Texte intégral
THOMAS HUGUES
Bonjour Elisabeth BORNE.
ELISABETH BORNE
Bonjour.
THOMAS HUGUES
Bienvenue. Merci de nous avoir réservé votre première grande interview à la radio sur RTL comme ministre des Transports et de la transition écologique. Il y a eu cette passation de pouvoir hier au ministère avec François de RUGY. Il s'est dit soulagé, c'est le mot qu'il a employé. Dans quel état d'esprit étiez-vous et dans quel état d'esprit l'avez-vous trouvé, on le sentait marqué, abattu ?
ELISABETH BORNE
Je vous le confirme, je pense que ce qu'il peut vivre ces derniers jours, évidemment, c'est très dur, et pour lui, dont l'écologie est vraiment le combat depuis des années, eh bien, c'est certain que quitter le ministère dans ces conditions est quelque chose de très difficile. En même temps, je pense que ce choix, il est aussi sans doute pour se protéger et protéger sa famille, pouvoir se défendre, s'expliquer, et puis aussi, pour protéger l'action collective du gouvernement…
THOMAS HUGUES
Protéger le gouvernement…
ELISABETH BORNE
Et je pense, voilà, qu'on peut quand même rendre hommage à l'attitude qu'il a eue sur ce sujet.
THOMAS HUGUES
Pourquoi vous n'êtes pas ministre d'Etat, comme il l'était, lui ?
ELISABETH BORNE
Vous savez, le titre… enfin, ce n'est pas les titres qui font les politiques…
THOMAS HUGUES
C'est important, il était numéro 2 du gouvernement !
ELISABETH BORNE
Le titre de ministre d'Etat, c'est la reconnaissance d'un parcours politique, c'est celui qu'ont eu François BAYROU, Gérard COLLOMB, qu'avait en effet François de RUGY, moi, je n'ai pas ce parcours politique, j'ai un autre parcours, dont je suis aussi fière, qui me donne, je pense, des atouts pour porter cette transition écologique et solidaire qui me tient à coeur, avec une expérience de préfète d'une région rurale, voyez, où on peut voir que la rénovation thermique des logements, ce n'est pas un dossier, le développement des énergies renouvelables, c'est des réalités. J'ai aussi une expérience de PDG de la RATP, qui est une entreprise qui a décidé de sortir des bus diesel, de convertir les 4.500 bus, qu'elle exploite, à l'électricité et au biogaz. Et voilà, c'est cette expérience concrète, pratique…
THOMAS HUGUES
Mais justement, donc cette expérience, ça pouvait justifier d'avoir ce titre de ministre d'Etat. C'est la priorité de l'acte 2 du quinquennat d'Emmanuel MACRON, l'écologie, et les associations de défense de l'environnement ne comprennent pas, ne comprennent pas pourquoi vous n'avez pas ce titre, elles y voient une forme de déclassement…
ELISABETH BORNE
Ecoutez, moi, je les remercie. Ce que je peux vous dire, c'est que la transition écologique et solidaire, c'est une priorité pour le président de la République, c'est une priorité que le Premier ministre a affirmée dans son discours de politique générale, il y a un mois. Et c'est quelque chose que, avec Brune POIRSON, avec Emmanuelle WARGON, les deux secrétaires d'Etat, nous allons porter avec beaucoup de détermination.
THOMAS HUGUES
C'est compatible avec les transports d'être ministre des deux, vous avez deux portefeuilles…
ELISABETH BORNE
Moi, je suis un peu surprise, vous savez, qu'on se dise : mais c'est curieux, c'est un peu antinomique, transport et transition écologique et solidaire, le transport, c'est le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre, donc, oui, c'est bien un champ dans lequel il faut agir, et agir vite, et c'est ce que j'ai porté dans la loi Mobilités, la transition écologique des transports…
THOMAS HUGUES
Alors, justement, Yannick JADOT, pardon de vous interrompre, Yannick JADOT, qui donne une interview ce matin au journal Ouest-France, ça ne vous a pas échappée, il a de sérieux doutes sur votre engagement pour l'environnement, je ne fais que reprendre ses termes, et il vous pose des questions : Elisabeth BORNE va-t-elle se battre avec nous pour enfin demander aux poids lourds de payer leur juste contribution pour la pollution de l'air qu'ils génèrent. Que lui répondez-vous ?
