOHLER, je prends à dessein différentes obédiences politiques, à chaque fois, ça prend des proportions médiatiques spectaculaires, ça a un impact considérable sur la probité de l'homme politique, or ce pouvoir du procureur s'exerce sans aucun contrôle, sans aucun recours possible. Est-ce que ce n'est pas dangereux pour la démocratie ?
NICOLE BELLOUBET
Tous les recours sont possibles devant les juridictions, tous les recours sont possibles devant les juridictions, donc je ne crois pas qu'il y ait, là, un danger pour la démocratie, car, en effet, dans le système de l'Etat de droit tel que nous le pratiquons en France, c'est le principe de l'égalité qui domine. Et c'est le principe de la contestation d'une décision juridictionnelle devant une cour supérieure.
LEA SALAME
Le projet de loi bioéthique arrive à l'Assemblée nationale fin septembre…
NICOLE BELLOUBET
Absolument, oui, oui, nous commençons d'ailleurs dès ce soir en commission, oui…
LEA SALAME
Vous me le confirmez. Concernant les couples de femmes, qui auront recours à la PMA, vous avez tranché, il sera écrit mère et mère sur le livret de famille, avant cela, les femmes devront remplir une déclaration commune anticipée devant le notaire. Les associations estiment que cela est discriminatoire, puisque les couples hétérosexuels qui ont recours à la PMA n'ont pas à faire cette déclaration devant notaire, qu'est-ce que vous leur répondez ? Vous assumez cette discrimination ?
NICOLE BELLOUBET
Ce n'est pas une discrimination, en aucun cas, nous ne voulons absolument aucune discrimination. Ce que nous voulons dire, c'est : il y a de nouveaux droits qui sont donnés aux femmes par l'ouverture de l'AMP, il faut absolument que ces femmes concrétisent ce droit par un mode d'établissement de la filiation qui garantisse évidemment les droits de l'enfant ; droits qui seront absolument les mêmes que ceux des autres enfants, de tous les enfants. Sur la question de la déclaration anticipée de volonté, ce que nous avons fait, c'est que nous avons voulu protéger et la mère et l'enfant, l'idée, c'était que dès que cette déclaration est faite, les deux mères seront effectivement les mères, il n'y aura pas de contestation possible, et donc ça protège et la mère et l'enfant. Lorsque ce sentiment de discrimination a été perçu, je parle bien d'un sentiment, parce que ce n'est en aucun cas une discrimination, mais seulement un souci de protection, nous avons bien entendu cela, c'est la raison pour laquelle je suis en train de travailler avec la rapporteure de ces articles-là sur des propositions nouvelles que nous pourrons peut-être présenter ce soir ou demain en commission…
LEA SALAME
Pardon, dites-nous-en un peu plus…
NICOLE BELLOUBET
Eh bien, vous savez, dans le texte tel que nous l'avons écrit, en ce moment, aujourd'hui, il y a d'une part l'établissement, le mode d'établissement de la filiation, je dirais classique, qui est dans le titre 7, et nous avions envisagé de faire un titre 7 bis qui permettrait de prendre en compte les couples de femmes. Nous allons voir si nous pouvons tout ramener dans un titre unique, ce qui, symboliquement, serait important et voir si nous pouvons rapprocher la déclaration anticipée de volonté de ce que font les couples hétérosexuels, lorsque le père vient reconnaître un enfant avant la naissance, parce que là aussi, cette reconnaissance anticipée, c'est au fond une sécurisation pour l'enfant à naître dans les couples hétérosexuels…
LEA SALAME
Donc l'idée, c'est d'abandonner peut-être cette déclaration anticipée devant notaire ?
NICOLE BELLOUBET
L'idée, c'est de voir si nous pouvons effectivement effectuer un rapprochement entre les différents régimes sans les assimiler totalement, puisque, encore une fois, j'insiste beaucoup, nous voulons donner de nouveaux droits aux femmes, mais nous ne voulons pas porter atteinte aux couples hétérosexuels et à la manière dont leur mode d'établissement de la filiation est établi.