ELISABETH BORNE
Eh bien, vous savez qu'il y a une semaine, on a annoncé, j'ai annoncé qu'on allait… enfin, qu'on avait besoin de dégager des ressources pour financer des transports du quotidien, ce qui est ma priorité, permettre à chaque Français d'avoir des alternatives à la voiture particulière. Ça veut dire investir plus, investir plus notamment dans le transport ferroviaire, et les poids lourds, on a annoncé qu'on allait réduire l'avantage fiscal dont ils bénéficient à hauteur de 2 centimes, donc je pense que monsieur JADOT a peut-être vu ces annonces il y a une semaine.
THOMAS HUGUES
Vous comprenez d'une manière générale les doutes des associations où il y a des critiques qui sont un peu vachardes ce matin, notamment dans Le Parisien : « Madame Bornée », c'est vrai qu'on vous surnomme comme ça, il paraît que vous êtes dure en affaires, alors, ça peut être un compliment aussi, vous ne lâchez pas le morceau…
ELISABETH BORNE
Enfin, vous savez, enfin, je pense que pour porter ces enjeux de la transition écologique et solidaire, qui sont des enjeux essentiels, urgents, je pense qu'il faut aussi se battre, savoir se battre, c'est effectivement peut-être une des qualités qu'on pourrait me reconnaître, de porter mes dossiers avec beaucoup de détermination. Mais vous savez, ceux qui sont en train de formuler ces critiques, je pense qu'ils formulaient les mêmes sur Nicolas HULOT, et moi, j'étais à ses côtés pendant plusieurs mois, on peut évidemment toujours critiquer, je crois que Nicolas HULOT, notamment à l'époque, il aurait aussi apprécié de temps en temps qu'on salue l'action…
THOMAS HUGUES
Oui, vous avez été aussi la directrice de cabinet d'une autre ministre de l'Ecologie emblématique, c'était Ségolène ROYAL. Qu'est-ce que vous retenez de ces années avec elle ?
ELISABETH BORNE
Eh bien, c'était une période intense, vous savez, puisque c'était la préparation de la COP21 dans laquelle, je pense, que ça a été l'occasion pour la France de marquer son engagement au niveau international, l'accord de Paris, c'est évidemment un accord fondamental qu'il faut qu'on continue à porter, et c'est bien ce que fait le président de la République au niveau international, qu'on arrive à décliner aussi, et c'est bien ça tout l'enjeu, et c'est bien tout l'enjeu de cette transition écologique et solidaire, c'est à la fois de porter ces objectifs qui sont des objectifs forcément planétaires, forcément européens, et en même temps, de les incarner dans des transformations très concrètes et dans l'accompagnement de tous les Français…
THOMAS HUGUES
Elle a l'art d'occuper l'espace médiatique, Ségolène ROYAL, elle vous donne des conseils encore aujourd'hui ou alors quelles leçons vous pourriez tirer de la période où vous avez travaillé avec elle ?
ELISABETH BORNE
Ecoutez, je pense que Ségolène ROYAL, elle porte une vision de l'écologie qui se passe aussi sur le terrain, et moi, c'est aussi ma vision, qu'il faut agir concrètement, qu'il faut accompagner tous les Français, et c'est bien le sens de l'intitulé du ministère : la Transition écologique et solidaire, il ne faut laisser personne sur le bord de la route.
THOMAS HUGUES
Justement, on va être très concret avec deux exemples, le train Perpignan-Rungis, on y vient, mais d'abord, la prime à la conversion, c'est ce dispositif d'aide au remplacement d'un véhicule ancien avec un véhicule propre, au 1er août prochain, les critères vont changer, ils vont être durcis, si j'ai bien compris, vous allez me l'expliquer, est-ce que cette prime, elle est victime de son succès, et finalement, est-ce qu'on a les moyens de nos ambitions écologiques, Elisabeth BORNE ?
ELISABETH BORNE
Cette prime, elle rencontre un très grand succès, et c'est évidemment une bonne nouvelle, parce que, d'une part, elle permet de sortir de la circulation les véhicules les plus polluants, et puis, d'autre part, elle permet à des Français et à tous les Français d'acheter un véhicule qui consomme moins, qui pollue moins et donc qui pèse aussi moins sur le budget des Français…
THOMAS HUGUES
Oui, mais vous changez le système parce qu'on ne peut plus suivre, le budget de l'Etat ne peut plus suivre ?
ELISABETH BORNE
Attendez, on change le système parce qu'on avait un objectif de 500.000 primes dans le quinquennat, qu'on est passé à un million dans le quinquennat, donc c'est une bonne nouvelle, ça marche bien, qu'on est déjà à 250.000 primes depuis le début de l'année, après les 300.000 qui ont été attribuées en 2018, et qu'à ce rythme, on serait à 500.000 à la fin de l'année, je pense que c'est important de profiter de cette dynamique pour être plus exigeant sur les critères…
THOMAS HUGUES
Alors, qu'est-ce qui change ?
ELISABETH BORNE
Alors, par exemple, pour supprimer des cas aberrants, vous savez, quand on utilise la prime à la conversion pour acheter un véhicule à plus de 50.000 euros, une TESLA, voilà, ça ne me paraît pas être l'objet et l'intérêt d'utiliser l'argent du contribuable pour accompagner des gens qui achètent des véhicules à plus de 50.000 euros…
THOMAS HUGUES
Donc quels sont les nouveaux critères ?
ELISABETH BORNE
Donc notamment, ces voitures ne seront plus éligibles à la prime à la conversion, et puis, on monte les exigences sur véhicules propres, les associations avaient réagi sur le fait que près de 50 % des véhicules qui sont achetés grâce à cette prime à la conversion, ce sont des véhicules diesels et des diesels pas très récents, donc on pousse notre ambition écologique dans ce domaine et on le fait évidemment en veillant, là encore, à ne pas laisser des Français sans solution, donc on continue à doubler la prime pour les Français les plus modestes, et on travaille également pour avoir une solution clé en main pour ceux qui nous disent : vous savez, votre prime, c'est 4.000 euros par exemple, ou c'est 5.000, euros, mais le véhicule, il coûte 6.000 ou 7.000, et moi, je n'ai pas accès au crédit, qu'est-ce que vous faites pour moi ? On est en train d'y travailler pour une solution clé en main pour que tous les Français puissent passer à des véhicules plus propres…
THOMAS HUGUES
Alors, il y a tous les concessionnaires auto qui nous écoutent qui doivent être un peu inquiets, là, en se disant : on va perdre du chiffre d'affaires dans les prochains mois…
ELISABETH BORNE
Les concessionnaires, je veux les rassurer et je veux rassurer aussi les Français qui ont déposé des dossiers sur le fait qu'ils vont effectivement être instruits et que la prime sera bien délivrée si on est dans les critères. Et je vous dis : cette prime, elle accélère, elle va plus vite, elle a un succès plus important que ce qu'on avait espéré, donc c'est une bonne nouvelle, à la fois pour l'écologie, et pour le budget des ménages…
THOMAS HUGUES
Et donc, je reviens quand même à la question : on n'a pas tout à fait les moyens de nos ambitions, c'est-à-dire qu'on change de système parce qu'on ne peut pas payer autant de primes à la conversion que prévu !
ELISABETH BORNE
Attendez, on est exactement dans l'objectif de cette prime. Sortir beaucoup de voitures qui polluent, permettre aux Français d'acheter des véhicules qui polluent moins, qui consomment moins, et on peut ajuster les critères quand on voit effectivement, à la fois, un certain nombre d'effets qu'on n'a pas voulus…
THOMAS HUGUES
Vous dites, c'est du pragmatisme…
ELISABETH BORNE
Eh bien, je pense qu'on peut ajuster ces critères pour être vraiment sur le coeur de la cible, permettre à tous les Français d'avoir un véhicule qui consomme moins et qui pollue moins.
THOMAS HUGUES
Alors on va parler maintenant du train, ce train des primeurs-là, des fruits et légumes, Perpignan-Rungis, qui roulait à vide depuis trois jours. Vous avez pris une décision, vous avez pris la décision de suspendre le système jusqu'au 1er novembre, pourquoi ?