LEA SALAME
Les anti-ouvertures de la PMA pour toutes ont déjà prévu des journées de mobilisation, est-ce que vous craignez une hystérisation du débat ou est-ce que vous avez l'impression que les choses se passent de manière sereine ?
NICOLE BELLOUBET
Peut-être n'ai-je pas de pif politique, mais je n'ai pas le sentiment que nous allions vers une hystérisation du débat. Nous avons beaucoup travaillé, beaucoup reçu les associations, nous avons pris en compte la difficulté et la sensibilité de cette thématique, quand je dis « reçu les associations », je dis : « toutes les associations », et je pense que nous allons continuer dans cet esprit de dialogue.
LEA SALAME
Le débat sur l'immigration aura lieu le 30 septembre prochain à l'Assemblée nationale, Madame la Ministre, il n'y aura pas de question taboue prévient le gouvernement. En janvier dernier, Emmanuel MACRON n'avait pas exclu des objectifs annuels d'immigration, en clair, des quotas, est-ce que vous vous êtes favorable, vous, à des quotas d'immigration en France ?
NICOLE BELLOUBET
Alors c'est un débat, 1°) : oui, il y aura un débat, tout sera sur la table, il n'y a pas de difficulté là-dessus. 2°) : il me semble que la réponse sur la question des quotas, d'une certaine manière, c'est une question seconde, si vous me le permettez, parce que…
LEA SALAME
Ça veut dire quoi ?
NICOLE BELLOUBET
Eh bien, ça veut dire que ce qui importe, c'est d'abord de réfléchir au niveau européen, et disant cela, je ne renvoie pas la balle, mais il faut absolument que nous revoyons les questions de Dublin, parce que rien n'est possible sans cela, on le voit bien, nous apportons des réponses actuellement au coup par coup à telle ou telle situation, mais nous ne traitons pas la question de manière générale, rien ne sera possible sans cela…
LEA SALAME
Vous, à titre personnel, les quotas, c'est non ?
NICOLE BELLOUBET
Je pense que ça, c'est quelque chose qui se regarde, il y avait un rapport en 2009 fait MAZEAUD, le président MAZEAUD, qui montrait la difficulté de cette politique-là. Donc je pense que ça doit se regarder avec beaucoup d'attention, et à condition – juste un mot – que le droit d'asile ne soit pas touché, c'est un droit constitutionnel, il ne faut pas le toucher.
LEA SALAME
Dernière question, mis en cause dans six affaires d'agressions sexuelles ou de viols, Tariq RAMADAN publie un livre pour se défendre et a entamé une tournée médiatique, où il a dénoncé – je cite – un tribunal populaire, il a traité les plaignantes de menteuses, il s'est dit victime d'un traquenard et a comparé son cas à l'affaire Dreyfus. La Garde des sceaux que vous êtes trouve-t-elle cela normal ?
NICOLE BELLOUBET
La comparaison avec l'affaire Dreyfus ? Pas complètement, non. En revanche, je sais qu'il y a des difficultés, il a livré des noms de personnes.
LEA SALAME
Il a nommé une plaignante qui réclamait l'anonymat, il a donné les prénoms de deux femmes qui ont témoigné sous X…
NICOLE BELLOUBET
Oui, alors…
LEA SALAME
Qu'est-ce qu'il risque ?
NICOLE BELLOUBET
Alors, il y a effectivement une infraction qui est liée au dévoilement de l'identité d'une personne qui a témoigné sous X. La procédure, là, devant le juge poursuivra son cours. Il faut vérifier si ce sont des témoins ou des plaignants, puisque la question ne se pose pas de la même manière, donc c'est la justice qui dira ce qu'il en est.
LEA SALAME
Vous êtes choquée d'entendre RAMADAN, comme ça, parler dans les médias ?
NICOLE BELLOUBET
A titre personnel, oui, mais je n'ai pas à porter de jugement, puisque c'est la justice qui est saisie.
LEA SALAME
Nicole BELLOUBET était notre invitée. Merci et belle journée à vous.
NICOLE BELLOUBET
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 septembre 2019