ELISABETH BORNE
Moi, ce train, vous savez, j'ai été comme beaucoup un peu placée devant le fait accompli, j'ai été saisie en mai, on m'a dit : voilà, ce train va s'arrêter, et si je n'avais pas pris ce dossier à bras-le-corps, en réunissant tout le monde au ministère, en mobilisant les collectivités, notamment la région Occitanie, tous ceux qui peuvent utiliser ce train, je pense qu'on n'en parlerait plus de ce train, moi, je ne me résous pas à ce que ce train, à ce que les marchandises qui sont transportées passent sur la route, il y a eu une réunion hier à Perpignan avec mes services, avec tous ceux qui sont concernés pour confirmer l'engagement de tous, à ce que ces marchandises, elles reviennent sur ce train, dont on a montré que contrairement à ce qui avait été dit, il n'y a pas de date couperet, ce train, il peut continuer à rouler, et on a besoin de cette solution transitoire…
THOMAS HUGUES
Mais pourquoi il a roulé à vide, là, pendant trois jours, c'est totalement absurde qui s'est passé…
ELISABETH BORNE
C'est la démonstration…
THOMAS HUGUES
Vous n'avez pas été suivie par les professionnels du secteur ?
ELISABETH BORNE
Alors, les professionnels, les clients qui utilisaient ce train, ceux qui, effectivement transportent des fruits et des légumes vers Rungis nous disent : on a été pris de court, bon, il y avait une réunion au ministère au mois de mai, donc je suis un peu surprise qu'ils n'aient pas entendu notre conviction, je pense qu'on a montré notre conviction et notre volonté que ce train roule, et maintenant, moi, je me réjouis de l'engagement que tout le monde a pris, que dès que la saison va repartir, donc à l'automne, on puisse à nouveau utiliser ce train et qu'on bâtisse avec tout le monde une solution pérenne pour du transport ferroviaire sur cet axe.
THOMAS HUGUES
Elisabeth BORNE, un tout dernier thème dans cette interview sur RTL, Météo France annonce un nouvel épisode caniculaire la semaine prochaine, ce sera le retour de la circulation différenciée, on peut s'y attendre aussi ?
ELISABETH BORNE
Eh bien, écoutez souvent, on constate effectivement que quand on a ces épisodes de canicule, ça provoque de la pollution à l'ozone. On verra en fonction des conditions météo, notamment du vent qu'il y aura la semaine prochaine, c'est effectivement quelque chose d'important, qu'on n'ait pas la pollution qui vienne se rajouter à la canicule, c'est vraiment des enjeux de santé publique, mais, surtout, moi, j'insiste, il faut agir toute l'année pour éviter cette pollution, notamment dans les grandes villes…
THOMAS HUGUES
Mais il faut l'annoncer suffisamment tôt pour que ça marche, on est d'accord…
ELISABETH BORNE
Bien sûr, bien sûr, il faut l'annoncer, il ne faut pas laisser les gens sans solution, et donc, en fonction de l'évolution des prévisions, on prendra les dispositions qui s'imposent.
THOMAS HUGUES
Eh bien, c'est lundi, c'est annoncé, Marina GIRAUDEAU nous le disait pour lundi ; donc ça veut dire que vous allez nous l'annoncer quand ? Vous pourrez l'annoncer maintenant à la rigueur ?
ELISABETH BORNE
Mais attendez, c'est dans chacune des régions, vous savez, ce n'est pas une disposition nationale, c'est des dispositions qui prennent en compte des situations locales, je pense qu'on pourra faire le point avec les associations qui surveillent cette qualité de l'air et annoncer les dispositions qui pourront être prises.
THOMAS HUGUES
Dernier mot Elisabeth BORNE, vous êtes donc la nouvelle ministre des Transports et de la transition écologique, le premier déplacement d'un ministre, ça a toujours du sens, c'est symbolique, vous allez où comme ministre de la transition écologique ?
ELISABETH BORNE
Ecoutez, pour l'instant, je défends le projet de loi énergie-climat, qui est évidemment un projet très important puisqu'il va nous donner le chemin pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, pour atteindre la neutralité carbone, et je dois vous dire que depuis hier, je n'ai pas encore réussi à trouver un moment pour prévoir mon prochain déplacement.
THOMAS HUGUES
Merci beaucoup Elisabeth BORNE, sur RTL, la nouvelle ministre des Transports et de la transition écologique.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 juillet 2019